Et voilà qu'une matinée brumeuse se dessinait sous la grisaille de l'aube. La silhouette estompée d'un cavalier émergea des dernières ombres de la nuit et un cheval, naseaux fumants dans la fraîcheur effective du moment, progressa d'un pas lent, comme s'il venait de parcourir la terre d'une seule chevauchée. Sur son dos, une jeune femme aux yeux bandés sous un épais tissu de velours noir, noué autour de sa tête. Les mains serrées autour des rênes, tous ses autres sens aux aguets, elle avait les lèvres pincées et se tenait bien droite sur sa selle, quelque peu tendue... Combien de jours s'étaient écoulés depuis la mort de son vieux maître et la disparition de son compagnon d'étude, Drake ? Elle en avait perdu le compte. Fatiguée, Alydaëlle souhaitait seulement voir son périple prendre fin et à la grâce de Vassago, elle n'en était plus très loin.

Loki l'avait menée jusqu'en Silmarie, où elle espérait bien trouver le dénommé Féanaro. Car avant de rendre son dernier souffle, Byreth lui avait trop longuement parlé du célèbre capitaine d'arme elfe pour qu'elle l'ignorât. Le seul, selon ses dires, qui soit digne de confiance et d'intérêt pour lui enseigner la dernière compétence qu'elle n'avait pu développer au contact de Byreth : le mysticisme. Alydaëlle nourrissait quelques doutes quant à l'utilité de ce talent dans sa vie d'aujourd'hui, mais voilà... Elle avait donné sa parole. Elle irait trouver le vieux compagnon de Byreth et lui demanderait son aide. Devenir son disciple pour apprendre le mysticisme. La jeune aveugle espérait juste qu'il était encore en vie. Il ne devait guère être plus jeune que Byreth. Il fallait aussi espérer qu'il ne soit pas sénile et qu'il puisse encore enseigner quelque chose.

La jeune femme soupira et secoua lentement la tête. Elle devait aussi retrouver Drake et s'assurer qu'il allait bien après leur dernière mésaventure. Après tout, il avait été sérieusement touché par l'Assassin qui avait pénétré chez Byreth dans de bien mauvaises intentions... Alydaëlle fronça les sourcils à se souvenir mais s'efforça de chasser bien vite ces douloureuses pensées.
Féanaro.

Voilà quel devait être sa nouvelle préoccupation. Loki, l'étalon noir dont elle ne se séparait jamais, émit un faible hennissement et ralentit le pas sur le chemin. Il s'était visiblement arrêté devant une demeure. Alydaëlle croisa les doigts pour qu'il ne se soit pas trompé et que le capitaine d'arme soit bien ici, dans cette maison, sain d'esprit et de corps... Prudemment, elle descendit de cheval, laissant à sa selle Asgaliath, l'épée dont elle avait héritée. La voix d'outre-ombe qui avait pour habitude de retentir dans l'esprit de la tueuse garda cette fois le silence et Alydaëlle lui en sut gré. Pas après pas, la jeune femme se dirigea vers la porte d'entrée, guidée par son expérience et son ouïe. Une rafale de vent souleva ses boucles fauves, fouettant son beau visage avec délice. Elle frissonna et tendit la main avec hésitation, jusqu'à frapper quelques coups. Elle attendit. Personne ne vint. Elle réitéra son appel, avec plus de conviction. Toujours rien.

- Il n'y a personne... soupira-t-elle en se tournant vers Loki, déçue.

Les mains sur les hanches, elle hésita. Si Loki s'était arrêté ici, ce n'était pas sans raison. Mais elle n'allait quand même pas forcer la porte et vérifier par elle-même ? Et si le cadavre de Féanaro traînait dans le salon ? Ou dans la chambre ? Peut-être était-il décédé dans la nuit, son vieux coeur fatigué l'ayant lâché ? Alydaëlle se mordit la lèvre inférieure, ennuyée.

*Sois patiente... Le hasard n'est qu'une chimère...* grinça soudain la voix d'Asgaliath dans l'esprit de l'Assassine.

Attendre, attendre... Alydaëlle n'avait pas que ça à faire. Elle honorait sa promesse, certes, mais elle avait aussi d'autres priorités : retrouver Drake, mais aussi celle qui avait failli les tuer tous... Une histoire de vengeance qui s'amplifiait à mesure que défilait le temps. La mort trancherait les retrouvailles à venir. Sur le pas de la porte, la jeune femme ne bougea pas, rongée par le doute, se demandant si elle devait rester, entrer par effraction, ou quitter simplement les lieux...

Le soleil venait à peine de se lever quand les premiers rayons frappèrent le visage du capitaine de la garde. La brume de Silmarie avait beau être épaisse, elle ne protégeait pas le sommeil d’un de ces principaux défenseurs. L’elfe bailla en se redressant, frottant ses yeux avant de regarder autour de lui…Qu’est ce qu’il avait à faire ? Sora travaillait sur le livre pour le moment, Arzhel travaillait a Storghein aujourd’hui…Toujours pas de nouvelle de Nalween…Et aucune nouvelle d’Eléa…En somme, a part s’entrainer, il n’y avait rien à faire. Il avait déjà peaufiné ses ordres et plans de bataille, ses lieutenants risquaient à avoir à gérer pas mal de choses pendant ses absences…Mieux valait leur laisser la main pour le moment. Cela leur ferra une petite expérience même si rien de grave n’était à prévoir pour le moment…Plus qu’a espérer que Sora trouve une piste rapidement. S’il pouvait trouver une arme ou un moyen de combattre plus facilement les Earthiens et surtout les créatures immortelles…Et sans âme…Il se sentirait mieux.

Donc, c’était encore un jour de relâche aujourd’hui… Et vu qu’il n’en n’aurait plus avant un moment, autant en profiter. Il se recoucha dans la seconde, bien décidé à profiter une grâce matinée bien méritée. Quand soudainement, un bruit sourd se fit entendre. Fea ouvrit un œil blasé et fatigué. La dernière fois qu’il avait ouvert une porte un matin, ca avait faillit terminer en boucherie. Mais en même temps, si c’était Sora…Il bailla tout en se relevant.

