Quel beau bordel. Entre les problèmes à Tamawa et le jumeau maléfique d’Auween qui semblait m’en vouloir vraiment pour des clopinettes, j’avais du mal à m’imaginer pouvoir donner un coup de main à mes anciens frères d’arme. Pourtant, même si Ewan m’avait paru plutôt hostile, il n’était pas un mauvais bougre, c’était impossible pour la simple et bonne raison qu’il était le frère de mon aimée. Il faudrait certainement du temps pour que les tensions entre l’aube et le crépuscule s’amenuisent et si j’avais le choix, je pense que je ne serais plus du crépuscule à cet instant. Auween m’avait amené à réfléchir sur mon futur, le sien, le notre. Rester un templier renégat ne nous donnerait rien d’autre que des ennuis mais comment pourrais-je convaincre Maître Jacen de mes bonnes intentions ?
Le froid de canard de Silmarie m’empêchait de réfléchir tranquillement, je filais me mettre à l’abri en restant positif. J’avais de la chance dans mon malheur, j’avais trouvé l’amour, sincère et fort mais ne pouvait m’empêcher de me remémorer la cruauté avec laquelle j’avais été privé de bien des personnes que j’aimais et estimaient au dessus de ma propre vie. Arrivé à l’auberge, je m’allongeais sur le lit en me ressassant d’innombrables souvenirs mais trouvait peu à peu l’équilibre, si bien que le sommeil vint lui-même m’arracher sournoisement au reste du monde.

********

Quelqu’un tambourinait à la porte, je me retournais machinalement pour orienter mes oreilles dans une autre direction et atténuer le bruit. Mais visiblement, je n’allais pas pourvoir dormir plus longtemps. Soudainement, je distinguais une voix, unique en son genre et pour cause, cela devait faire bien plus de dix ans que je ne l’avais entendue. Je me réveillais en sursaut, si bien que je manquais de tomber du lit. J’étais bluffé, j’étais pourtant persuadé de m’être endormi autre part que dans cette chambre, pourquoi entendais-je cette voix si familière ? Qu’est-ce qui m’arrivait, en réalité ?
Approchant en titubant à la porte, mal réveillé, j’hésitais encore un moment avant d’ouvrir la porte et finalement, j’avais simplement le droit de me faire plaquer au sol. Mais pas par n’importe qui, probablement la personne la plus improbable au monde sur le moment, en enfant de cinq ans et pas n’importe qui. Ferris, pourquoi était-elle là, pourquoi ma sœur me regardait-elle avec son grand sourire alors que cela faisait déjà plus de six ans que j’avais appris sa mort ? Je devais rêver, c’était forcément ça. Quoi qu’en fin de compte, elle était là, elle avait ses bras autour de mon cou et me parlait. Sous le choc, je lui prenais la main et je pouvais ressentir sa présence, elle avait même son collier autour du cou, complet. Je ne devais finalement pas rêver autant que je pensais.

Ferris avait ce même air insistant qu’elle avait à chaque fois qu’elle voulait me demander quelque chose, consciente que je ne pouvais presque jamais le lui refuser, je lui répondis simplement.

« - Allons-y alors. »

Me redressant le premier, je prenais ma sœur par les deux mains pour l’aider également à se relever, nous prenions alors le chemin de la salle à manger. J’étais frustré parce qui m’arrivait mais en même temps la présence de Ferris me rassurait, je me sentais vivant, tout me semblait si réel… Si réel.
Le pire allait surement venir, mais pour l’instant, je n’y prêtais pas la moindre attention.

La salle à manger était telle que dans mes souvenirs, grande et riche en couleurs. Ferris me poussait à m’asseoir sur un siège et sur la table trônais une multitude de mets et un bol de chocolat. Je souriais lorsqu’elle m’annonçait fièrement avoir tout préparé elle-même, ce que j’avais su vrai et faux à la fois, puisqu’elle avait toujours été si gentiment aidée par les employés de la maison qui l’adoraient tous. Le geste était là, la gentillesse naturelle de Ferris avait toujours été un contraste flagrant avec le caractère pourri de mes parents. J’étais heureux qu’elle soit là, heureux de retrouver sa bonne humeur malgré tout ce que je savais arrivé.

