[DA] Les bienfaits d'une rencontre [PV Ilmarë]

Flowène tira sur les rênes de Destinée, l'obligeant à s'arrêter tout à fait. Avalanche stoppa à ses côtés, lui jetant un regard interrogateur : « Pourquoi tu t'arrêtes ? », tandis que Perce-Neige, elle, continuait de voler en cercle autour d'elle. L'Elfe se mordit les lèvres, anxieuse. Les portes de sa cité natale se tenaient devant ses yeux, imposantes, moins lointaine qu'elles ne l'avaient jamais été depuis ses treize ans. La belle, une nouvelle fois, sentit son cœur s'envahir de doute. Que faisait-elle ici ? Comment pouvait-elle croire que ses parents l'accueilleraient à bras ouverts ? Elle les avait quittés tant d'années plus tôt, sans leur donner de nouvelles depuis ! Ils ne lui pardonneraient pas, sa mère avait tellement insisté pour qu'elle leur envoie des lettres le plus souvent possible... Et pourtant, elle n'en n'avait même pas écrit une seule. Lui en voudraient-ils ?
Et surtout, comment leur cacher sa vie à Muria ? Elle n'avait le droit, en tant qu'Amazone, de donner des informations sur cette cité. Et pourtant, sa mère lui poseraient forcément plein de questions sur sa nouvelle vie – après l'avoir sermonné pendant plusieurs heures pour cette absence de nouvelle – et que pourrait-elle lui répondre alors ? « Je suis propriétaire du Bar Bu, qu'une dénommée Gaëlle a laissé à l'abandon en s'enfuyant, et je suis aussi Sentinelle, vous savez, celles qui protègent la cité ? Un faucon, vu que je suis archère ! Je connais bien Eléa et Jelenna, que j'ai rencontré plusieurs fois, et je suis super contente de ma vie ! Et pour vous, tout baigne ? Annabeth ? Non, je ne l'ai pas revue depuis, et je n'ai pas cherché à le faire, en réalité, pourquoi ? Elle est morte ? » Non, ça ne collerait pas. Vu qu'en disant ça, elle détaillerait trop de choses sur Muria, et en plus elle avouerait qu'elle n'avait jamais revue Annabeth. Et là, évidemment, ses parents lui demanderaient la raison...
Aïe, Aïe, Aïe ! Pour une fois, Flowène aurait préféré ne pas anticiper. Son cerveau était mis à rude épreuve. Sa décision aussi. Si elle n'était pas aussi proche de la cité, elle aurait fait marche arrière. Et avait failli le faire des dizaines de fois d'ailleurs. Elle aurait voulu que cette rencontre se passe normalement, et qu'elle ne doive pas garder le secrets sur ses activités. Et à cet instant, elle regrettait amèrement de ne pas avoir revu Annabeth. Livena lui avait bien dit, en revenant d'une expédition pour Storghein, qu'elle l'avait rencontrée et qu'elles avaient sympathisé. Mais ça ne suffirait pas aux yeux de ses parents...
Un grognement la sortit de ces sombres pensées : Avalanche se remettait à avancer en secouant la tête, comme si la réaction de sa maîtresse l'exaspérait.

« Tu as raison, ma jolie. En route. »

Flowène s'assit sur une chaise, son thé à la main. Perce-Neige – perchée sur la chaise d'en face – et Avalanche, assise à ses pieds la regardaient avec un air désapprobateur. L'Elfe les ignora. Ben quoi ? Elle avait le droit de prendre une petite boisson avant de revoir sa famille, non ?...
D'accord, c'était un peu par lâcheté, pour retarder le moment. Mais de toutes façons, elle serait chez elle le soir venu... Sauf si elle trouvait une auberge ? Non, non, non, ce soir, elle serait chez elle. Enfin, son ancien chez elle.
Oui, elle n'était plus vraiment chez elle à Silmarie. La preuve, les seules personnes qu'elle avait reconnues étaient des adultes. Les enfants de son époque avaient trop changé. Ou alors, ils étaient partis. En tous cas, elle n'en reconnaissait aucun.
Les adultes ? Ils avaient été polis, évidemment ! « Flowène ?! C'est bien toi ?! Comme tu as changé ! Qu'est-ce que tu deviens ? ». Mais après ces paroles, qu'est-ce qu'ils pouvaient se dire ? Pas grand chose. Elle était partie il y avait si longtemps, ils n'avaient plus grand chose en commun. Plus rien à se dire, plus de sujets de conversation à lancer. Alors ils se quittaient sur un « Porte toi bien ! » et c'était très bien ainsi. Elle se rendait compte qu'elle connaissait à peine les gens d'ici. Peut-être parce qu'à l'époque, le fait qu'elle voulait à peine sortir de chez elle n'aidait pas à tisser des liens... Au moins, de ce côté-là, elle avait mûri. Elle n'avait plus peur des hommes. Oui, elle jetait toujours des regards suspicieux à la ronde. Mais pas par peur, juste... Bah, mieux vaut prévenir que guérir. Elle se savait apte à se défendre si l'un d'eux l'attaquait. Ou même l'abordait...
L'ambiance de la taverne ne prêtait pas à la colère, plus à la douceur et la mélancolie. Flowène était sûre que tout se déroulerait bien ici. Chez elle... Elle préférait ne plus y penser.

Un elfe à peau sombre de haute taille poussa la porte de la taverne. Il était vêtu d'un pantalon d'été noir très fin, ainsi que d'un débardeur blanc qui moulait son impressionnante musculature. Il semblait avoir une quarantaine d'années, mais était encore très séduisant. A sa vue, un des piliers du bar vint à sa rencontre :

- « Hey ! Lùthien ! On te voit plus en ce moment, tu te caches ? T'as dû voir ma femme l'autr' jour elle m'a dit qu'elle allait réparer ma lame chez le meilleur forgeron de Sylmarie ! »
- « Non, je ne l'ai pas vue. Tu es sûr qu'elle t'as pas raconté des bobards pour éviter ta tronche de pochtron ? »

L'autre lui répondit d'un rire gras. Il rit tellement qu'il commença à tousser et dû se retenir à une chaise pour ne pas tomber. Un autre, resté au bar, leur répondit :

- « Beh nan elle a dû aller chez le nouveau là ! Ma femme trouve toutes les excuses pour y aller ! Elle dit qu'il faut aider les ptits jeunes. Les couteaux de ma cuisine y z'ont jamais été aussi coupants. J'me méfie, j'te le dit, moi. »

Le premier s'était arrêté de tousser. Il regarda derrière Lùthien, surpris, et pointa du doigt.