*Bah je peux au moins jeter un coup d’œil*

Il soupira en passant son drap autour de sa taille alors qu’il descendait les escaliers, dans une torpeur dont il ne pouvait se défaire. Titubant légèrement, il fini par arriver jusqu’à la porte qu’il ouvrit en baillant…Puis remarqua la jeune fille sur le palier de sa porte.

Spoiler:

Encore une femme ? Dès le matin ? Et qu’il connaissait pas en plus ???

Enfin…Quand il disait qu’il ne la connaissait pas…C’était relatif. Disons qu’il ne se souvenait pas d’elle. C’était quoi ? Sa fille cachée ? Ah non elle aurait 8 ans au pire…Euh…Une amante ? Enfin…C’est vrai qu’elle était plutôt jolie et bien faite…C’était plausible…Mais il ne se souvenait pas qu’il avait passé une nuit avec une aveugle. Enfin bon lui et sa mémoire aussi…

Bon, la bonne nouvelle, c’était qu’elle n’avait encore rien dit. La mauvaise, c’était l’épée qu’elle avait à son côté et qui n’avait pas l’air d’être là pour faire uniquement de la figuration. Il ne lui restait plus que deux solutions : Fuir ou parler…La fuite avait sa préférence mais vu qu’elle avait réussi a trouver Silmarie, a ce demander ce que faisaient ces gardes, il ne pourrait pas aller bien loin.

Euh…Bonjour…C’est pour quoi ?

Alydaëlle réprima un sursaut lorsqu'une voix masculine la ramena soudain à la réalité. Aussitôt, elle fit volte-face en dégainant son épée, prête à dépecer celui qui se présentait. A la voix, ce n'était certainement pas un vieil homme, donc probablement pas Féanaro.

*Arrête ! Inutile de verser le sang pour si peu !* aboya Asgaliath dans sa tête.

Alydaëlle suspendit donc son geste, méfiante et aveugle qu'elle était. Loki eut un hennissement, si bien que la jeune femme crut qu'il se moquait de lui. L'homme semblait habiter ici, c'était évident. Pendant quelques longues secondes, l'Assassine resta parfaitement immobile, l'épée en main, menaçant involontairement le malheureux inconnu. Elle hésitait, incapable de se décider.

*rengaine-moi et parle donc...* grogna l'épée.

Alydaëlle obtempéra en silence. Elle s'approcha prudemment, une main levée devant elle pour tenter de deviner les obstacles sur sa route. Elle allait en direction de la voix tout en répondant à l'inconnu :

- Désolée de vous réveiller de si bon matin, mais je suis à la recherche d'une personne. Un vieillard du nom de Féanaro. C'est un ancien compagnon de Byreth le Borgne. Voilà plusieurs semaines que je suis sur ses traces et l'on m'a dit que je le trouverai peut-être ici, en Sil...

Alydaëlle s'interrompit. L'extrémité de ses doigts venait d'entrer en contact avec quelque chose de tiède. Suspicieuse, elle posa à plat sa main et sentit... comme une respiration. Curieux... Le jour se fit soudain en elle tandis qu'elle visualisait le corps nu qui lui faisait face. D'un geste lent, elle retira sa main et se racla la gorge.

- Il me semble que vous êtes nu, messire... lâcha-t-elle avec une indifférence sidérante, comme si ce fait la laissait de marbre.

Alydaëlle croisa les bras devant elle et esquissa un sourire moqueur :

- Sans doute une mode de chez vous. A moins que ce ne fut une habitude ? Remarquez, considérant cela, je ne doute pas que vous présentiez un charmant spectacle aux yeux de la gente féminine. Dommage que je ne puisse en jouir.

La jeune femme sentit le soleil caresser sa peau. Elle en déduisit que le matin avançait et que la chaleur ne tarderait plus à faire son apparition. Il fallait qu'elle se presse. Reportant son attention sur l'homme dont elle n'avait "vu" que le torse nu se soulevant au rythme de sa respiration, elle reprit :

- Ce vieux débris, Féanaro, est-il par ici ? Le connaissez-vous ? Comprenez que mon temps est précieux.

C'était vrai. Car après tout, Alydaëlle ne disposait que d'une demi-vie pour mener à leur terme bien des quêtes...

Un drap autour de la taille... Facile à dire pour se couvrir dans la mesure où Alydaëlle ne pouvait pas vérifier pas elle-même. Du moins pas sans le toucher... Toutefois, la jeune femme songea que cela importait peu. Elle n'était pas ici pour batifoler - d'autant plus que ce curieux personnage semblait déjà lié à une femme pour la vie - mais bien pour trouver ce satané vieillard... Un long moment de silence retomba entre eux, comme si l'homme partait à la recherche de ses souvenirs disparus. Il avait donc peut-être entendu parler de Féanaro... Alydaëlle gardait bon espoir quant à ce dernier point. Elle commençait à s'impatienter, tapant du pied par terre d'un air profondément agacé, lorsque l'inconnu reprit enfin la parole. Elle l'écouta sans parler, attendant qu'il ait fini sa tirade tout en méditant ses paroles avec une expression suspicieuse. Se jouait-il d'elle ?

- Maintenant, si vous le permettez, c’est l’heure de ma sieste…Vous savez ce que c’est les vieux…

Le doute l'envahit et Alydaëlle fronça les sourcils. Comptait-il réellement la mettre à la porte sans autre forme de procès, sans même l'avoir éclairée de meilleure façon ? D'accord, elle était déjà plus ou moins à la porte mais ce n'était pas une raison... Elle n'aimait pas non plus le ton sarcastique qu'il employait avec elle, mais choisit de ne pas (trop) lui en tenir rigueur.

- Vos informations sont si... claires que j'en suis aveuglée, rétorqua-t-elle en faisant un pas déterminé en avant.

D'une main autoritaire, elle le repoussa en arrière et pénétra chez lui, claquant la porte derrière eux.