« - Heureusement que tu es là pour prendre soin de moi, je ne sais pas ce que je deviendrais sinon ! »

Un sourire et un petit bisou sur le front, chose que je n’avais pas non plus eu l’occasion de faire depuis longtemps à l’égard de ma petite sœur. Le calme et la sérénité avaient envahi la pièce, rien ne semblait pouvoir nous perturber et nous empêcher d’être heureux ici. A peine avais-je fini le repas préparé que Ferris m’encourageait déjà à aller nous promener au fond du jardin. La promenade tranquille se termina bien vite en bataille d’eau, chose peu courante d’une manière générale car je me souvenais que le peu de fois ou c’était arrivé, la sorcière des lieux avait sauté sur l’occasion pour accabler ma sœur. Mais cette fois, rien, personne n’était dans les environs et l’Esprit ne me révélait rien, de personne, même pas de ma sœur. Pour des raisons inconnues, probablement le fait que l’Esprit ne fonctionnait pas dans les rêves ou d’autres choses… Je m’en fichais, j’étais heureux de profiter d’un instant avec Ferris.

« - Je ne laisserai plus jamais Maman t’appeler par de tels noms, tu es ma sœur Ferris, et personne d’autre. »

Machinalement je la serrais dans mes bras un instant, encore une fois les vieilles habitudes avaient tendance à resurgir, chaque fois que Ferris avait du subir les affronts constant de ma mère, j’avais toujours fait cela, pour la rassurer, la protéger et pour faire comprendre à ma mère quelle garce elle était. Nous laissions passer ce moment en nous couchant dans l’herbe, admirant les nuages. Ça aussi, nous avions rarement pu le faire sans qu’il y ait des représailles. Un tigre, un dragon et des éclats de rires animaient le moment, Ferris avait une imagination débordante également, je ne voyais pas du tout un dragon dans le deuxième nuage.

« - Je vois une fleur, une frêle petite fleur qui cherche à grandir, à devenir forte… »

Elle était déjà repartie gambader non loin du puits, Je ne sais pourquoi à cet instant j’avais une sale impression qui germait dans mon esprit. Une peur me nouait l’estomac et les voix que j’entendais se lever au loin ne signifiaient rien de bon. La première, celle de Ferris était comme affolée et la deuxième me fit sursauter et m’enragèrent aussi rapidement qu’a l’accoutumée. Au pas de course je revenais au puits également et elle était là, celle à qui je devais tout le mal de mon enfance. Ferris n’est plus là mais un bref écho persiste, je n’avais plus d’armes à disposition mais attraper ma mère pour lui fendre le crane contre le rebord du puits me traverse l’esprit un instant, sauf qu’elle n’est déjà plus là non plus. Je prends alors sur moi pour courir aussi vite que possible dans la direction d’où semblait provenir la source de la réverbération, je ne savais pas ou j’allais, mais j’y allait, avec une grande vitesse et en hurlant par intermittence le nom de ma sœur. Entre me venger de ma mère et protéger ma sœur, le choix était rapide, même si tuer était terriblement soulageant dans son cas, je ne pouvais abandonner ma sœur à deux reprises, je devais la retrouver et le garder près de moi aussi longtemps que je le pourrais et cette fois, j’avais bien plus de force qu’à l’époque.

Je n’avais pas envie de la perdre une seconde fois, même pas dans un rêve, je ne pourrais le supporter. La frontière entre rêve et cauchemar était ridiculement fine, il ne tenait qu’a moi de la conserver intacte.

Courir ne semblait mener nulle part. Pourtant je courais, aveuglément dans la direction qui me semblait la plus probable. Je ne voyais rien, pas même l’inconnue que je venais de percuter comme un idiot. Le choc fut violent et sur le coup je ne réagissais pas très rapidement, toujours sous le choc de la disparition de ma petite sœur. Néanmoins, je me précipitais pour aller aider cette inconnue finalement pas si inconnue. Si même le monde des rêves se mettait à me tourmenter, je trouvais la blague très peu étoffée et passablement cruelle.
Par tous les dieux, pourquoi après ma petite Ferris je me retrouvais en face d’Elenwë ?

Je reste alors stupéfait, non seulement parce qu’elle était bel et bien en face de moi, toujours à me taquiner ou à me réprimander pour mes idioties mais également parce que même maintenant, je me rendais compte à quel point j’avais pu oublier le peu de patience dont elle pouvait faire preuve à chaque fois que j’oubliais complètement de lui répondre.
Elle me secouait, me fixait avec ses prunelles azur et agitait sa main rapidement devant moi, je ne pouvais bouger. Elle aurait très bien pu me gifler que je n’aurai pas su réagir et pourtant je savais qu’elle m’aurait fait mal, c’est qu’elle avait de la force, mine de rien.