- « Hey, mais... »

Derrière lui se trouvait une jeune elfe, à la peau tout aussi sombre que le premier. Ils avaient aussi les mêmes yeux vifs et noirs. Mais tandis que lui avait les cheveux blancs comme neige, elle les avait noir corbeau. Sa tunique verte à manches courtes laissait apparaître des bras musclés, pas aussi imposants que lui mais assez étonnant pour une femme.

- « Tu veux savoir pourquoi je ne viens plus aussi souvent ? J'ai retrouvé ma fille ! »

Il recula un peu pour se mettre à sa hauteur et l'entoura d'un bras protecteur. Il faisait une bonne tête de plus qu'elle. Elle ne broncha pas et son visage était toujours aussi impassible.

- « Quoi ? Mais je croyais que... »
- « Tournée générale ! »

Il lui avait volontairement coupé la parole pour couper court aux questions. L'idée de boire était devenue prioritaire dans la tête de l'ivrogne, et il retourna donc péniblement s'asseoir aux côtés de l'autre. Les deux elfes à peau sombre allèrent s'installer à une table isolée, assez loin des deux sacs à vin. Il commanda un lait de chèvre et une chope de bière bien fraîche. Une fois servis, il trinquèrent ensemble ; il but la moitié de sa chope en une fois.

- « Haaaa t'avais raison ça fait du bien de se dégourdir les jambes ! J'avais bien soif ça fait pas de mal de sortir de la forge, un peu. Si un jour on m'avait dit que je boirais ici en compagnie de ma fille, je l’aurais pas cru... »

Son interlocutrice, qui avait sourit à son père en levant son verre, perdit d'un coup toute gaieté, et son regard le fuya. Il soupira, puis chercha son regard :

« Écoute, je ne sais pas ce que tu as fait durant toutes ces années où je t'ai crue morte, et je ne le saurais sans doute jamais. Mais peu importe, c'est du passé. Nous sommes ensemble maintenant, tu es revenue, c'est tout ce qui compte non ? Après une pause il ajouta : Tu ne comptes pas repartir, si ? »

Elle leva la tête vers lui et la tourna de droite à gauche en lui adressant un sourire timide.

- « Tant mieux. J'ai cru te perdre une fois, je ne survivrais pas à une seconde. Il finit sa chope d'un coup. Tu es ma fille et tu le resteras, peu importe ce que tu as pu faire durant ce temps. Allez, j'ai une commande à finir, et une réputation de meilleur forgeron de Silmarie à tenir. Faut que j'y retourne si je veux pas me faire doubler par le nouveau gringalet. »

Il adressa un signe de tête aux deux pochtrons, et signala à l'aubergiste de mettre sur sa note, et s'en alla. Elle resta seule à sa table. Son regard fit le tour de la salle, elle était en partie remplie d'habitués. Puis elle s'arrêta sur une jeune elfe, qui devait avoir environ son âge. Pourtant, elle ne la connaissait pas. Cela n'était guère étonnant, elle n'avait jamais lié d'amitié avec les enfants de son âge, et avait passé toute sa jeunesse entre le cimetière, la bibliothèque, les champs et l'entraînement. Des endroits que ne fréquentaient guère les jeunes gens voulant s'amuser. Elle buvait seule, tout comme elle. Enfin, pas tout à fait, en face d'elle, juché sur une chaise, se trouvait un oiseau d'un blanc immaculé. Elle le voyait de dos et ne pouvait pas l'identifier, il était cependant trop petit pour être une chouette. A ses pieds il y avait un animal magnifique. Elle l'observa un moment, admirative. Le loup était de la même couleur que l'oiseau, son pelage invitait à y plonger la main afin d’apprécier sa douceur. Mais sans doute que seule l'elfe qui l'accompagnait avait le droit à ce privilège. Puis son regard se reporta sur son lait, qu'elle faisait tourner dans son verre. Et si elle avait eu des animaux pour l'accompagner dans son périple, aurait-elle agi différemment ? Avoir des compagnons toujours prêts à agir pour nous protéger était non négligeable. Mais c'était aussi des responsabilités, il fallait veiller sur eux. Et veiller sur les gens, c'était une chose qu'elle ne savait pas faire, elle avait échoué lamentablement. Melian... Où es-tu ? Es-tu seulement encore en vie ? Elle revivait toutes les nuits ce jour là, mais elle n'avait toujours aucun indice lui indiquant quoi que ce soit. Elle n'avait que l'espoir, l'espoir d'un parent pour la survie de son enfant, comme son père l'avait fait avec elle. Et, un jour, elle était revenue. Melian, reviendras-tu ? Elle secoua la tête comme pour chasser ses sombres pensées, et bu une gorgée de son lait pour faire passer la boule qui s'était formée dans sa gorge. Puis elle reposa son verre sur la table, et observa le lait restant tourner à l'intérieur, pensivement.