*Prudence, Aly... Si ce que cet homme a dit est vrai, il commande de nombreux soldats et tu pourrais bien plonger dans les ennuis... Ne compte pas sur moi pour t'en sortir...*

Alydaëlle opina derechef à ce qu'Asgaliath venait de lui faire remarquer. Mais elle était déjà allée trop loin dans son entreprise pour y renoncer si vite. Cet homme semblait quelque peu se moquer d'elle, car il n'était pas vieux. De cela, elle en était pratiquement sûre. Néanmoins, afin d'en avoir la certitude, elle entreprit de découvrir le visage du Capitaine de ses mains, avec des gestes rapides et experts, évaluant sans peine son âge véritable. Moins de trente ans. Assurément. La jeune femme eut une moue agacée et croisa les bras devant elle.

- L'heure de votre sieste ? De si bon matin ? Je suis peut-être aveugle, mais pas stupide, "capitaine"... Vous n'êtes pas vieux. J'ignore à quel jeu vous jouez avec moi mais il ne me plait pas. Dites-moi où est ce Féanaro.

Elle hésitait à lui demander ouvertement s'il était Féanaro, car jamais elle n'aurait imaginé qu'il puisse être jeune - et séduisant de surcroît. Byreth le Borgne s'était bien fiche d'elle. Si ce type était Féanaro, de quoi aurait-elle l'air ? Alydaëlle soupira, ennuyée.

- Et s'il vous plait, ne me dites pas que vous ETES Féanaro... grimaça-t-elle.

Elle regrettait déjà sa conduite auprès de l'inconnu, car s'il était destiné à devenir son Maître, elle ignorait bien ce que lui coûterait son comportement. Mais bon, au moins avait-elle l'excuse de l'ignorance ? Byreth s'était bien gardé de trop lui en dire au sujet de ce "Maître Féanaro".

Le visage d'Alydaëlle devint d'abord très pâle, puis rosit délicatement. Elle se détourna de Féanaro et se mordit l'intérieur de la joue, horriblement gênée. Elle avait joué, elle avait perdu. C'était ainsi. Elle l'écouta d'une oreille distraite quand il reprit la parole, puis plus attentive quand il parla de lui, et même de Byreth. Etait-il au courant pour sa mort ? Non, sans doute pas. Alydaëlle aurait volontiers disparu sous terre en cet instant, consciente qu'elle allait probablement devoir présenter ses excuses si elle voulait espérer devenir sa disciple. Mais comment obtenir son accord après leurs débuts... peu civilisés ? La jeune femme se frotta pensivement la mâchoire, les sourcils froncés sous son bandeau noir.

- Ecoutez, je vous aurais volontiers amené une tasse de thé si j'avais pu, et si j'avais su que vous étiez Féanaro. Mais... Byreth s'est fichu de moi. Je...

Elle eut un soupir exaspéré.

- Je vous présente mes excuses pour ma conduite indécente. Je ne me serais jamais permise de... vous... toucher si j'avais su. Mais sachez seulement qu'en tant qu'aveugle, c'est le seul moyen que j'ai à ma disposition pour savoir à qui j'ai affaire, pour "voir" mon interlocuteur.

Elle esquissa un triste sourire et tourna la tête. Cette obscurité dans laquelle elle baignait depuis sa naissance était un monde froid et menaçant. Pourtant, elle avait appris à vivre avec. C'était devenu, à la longue, comme un refuge, mais qui générait des dangers infinis.

- Vous l'ignorez peut-être, mais Byreth a été assassiné il y a quelques semaines, murmura-t-elle au bout d'un long moment de silence. Je... Il est pratiquement mort dans mes bras et un ami a failli y laisser la vie, lui aussi. Or, avant de mourir, Byreth m'a fait jurer de vous trouver pour que... pour que...

C'était ridicule. Comment un jeune soldat pouvait-il devenir son Maître en mysticisme ? Ou plutôt, comment pouvait-elle tolérer d'être la disciple d'un homme à peine plus âgé qu'elle !

- ...pour que je devienne votre disciple. Vous devez m'enseigner le Mysticisme... grommela-t-elle d'une voix à peine audible tant les mots lui écorchèrent la bouche.

La tête basse comme si elle s'était rendue coupable d'une quelconque bêtise, Alydaëlle attendit dans le silence. Le ricanement moqueur d'Asgaliath résonna dans son esprit tourmenté, et elle tenta de l'ignorer. Elle avait encore tant de rage et de souffrance au fond d'elle. Retrouver à tout prix l'assassin qui lui avait volé une partie de sa vie... Voilà une autre idée qui l'obsédait.

- Je comprendrais que vous refusiez, mais songez que c'était la dernière volonté de Byreth. Croyez bien que ça ne m'enchante pas mais comment refuser de donner sa parole à un mourant ? Et quoi que vous pensiez, j'ai un sens de l'honneur qui m'oblige à respecter ce serment...

Avec un petit soupir contrit, la jeune femme se tourna de nouveau vers Féanaro, le regardant sans le voir. Sa main triturait nerveusement le fourreau d'Asgaliath et le coeur battant lourdement, elle attendit sa décision.

C'était le moins qu'on puisse dire. Alydaëlle s'était attendue à tout, sauf à tomber sur ce jeune homme. Maître en mysticisme ? C'était difficile à croire. Mais à l'évidence, il n'y avait pas erreur sur la personne cette fois. A son grand regret d’ailleurs, car la jeune aveugle n’était pas certaine d’être ravie de devenir la disciple de ce jeune capitaine d’arme. Néanmoins, si c’était le prix à payer pour honorer le serment fait à un mourant – son vieux maître de surcroît – elle s’y plierait. Elle lui prêta attention un instant, une expression frustrée peinte sur ses traits, puis se laissa surprendre par sa dernière question. Que comptait-elle faire de ce pouvoir ? Encore un point sur lequel elle n’avait réfléchi. L’idée de maîtriser un certain pouvoir qu’elle pourrait être amenée à utiliser en temps voulu ne lui avait pas réellement traversé l’esprit.

*Tuer… C’est évident…*

Alydaëlle leva les yeux au ciel d’un air exaspéré quand la voix inhumaine d’Asgaliaht résonna dans sa tête. Elle n’avait pas tort, bien sûr. Car après tout, la jeune femme était l’héritière de Vassago, Dieu de la Guerre, et descendante d’une longue lignée d’Assassins. Alors oui, tuer était dans ses gênes et elle excellait en ce domaine. Néanmoins, elle n’avait jamais estimé avoir besoin d’un quelconque pouvoir pour y parvenir. Certes, elle ne s’était pas encore forgée une grande expérience en tant que tueuse, mais ses prédispositions au métier lui promettait de grands succès.