Et pourtant j’étais conscient de chacune de ses paroles, particulièrement celles concernant ma sœur qui sonnèrent à mes oreilles comme un coup de poignard en plein cœur.

« - Ferris… Elle… Ma sœur… Elle était là...»

La patience de ma meilleure amie arrivait à son terme, je m’en rendais compte lorsqu’elle prononçait ces dures paroles qui venaient m’enfoncer un peu plus cette même dague dans le corps. Mon regard se fixa alors dans le sien et je la prenais dans mes bras, parce que je ne voulais pas qu’on me l’arrache à nouveau, elle non plus. J’avais perdu Ferris de vue mais Elenwë elle, ne me serait pas enlevée, pas même ici, même si je devais me battre contre tous les dieux du panthéon, je m’en fichais, je la garderai près de moi, parce que sa mort avait été aussi injuste que celle de Ferris dans la réalité mais aussi parce qu’Elenwë avait toujours été forte pour me soutenir, et moi, qu’avais-je fait pour elle si ce n’est la faire souffrir ?

« - Elen’… Je suis désolé je… Ne dis pas des atrocités pareilles, je ne supporterai pas qu’il t’arrive malheur, tu es tout ce que j’ai de plus cher au monde. »

C’était vrai sans l’être, sur l’instant présent elle était toute ma vie, tout ce qui me restait de ce passé fracturé. J’avais revu Ferris, j’avais espoir de la retrouver dans ce rêve et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de penser à Auween. Elenwë m’aimait plus que je ne l’avais jamais soupçonné et moi j’aimais Auween, l’un des vœux les plus chers aurait été de pouvoir les faire se rencontrer, je suis certain qu’elles se seraient très bien entendues, tout comme elles se seraient entendue avec Ferris et tout comme Elenwë aurait apprécié ma petite sœur à sa juste valeur, pas comme mes parents.

Mais ma question restait entière et j’avais déjà peur de la suite des événements, retrouver Ferris pour entendre le rire de ma mère et la sentir s’éloigner de moi, maintenant je retrouvais mon amie qui avait été sauvagement mutilée par un salopard que j’avais juré de retrouver, j’avais déjà une vague idée du mal qui m’attendait tandis que la fracture entre le rêve et le cauchemar me semblait inévitable, pour l’instant, je ne trouvais rien de mieux à faire que de laisser une larme couler sur ma joue tout en serrant Elenwë dans mes bras.

« - Elen’, je vais surement te paraître égoïste mais, peux-tu rester à mes côtés un moment ? Je… J’ai l’impression de me sentir horriblement mal tout en étant terriblement heureux et ça me perturbe, j’ai mal alors que je suis indemne et ça me rend malade. Mon âme se brise petit à petit et je marche vers la folie, c’est du moins l’impression que j’ai… »

Mes propos étaient probablement incohérents pour le commun des mortels mais personne ne me connaissait aussi bien qu’elle, même Auween avait encore du chemin pour interpréter la moindre de mes actions, peut être parce que cela faisait encore trop peu de temps que nous étions ensemble, Elenwë m’avait côtoyé pendant des années et elle avait appris à me consoler envers et contre tout… Au péril de sa vie…

Je me demandais à l’instant depuis combien de temps je n’avais pas eu le droit à cette étreinte réconfortante de ma meilleure amie. Longtemps mais pas assez pour que je l’oublie, si tenté qu’il soit possible d’oublier les personnes qui ont le plus marqué son existence. Sa façon d’être, ses manières, ses gestes, son rire… Elenwë avait toujours eu un atout dans sa manche pour me faire retrouver le sourire ou, tout du moins, me consoler. Je ne comprenais toujours pas pourquoi le destin nous avait séparés si cruellement et pourtant elle demeurait la même, même dans un rêve. Si spontanée et franche, toujours à l’écoute et toujours aussi aimante… J’en avais bien peur.
Nous avions tous les deux une conception différente de notre relation, je l’avais toujours vu et la voyait encore comme une amie, elle m’avait toujours caché son amour pour moi sauf à la fin, au moment ou son cœur, dans un dernier soupir avait décidé de laisser filer ce petit secret qu’elle avait enfermé en elle pendant toutes ces années. Elle avait souffert en silence de mon indifférence pendant des années, j’avais été idiot et je ne pourrais jamais me le faire pardonner. J’étais de toute manière toujours aussi idiot de penser que j’aurai pu être capable de changer quoi que ce soit. Mon impuissance de l’époque avait fait que je n’avais pas pu la protéger, comme je n’avais pas pu protéger Ferris avant elle. J’avais merdé, sur toute la ligne et depuis l’âge de huit ans.

