« Tu vas reluquer ton arme toute la journée ? »
Je levais la tête pour poser mon regard sur celui qui avait interrompu le cours de mes pensées. Chose peu surprenante pour qui me connaissait, j'étais encore une fois dans la lune et les événements de ces derniers jours ne m'aidaient pas vraiment à rester sur terre. Tant de chose se chamboulaient dans ma tête en ce moment, j'en avais presque le tournis en y pensant.
Mes yeux trouvèrent celui qui m'avait interpellé. Un autre apprenti du Temple d'Ankdor, un peu plus jeune que moi et si je ne le considérais pas comme un ami proche, nous nous entendions plutôt bien. Un vague sourire flottait sur ses lèvres, preuve que sa phrase n'était pas une critique. Cela devait faire un bon moment que je faisais tourner le manche de mon arme entre mes mains. Aucun but à cela, c'était juste pour dire de faire quelque chose pendant que je réfléchissais.
« Je pensais à certains trucs » lui répondis-je.
« Encore dans la lune ? Viens plutôt t'entraîner un peu »
L'invitation était tentante. Après tout, je n'étais pas venu dans cette salle pour regarder les tapisseries. Je me levai donc, convaincu qu'un peu d'exercice ne me ferait pas de tort ou du moins, m'éviterait de trop ruminer. N'était-ce pas là ce que je faisais depuis un moment déjà ? Sans doute. Je passais le plus clair de mes journées à m'entraîner autant que je le pouvais, au point de quelquefois m'effondrer sur mon lit le soir venu. Ne plus penser, voilà tout ce que je voulais et m'occuper l'esprit en m'entraînant m'y aider – cela nécessitait toute mon attention. Plus je réfléchissais et remettais les choses en question, plus il m'apparaissait que, quelque part, j'avais une certaine part de responsabilité dans ce qui était arrivé. Non, définitivement non. Il n'aurait pas pu en être autrement, ou cette solution était hors de ma portée. Puis, au point ou en étaient les choses, je ne pouvais plus rien faire pour redresser la situation. Rien, mis à part une chose : faire en sorte d’être enfin reconnu à ma juste valeur. Je savais que tout irait mieux une fois qu'Ankdor l'aurait fait, du moins voulais-je m'en persuader. Ainsi, je pourrais espérer une meilleure situation et peut-être pourrais-je réparer ce lien brisé avec ma sœur puisque nous serions sur un pied d'égalité. Au final, je ne savais rien, je n’avais pas la moindre idée de quoi faire et je ne voulais plus y penser.
L’autre apprenti semblait satisfait de ma réponse. Je venais d’accepter son invitation à l’entraînement ; pour cette séance, je serai son partenaire et lui, le mien. Nous nous saluâmes d’un hochement de tête avant de nous mettre en garde, non sans avoir pris soin de s’équiper d’une arme en bois.
Et je frappai. Une fois, deux fois, trois fois, je perdis vite le compte du nombre de coups donnés. Nous parions et contre-attaquions tour à tour mais le duel penchait nettement en ma faveur, comme je donnais le rythme. Lui, l’un des apprentis dont le talent à l’épée était connu, je parvenais à le dominer, avec peine, certes, mais les faits étaient là. Un dernier mouvement où je brisai sa garde et la lame de bois l’atteignit dans les côtes, quoique j’aie fait mon possible pour rendre le coup le moins douloureux possible. Il hoqueta presque de surprise et me dévisagea avec des yeux ronds comme des soucoupes. Il ne s’attendait pas à cette issue-là et cela se voyait.
« Depuis quand es-tu devenu si fort ? » me demanda-t-il l’air plaisantin lorsque son étonnement se fut apaisé.
Pour toute réponse, je haussai les épaules, incapable de faire mon choix entre une réponse modeste ou lui montrer que quelque part, j’éprouvais de la satisfaction. Mais peut-être était-ce un coup de chance et pour cela, nous disputâmes plusieurs autres manches. La suite fut difficile mais aussi surprenant que cela puisse paraître, le duel se termina sur ma victoire. Je ne devais par en revenir plus que lui mais mon orgueil se trouvait flatté de ses compliments, qui tombaient à point en cette période où je doutais de mes capacités. Mes entraînements, ces heures d’exercices acharnés, tout cela avait fini par payer. S’ils n’étaient pas voués à écraser les autres, seulement à ce que l’on cesse de me considérer comme un enfant, force était d’admettre qu’un certain plaisir était né en moi quand je me sus capable de le vaincre.
Cette victoire m’ayant temporairement fait oublier mes soucis, j’étais d’assez bonne humeur – chose suffisamment rare ces derniers jours pour être remarquée. Voir que je progressais peu à peu y avait sans aucun doute contribué.
[Désengagé]
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