- Je commencerai sans doute par vous éliminer, histoire de vérifier que ce que vous m’avez enseigné est efficace, répliqua-t-elle avec ironie, dans un haussement d’épaules. Vous comprendrez par ailleurs que je doive faire disparaître tous les témoins…

Alydaëlle eut un éclat de rire, qui se dissipa bien vite. L’heure n’était pas à la plaisanterie et bien qu’elle ne connaissât pas le capitaine depuis bien longtemps, elle était prête à parier qu’il pourrait la prendre au sérieux. Dans pareil cas, il risquait de la mettre à la porte avec perte et fracas et la jeune femme verrait tous ses espoirs d’apprendre le mysticisme s’évanouir. Ou bien il se jeterait sur la première arme qui lui tomberait sous la main, que ce soit une cafetière, un livre ou un couteau de cuisine, et tenterait de se défendre, même si elle ne manifestait pas une franche hostilité. Ou alors, il tenterait d’appeler de l’aide et les choses pourraient réellement dégénérer. Alydaëlle était capable de se défendre et avait appris à fuir plus vite que le vent, et ce en dépit de son handicap. Après tout, combien de fois avait-elle fui les chiens lorsqu’elle venait voler des pommes chez le voisin ? Néanmoins, Alydaëlle ne tenait pas à verser le sang aujourd’hui. Les récents événements, en plus du voyage entrepris, l’avaient exténuée.

- Ne faites pas cette tête-là, je plaisante… ajouta-t-elle avec une grimace devant l’expression de son interlocuteur. Ce que je compte faire de ce pouvoir ? Par Vassago, je n’en sais fichtrement rien. Cela vous convient-il comme réponse ?

Elle eut un soupir navré. Comment expliquer qu’elle soit prête à s’abaisser au rang de disciple aux yeux de Féanaro, pour apprendre une compétence qui ne l’intéressait guère, tout ceci dans le simple but de respecter la parole donnée à un mort, qui ne l’était d’ailleurs pas au moment de la lui donner.

- Apprenez-moi ce que je peux apprendre en mysticime et ensuite, je disparaitrai de votre vie. Mais tant que je ne suis pas experte en la matière, je ne vous lâcherai pas.

D’un air déterminé, Alydaëlle croisa fièrement les bras sur sa poitrine et attendit la réaction du capitaine. Elle était bien décidée à le coller au plus près tant qu’il n’aurait pas donné officiellement son approbation et prise comme disciple dans l’enseignement de cette matière.

- Alors, « Maître » ? ironisa la jeune aveugle.

*Comment peux-tu t'abaisser à devenir l'esclave d'un jeune freluquet !* cracha Asgaliath dans son esprit, si fort que la jeune fille réprima de justesse un sursaut.

- Reste en dehors de ça, maugréa-t-elle entre ses dents serrées.

Le changement qui s'opéra chez le capitaine de la garde surprit Alydaëlle. Elle faillit reculer d'un pas, impressionnée, et ne se retint qu'au prix d'un gros effort de volonté. Elle savait parfaitement qu'elle avait franchi certaines limites mais qu'y pouvait-elle ? C'était dans sa nature d'agir ainsi, au gré de sa fantaisie, d'autant plus que le voyage l'avait épuisée. Elle n'avait rien mangé depuis plus de deux jours et l'angoisse de retomber sur l'Assassin qui en avait après elle avant d'être prête à l'affronter la gangrénait de l'intérieur. Soudain, une étrange atmosphère se dégagea des lieux. Alydaëlle fronça les sourcils et reporta son attention sur Féanaro, dont elle situait à grand peine la présence. Etait-il parti ? Pourquoi ne ressentait-elle plus sa présence, mais quelque chose de... différent. L'elfe reprit la parole et Alydaëlle soupira. Il était donc toujours là. Mais à quoi devait-elle attribuer cette sensation qui l'envahissait, comme si un animal sauvage avait fait irruption entre eux ? Pourtant, elle n'avait rien entendu.

*Méfie-toi.... Ce garnement joue sur les apparences...* avertit Asgaliath avec mauvaise humeur.

- Comment ça ? souffla Alydaëlle, inquiète malgré elle.

Cette fois, elle ne put résister et fit un pas en arrière, la main sur le pommeau de son épée. On ne pouvait l'en blâmer. Aveugle et en territoire inconnu, menacée par cette présence sauvage, prédatrice, elle ne pouvait faire moins que de se préparer à affronter les problèmes, dont elle se sentait juste très légèrement responsable...

*Le visage qu'il t'a présenté n'est qu'un voile. Sens sa véritable nature et ne te laisse pas manipuler par cet as de la comédie... Il est plus dangereux qu'il n'y paraît...*

Sans rire ? Alydaëlle n'était pas stupide au point de croire qu'un jeune homme n'ayant même pas atteint la trentaine était devenu capitaine de la garde elfique en bâillant aux corneilles ou en jouant aux cartes... Inévitablement, il avait dû guerroyer, et obtenir de hauts mérites. Et s'il était aujourd'hui toujours en vie pour en témoigner, c'était bien qu'il avait plus de ressources et de force qu'on ne pourrait lui en attribuer. Et puis comme il l'avait si bien fait remarquer, il n'y avait pas d'hommes pour assurer sa protection. Alydaëlle imaginait fort bien qu'il avait une arme secrète pour y remédier et que c'était un choix conscient et volontaire que de vivre ici seul. Encore que... Alydaëlle n'était pas certaine qu'il soit réellement seul. Outre la présence de cet esprit bestial qui se manifestait clairement, la jeune aveugle avait l'impression qu'une autre personne vivait ici... Peut-être faisait-elle erreur, mais ses sens et son intuition poussés à leur maximum lui mettaient un sérieux doute. Quant à savoir qui, elle penchait pour une femme, sans pour autant avoir la moindre certitude. Ou alors, elle n'était touchée que par la présence passée de femmes...