« - Tu as raison, je suis surement idiot… »

Dans tous les cas, à chaque fois qu’elle prononçait cette fameuse réplique : « T’es idiot ou quoi ? » Je me rends compte avec le recul qu’elle avait eu raison à chaque fois. Une petite boutade tristement révélatrice, j’en ai bien peur. Une fois calmé, par je ne sais quel autre pouvoir qu’elle avait sur moi, tout comme Auween -probablement un talent caché des elfes…- elle me demandait calmement ce qu’il m’arrivait, légèrement chamboulé, je ne répondais pas tout de suite mais devant son air attentif teinté de surprise, je finissais par raconter ce qui m’était arrivé.

« - Je me suis réveillé dans la chambre de mon enfance, Ferris était là, elle frappait à la porte en attendant que je lui ouvre… Elle m’a emmené dans la salle à manger pour le petit déjeuner puis nous sommes allé nous promener tous les deux dans le jardin, à regarder les nuages et rigoler comme nous avions l’habitude de le faire. Etrangement, je ne ressentais pas la présence de mes parents qui avaient l’habitude de la martyriser, tout était d’un horrible calme, comme celui d’avant la tempête… Elle s’est dérobé à mon regard une fraction de seconde et a disparue, à la place il n’y avait qu’un écho et le rire dément de ma mère, j’ai couru, encore et encore en hurlant son nom, espérant la retrouver mais finalement je… Enfin tu connais la suite après ça… »

Je marque une pause, je me demandais maintenant en quoi raconter tout cela à Elenwë m’aiderait en quoi que ce soit, techniquement parlant elle n’était plus elle non plus, même si ce rêve me rendait à la fois heureux et anxieux parce que je revoyais des personnes qui m’étaient chères, la logique voulait qu’Elenwë me prenne pour un fou, elle qui n’avait jamais connu Ferris et n’avait même jamais approché de Cydonia… En réalité, avoir Elenwë en face de moi sous entendais Tamawa, Ankdor et par conséquent, le temple, les autres templiers. Mon ancienne vie, en somme. J’étais perdu mais ne le montrait pas, tout ceci devait avoir un sens, pourquoi rêverais-je de mon propre passé de manière si incohérente ? Mes souvenirs étaient clairs dans ma tête et la manière dont ils s’enchaînaient était on ne peut plus improbable après tout.

« - Elen’, s’il te plait, dit moi ce qu’il se passe… Pourquoi me parles-tu de retrouver ma sœur, alors que c’est au moment de sa mort que nous nous sommes rencontrés ? Tout cela n’a pas de sens…»