Flowène ignora les effusions et les paroles particulièrement bruyantes de ces elfes noirs et du dernier homme. Elle s'en fichait, trop occupée qu'elle était à imaginer un discours pour ses parents. « Salut, ça baigne ? Moi ouais. Je suis désolée de pas vous avoir tenu au courant, hein, mais quand la soif de l'aventure vous prend les tripes... » ; non, ça ne convenait pas. « Bonjours chers parents, je suis extrêmement confuse de ne vous avoir envoyé moult lettres de ma plume, mais mon cœur n'était pas aux mots... » ; trop cérémonieux. D'ailleurs, ses parents aimaient-ils les discours ? Pas vraiment, surtout son père. Lui, était plus du genre « La fessée ou l'accolade virile ». Et si elle ne faisait pas de discours ? Qu'elle achetait un joli bouquet de fleurs ? Ou une poterie ? Oui, les cadeaux, tout le monde aiment forcément ! Mais ça ne suffirait sûrement pas...
Flowène aimait bien les casse-têtes d'habitude. Mais elle en avait marre de se faire des films par rapport à cette rencontre qui aurait bientôt lieu. Elle se remuait toujours la cervelle pour pas grand chose, voir pour rien du tout, et s'en mordait les doigts après. Même si cette fois, elle était certaine que ce n'était pas « rien du tout ». Elle allait juste revoir ses parents après plus d'une dizaine d'années alors qu'elle n'a jamais donné signe de vie.
La réalité était là : elle avait peur de la confrontation, et cette peur était plus prenante que son envie de les revoir. Depuis une des discussions qu'elle avait eu avec Eléa, elle avait voyagé hors de Muria, beaucoup de fois. Mais c'était trop tard à ses yeux pour se racheter et avait constamment repoussé ce jour où elle devrait retrouver sa famille. Et là, elle s'était décidée, mais pour sa soeur, ça allait encore attendre un moment. Elle ne pouvait pas, tout simplement. Encore une fois, elle s'était bornée à se dire que c'était parce que la cité était assez masculine, mais elle réalisait qu'une de plus, c'était la peur qui la clouait sur place. Plus que la réaction de ses parents, c'était celle d'Annabeth qui la terrifiait. « Pourquoi tu n'as jamais cherché à me revoir ? Pourquoi ? Tu ne m'aimais plus ? Mais bon sang, je suis ta sœur ! Tu m'avais promis que tu ne m'oublierais jamais, et voilà plus de dix ans que tu ne m'as pas contacté ! », ou un truc dans ce goût-là : ce serait ça, la réaction impulsive de la blonde, forcément. Ou même pire. Livena avait eu l'air de dire qu'Annabeth ne semblait pas malheureuse, et qu'elle vivait sa vie, sans avoir l'air de lui en vouloir. Mais la belle ne tenait pas à vérifier personnellement. Bien sûr, la petite bouille blonde craquante et le côté aventureux et impulsif de sa soeur lui manquait, sa capacité à la consoler, aussi. Mais même pour ça elle n'irait pas à Storghein. Pour rien au monde, même sa soeur. C'était trop dur.
A nouveau, ce fut Avalanche qui la tira de ses pensées : elle grognait, la fourrure hérissée, fixant un point devant elle. Flowène leva la tête et vit une jeune elfe noire qui la regardait. La fille de l'autre ? Peut-être. Probablement. Elle n'avait pas cherché à regarder, mais si cette fille attirait l'attention d'Avalanche, c'était une autre paire de manches.
L'inconnu finit par détourner le regard et fixer sa boisson avec intensité, comme si elles communiquaient. Elle en but une gorgée, la reposa, et la contempla à nouveau. Flowène, mal à l'aise, essaya d'oublier. Mais Avalanche restait sur le qui-vive, comme si cette elfe était une menace.
La belle décida de tirer ça au clair. Elle prit sa boisson, se leva, rangea sa chaise et se dirigea d'un pas décidé vers l'elfe noire. Debout, elle la jaugea pour la détailler, avant de s'assoir en face d'elle, une expression amicale au visage. Aussitôt, sa louve s'approcha d'un pas lourd, les oreilles couchées en arrière, avant de s'assoir près de sa maîtresse, sans cesser de grogner sourdement. Perce-Neige, elle, vint se percher sur l'épaule de l'archère, très calmement. Etrange, sa louve semblait voir en cette inconnue une menace, alors que la chouette des neiges, elle, paraissait aussi calme que si elle était en face de Livena (sans Mélo dans les parages, évidemment). Flowène caressa distraitement la tête de sa louve, avant d'entamer :

« Salut. Je m'appelle Flowène. »

Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'elle perçut l'étrangeté de la situation. Que pouvait-elle dire maintenant ? « Pourquoi tu me fixais » ? Quelle imbécile elle faisait, elle qui prévoyait toujours tout avant d'agir ! Mais la réaction de sa louve l'avait inquiétée, et elle voulait tirer la situation au clair.

« J'ai l'impression de t'avoir déjà vue, on se connaît ? »

C'était faux, bien sûr. Mais ce fut la seule chose qui vint à l'esprit de Flowène. Au moins réussit-elle à mentir très convenablement. Si l'inconnue se rendait compte que c'était faux, eh bien, elle était très douée...

Toute à ses pensées et à l'observation attentive de son verre, Ilmarë ne vit l'elfe approcher que quand elle fut à côté de sa table. Elle leva les yeux vers elle. Étrangement, elle venait la voir, et s'asseya en face d'elle. Elle avait l'air amicale, mais un grognement sourd parvenait de sa louve. Ilmarë n'avait pourtant fait aucun geste d'agressivité envers qui que ce soit. Les seuls envers qui elle aurait pu en faire ici, c'était aux deux ivrognes. Ils faisaient autant de bruit que s'ils étaient dix, et elle aimait bien être tranquille. L'elfe caressa la bête, comme pour l'apaiser. Qu'est ce qui provoquait cette méfiance, avait-elle senti son côté animal solitaire ? Ou bien avait-elle vu l'épée qui pendant à son côté, malgré le fait qu'elle soit rangée dans son fourreau ? L'oiseau était une chouette, et paraissait plutôt calme. L'elfe s'adressa à elle :

- « Salut. Je m'appelle Flowène. »

Ilmarë hocha la tête pour répondre à sa présentation. Elle avait toujours été une handicapée du contact avec les autres. Ne pouvant s'exprimer, les gens se détournaient assez vite d'elle. Ce qui ne la dérangeait pas le moins du monde, elle avait apprit à ne pouvoir compter que sur elle même. Les seuls à pouvoir la comprendre par le moindre geste qu'elle faisait étaient sa famille. Famille qui ne comptait désormais plus que son père.

- « J'ai l'impression de t'avoir déjà vue, on se connaît ? »

Surprise, elle la regarda plus attentivement. C'était une elfe élancée, assez jolie. Elle avait le teint clair, de longs cheveux bleus dansaient le long de son dos. Ses yeux étaient de la même couleur et s'accordaient parfaitement avec sa tenue. L'ensemble bleu et blanc donnait l'impression à Ilmarë que l'elfe aurait pu se fondre sans problèmes dans le ciel. Elle était plutôt élégante. Si elle l'avait vue, elle s'en serait sûrement souvenue, elle n'était visiblement pas le genre de personne qu'elle aurait pu croiser ces dernières années. A la bibliothèque, peut-être ? Mais cela faisait tellement de temps qu'elle n'y avait pas mit les pieds ! Elle ne vit pas d'arme à ses côtés, et n'aperçut pas d'égratignures visibles. L'avait-elle rencontré durant ces deux ans d’égarement ? Elle tourna la tête de droite à gauche tout en haussant les épaules. Non, elle ne se souvenait pas. Elle regarda de nouveau la louve, et doucement avança sa main, pas trop prêt ni trop vite pour ne pas la brusquer. Puis elle attendit une réaction. Il paraît que les animaux aiment bien sentir l'odeur des gens, pour les juger. Peut-être étais-ce risqué, mais elle n'en était plus à une cicatrice prêt. Quoique dans ce cas précis elle pourrait y perdre toute une main.

L’inconnue semblait assez intéressée par Avalanche. Bien sûr, voir une Elfe se balader avec une louve, ce n’était pas vraiment commun. Mais de là à la fixer !... Ou peut-être était-ce sa réaction hostile ? Oui, des crocs comme ça, ça attirait l’attention en général.