- Faut-il donc que je vous présente une nouvelle fois mes excuses ? questionna froidement la tueuse à la dernière réplique de son interlocuteur. Je ne suis pas une habituée de la société, je suis certaine que vous l'aviez compris. Par ailleurs, ce fiche voyage m'a éreintée et je suis à bout. Lâchez votre bête sur moi si cela peut vous soulager et me faire payer mon affront, mais Byreth le Borgne n'aurait sans doute pas apprécié un tel comportement de son ami, qu'il tenait en si haute estime...

Alydaëlle eut un triste sourire. Byreth parlait effectivement de Féanaro avec estime et passion, manifestant un respect qui dépassait l'entendement. Doué dans bien des domaines, peut-être bien que le Borgne avait deviné, ou entrevu, le spectaculaire destin du jeune capitaine. A présent, Alydaëlle ne savait plus si elle devait insister auprès du réticent, ou abandonner et tenter de trouver un autre maître. Mais qui pourrait lui enseigner si ce n'était cet homme ?

- Votre patience est à bout, la mienne aussi. Nous sommes partis sur de mauvaises bases, j'en suis consciente... Mais nous n'effacerons pas le passé d'un coup de baguette magique. Je ne puis vous dire ce que je compte faire de ce pouvoir pour la simple raison que j'en ignore tout. Ce serait comme me demander ce qu'il y a après la mort. Comment puis-je le savoir ?

Elle marqua un temps d'arrêt, hésitant à poursuivre. Il était temps de jouer la carte de la sincérité, quitte à perdre sa seule chance de se voir enseigner le mysticisme. Mais elle lui devait la vérité...

- Vous avez raison sur un point : je ne puis vous garantir qu'un jour, je ne me retrouverai pas sur votre chemin, à attenter à la vie d'un de vos proches ou de vos alliés. Mon métier fut longtemps celui de garde du corps mais je suis héritière d'une longue lignée d'Assassin et en conséquence, j'ai ça dans le sang... Toutefois, je puis au moins vous donner ma parole que jamais je ne saurais attenter à la vie d'un de mes maîtres. Vous êtes aujourd'hui le témoin de ce que je suis capable de faire pour honorer un serment et donc, que ma parole est d'or. Respectez-la quand je vous fais serment de ne jamais tenter de vous tuer, à moins bien sûr que ma vie ne soit en danger...

La jeune femme dénoua le bandeau autour de sa tête, révélant ses yeux de jade aux prunelles piquetées d'or. Aussi aveugle qu'elle fut, Alydaëlle voulait que le capitaine lise la franchise de ces mots dans son regard. Car le regard est le miroir de l'âme et on ne saurait y cacher la vérité. Elle leva donc les yeux vers lui, posant un regard aveugle sur lui. L'esprit de cette bête féroce qui la hantait depuis quelques instants ne se dissipait pas, et Alydaëlle se demanda si le combat allait s'engager. Un combat sans espoir car comment pouvait-elle vaincre une telle chose ?

- Le choix vous appartient. Je n'insisterai plus, quand bien même vous m'obligeriez à condamner mon serment. Qu'importe... Je n'ai qu'une demi-vie à vivre, alors je ne souffrirai pas longtemps le déshonneur qui pèsera sur moi.

Levant le menton avec fierté, ses yeux d'émeraude fixés sur le capitaine, Alydaëlle attendit, les bras croisés devant elle, refusant d'afficher la peur ou la douleur qui, lentement, faisaient ombre sur son âme torturée.

Au fur et à mesure des paroles de Féanaro, le regard d'Alydaëlle se chargeait d'une incompréhension proche de la surprise. Elle n'entendait pas grand chose à tout ce que venait de lui raconter le capitaine, en dépit de sa bonne volonté, et si elle s'était écouté, elle aurait fui en courant au premier discours du jeune elfe concernant le mysticisme. Au lieu de quoi, l'aveugle resta tétanisée sur place, comme si elle avait été pétrifiée par un quelconque sortilège. A la dernière réplique de Féanaro, elle cligna des yeux, l'air incertain :

- Je... heu....

Silence. L'appeler Maître ? Par Vassgo, quelle horreur ! Mais avait-elle le choix ? Non... Elle allait donc devoir s'habituer à un nouveau maître, accepter que Byreth le Borgne ne soit plus son seul maître, même s'il était mort à ce jour, et aussitôt qu'elle en aurait fini avec le mysticisme, elle disparaîtrait et se mettrait en quête des deux personnes les plus importantes de sa vie : Drake, son ami si cher, et l'assassin qui avait détruit sa vie, son ennemie jurée...

*Voilà une réponse claire et sans ambiguité....* se moqua Asgaliath tandis qu'Alydaëlle réfléchissait à vive allure.

Il fallait qu'elle prenne sa décision, et sans tarder ! Ou ce serait Féanaro qui renoncerait et la jeterait dehors sans ménagement. De toute façon, clairement, il n'était pas question de refuser. C'était peut-être sa meilleure chance - et même la seule - qu'elle aurait de se voir enseigner la matière...

- J'accepte, mais je crois bon de vous informer que n'ayant rien eu sous la dent depuis plusieurs jours, je risque d'être très en-dessous de mes... capacités, "Maître"... déclara finalement la jeune aveugle, tout en renouant lentement le bandeau autour de ses yeux.

Quelle curieuse situation que celle-ci. Alydaëlle n'avait jamais vraiment envisagé de se retrouver avec pareille compagnie, et encore moins d'étudier un domaine qui la dépassait totalement. Elle risquait d'être piètre élève en dépit des soi-disantes prédispositions décelées par Byreth le Borgne. La jeune femme eut une grimace lorsque son estomac se manifesta bruyamment. Il fallait absolument qu'elle s'absente un instant, histoire d'aller vol... acheter quelque chose à manger. Si le Mysticisme exigeait d'intenses efforts de concentration, inutile d'espérer la réussite : elle tournerait de l'oeil bien avant. D'un geste machinal, Alydaëlle ramena ses cheveux en arrière et dégagea les quelques mèches qui lui chatouillaient le visage. Alors qu'elle s'apprêtait à lancer une dernière réplique, elle détecta avec plus de force une présence inconnue, mêlée à une présence passée pour le moins familière. La tueuse ignorait comment cela fonctionnait, comment elle pouvait sentir ces infimes traces d'aura, mais toujours est-il que c'était une réalité.