C’était comme ça, logique en même temps, comment les personnes appartenant à mon passé pourraient me prédire mon avenir ? Elenwë était cependant pleinement consciente de ce qu’elle était et de là ou je me trouvais, cela devait vouloir dire que c’était mon propre esprit qui l’imaginait a cet instant, je la connaissais mieux que tout, Elle, Ferris… Il n’était pas très compliqué de m’imaginer leurs réactions et leur façon d’être, même après toutes ces années. Elenwë n’avait jamais connu Ferris mais si c’était bel et bien mon esprit qui manipulait celle qui se trouvait en face de moi alors tout devenait possible, qu’elle sache à quoi elle ressemble, sa voix, sa façon d’être était liée directement à mes souvenirs et par extension, Ferris serait alors elle aussi capable de reconnaitre ma meilleure amie alors qu’elle ne l’a jamais croisée non plus.
Tout devenait un peu plus clair mais je ne comprenais toujours pas la finalité de ce semi-cauchemar. Tandis qu’elle me sortait une phrase que je ne comprenais toujours pas, je tentais toujours de faire usage de mes aptitudes mais sans succès. Impossible de chercher avec l’Esprit s’il y avait des gens à proximité. En même temps il m’était difficile de me concentrer, j’avais peur qu’Elenwë me soit enlevée une seconde fois, tout comme je venais à l’instant de perdre Ferris. Incompréhensible et cruel, ce rêve n’était ni plus ni moins qu’une torture mentale à mes yeux. Cependant mon amie écourta une nouvelle fois ma réflexion en me forçant à me lever, décrétant qu’elle sentait quelqu’un à proximité. J’étais surpris, moi je ne sentais rien, avais-je perdu toutes mes compétences au même moment ? Ou peut être était-ce un genre de test ?
Elen’ courrait déjà en direction de l’endroit qu’elle m’indiquait, je la suivais aisément, j’avais toujours couru un peu plus vite qu’elle. Non sans surprise j’étais revenu à la case départ : Le puits au fond du jardin de la demeure familiale. Pourquoi ? Nous nous séparions, prenant garde à toujours avoir l’un dans le champ de vision de l’autre, je ne voulais pas qu’elle disparaisse elle aussi. A peine quelques minutes plus tard, Elenwë m’appelait et les surprises s’enchainaient, elle avait trouvé Ferris, je la reconnaîtrais entre milles. Assoupie ou inconsciente, je n’en avais pas la moindre idée mais je remarquais qu’elle avait vieillit d’au moins cinq ans par rapport à plus tôt. J’avais été séparé de ma sœur lorsqu’elle avait huit ans, lorsque j’ai été envoyé au temple, la voir alors âgée d’environ dix ans est comme un choc, une parcelle de mon passé que je découvrais pour la première fois. Mais il ne s’agissait là que d’un rêve et il me semblait peu logique que cette représentation de ma sœur soit si fidèle à la réalité. Néanmoins elle étai là, elles étaient toutes les deux là, deux des trois femmes les plus importantes de ma vie. Il n’aurait manqué qu’Auween pour être parfaitement heureux.

Je prenais Ferris dans mes bras, m’asseyant en tailleur en face d’Elenwë, je serrais la petite contre moi en déposant un petit bisou sur son front et en caressant sa joue avec mon index. J’avais eu l’habitude de le faire lorsque j’allais la réveiller le matin, elle y était habituée et elle avait toujours été très contente que je sois la première personne qu’elle puisse voir à son réveil. Elenwë s’asseyait à côté de moi, silencieuse. Je me décidais à parler avec Elenwë, la questionner et tenter d’approfondir mon raisonnement de plus tôt.

« - Elen’, je sais que d’ordinaire tu m’aurais encore dit que j’étais fou mais puisque toi-même tu as conscience d’avoir été envoyée ici parce que j’en avais besoin, je pense que ce rêve est animé par mes propres souvenirs et si c’est bien le cas, je suppose que tu sais tout ce que j’ai fait depuis… Ce jour. Je sais que tu n’as jamais vraiment porté les templiers crépusculaires dans ton cœur mais je sais aussi que tu sais pourquoi j’ai choisi cette voie et que tu sais également ce que j’ai prévu de faire. Je te connais assez bien pour savoir comment tu vas réagir alors si tu tiens tant que ça à me gifler pour ma stupidité, profites en pendant que Ferris est encore inconsciente, s’il te plait. »

Effectivement, que je quitte Ankdor pour retrouver celui qui l’avait tué n’était pas le genre de comportement qu’elle aurait pu approuver. Elle ne m’avait giflé qu’une fois par le passé et je l’avais bien mérité. Elenwë était la seule qui avait réussi à me garder sur le droit chemin pendant des années, et maintenant c’était Auween qui souhaitait que je revienne au temple, parmi les miens. Cela devait être typique des elfes, j’imaginais. Peut être que le but de ce rêve était de me permettre de faire la paix avec moi-même mais il était encore trop tôt pour ça, je n’étais plus loin de découvrir l’identité de celui qui m’avait volé ma meilleure amie. Si je n’avais pas été capable de faire payer à me mère l’horreur qu’elle avait fait subir à ma sœur, j’étais déterminé à retrouver celui qui avait lâchement tué ma templière adorée. A défaut d’avoir pu les sauver toutes les deux, j’œuvrais pour qu’un semblant de justice ne rende pas leurs morts vaines. Mais pour le moment, je les avais là, toutes les deux, passant un bras autour d’Elenwë pour la serrer contre moi, je tenais Ferris de l’autre, pouvoir profiter une fois plus d’un moment avec elles et en même temps était déjà un gros cadeau que l’on pouvait me faire.