Elle hocha la tête, comme pour répondre à sa présentation. Flowène crut qu’elle allait se présenter à son tour, mais non, elle se contenta de ce simple geste, attisant la curiosité de l’elfe. Pourquoi ne parlait-elle pas ? Etait-elle muette ?... Mince, ça ne devait pas être pratique pour faire la conversation ! Elle regarda à nouveau sa louve, qui continuait son petit manège hostile. Peut-être avait-elle senti une différence chez cette inconnue ? Peut-être avait-elle perçu le fait qu’elle ne pouvait pas parler… Ou ne voulait parler ? Mais ça n’expliquait rien, pourtant, pourquoi être en colère contre une muette ? Ca n’avait aucun sens ! Surtout venant d’Avalanche, qui n’était pas le genre à chercher les ennuis quand c’était inutile ! Même quand un homme bousculait Flowène (ce qui était déjà arrivé plusieurs fois), la louve se contentait de montrer les crocs, mais rien de plus. Là, l’elfe noire n’avait rien tenté s’étant contentée de les observer, et ça suffisait à éveiller la méfiance de l’animal. Qui était vraiment cette inconnue ?

Sa question obligea l’elfe noire à s’arracher à la contemplation de la louve pour détailler sa maîtresse. Flowène ne lui en voulut nullement. Qu’un homme réagisse comme ça, et elle l’aurait embroché sur place. Seules les femmes avaient le droit de la regarder sans éveiller sa méfiance. Même si elle supportait de converser avec des membres du sexe opposé, pour les regards appuyés, c’était une autre paire de manches. Elle n’aimait pas tuer, et ne souhaitait pas avoir d’ennuis où que ce soit, mais si l’un d’eux dépassait les bornes, elle n’aurait aucun gêne à lui donner sa façon de penser. Avec son sabre. Qu’elle ne quittait jamais, même en cet instant. Seulement, elle avait aisément caché le fourreau de Saphir entre les multiples plis de ses habits. Elle était devenue maîtresse dans cet art. Certes, en la voyant désarmée, les hommes pourraient se dire qu’elle était faible et facilement prise. Mais elle n’aimait pas entrer dans un établissement, arme au clair. Elle n’était pas une bagarreuse, et ce simple détail pourrait lui donner une réputation qu’elle n’avait pas. Autant cacher Saphir aux yeux de tous, mais l’utiliser en cas de problème.
Flowène ne fut pas étonnée quand son interlocutrice – façon de parler vu qu’elle ne disait rien – secoua la tête en signe de dénégation. Son attention retourna vers Avalanche et elle osa même avancer sa main pour tenter une caresse. Aussitôt, la louve se mit à grogner de plus belle, et sa fourrure se hérissa. « N’y songe même pas ! » semblait-elle vouloir dire.

« Vous devriez attendre un peu avant de faire ce genre de manœuvre. Pour l’instant, vous risquez plus de perdre un bras que de réussir à la toucher. »

La belle fixa sévèrement son animal, qui lui rendit son regard, les oreilles couchées en arrière. Le message était clair : « Si tu ne lui dis pas d’arrêter, je mords ! ». Puis, son attention revint sur l’inconnue, qu’elle observa en retroussant les babines. Flowène leva les yeux au ciel. Sa curiosité avait laissé la place à de l’agacement. Pourquoi sa louve réagissait-elle ainsi à la fin ? Cette pauvre fille ne lui avait rien fait ! Au contraire, elle semblait fascinée par ce bel animal à la fourrure soyeuse. Avalanche aurait dû se sentir flattée. Elle n’était pas du genre agressif. Avec Livena, par exemple, elle s’était toujours montrée adorable, ou même avec d’autres petites filles de la cité.

« Excusez-la, elle est un peu méfiante. »

Flowène laissa un silence s’installer, pendant quelques instants, attendant que l’inconnue le rompe d’un « pas grave » ou un truc de ce goût-là. Mais elle finit par se rappeler que son interlocutrice ne pouvait ou ne voulait pas parler.

« Euh… Vous vous appelez comment ? Vous n’avez pas quelque chose pour écrire ? »

Elle avait à peine approché la main de la louve que celle ci se mit à grogner de plus belle. Pourtant, elle n'avait pas voulu la caresser, simplement lui faire sentir sa main en signe de confiance. Peu importe, après tout, nombre de gens se méfiaient d'elle au premier regard qu'ils lui lançaient. Elle avait pourtant fait un effort et laissé son éternelle cape à capuche qui lui couvrait habituellement le visage au placard.

- « Vous devriez attendre un peu avant de faire ce genre de manœuvre. Pour l’instant, vous risquez plus de perdre un bras que de réussir à la toucher. »

Elle fut tout de même un peu déçue qu'un animal réagisse de la même manière qu'un vulgaire humain. Elle reposa sa main sur son gobelet.

- « Excusez-la, elle est un peu méfiante. »

C'était compréhensible, après tout. La louve se devait de protéger sa meute contre les inconnus, et c'est ce qu'elle faisait actuellement. Une grande amitié devait s'être installée entre l'animal et l'elfe. Et aucune amitié n'était plus solide que celle entre un Homme et un animal. Les Hommes entre eux ne cessant de se trahir mutuellement, chose que ne ferait jamais une bête. Combien de fois lui était-il arrivé, lorsqu'elle attaquait un petit groupe de personnes, que l'un ou l'autre de ce groupe se serve de ces « amis » pour se couvrir ? Combien de fois elle avait entendu : « Épargnez moi mais prenez tous les autres » en promettant monts et merveilles? Au final, cela ne servait à rien puisqu'ils recevaient tous le même sort. Peut-être est-ce ça que la louve sentait, le sang sur ses mains. Elle avait arrêté mais son passé la suivait toujours.

- « Euh… Vous vous appelez comment ? Vous n’avez pas quelque chose pour écrire ? »

Ce n'était pas stupide, même si elle avait du mal à écrire, n'ayant pas pratiqué depuis des années. Enfin, sauf depuis ce jour de rencontre avec Reyan... Le premier être à avoir essayé de communiquer avec elle depuis longtemps. A cette pensée, un sourire naquit sur ses lèvres malgré elle. Ce jour là avait sans doute marqué sa vie. C'est ce qui lui avait donné la force de tourner le dos à ses activités, et de revenir dans son village, chez son père. Mais ils avaient utilisé le livre et la plume du jeune prêtre, elle n'était pas écrivain et n'en avait pas. Pouvait-elle faire confiance à la personne qui se tenait en face d'elle ? Elle s'était présentée, c'était à son tour. Elle était une elfe, elle saurait sûrement lire l'elfique. Elle hésita un peu, puis sorti, comme ce jour là, son précieux livre. Qu'elle gardait toujours sur elle, comme un porte bonheur. C'était un recueil de contes et légendes elfiques, la couverture ainsi que tout l'intérieur étaient inscrits de la même langue. Elle l'ouvrit à la seconde page, qu'elle montra à son interlocutrice. D'une main appliquée y était inscrit :

"A Ilmarë, ma fille chérie. Ta maman qui t'aime."

