[F-H] Nouveau départ (Kanjou)

Fuir. Fuir le plus loin possible. Mais fuir quoi ? Je m'arrêtai soudain comme retenue par le poids de cette pensée. Qu'étais-je en train de faire ? Les derniers mots de la jeune femme avait été clair et néanmoins je ne les comprenais pas.

*Pars, cours et ne te retournes pas. Caches-toi ou ils te rattraperont.*

La crainte résonnait dans sa voix mais, pourtant, l'endroit qu'il me fallait quitter ne me faisait pas peur. C'était comme si ce lieu m'était inconnu, comme si sa vision ne me rappelait rien. Aucun de mes cinq sens ne sut se défaire du brouillard dans lequel est plongé mon âme. Je ne pouvais que croire cette demoiselle qui m'implorait de l'écouter. Sur ses indications, je réussis à sortir sans rencontrer un seul garde. Une fois dehors, j'ai couru comme jamais je ne l'avais fait – c'est, tout du moins ce qu'il me plaît de penser.

Lentement, je m'approchai d'un des nombreux arbres qui m'entourait. M'appuyant sur ce dernier, je haletai bruyamment. J'étais exténuée, affamée et perdue. A perte de vue, la forêt s'étendait dans toutes les directions. Depuis plus d'une heure, j'avançais à l'aveugle dans cette région boisée espérant tomber sur un petit village mais il n'en fut rien. Je ne faisais que m'enfoncer toujours plus profondément dans ce labyrinthe végétal. Comment rejoindre la ville la plus proche ? Je n'en avais pas la moindre idée et, quand bien même une carte aurait-elle été en ma possession, je ne savais même pas où je me trouvai...

M'accordant une courte pause, je m'allongeai sur le sol, jambes et bras écartés. A travers les branches dégarnies, j'observais le ciel grisâtre dénué de nuages. Un instant, je me mis à penser que si j'avais été un oiseau, j'aurai pu m'échapper de cette prison végétale.

De fil en aiguille, je m'étonnai de penser à mon état d'amnésie. Le désordre qui s'est installé dans la bibliothèque de mes souvenirs est si grand que les romans de ma jeunesse sont dissimulés au milieu des milliers de livres qui y demeure. Est-ce qu'un jour je serais capable de me rappeler ma vie d'antan ?

Soudain, un bruit retentit. Je me levai rapidement et couru à toute allure. Peut-être était-ce mes poursuivants ? Je me surpris à aller encore plus vite que lors de ma dernière course. Mon cœur battit au rythme des percussions de mes pas sur le sol. Alors que je sprintais, mon estomac se noua et ma tête se mis à tourner mais je continuais fièrement mon escapade. Regardant un instant derrière moi, je trébuchai et percutai un arbre de plein fouet. Ma malchance frappait encore ! Je m'étalai sur le sol, presque inconsciente.

J'aperçus enfin le sentier qui me mènerait directement aux meilleures récoltes : après deux heures passées à tourner en rond, c'était plus qu'un soulagement. J'étais parti à la recherche de fleurs et d'herbes indispensables à mon commerce, et comme toujours, je m'étais laissé distraire par mon affinité avec la végétation et avais perdu mon objectif de vue. Mais voilà que j'apercevais les ingrédients de notre succès et je songeais déjà à la chaleur du feu de camp qui m'attendait, ainsi qu'à mon vieil ami Soburin qui ne manquerait pas de me féliciter à grands coups de langue. C'était en effet Soyokaze qui m'accompagnait cette fois-ci, et le jeune loup ne cessait de renifler l'air à chaque virage. C'est d'ailleurs ce qui me permit de trouver l'adolescente...