Ferris s’était réveillée, venant visiblement contredire ma pensée précédente puisqu’elle ne semblait pas connaître Elenwë. Mais je ne comprenais pas pourquoi mon amie la connaissait elle, ce n’était pas logique. Ou alors je n’avais pas tout à fait tort mais j’avais mal interprété les choses. Elenwë était apparue dans ma vie lors de la mort de Ferris, elle savait que ma sœur avait existé et nous en avions parlé par la suite, l’amitié prenant place entre nous deux au fil des jours et des semaines. Ferris de son côté n’avait jamais entendu parler d’Elenwë, ce qui était normal après tout pour des raisons ma foi bien douloureuses. C’était peut être ça le lien, la raison pour laquelle l’une semblait connaître l’autre ou du moins savoir qui elle était et non l’inverse. Je sortais de mes pensées au moment ou Ferris me comptait ce qui s’était réellement passé et ce n’était pas m’énerver passablement. Elenwë avait du le sentir puisque je ne pouvais plus utiliser l’Esprit, la colère et la peur, cette même peur qu’elle avait ressenti lorsque je l’avais vue mourir, la tristesse et la colère.

« - Tout va bien Ferris, je suis là maintenant, et elle aussi ! »

Je désignais Elenwë qui faisait toujours la tête dans son coin. Elle m’en voulait pour ce que j’avais fait, je le savais et pourtant je m’en fichais, ce qui était fait était fait et la connaissant, je savais qu’elle prendrait simplement le temps de s’y faire, comme d’habitude. Mais le temps qu’il lui restait à mes côtés devait être court, du moins je le pensais, aussi je comptais la faire réagir de manière expéditive, il me suffisait généralement de la taquiner un peu.

« - Ferris, je te présente Elenwë, je l’ai rencontrée il y a longtemps maintenant et nous sommes devenus plus ou moins inséparables, sauf que là elle me fait la tête parce que j’ai dit quelque chose de stupide et irréfléchi. Cependant c’est quelqu’un de confiance, tu peux en être certaine. »

Je n’avais jamais eu l’occasion de les présenter en vrai, je connaissais déjà la réaction de Ferris cependant, une femme presque de mon âge, jolie et jeune, la petite était espiègle et très rapidement elle aurai été capable de faire un rapprochement presque censé sur la situation, mais pour l’instant je pensais surtout qu’elle verrai en Elenwë un genre de grande sœur, chose qu’Elenwë, de son côté, n’avait pas eu l’habitude d’assumer, sa sœur étant morte il y a maintenant longtemps également. A défaut de pouvoir me mettre d’accord avec moi-même, je voulais profiter de l’instant qui m’était offert, parce qu’une fois de retour dans le monde réel, je n’aurai plus jamais l’occasion de les revoir, ni l’une ni l’autre, mon périple reprendrait alors… Probablement. Quoi que tout ça m’avait fait entrevoir quelque chose, depuis le temps que je cherchais la vérité sans la trouver, je commençais à me dire que j’aurai probablement la réponse le jour ou le destin le voudra bien, d’ici là j’avais des gens à protéger, des gens qui me tenaient à cœur eux aussi. Minatsuki, Lunielle, Auween et même Ewan en qui j’avais tout de même espoir qu’un jour nous nous entendrions. Et plus loin de là il y avait Katsuya qui était également devenu un ami bien improbable, compte tenu des différences culturelles que nous avions. Scarlett, que j’avais également considéré comme quelqu’un en qui je pourrais placer ma confiance, avait malheureusement été l’un des facteurs clés de la perte du temple, et j’avais bien peur que je ne pourrais jamais avoir d’explications valable de sa part, du moins, pas si je n’étais pas seul à seul avec elle. Pour l’instant l’important était ce qui viendrait, malgré mon ressentiment envers celui qui avait tué Elenwë et la frustration de ne jamais avoir pu faire payer ma mère pour l’horreur qu’elle avait fait, maintenant il me fallait prendre une décision, pour mon avenir et le respect de la mémoire de celles qui resteront à jamais mon passé, aussi douloureux soit-il.

J’avais déjà discuté avec Auween de ça, le fait que je voulais aider les templiers à reprendre le temple. Notre discussion s’était terminée sur une incertitude qui, maintenant n’en était plus une, c’est ce qu’Elenwë aurait voulu que je fasse, elle aussi, et ça je le savais mieux que quiconque.
La prenant par l’épaule pour la serrer contre moi, je murmurais à l’oreille de ma meilleure amie.