Le jeune homme n'avait pas su lire l'elfique, mais Flowène était une elfe. D'une main ferme elle tint le livre, tandis que de l'autre elle mit son doigt sous le prénom, et le tendit ensuite vers elle-même. Elle resta quelques secondes ainsi le temps de la laisser lire, puis elle referma le livre qu'elle referma délicatement avant de le poser sur ses genoux.

Flowène put lire un peu de déception sur le visage de sa partenaire de table quand elle lui conseilla de s'abstenir de toucher Avalanche. Peut-être adorait-elle les animaux. Ce serait un point commun qu'elles auraient, toutes les deux. Pour l'instant, l'Elfe avait un peu de mal à faire la conversation. Les monologues peuvent se montrer difficiles à tenir. Comment pouvait-elle essayer de connaître cette nouvelle interlocutrice si celle-ci se concentrait sur sa louve et non sur leur conversation ?! Bien sûr, l'Elfe ne pouvait lui reprocher de ne pas parler. Que se soit volontairement ou pas, l'absence de paroles pouvait aussi signifier beaucoup de choses chez une personne. Peut-être qu'elle avait un jour dit une chose qu'elle avait regretté à un être proche (ou pas...) et qu'elle se l'infliger par punition. Peut-être n'aimait-elle pas la compagnie – même si elle ne paraissait pas agressive – et c'était sa façon de ne pas s'attirer d'ennuis, laissant les gens se lasser de son mutisme ? Ou peut-être encore s'était-elle blessée un jour, et cette cicatrice l'empêcherait de faire bouger convenablement ses cordes vocales ? Ou alors, elle était réellement et complètement muette. Cette question resterait un mystère, car Flowène ne comptait pas la lui poser. Elle savait bien qu'en parler pourrait faire du bien. D'ailleurs, si Eléa n'avait pas insisté pour qu'elle lui confie son passé, la belle serait encore la craintive et renfermée elfe qu'elle était à son départ de Silmarie. Elle n'aurait jamais quitté Muria pour voyager un peu. Et elle ne serait pas là, à cet instant, discutant dans sa cité natale qu'elle avait décidé d'abandonner une dizaine d'années plus tôt avec une inconnue. En fait, sans cette rencontre avec l'héritière des Amazone, beaucoup de choses ne se seraient pas déroulées comme ça. Sa vie aurait été morne et prisonnière d'un cercle vicieux. Pourtant, même si elle était convaincu qu'Eléa l'avait aidée, elle n'arrivait pas à se résoudre à faire le même geste qu'elle pour cette elfe noire. Pas par égoïsme. Juste par crainte. Après tout, la princesse avait un peu insisté pour que Flowène vide son sac, et sur le moment, elle lui en avait voulu ? Et si, au lieu d'aider cette jeune personne, elle se contentait de l'obliger à se refermer comme une huître ? Puis, rien ne prouvait qu'elle ne parlait pas parce qu'elle ne le voulait pas ! Peut-être était-elle vraiment muette, et dans ce cas, Flowène passerait vraiment pour une débile.
Non. Si l'inconnue avait un problème à régler avec elle-même, se serait un combat qu'elle mènerait seule.

Quand Flowène émit le souhait de connaître son nom, son interlocutrice sembla hésiter. L'Elfe crut qu'elle avait appuyé sur un point sensible, et se maudit intérieurement. Ne pouvait-elle donc s'empêcher de mettre les pieds dans le plat ?!
Mais, à son grand soulagement, l'elfe sortit un petit livre de sa poche, l'ouvrit à la deuxième page et la montra à son interlocutrice. « A Ilmarë, ma fille chérie. Ta maman qui t'aime. » L'elfe pointa le doigt sur le nom « Ilmarë », se désigna elle-même, attendit un instant, puis ferma le livre et le posa sur ses genoux. L'Elfe hocha la tête, et sourit :

« Ilmarë. C'est un beau prénom. »fit-elle avec sincérité.

Les mots de la mère de l'elfe et la couverture (enfin, le peu qu'avait pu en voir Flowène) étaient écrits en elfique. Il était incongru pour la belle de relire sa langue maternelle. Un étrange sentiment s'empara d'elle, un mélange de mélancolie, de joie et de culpabilité. Triste d'avoir perdu tout ce qu'elle avait, sa famille, sa cité et ses repères lors de son départ, joyeuse de les retrouver, en ces quelques mots. Et coupable d'être restée si longtemps loin des siens. A Muria, elle n'avait pas vraiment lu de livres en elfiques, ayant préféré privilégié les autres langues, pour toutes les apprendre, et savoir les reconnaître. Lire un livre dans sa langue natale, dans sa cité natale... C'était comme si elle n'était jamais partie. Ces simples mots réveillaient en elle les souvenirs d'une famille aimante qu'elle avait laissée derrière elle par peur des hommes, et qu'elle avait peu à peu essayé d'oublier par culpabilité. Cet événement affreux qui avait eu lieu alors qu'elle était si petite avait mené sa vie et ses choix. Elle n'avait jamais été libre de rien, la peur la maîtrisait. Et même si à présent c'était fini, et qu'elle était revenue pour renouer avec les siens, en sachant que c'était le bon choix, elle se dit que ces souvenirs ne se feraient jamais oublier.
Flowène secoua la tête, laissant un court instant ses beaux et longs cheveux d'azur tomber devant son visage, avant de les replacer d'un air distrait derrière son oreille longue et pointue si caractéristique. Aujourd'hui était un nouveau départ pour elle. Elle que cette rencontre avec ses parents se passe bien ou mal, elle aurait au moins essayé. Elle ne pouvait s'empêcher de ressasser le passé, mais elle ne pourrait jamais le changer, quoi qu'elle puisse faire. Mais elle devait aller de l'avant.
Et en cet instant, se concentrer sur la conversation qu'elle menait avec Ilmarë. Oui, pas mal comme initiative !

« Dis-moi... Tu vis à Silmarie ? Tu as beaucoup voyagé ? Tu sembles plutôt musclée et sportive, le genre à aimer bouger, non ? »

Oui, ça faisait plus bombardement de questions que conversation. Mais étant donné que les seules réponses d'Ilmarë qu'elle pourrait comprendre étaient oui ou non, il n'y avait pas trente-six mille solutions !

