Asora ne l'avait jamais vu, elle ne connaissait même pas son nom ou son histoire. Rien de sa vie, son métier, ses parents. Si elle avait des enfants, un époux, des amis chers. Mais sans ne lui avoir jamais parlé, voilà qu'elle devait se mettre dessus. Elles le savaient probablement toutes les deux, la raison importait pas finalement. Asora pouvait même savoir que cette fille était liée au vent, c'était évident dans l'environnement. Comme si la vocation de champion lui avait fait atteindre un niveau de déduction supérieur.
La jeune astorg s'était imaginée ce genre de rencontre de nombreuses fois depuis sa rencontre avec Hilina. Elle pensait avoir une vision du quand, qui et comment, mais finalement tout était balayé par cette rencontre qui, pourtant, semblait due au hasard.
Sans vraiment attendre, son adverse décida de démarrer les hostilités. Très bien, dans un sens. N'en tenait qu'à Asora, elles seraient restées là à se regarder, sans vraiment savoir que faire ou comment agir. La peur, ou plutôt l'appréhension, l'avait gagné dès le premier regard, un son coeur manqua un battement lorsque le coup de pied fut projeté sur elle. Par un simple réflexe, Asora chercha à se dégager avec un pas de côté en tendant son bras droit en opposition qui reçut tout le poids du choc. Et cela faisait mal, très mal. Et cela faisait très longtemps.
Asora sentit soudainement la fureur la gagner, une vague brûlante qui calcinait son être, son coeur et sa conscience. Avant de perdre tout contrôle, elle enferma son propre Esprit pour ne pas lui permettre de se propager. Elle ne devait pas succomber à cela, garder son calme, rester elle-même. Ou du moins, celle qu'elle souhaitait devenir. Elle prit ses distances, se demandant si la lance de son adversaire était bientôt destinée à lui transpercer le coeur.

"Alors c'est ainsi, sans même connaitre le nom de notre adversaire ?" demanda-t-elle en cydien, espérant se faire comprendre de son interlocutrice.

Elle n'attendait pas de réponse, elle ne savait même pas si son adversaire la comprenait. Asora secoua son bras droit pour évacuer la douleur, au moins un peu.

"Je m'appelle Asora, je suis templière de l'Aube et championne d'Hilina. Sais-tu au moins pourquoi nous nous battons ?"

Asora ne voulait pas se battre. Non, la véritable raison était qu'elle ne pouvait pas. Il y a cinq ans, elle n'aurait pas attendu une seule seconde pour essayer de la tailler en pièce. Il y a cinq ans, à cette même période, elle avait affronté une armée sans âme et un Cavalier d'Azael. C'était une grande guerrière. Mais aujourd'hui, elle voulait tout essayer sauf ça.

Après ce qu'Asora venait de lui dire, Elyncia se sentit à la fois soulagée et angoissée. Soulagée parce que la jeune femme en face d'elle comprenait ce pourquoi elle se battait et qu'elle ne lui en voulait pas d'être son adversaire aujourd'hui, et donc de se dresser contre elle. Mais elle n'était pas vraiment devenue son alliée, et toutes deux allaient devoir se battre, sérieusement. C'est ce caractère sérieux qui faisait naître chez la lancière cette boule qu'elle avait au ventre. Elle avait peur de ce combat... en fait, elle avait surtout peur de ce qu'il pouvait arriver à l'astorg, peur que, dans la fougue de l'affrontement, un mouvement trop brusque et mal doser puisse la faucher. Elyncia hésita même à saisir sa lance. Elle se sentait assez confiante pour continuer comme elle avait commencé et elle réduirait de ce fait les risques d'un incident fâcheux. Quant à ses couteaux de lancer, elle ferait en sorte qu'ils la gênent uniquement.
Tout en pivotant, se mettant en garde en faisant crisser quelque graviers sous ses botes de cuir, elle lui adressa une dernière fois la parole avant qu'elles ne commencent :

- Non, nous n'avons pas eu la chance de nous croiser. J'étais à Ptot-Tàh durant le siège de Cydonia. La jeune femme serra les poings en se remémorant le génocide de la cité du désert et son combat contre le Cavalier de la Maladie. Ce jour là, elle s'était meurtrit les phalanges en frappant cette chose immortelle dont seule la magie en était venu à bout. Elle se mit alors à rire nerveusement, constatant dans cette situation pleine d'ironie : Pendant que je m'efforcer de relever un peuple agonisant, tu étais en train de sauver le miens... Je me sens si honteuse de n'avoir pas pu être là pour protéger ma famille moi-même. Et maintenant que mon Dieu me demande de le faire, je suis encore là à hésiter.