« - J’irai parler à Maître Jacen, je me suis éloigné de mon foyer trop longtemps. »

Elle aurait surement compris que j’avais projeté de revenir dans l’ordre, du moins que j’espérais pouvoir revenir, redevenir celui qu’elle avait toujours connu de son vivant, le templier de l’aube que j’avais laissé de côté il y a maintenant quelques années.

Les murmures qui s’élevaient du puits étaient perturbants. Ferris et Elenwë ne réagissaient ni l’une ni l’autre et légèrement inquiet, je décidais de me lever doucement, caressant le dessus de la tête de Ferris pour la rassurer. En tendant l’oreille j’avais une sinistre sensation qui me prenait l’estomac, un sentiment difficile à décrire et comme j’étais privé de l’Esprit, mon état actuel devait avoir percuté l’esprit d’Elenwë. Le rire sadique avait provoqué de l’agitation, Ferris s’était relevée aussi et semblait apeurée pour je ne sais quelle raison, Je la serrais contre moi et lorsqu’elle me demandait de nous éloigner, vraisemblablement terrifiée, je lui souriais en la tournant vers Elenwë.

« - T’en fais pas ma grande, je suis là pour te protéger et Elen’ ici présente est la meilleure templière que je connaisse, personne ne pourra te faire du mal tant qu’on sera la, pas même ma mère, je te le promets. »

Je la prenais même dans mes bras pour la réconforter, si quelqu’un ou quelque chose venait à surgir du puits ou de je-ne-sais-où pour faire du mal a Ferris, je n’hésiterais pas à servir de bouclier humain s’il le fallait. Elenwë était également près de moi, nous avions normalement assez de marge de manœuvre pour nous dégager d’une situation dangereuse ou inquiétante, nous en avions l’habitude, c’était la base de nos longues très longues séances d’entrainement lorsque nous étions au temple.
Un duo meurtrier, impeccable, parfaitement complémentaire, voila ce que nous étions à l’époque et bien que le temps m’ait changé, j’avais encore tout le schéma en tête, je savais comment Elenwë réagirait si un danger arrivait de sa gauche, de sa droite ou de n’importe où d’ailleurs. De son côté elle savait que je n’étais pas armé et par conséquent savait comment réagir également, c’était le grand mystère de notre duo d’ailleurs, nous étions simplement imprévisibles. Ferris ne me lâchait pas, visiblement terrorisée, je lui déposais une bise sur la joue pour lui rappeler que son grand frère était là pour elle. Je voulais en savoir plus sur ces voix mais je ne voulais pas non plus m’éloigner d’elles, qui sait ce qui leur arriverait si je m’en séparais maintenant. Elen’ m’avait clairement dit être ici parce que j’en avais besoin, mais je savais que je n’avais pas uniquement eu besoin de la voir pour me rassurer, j’avais besoin de son aide, de ses conseils, c’était ce à quoi je croyais du moins. C’était peut être pour ça qu’elle était toujours là auprès de moi, pour remplir le rôle qui lui incombait. Ferris devait probablement avoir son rôle elle aussi, quelque chose que je devais comprendre pour avancer.

Mais pour le moment, c’était de réconforter Ferris qu’il s’agissait, elle aimait les histoires et j’avais l’oreille tendue sur le puits, prêt à saisir la moindre info qui surgirait, je prenais cependant le soin de raconter quelque chose à ma sœur pour lui changer les idées.

« - Dis Ferris, tu te souviens le jour ou Darich nous avait montré le grand jardin au printemps ? Toutes les fleurs et toutes les couleurs que tu voyais pour la première fois, c’était la première année ou tu es arrivée à la maison, la première journée que nous passions tous les deux, entre frère et sœur. Tu te souviens de ce que je t’avais dit ce jour là ? Je t’avais dit que chaque fleur avait une signification et je me souviens parfaitement de ce sourire que tu avais eu ce jour là, et surtout du nombre de questions que tu m’avais posées, avec ce regard émerveillé qui t’allais si bien ! »

J’aurais presque entendu Elenwë rigoler si elle ne s’était pas retenue in extremis, je lui avais raconté cette histoire à elle aussi il y a longtemps. Je voulais simplement entendre quelques infos de cette mystérieuse voix et ensuite, je tâcherai d’éloigner Ferris de ce puits qui semblait la traumatiser énormément, je pouvais très bien faire le point sur l’origine et le but de ce foutu rêve tout en protégeant les miens, j’en avais la force maintenant et même sans armes je le ferais.