A peine avait-elle posé le livre sur ses genoux que l'elfe aux cheveux bleus reprit la parole.

- « Ilmarë. C'est un beau prénom. »

Oui, elle l'aimait beaucoup. Sa mère lui avait conté une fois sa naissance, alors qu'elle était encore une fois assise à ses côtés, sa mère lui caressant les cheveux. Un rituel qu'elles aimaient toutes les deux. Ilmarë était née lors d'une nuit claire, pleine d'étoiles. La pleine lune rayonnait de toute sa splendeur. L'accouchement n'était prévu que quelques jours plus tard, mais Tinùviel se plaisait à dire que sa fille désirait tellement voir la beauté de cette nuit là, qu'elle était venue au monde plus tôt. Et qu'elle aimait déjà beaucoup les jolies choses à cette époque. C'est pour cela qu'elle l'avait nommée Ilmarë, « la lune ». Elle caressa doucement la couverture de son livre. Puis elle s'aperçut du trouble de sa compagne, qui secoua la tête. Elle eut l'air de se reprendre, et lui posa quelques questions.

- « Dis-moi... Tu vis à Silmarie ? Tu as beaucoup voyagé ? Tu sembles plutôt musclée et sportive, le genre à aimer bouger, non ? »

Pourquoi s'intéressait-elle à elle ? Les gens l'ignoraient la plupart du temps. Ce n'était pas désagréable, mais plutôt étrange. Mais elle n'était plus dans la nature, ici elle était retournée à la civilisation, et qui dit civilisation dit d’avantage de personnes, donc de monde susceptible de lui adresser la parole. L'étrangère n'avait pas l'air d'avoir de mauvaises intentions, elle cherchait simplement à discuter. Malheureusement pour elle, elle était plutôt mal tombée. Ilmarë n'avait jamais eu d'amies, mais cela ne lui avait pas manqué, la solitude en était devenue une. Devait-elle chercher à en avoir, maintenant qu'elle était revenue ? Elle ne pouvait pas fréquenter uniquement son père. Elle fut incapable de répondre à ses questions. Oui elle avait voyagé, elle avait vécu dans toutes les campagnes, toutes les forêts d'Azthia durant deux ans. Ses muscles s'étaient déjà formés avant cela, mais ils lui avaient permis de survivre également. Elle hocha la tête pour lui répondre. Elle ne pouvait guère faire grand chose d'autre, et elle en était désolée pour l'elfe qui désirait discuter. Un blanc s’installa. On entendit les deux ivrognes du bar discuter . Ils s’efforçaient de chuchoter mais dans leur état c'était visiblement peine perdue :

- « Hé t'as vu, sa fille, ben elle a pas retrouvé la parole ! »
- « Oué, c'est foutu, vu qu'elle est muette, c'est comme te voir sans un coup dans l'nez ! »
- « Beh nooon, elle parlait avant, mais pu d'puis ce jour là, t'sais il en avait parlé le gars Luthien ! T'sais, c'est quand... hummmmpf ! »

Le visage d'Ilmarë s'était fermé, elle fronçait les sourcils et sa main droite s'était instinctivement posée sur le manche de son épée. Elle jetait un regard noir aux deux ivrognes. L'espace d'un instant, ses yeux devinrent rouges, mais un instant tellement furtif qu'on aurait pu croire avoir rêvé. Lorsque son regard croisa celui d'un des deux ivrognes, celui ci donna un coup de coude dans les côtes de son compagnon, qui s'arrêta directement de parler, le temps de reprendre son souffle.

- « Et ce jour là, tu t'rappelles comment ça s'est fini ? »

Celui qui avait reçu un coup dans les côtes posa la main sur sa joue: visiblement, il s'en souvenait. Il grommela quelque chose et il reçut un second coup de l'autre qui jeta un coup d’œil furtif à l'elfe noire, pour vérifier si elle n'avait pas entendu. D'un geste, le tavernier les invita à sortir, ce qu'ils firent aussitôt. Aussi vite que leurs jambes molles le permettaient. Elle était visiblement énervée. Comment osaient-ils seulement parler de sa mère ? Personne n'en avait jamais parlé en sa présence, personne ! Même son père n'avait jamais abordé le sujet avec elle. Qu'il aie put en parler avec ces deux hommes pitoyables la sidérait. Etait-il tombé si bas lors de son absence ? A combien de personnes s'était-il donc livré ? Certes son père avait le droit d'avoir des amis, mais il pourrait tout de même mieux les choisir ! Ils avaient de la chance, on se trouvait en ville et ne désirait pas faire de vagues, ni attirer l'attention sur elle. Quoique pour ce point c'était raté. Heureusement qu’il n'y avait pas grand monde à cette heure ci. Elle reprit doucement son calme, et adressa un sourire à l'elfe assise en face d'elle pour dissiper le malaise, si il y en avait eu. Ne sachant comment agir, elle lâcha son épée, saisit son verre, qu'elle fit tinter avec celui de Flowène, et le fini d'un trait. Puis elle le reposa et montra du doigt sa compagne. Si Ilmarë ne pouvait pas parler, son interlocutrice, elle, le pouvait. Elle pouvait même parler de n'importe quoi, puisqu'Ilmarë ne pouvait pas poser de questions. Peu importe, elle aimait écouter, pour le peu qu'on lui raconte de belles histoires. Flowène allait-elle lui conter ses périples? Ou la façon dont elle avait rencontré ses animaux? Ou bien se contenterait-elle de partir, ne désirant pas parler d'elle?