- Qui est là ? Qui est avec vous ? questionna-t-elle d'une voix méfiante, le visage soudain tendu.

Elle faillit lui demander qui était aussi passé chez lui la veille, ou dans les jours précédents, mais s'abstint de justesse. Elle ne souhaitait pas éveiller ses soupçons, et encore moins lui révéler que selon toute évidence, son ennemie jurée était de ses connaissances... Car Alydaëlle était pratiquement sûre d'elle. L'assassin responsable de ses blessures, de la mort de Byreth et de la disparition de Drake était bel et bien venu ici...

Isil... Alydaëlle, même privée de sa vue, lui jeta machinalement une oeillade méfiante, toujours sur ses gardes. Son handicap l'avait contrainte à la solitude et par nature, elle n'aimait que très peu la compagnie des autres. De fait, elle appréhendait chaque nouvelle rencontre, faisant preuve d'une certaine défiance à l'égard de ses semblables comme des étrangers. Féanaro avait l'air de trouver cela amusant et même si Alydaëlle ne le contredit pas, elle haussa les épaules avec irritation. Son ventre gargouilla. Encore. Décidément, elle allait devoir s'y habituer.

*Exercices de méditation et techniques de respiration...* ironisa Asagaliath, provoquant chez la jeune femme un léger moment d'absence.

Alydaëlle dodelina de la tête, et l'épée reprit :

*Assurément, tu vas t'amuser... Je te souhaite bien du plaisir. Qui aurait cru que l'héritière de Vassago se retrouverait à la botte d'un elfe, condamnée à honorer un ridicule serment pour se voir enseigner le mysticisme ? C'est déplorable...*

La jeune aveugle fronça les sourcils, préférant ignorer la voix spectrale qui continuait de retentir dans son esprit. Elle tendit l'oreille pour situer de nouveau Féanaro, abandonnant son attention jusqu'alors concentrée sur Isil. Puis elle s'inclina brièvement devant le capitaine d'arme, non sans un sourire un brin cynique :

- Bien, Maître... Je suis prête à commencer vos... heu... leçons. Apprendre à respirer, disiez-vous ? Remarquez, je m'en sors assez bien dans ce domaine depuis ma naissance. Etonnant, n'est-ce pas ? C'est grâce à ce talent, entre autres, que je suis toujours vivante. Respirer...

Alydaëlle eut un rire franc, qui s'éteignit rapidement. Elle reprit son sérieux, incapable cependant de se départir du sourire en coin qui étirait ses lèvres pleines. Elle se racla la gorge avec discrétion et joignit les mains devant elle, patiente et docile :

- Peut-être devrions-nous commencer par la méditation ? suggéra-t-elle après un instant de silence.

D'un pas de danse, Alydaëlle se dirigea vers le divan et s'y laissa tomber avec un soupir d'aise. Elle détacha le fourreau qui ceignait ses hanches, déposant Asgaliath non loin d'elle. Puis elle ramena ses jambes contre elle, s'installant en tailleur. Elle posa ses mains sur chaque genou et regarda Féanaro sans le voir, le fixant à travers son bandeau de velours noir.

- Alors ? fit-elle, soudain excitée comme un enfant qui vient de découvrir un nouveau jeu. Comment s'y prend-t-on ? Dois-je fermer les yeux même si je suis aveugle ? Que dois-je voir ou comprendre à travers la méditation ? Quel est le but à atteindre ? Expliquez-moi vite, il me tarde de découvrir tout ça !

Elle lui décocha un sourire sincère. Son changement d'humeur était si évident qu'Asgaliath elle-même se demanda si elle n'avait changé de personnalité... A moins qu'elle ne joue un jeu quelconque ? Qu'espérait-elle en vérité ? L'épée, pour la première fois, ne put voir clair en sa jeune propriétaire. Les voies de Vassago étaient impénétrables et Alydaëlle n'était pas une fausse héritière, bien au contraire. Nouveau gargouillement. La jeune femme pressa une main sur son estomac, agacée, et s'excusa auprès de Féanaro, dont elle attendait toujours les précieux conseils.

Des profondeurs obscures de son esprit, Alydaëlle écouta chaque parole de son maître, buvant ses mots en silence. Bientôt, il n'existait plus qu'elle et Féanaro, dans un monde évanoui à l'intérieur duquel circulait une énergie à peine perceptible, mais une énergie grandissante... Elle se concentra et son sourire, peu à peu, s'effaça. Les mots du cpiataine continuèrent à résonner dans son esprit embrumé par la faim et la fatigue. Puis une voix murmura, entonnant un chant où perçait l'ironie.

*Fais dodo... Colas mon p'tit frère... Fais dodo, t'auras du lolo...*

Il y eut un éclat de rire grinçant, froid, presque cruel. Alydaëlle eut un soupir exaspéré. Elle rouvrit les yeux sous son bandeau, affrontant les ténèbres de sa vie. Ses poings se crispèrent et elle foudroya du regard l'épée, consciente de sa position même si elle ne la voyait pas.

- Recommence ça et je te balance au feu... grogna-t-elle.

*Bouh j'ai peur... Reprends donc ta... méditation. Tu dois sentir le souffle de je ne sais pas trop quoi te chatouiller les pieds, tu te souviens ?*

La jeune femme leva les yeux au ciel et gonfla ses joues de colère. Sa sensation de faim ne disparaissait pas. Elle essaya de se concentrer à nouveau sur tout ce qui lui avait déjà appris Féanaro sur la méditation. Prendre connaissance de ses limites, visualiser son propre corps, dominer l'esprit invité... Alydaëlle ferma les yeux et se laissa glisser dans une douce torpeur. Même la voix d'Asgaliath lui parvenait de plus en plus loin. Alors qu'elle plongeait irrémédiablement dans un monde méconnu, elle oublia peu à peu la présence du capitaine. Il se passa alors quelque chose d'incroyable et d'inattendu. Quelque chose qu'Alydaëlle n'aurait jamais pu croire possible un jour. A quoi devait-elle attribuer ce curieux miracle, elle n'aurait su le dire en cet instant mais seul comptait ce miracle d'un jour.