Pourvoir rassurer Ferris était quelque chose que j’étais le seul la pouvoir faire, bien que j’étais incapable de chasser tous ses pressentiments qui semblaient la terroriser, j’étais prêt à la protéger, elle le savait et au final cela permettait d’avoir quelques informations en plus. Informations bien vagues, peut être un genre d’énigme qui n’était décryptable que par moi, si elle n’était audible que par moi de toute manière, il serait compliqué de procéder autrement. Elenwë semblait absente en fixant le puits, comme si quelque chose attirait son attention et j’avais longuement appris à la connaitre, c’est pour ça que je ne disais rien mais que mes questions viendraient plus tard. Quand Ferris ne sera pas là ou quand j’aurais miraculeusement retrouvé la faculté de l’Esprit.
Les voix qui s’lèvent à nouveau lorsque Ferris m’encourage à nouveau à partir sont assez flippantes et j’avais bien compris que je n’apprendrais rien de plus maintenant. La pluie menaçait alors, nous prenions tous la direction qui nous semblait la plus logique, au pas de course. J’avais senti Ferris trembler un peu plus tôt, elle avait sans doute froid. Arrivés devant une cabane dont je ne me souvenais absolument pas l’existence, je jetais machinalement un œil à l’intérieur, imaginant trouver du monde ou un endroit passablement sale et à l’abandon. Rien de tout ça au contraire elle semblait tout à fait accueillante. Pourtant cela ne me faisait pas plus confiance que cela. Bien que j’ai conscience que tout cela soit un rêve, mon instinct me poussait à y entrer avec ma sœur et Elenwë, le temps au moins que le la pluie cesse. Ferris semblait un peu fatiguée également et donnait toujours l’impression d’avoir froid. Par chance il y avait également de quoi faire un peu de feu et sitôt elle était installée près de ce dernier que je déposais ma veste sur ses épaules, la doublure était rembourrée et confortable, cela pourrait l’aider probablement.

Je me promenais rarement en t-shirt mais je devais avouer que j’avais moins de mal avec le froid que Ferris. Ces voix plus tôt me perturbaient, je cherchais un sens à leurs paroles mais je ne trouvais rien et tant que Ferris serait éveillée je n’oserais en parler avec Elenwë ni même lui demander pourquoi elle avait l’air si absente au moment. Pour le moment nous prenions le temps de nous sécher au près du petit feu improvisé, au calme. Du moins… Pour le moment.

Elenwë donnait l’impression de veiller sur Ferris comme elle m’avait raconté qu’elle veillait sur Yunoa à l’époque ou elle vivait encore avec ses parents. Son instinct de sœur était comme mon instinct de frère, toujours attentif et l’inquiétude était notre lot quotidien. Nous avions tout deux perdu nos liens fraternels, et à notre manière nous avions tous les deux regretté de ne pas avoir été plus présents pour ces derniers. Au finale Elenwë était comme moi mais en moins impulsive, elle n’aurait probablement pas quitté les templiers de l’aube si j’avais trouvé la mort de la même manière qu’elle. Elle aurait œuvré dans les règles, chose qui n’étaient pas mon fort et le simple fait qu’elle me le reproche en rêve me suffisait pour comprendre mon erreur. Il fallait que je trouve un moyen de revenir parmi les miens, même si cela impliquait d’abandonner ce pour quoi j’avais tout laissé.
Finalement j’osais prendre la parole, sans même me soucier de ce que cela impliquerait, j’avais besoin de conseils.

« - Elen’, qu’est-ce que je devrais dire à Maître Jacen à ton avis ? Pendant des années j’ai fais fausse route et bien que je n’ai jamais abandonné nos principes, le fait est que je suis parti malgré tout… »

Que je demande des conseils à mon amie n’était pas inhabituel, le lui demander par le biais d’un rêve étrange l’était déjà plus, mais peut être que son rôle était de m’aider à reprendre la bonne voie après tout, elle avait toujours été cette conscience que je n’avais jamais réellement eu. Ferris semblait assez larguée par la conversation, bien qu’elle semblait vaguement comprendre que j’avais fait une bêtise et que je cherchais à faire amende honorable.