Ilmarë hocha plusieurs fois la tête pour répondre oui à toutes les questions que Flowène lui posait. L'Elfe grimaça. Elle ne s'était jamais rendue compte (ou ne s'était jamais posée la question) que la conversation pouvait être plutôt limitée avec une muette. A part dire oui ou non, Ilmarë ne pouvait dire grand chose ! Et ne détaillait aucune réponse. Ce qui, malgré toute la bonne volonté de l'elfe aux cheveux azurés, limitait assez les échanges. Devait-elle abandonner son interlocutrice à sa solitude ? Ce serait assez impoli. Puis, ça retardait vachement la confrontation qu'elle devrait avoir avec ses parents. Et c'était forcément un avantage. Plus tard elle devrait retrouver sa famille, mieux elle se porterait...
La belle allait reprendre la parole, quand des voix l'interrompirent dans son élan :

« Hé t'as vu, sa fille, ben elle a pas retrouvé la parole !
- Oué, c'est foutu, vu qu'elle est muette, c'est comme te voir sans un coup dans l'nez !
- Beh nooon, elle parlait avant, mais pu d'puis ce jour là, t'sais il en avait parlé le gars Luthien ! T'sais, c'est quand... hummmmpf ! »

De qui parlaient-ils ? D'Ilmarë. Evidemment, il n'y avait pas trente-six muettes ! Flowène tendit l'oreille. Elle savait qu'elle était menée par une curiosité malsaine. Mais après tout, elle allait peut-être enfin savoir pourquoi Ilmarë ne parlait pas. Au moins savait-elle à présent que c'était par choix. C'était déjà ça.
Ben quoi ? Elle avait bien le droit de savoir !
Flowène regarda discrètement vers le bar. C'était deux ivrognes qui essayaient (vainement) de parler à voix basses. Et fallait dire que ça ne marchait pas vraiment bien !
Et ces paroles ne semblaient pas plaire à Ilmarë, qui soudain, le visage fermé, posa la main sur le pommeau de son épée. Et le regard qu'elle jeta aux deux hommes n'avait rien de sympathique et engageant ! Apparemment, l'elfe noire semblait plutôt secrète. Et n'aimait pas qu'on crie ses secrets sur tous les toits.

« Et ce jour là, tu t'rappelles comment ça s'est fini ? »

Celui qui parlait se prit un deuxième coup après avoir grommelé quelque chose. Puis, les deux hommes se tournèrent vers Ilmarë, presque craintifs. Qu'avait-elle pu faire pour être aussi célèbre ici ?!
Flowène se demanda si elle devait les questionner. Après tout, l'occasion lui était offerte d'en savoir plus. Mais en même temps... Ne serait-ce pas trahir Ilmarë ? Elle la connaissait à peine, mais ne voulait pas que l'elfe noire puisse lui en vouloir. Si elle était muette, c'était pour ne rien pouvoir dire. Avait-elle le droit de l'obliger à trahir son secret ? D'aller voir les deux hommes et de leur demander des réponses ?
Mais en même temps, ils étaient ivres. Et si l'Elfe détestait les hommes, elle avait une peur quasi religieuse des hommes IVRES ! Ils n'étaient pas très sobres ceux qui lui avaient pourri la vie quand elle était si jeune. Quand elle avait repris le Bar Bu, elle avait promis qu'il garderait la réputation qu'il avait du temps de la dénommée Gaëlle : celle de ne jamais laissé repartir quelqu'un d'ivre mort. C'était ce genre d'établissement qui avait causé tous ses ennuis. Qui l'avait obligée à quitter Silmarie pour aller dans une Cité sans hommes. Qui l'avait obligée à se tenir loin des siens. Elle ne tenait pas plus que ça à se frotter à eux...
Heureusement, le chef de l'établissement lui évita de faire son choix en virant les deux ivrognes.
Flowène se tourna vers Ilmarë. Qui semblait très énervée. L'Elfe se sentit un peu mal à l'aise, jusqu'à ce qu'elle se tourne vers elle et lui sourit. Elle lâcha son épée, et fit tinter son verre avec la tasse dans un petit tintement, avant de le reposer et de désigner la belle aux cheveux azurés du doigt. Flowène fronça les sourcils. Ilmarë ne pouvait pas parler, et elle voulait que son interlocutrice s'en charge. Mais que pouvait-elle bien dire au juste ? La belle n'aimait pas du tout raconter sa vie, parce qu'il n'y avait rien à raconter, tout simplement. A part cet épisode quand elle était petite, mais ça, hors de question d'aborder le sujet !

« Tu as l'air d'aimer les animaux. Je me trompe ? Moi aussi je les adore, depuis toute petite. »

Et, sans même s'en rendre compte, la belle lui raconta comment elle avait rencontré Perce-Neige (ou plutôt comment cet oiseau l'avait suivie !) et comment et pourquoi elle avait sauvé Avalanche, quand celle-ci était apparue devant elle, blessée. Comment elle l'avait soignée. Bien évidemment, elle « omit » le détail qu'elle l'avait rencontrée dans la cité Amazone. Ou qu'elle vivait à Muria. Ilmarë avait ses secrets, Flowène les siens...

Oh là là!! J'arrêtais pas de me dire de te répondre mais je pensais pas que ça faisait aussi longtemps quand même!! Vraiment désolée j'ai aucune excuse à ce point là Embarassed

Sa compagne de table s'était simplement tournée vers les deux bavards et n'avait pas cherché à savoir de quoi ils parlaient. Et tant mieux! Elle n'aimait guère les bars, surtout où il y avait des gens bourrés. Elle y avait accompagné son père et voila qu'il l'avait laissée en plan, ce n'était pas très agréable. Heureusement la jeune elfe assise en face d'elle lui tenait compagnie, et elle avait compris d'un seul signe qu'Ilmarë désire qu'elle parle. Et elle ne se fit pas prier. Cela lui fera oublier cet épisode.

- « Tu as l'air d'aimer les animaux. Je me trompe ? Moi aussi je les adore, depuis toute petite. »

Oh que oui, elle les respectait et les observait souvent. Surtout les sauvages, on pouvait apprendre tellement d'eux. C'est ainsi qu'elle avait apprit que certaines baies étaient comestibles et non d'autres, que ce champignon était dangereux et pas celui ci. Elle avait dù en tuer oui c'est certain pour pouvoir se nourrir, mais ce n'était jamais de gaieté de coeur. Et toujours des petits animaux, dont elle savait qu'elle pourrait tout manger et ne pas perdre de viande. C'était si abbérant d'ôter une vie pour ensuite gâcher ce pour quoi on le faisait! Elles avaient au moins un point en commun. Enfin plutôt un second, elles étaient toutes les deux d'origine elfique. Elle écouta patiemment et avec attention les rencontres de Flowène avec ses divers animaux. Elle trouvait cela fabuleux. Ilmarë, même si elle respectait les animaux, n'avait jamais osé les approcher pour faire ami ami avec eux. Elle se voyait mal les arracher à leur vie sauvage, et n'avait jamais compris ceux qui se baladaient en ville avec eux, comme des trophées. Mais à en écouter Flowène, l'attachement était mutuel. Et ce n'était même pas elle qui les avait obligée à la suivre! Ils avaient prit cette décision d'eux mêmes. C'était une amitié vraiment magique, sans aucune limite. Ils semblaient bien plus fidèles que des humains. L'elfe était vraiment admirative. Elle fit signe au tavernier de remplir leurs deux verres. Après tout, c'était son père qui payait, et comme il l'avait laissée en plan elle n'allait pas s'en priver.