Car dans la pénombre de sa mémoire, une lumière croissante dissipa le voile noir. Un éclat lumineux qui engendra une palette de couleurs. Et dans cette peinture magnifique, des visages se dessinèrent. Des silhouettes floues se découpèrent et des personnes apparurent, aussi clairement que si Alydaëlle n'avait jamais été aveugle... Le souffle coupé, la jeune femme resta tétanisée de surprise, incapable de parler et de bouger. Pour la première fois depuis sa naissance, elle "voyait". Perdue dans les limbes de la méditation, la tueuse ne savait plus où elle se trouvait, ni quand... Témoin de la scène passée, elle vit ce qu'elle n'aurait jamais cru possible de voir :

- Maddox... Maître Byreth...

Il y eut un hurlement, grave et retentissant. Une flèche fut décochée, puis une autre. L'ombre féline et gracieuse d'un Assassin bondissant dans les jardins de Byreth le Borgne, là où il enseignait à ses deux élèves... Alydaëlle sentit une larme échapper à l'étau de ses paupières et imbiber le bandeau. Impuissante, elle assista à l'exécution de son ancien maître et à la blessure qui avait failli coûter la vie de son meilleur ami. Elle put presque voir le visage du tueur, mais la soirée bien avancée assombrissait les traits du coupable. Combien de temps il s'écoula ? La jeune aveugle n'en savait rien. Alors que les voix s'éteignaient dans son esprit, le tableau s'estompa et les couleurs se fondirent, absorbées par le noir absolu. Alydaëlle peinait à en revenir. Etait-ce un miracle accordée par Asgaliath, ou par Vassago, déclenché par une première approche réussie de la méditation ? Du Mysticisme ? Impossible de le déterminer. Mais tandis qu'Alydaëlle s'effondrait sur le canapé, vidée de ses forces et de son énergie, elle fut reconnaissante à Féanaro pour lui avoir permis de "voir". L'instant d'après, la jeune femme ronflait haut et fort, plongée dans un profond sommeil, hantée par le souvenir fabuleux et atroce à la fois qu'elle venait de vivre. Elle avait vu... Vu Maddox, vu son maître, vu en partie l'Assassin.... Et voir, c'était vraiment merveilleux. Avec de la chance, si elle parvenait à maîtriser la méditation et le mysticisme, elle serait peut-être en mesure de contrôler ces visions et donc, de voir ce qu'elle ne pouvait voir en temps normal, même si ce n'était que des scènes du passé...

Ceux qui nous quittent ne disparaissent que pour mieux revenir nous hanter. Les morts nous rappellent nos devoirs, et nous honorons nos serments sur le fil du temps. Alydaëlle saisissait le sens de ce que lui répétait souvent Byreth, dans sa sagesse, acquie chèrement après de longues années d'errance, alors qu'il était en quête de son propre chemin. Du fond de son sommeil, la jeune femme pouvait à présent observer le visage de ces gens qu'elle avait côtoyer sans jamais les voir. Le souvenir de la vision demeurait gravé en elle comme si quelqu'un avait eu le pouvoir de le peindre dans sa tête, afin qu'elle puisse contempler à jamais ce que ses yeux lui refusaient. Le sourire de Drake, le regard de rapace du vieux Byreth, et même Loki, le magnifique étalon noir qui n'avait jamais été loin d'elle. Loin dans son inconscience, la jeune aveugle perçut autre chose. Une présence animale qu'elle identifiait difficilement. Mais cela ne venait pas d'elle.

*Aly... Ce n'est pas l'heure de dormir... Ton maître risque de partir sans toi si ça continue...*

Alydaëlle savait que l'épée avait raison. De toute sa volonté, elle se força à émerger du lourd sommeil. Pas question de laisser aller Féanaro. Il était son maître et elle ne s'en séparerait pas avant d'avoir une maîtrise suffisante du mysticisme.

*Il communique avec des esprits... Impressionnant...* se moqua Asgaliath tandis que la tueuse ouvrait les yeux sous son bandeau.

Alydaëlle ne fit aucun commentaire. Elle se redressa lentement et porta son attention vers Féanaro, dont elle percevait l'humeur soucieuse. Il semblait concentré, comme plongé dans une conversation qui lui était interdite. Communiquait-il avec cette présence animale qu'elle ressentait ? Etait-ce l'esprit d'une bête quelconque ? La jeune aveugle se leva et, prudemment, se dirigea vers Féanaro. Lorsqu'elle toucha son épaule, elle perçut sa crispation inhabituelle et comprit que quelque chose de grave le tracassait. Pour autant, elle n'avait aucune chance de deviner quoi.

- Maître Féanaro... (Par Vassago, que cela lui écorchait la bouche...) Vous semblez particulièrement soucieux. Etes-vous seulement en état de m'enseigner autre chose ? N'auriez-vous pas besoin de vous confier à quelqu'un ?

La voix d'Alydaëlle était douce et rassurante. Elle avait suffisamment bataillé avec lui pour aujourd'hui. De plus, ses premiers exercices, épuisants en soi, lui avaient permis un phénomène miraculeux par lequel elle était redevable au capitaine.

- Maître, la méditation m'a permis de voir des choses passées. C'était... incroyable, révéla-t-elle avec un sourire. Le soir va bientôt tomber, n'est-ce pas ? Je crois que j'ai dormi longtemps. Que comptez-vous faire ? Partir ? Rester ? En tout cas, quoi que vous décidiez, je viens avec vous.

Elle était proche de Féanaro. Un peu trop même. Quand elle en prit conscience, Alydaëlle recula d'un pas, prudente. Ce n'était pas le moment de provoquer la dénommée Isil, qui risquait de croire le capitaine en danger, même si Asgaliath n'était plus à son côté...

- Que puis-je faire ? demanda la jeune femme dans un souffle hésitant.

Selon toute évidence, Féanaro avait prévu de quitter les lieux, du moins à en juger par les bruits qu'entendait Alydaëlle. Mais où allait-il ? A peine se posa-t-elle la question qu'il annonça devoir se rendre à Cydonia. Et il comptait visiblement s'y rendre sans elle. Pouvait-elle l'en blâmer ? Après tout, il avait lui aussi des affaires privées à régler. Il venait lui-même de le dire. Alydaëlle pouvait peut-être en profiter pour s'acquitter des siennes. Retrouver Maddox, ou bien l'Assassin. Qu'est-ce qui avait le plus d'importance ?