Elle ferma un instant les yeux, priant Zéphyr de la guider vers son destin, fut-il mourir aujourd'hui ou bien vaincre. Lors des murmures qu'elle adressait à son tout puissant Seigneur, le vent se leva caressant sa joue et balayant la poussière paresseusement étalée sur le pavé, ce qui la fit sourire. Elle n'avait pas à douter car elle ne se trompait pas de chemin. Elle y voyait là la présence d'un père qui guiderait ses bras vers la victoire ou sa chute et elle était sûre d'une chose : elle voulait sauver ce monde. Elle reprit alors :

- Asora, bats-toi. N'aie pas peur de me blesser car je ne le serai pas. Je ne sais pas ce qu'ont prévu les dieux pour nous et qu'importe. Si nous ne nous battons pas pour nous et ni pour eux, alors ce sera pour ce monde, et notre rêve et je sais qu'il en vaut la peine. Je ne te laisserai pas me laisser gagner. Bats-toi, Templière, où je ne te pardonnerai pas de n'avoir tenté de me résister.

La cydienne fit alors appel aux pouvoirs que son seigneur lui avait confié, une brise soufflant dans son dos, aidant légèrement sa course vers Asora, la main prête à la frapper de la paume en pleine poitrine. Si son attaque réussissait, elle l'enverrait à terre, le souffle coupé, et elle n'aura qu'à en profiter pour la désarmer. Mais elle espérait que ça ne soit pas si facile pour savoir qui serait la meilleure d'elle-deux car ce sera celle-ci qui pourra mener à mieux cette bataille pour ce qu'elles chérissaient toutes deux.

Elyncia comprit qu'elle avait ouvert la boîte de Pandore seulement après avoir fait tomber l'Astorg à terre. Elle avait commis une grave erreur en la poussant involontairement dans les retranchements les plus sombres de son âme dont elle ignorait les tourment. "Ne réveille pas l'eau qui dort" lui disait sa mère quand elle se montrait trop farouche. Aujourd'hui, c'était une eau poisseuse qui se réveillait, poisseuse comme le sang d'un millier d'homme gisant morts.
Elle vit dans les yeux de l'astorg une haine qu'elle connaissait bien, cette haine qu'elle avait vu dans les yeux de Lina avant que Léane ne la supprime. C'était le goût du meurtre, ce frisson qui vous parcours l'échine tandis que l'arme s'enfonce dans la chair et cet odeur métallique qui vous prend les narines tandis que le liquide écarlate se répand sur le sol... c'était ça qui animait les gestes de la Templière.
Heureusement, Elyncia put réagir rapidement, invoquant encore une fois les pouvoir de son dieu. La brise souleva la poussière dédiée à obliger Asora à baisser la tête si elle ne voulait pas être aveuglée, lui laissant le temps d'éviter l'impact qui visait à l'entraîner au sol. Ce n'est pas vraiment qu'elle n'aimait pas la proximité des corps des femmes, bien au contraire, mais le moment n'était pas très adéquat pour ce genre lutte, malgré l'exotisme astorg d'Asora dont les charmes n'étaient pas à discuter.

L'impact évité... non en fait, impact il y eut, seulement, ce ne fut pas celui attendu. Elyncia, après s'être écartée avait envoyé un coup de genoux dans l'estomac de la Templière. C'est à ce moment que la lancière vit dans ses yeux que sa furie n'était pas complète. Il restait en elle cette lucidité qui criait au désespoir sa peur. Elle y vit le souhait que ce combat se termine maintenant qu'elle n'était pas plongé dans une frénésie folle et destructrice, aussi bien pour la lancière que pour elle-même ; et elle ressenti de la compassion pour cette femme qui l'attaquait avec violence. Combien de fois avait-elle elle-même voulu qu'on l'arrête ? Elle l'avait souhaité quand elle s'était battu contre Lloyd, quand elle avait réussit à empaler Maladie contre un mur après qu'il eusse tué Lika ou durant le combat contre Pâle Platine. Mais personne ne l'avait jamais fait, et elle en avait souffert. L'unique fois que quelqu'un l'avait arrêté avant qu'elle ne transperce son adversaire dans sa fureur, ce fut devant le Temple même, quand Zihark lui avait supplié de ne pas tuer Mitsuki.
Penser à cette jeune femme lui serra le coeur d'une manière qui l'étonna. Elle se surpris même à sentir les larmes lui monter aux yeux. Elle réalisait qu'elle aurait dû l'arrêter elle aussi quand elle était partie suivre sa propre route sur la croisée des chemins. Elle était morte parce qu'elle n'avait pas su la retenir. Réprimant un début de sanglot, elle sut alors ce qu'elle devait faire : elle devait l'arrêter elle, avant que plus de mal ne soit fait.
Sans hésiter, elle saisit le poignet du bras armée d'Asora avec son pouce et son index, puis elle se remémora ce qu'elle avait lu dans ce livre sur les technique défensive tout en se remémorant comment Shou l'avait neutralisée dans les ruelles d'Erathia. Elle savait où appuyer pour lui infliger une douleur lancinante. Elle pressa alors les nerfs, obligeant son adversaire à plier, lâchant l'épée runique. Puis doucement, dans un geste empli de grâce et de fluidité, elle poussa la jeune femme à tomber à genoux, puis à presque s'allonger tandis qu'elle se plaçait dans son dos. Elle s'y installa, la faisant choir sous son poids, l'immobilisant au sol. Décidément, l'art du combat Jinmen était impressionnant de subtilités.
Et pour calmer d'éventuelles velléités, Elyncia lui chuchota alors :