Elle laissa son esprit vagabonder, se laissa porter par la voix de son interlocutrice. Et si elle avait vécu ces deux dernières années aux côtés d'un animal? Comment cela ce serait-il passé? Et surtout, si elle avait eu quelqu'un comme un loup féroce lors de ces deux journées là? Sa mère serait-elle encore en vie? Et son mari ainsi que son fils? Comment serait sa vie actuellement? Elle ne serait certainement pas là à boire un verre en tête à tête avec une inconnue. Elle aurait un chez elle, avec son mari, son fils. Heureuse. Peut-être même avec d'autres enfants. Ça, jamais plus elle n'y aurait droit, désormais. Elle n'était plus une femme à part entière. D'un coté, cela l'avait bien arrangée durant ces dernières années. Mais d'un autre... Jamais plus elle ne sentirais la vie grandir en elle, voir son corps se transformer et protéger son enfant du monde extérieur. Sentir quelque chose bouger en soi, et se dire que ce n'était autre que la vie. Quoi de plus miraculeux?

Elle sorti de ses pensées et se re concentra sur les paroles de son interlocutrice. C'était comme cela, point, y penser ne faisait que tourner le couteau dans la plaie et c'est tout. Il fallait qu'elle avance, qu'elle cesse d'y penser, elle ne pourrait rien y changer désormais. Elle s'occupait d'Eloween maintenant, c'était tout ce qui comptait. Et elle pouvait donner sans crainte aucune tout cet amour maternel à cette enfant. Ce qu’elle faisait. Le temps commença à passer et le bar à se remplir. Et Ilmarë buvait aussi goulument son verre que les paroles de Flowène. Le lait, c'était une des choses qui lui avaient manqué. Elle redécouvrait les joies de la vie en société. Le lait, et un bon lit bien douillet.

Flowène s'écoutait à peine parler. Plus ses paroles se déversaient hors de sa bouche comme une rivière impétueuse qui sort de son lit, plus elle se laissait emporter par ses souvenirs. Ilmarë ne pouvait pas l'interrompre, et quand on la lançait, il était difficile de faire taire l'Elfe aux cheveux azurés, même lorsqu'on était pas muette !
La rencontre avec Avalanche, surtout, revivait dans sa mémoire. Elle se rappelait la première fois qu'elle avait croisé ce regard vert, plus brillant que la plus pure des émeraudes et plus profond que les océans. Elle se souvenait comme elle s'était sentie impressionnée par cette intelligence qui s'y reflétait. Elle se souvenait de cette pitié qui l'avait envahie quand elle s'était rendue compte que l'animal était blessé. Elle se souvenait du lien qui s'était instantanément créé entre elles.
La demoiselle ne l'avait jamais compris, ce lien étrange qui l'unissait à ses deux bestioles. Il était plus fort que tout ce qu'elle connaissait de l'amitié entre humains. A présent, si on lui demandait qui de sa famille ou de ses animaux elle préférait, elle n'était pas sûr de pouvoir répondre. Elle les mettait quasiment sur le même niveau. Parfois, elle sentait que, même si elles ne pouvaient parler entre elles, c'était une autre forme de complicité qui s'était installée. Une complicité qui n'avait pas besoin de mots. Flowène savait qu'elle pouvait leur confier sa vie, elle comprenait leurs ''sentiments'' (même si, d'une certaine façon, les animaux n'éprouvaient pas vraiment de sentiments, la demoiselle ne pouvait nommer autrement ces impressions, ces idées que se transmettaient les animaux par diverses façons). En réalité, elle comprenait presque leur langage. Elle comprenait quand l'une ou l'autre était agacée, chacune le montrant de manière différente. C'était plus des signaux qu'elles faisaient avec leur corps qu'une langue propre.
Parfois, l'Elfe avait l'impression qu'elle était aussi animale qu'Avalanche ou Perce-Neige.

Bientôt, elle n'eut plus rien à raconter. Elle espérait qu'Ilmarë comprenait ce qu'elle essayait d'exprimer quelque eu maladroitement : ses deux bestioles étaient ses amies.

''Je n'ai jamais été une personne très sociale. Mais entre nous s'est tissé un lien qui se rapproche, à mes yeux, d'une amitié sincère. Je leur confierais ma vie si besoin était. J'ai plus confiance en elles qu'en la race humaine. Peut-être me prenez-vous pour une folle, de m'enticher de deux animaux sauvages et de penser qu'elle m'apprécient. Mais je sais ce que je ressens : je ne les ai pas à proprement parler dressées. C'est elle qui m'ont apprivoisées.''

Il était étrange de confier ainsi des détails aussi intimes de sa vie à une parfaite étrangère. Mais Ilmarë ne parlant pas, si ce n'était pas Flowène qui faisait la conversation...
La demoiselle cligna des yeux et s'aperçut que son interlocutrice avait commandé deux nouveaux verres pour les deux femmes. Emportée par son récit, elle ne s'en était même pas rendue compte.

''Je vous remercie, pour le verre... Je ne m'étais même aperçue que... Enfin, c'est gentil à vous.''

Peut-être Ilmarë l'appréciait-elle, après tout. Sinon, elle n'aurait sûrement pas commandé de verre pour elle. L'Elfe attrapa le sien et le porta à ses lèvres, quelque peu gênée. Mais voyez-vous, elle était une personne passionnée dans ce qu'elle faisait. Quand elle étudiait quelque chose, ce n'était pas à moitié ! Elle s'y mettait à fond, par curiosité. Quand elle racontait quelque chose, surtout d'aussi personnel, c'était pareil. Il n'était pas facile de délier sa langue, mais quand cela était fait, ça allait tout seul !
Le plus étrange, c'était qu'Ilmarë n'avait rien eu à faire, rien eu à dire. C'était sûrement parce qu'elle était muette que la demoiselle se livrait autant.

''Vous allez peut-être trouver ma question impolie, mais c'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui ne parle pas. Ce n'est pas difficile dans la vie de tous les jours ?''

Drôle de question, surtout posée à une muette qui ne pouvait répondre...

Contenu sponsorisé

» [FA] Les bienfaits des flammes [PV: Lunielle] [termine]
» La sombre Ilmarë
» Dossier d'Ilmarë
» [FA] La promesse d'un avenir (mission Ilmarë)
» [FE]{PV : Ilmarë}Recherches morbides et belle voyageuse. (fini)

[DA] Les bienfaits d'une rencontre [PV Ilmarë]

[DA] Les bienfaits d'une rencontre [PV Ilmarë]

Sujets similaires

Sujets similaires