*Ni l'un, ni l'autre... Tu ne dois pas quitter Féanaro avant d'en savoir assez sur le mysticisme.*

Alydaëlle se gratta la tête, l'air ennuyé, puis attacha ses cheveux. Il fallait qu'elle prenne une décision, et vite. Suivre discrètement le capitaine jusqu'à Cydonia ? Non, il s'en rendrait compte. Féanaro de devait pas être un adversaire facile, en dépit des apparences. La jeune femme chercha Asgaliath à tâtons, puis ceignit le fourreau autour de ses hanches. Elle dégaina l'épée et écouta son chant mélodieux jusqu'à ce qu'il se soit dissipé dans les airs. Comme elle aurait aimé pouvoir la contempler. Une épée héritée des dieux. Etait-ce légende ou vérité ? Cela dit, grâce à Féanaro, la tueuse pouvait peut-être y parvenir en entrant de nouveau en méditation. Hélas, les scènes qui lui apparaissaient étaient aléatoires et non choisies. Il lui fallait un coup de chance pour apercevoir Asgaliath.

*Tu sais que je suis belle. Cela devrait te suffire, non ?* minauda Asgaliath.

- Byreth disait que tu avais les reflets du jade sous une prison d'argent.

*C'est assez juste... Et je suis flattée qu'il ait dit ça... Mais ce qui importe, c'est ce qui se cache sous les apparences. Comme ce Féanaro... Les sombres secrets qui tourmentent une partie de son âme sont dignes d'être percés. Tu devrais t'y intéresser.*

- Une partie de son âme ? releva Alydaëlle à voix basse.

*Je n'en perçois pas la totalité, comme s'il en manquait un fragment... Son histoire est trouble mais son coeur est brave. Je crois que tu peux lui faire confiance.*

Alydaëlle ne répondit rien. Elle n'avait jamais fait confiance à qui que ce soit, pas même à Byreth ou à Drake. Elle n'allait pas commencer avec le capitaine des elfes. La jeune femme rengaina son épée et s'approcha de son maître, sur le départ... Elle se planta devant lui, si près qu'elle l'accula presque au mur. Levant le nez, contemplant les ténèbres que lui imposait son handicap, elle eut un sourire :

- Je me souviendrai de vos conseils, Maître. Je m'exerçai à la méditation, sans verser dans l'excès. Je vous laisse donc vous acquitter de vos tâches mais ne croyez pas vous débarrasser si facilement de moi. Je suis votre ombre autant que votre disciple à ce jour. Nous nous retrouverons bien assez vite.

Alydaëlle resserra son bandeau et ouvrit grand la porte. Loki eut un mouvement de tête à son adresse, comme impatient de reprendre la route.

*Si tu ne meurs pas avant, jeune imprudente...* grinça Asgaliath.

C'était toujours une probabilité à ne pas exclure. Il suffisait qu'une seule fois, qu'elle croisa le chemin de l'Assassin, et la mort pouvait frapper un grand coup. Féanaro aurait au moins la joie de se voir débarrasser d'une encombrante personnalité, sans déshonnorer pour autant son vieil ami Byreth.

- Soyez prudent, Maître, ajouta Alydaëlle en se hissant sur sa monture. Vous semblez parfois tellement insouciant.

Se souciait-elle donc de lui ? Asgaliath en fut étonnée, car la sincérité perçait. La jeune aveugle adressa un dernier hochement de tête à l'adresse du capitaine, et se mit en route vers l'inconnu. Son ventre criait toujours famine.

Le geste sûr, les mains de l’elfe ajustèrent les dernières pièces avec attention. C’était sa manière de ce vider complètement l’esprit. Une manière de se préparer mentalement à la tâche qu’il c’était fixé. Il ne pouvait se permettre d’échouer aussi bien que de perdre du temps en palabre. Il ne savait quand les cavaliers viendraient, ni l’endroit qu’ils auraient décidés de frapper en premier…Bien qu’il se doutait que cela tournerait autour des villages près de Silmarie. A moins qu’ils ne cherchent Nalween et encerclent Ptot Tah…C’était le genre de chose dont il devait se méfier. Mais peut importait, il enverrait la cavalerie chercher la Grande Prêtresse s’il sentait le moindre souci. Il lui avait adjoint le meilleur des gardiens.

Il passa son manteau au dessus de son armure pour la cacher en partie et se pencha pour récupérer son casque. La jeune elfe, déjà en tenue hocha la tête, s’emparant de son arme avant de sortir rassembler l’escorte. Le capitaine se tourna alors vers son disciple. Il faillit avoir un sourire quand elle lui confia qu’il semblait insouciant. C’était assez ironique de sa part. Mais il ne le releva pas.

Ce que je t’enseigne concerne le mysticisme…Mon insouciance apparente est de l’ordre de l’art de la guerre. Il est plus simple de faire confiance à ses yeux et ses premières impressions…Si je laisse l’impression à mes ennemis l’impression que je suis faible et incompétent, il me sera plus simple de les terrasser.

Le capitaine eut un léger sourire

Moi qui pensait que pour une aveugle serait au-delà de tout ça…Mais ca me rassure. Des années d’entrainements ont portés leurs fruits.

Il se rendit prêt de la porte où l’attendait des dizaines d’homme en arme…Tous portant l’armure des elfes noirs, leurs chevaux piaffant d’impatience dans le crépuscule. Là le capitaine passa son casque lui donnant une apparence somptueuse et charismatique

Tu es ma disciple il est vrai…Mais je ne t’enseigne que le mysticisme. Si cela te concernait, tu m’aurais accompagné…Néanmoins vu que cela ne regarde que moi et que je sais m’occuper de moi-même, je compte bien que tu fasses les exercices que je t’ai montrés. Je ne sais pas quand je rentrerais…Mais je rentrerais.

Il passa la porte en se demandant si cela ne la concernait pas un peu mine de rien. La destruction d’Azthia concernait un peu tout le monde…Il haussa les épaules en enfourchant son destrier, direction Cydonia…

[personnage désengagé]