- Je suis désolée... je n'aurai pas dû insister.

Du fond de ses pensés, elle croyait avoir compris que ne pas combattre était pour Asora un moyen de luter contre le mal, un mal dont on ne se débarrassait pas à coup de lance.

[Post écrit avec l'accord de Jacen]

Asora savait, au moment même où heurter le sol lui fit reprendre ses esprits, que tout était déjà terminé. Tout cela était de toute manière décidé avant ce combat : Hilina n'aurait jamais dû la choisir, quelque soit ses antécédents guerriers. Et pourtant, elle ne pouvait croire que sa déesse eut été si naïve quant à la capacité de la jeune astorg à retrouver ses sensations combatives. Elle ne voulait pas, tout simplement, et sa volonté était aujourd'hui plus forte que son amour pour l'être suprême. Glace l'appelait, mais elle n'avait pas le droit d'y répondre, pas pour elle mais pour les autres. Le bien, le mal, n'était que des perceptions individuelles : si pour une raison ou une autre Asora avait son jugement obscurcie, elle se savait capable de tuer les mauvaises personnes. Quelque chose habitait en elle depuis la bataille d'Erathia : une part d'Azael, un sentiment de s'être fait comme violée, la peur d'avoir vu ce dont elle était capable de faire ? Elle ne pouvait imaginer qu'Hilina ne soit pas au courant de tout ce qu'elle ressentait, car tous les soirs ses prières étaient chargés de ses maux. Si ce n'était pas pour se battre qu'elle avait été choisi, alors pourquoi ? la templière avait pensé, et déjà bien avant cette rencontre, que c'était la faculté d'abandonner qui lui était donnée, plus que celle de se battre. La possibilité de choisir. Et ce pouvoir, personne d'autre à part elle ne l'avait parmi les concurrents.
Son dos, son poignet, sa nuque lui faisaient atrocement mal. Son adversaire avait fait de son mieux pour la neutraliser avec force et rapidité, même au corps à corps. Elle devait être, tout comme la templière en son temps, une duelliste hors paire. La défection d'Asora ne dût pas surprendre son adversaire néanmoins, bien que son opposition ne fut pas ce dont elle devait espérer. Mais la jeune blonde n'avait pas mieux à lui proposer en l'instant.
Elle accepta ses excuses d'un mouvement de tête et un sourire en coin. Lorsqu'elle se dégagea, ses douleurs se révélèrent pire, mais c'était juste des mauvais coups et de petits hématomes. Asora ne savait pas trop quoi dire dans cette situation : il était évident que le combat était fini, mais il n'y avait pas de belle manière de le conclure lui semblait-elle. Il serait assez mal vu qu'elle l'encourage, et à vrai dire elle n'en avait également pas très envie. Et si Elyncia se battait pour une cause perdue, ou finalement contre les principes d'Asora ? Elle récupéra son arme au sol, la frotta entre ses mains pour y enlever la poussière et les saletés. Elle était rassurée, elle le sentait, de savoir que l'arme n'avait rien. la saisir après ce moment de colère était comme un apaisement, comme un morceau arraché qu'on venait de lui remettre dans le corps.

"Le chemin que vous avez choisi ne sera pas facile, je pense que vous le savez. Je ne sais même pas si nous aurons une fin à ce conflit si particulier. J'espère que vous savez ce que vous faites, car il est impossible à présent de revenir en arrière. Je vous souhaite un bon retour parmi les vôtres. Je pense que nous nous reverrons très vite. Bonne chance lieutenant."

[Terminé]