Soyokaze s'était mis à grogner sur un ton qui se voulait curieux tout en fixant un point invisible vers l'Est. Étroitement lié à mes bêtes, je sentis son inquiétude avant qu'il ne la témoignasse physiquement. Ses poils se hérissèrent alors légèrement et il renifla de plus belle l'air environnant. De mon côté, je puisais déjà dans mes réserves d'énergie afin de manipuler une racine d'un chêne à proximité et la fis grandir afin qu'elle puisse s'étendre jusqu'au bout du chemin. La maneuvre m'empêchait de me mouvoir, mais la région était sans danger et j'avais entièrement confiance en Soyokaze pour assurer ma sécurité. Je me concentrai davantage lorsque je sentis la racine buter contre un obstacle inattendu.

Afin d'être sûr que mes sens ne m'avaient pas trompé, je me dirigeai prudemment dans sa direction. Je trouvai un homme d'une trentaine d'année qui se relevait tout en maugréant à propos des "foutues plantes et de leurs foutues racines que l'on ne voit pas avant de s'être entravé dedans". L'examinant rapidement d'un oeil entrainé, je jaugeai la menace qu'il pouvait représenter : nous étions de même taille, mais son avantage sur le poids ne faisait aucun doute, ce n'était donc pas un adversaire que je pouvais combattre au corps à corps. Du moins c'est ce qu'il devait se dire...

Tandis que je l'inspectais du regard, l'homme avait fini de s'épousseter et se tourna enfin vers moi, l'air suspicieux :

- Tu n'aurais pas vu une fillette passer par là, mon gars ? Tu serais pas de mèche avec elle par hasard ? Elle aurait pas pu s'enfuir toute seule...

Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulait dire, mais il semblait à la recherche d'une jeune fille ayant fugué. Non... s'étant "enfuie". Je compris, trop tard, quelles étaient les intentions de l'homme et quel était son travail : Il s'élançait déjà sur moi en brandissant un poignard, camouflé jusqu'alors sous son veston. D'un pas sur le côté, j'esquivai gracieusement le coup et lui assénai le bout de mon bâton sur la tempe. Les muscles du garde se détendirent et il se retrouva face contre terre, inconscient.

C'est alors que j'entendis des bruits de pas précipités. Me rapprochant du lieu de provenance de ces sons, je ne tardai pas à discerner une respiration suffoquée et à voir une jeune femme adossée contre un arbre, comme inerte. Ses vêtements partaient en lambeaux, déchirés par les branches qui lui avaient également entaillé la peau des bras et des jambes durant sa course. Je me rapprochai pour proposer mon aide lorsque l'individu se leva brusquement et s'élança à nouveau en direction du cœur de la forêt. Je la suivis non sans mal et assistai, impuissant, au choc qui faillit lui briser le nez. Me pressant à ses côtés, je soutins sa nuque de ma main gauche, tandis que de la droite je fouillais déjà dans ma sacoche à la recherche de l'onguent qu'Heifara m'avait fait avant de me laisser partir. L'appliquant sur les blessures de l'inconnue, je remarquai qu'elle semblait avoir une certaine affinité avec la nature : de petites branches se tendaient imperceptiblement vers elle et l'herbe autour de son corps étendu formait un coussin moelleux. Bien décidé à la remettre sur pied afin qu'elle puisse répondre à mes questions, je posai une main sur son front et l'autre sur le sol, et puisai un peu d'énergie dans la terre que je lui transmis. Elle paraissait effectivement réceptrice à la nature, et bientôt ses yeux se mirent à cligner, laissant entrevoir un regard emprunt d'incompréhension.

- Et bien, tu donnes l'air de revenir de loin ! Parviens-tu à te relever ? Je peux te porter au campement si tu veux, ou simplement rester ici le temps que tu récupères pleinement, dis-je.

Un liquide chaud s'enfuit lentement de ma joue entaillée. Ma mâchoire, bien que toujours en place, punissait mon acte par une douleur irradiant jusqu'à mes oreilles et mon nez. Bientôt, un sifflement sourd vint perturber le bon fonctionnement de mon ouïe. Mon yukata, lacéré par les branches qui m'avaient fait obstacle, découvrait de multiples blessures légères. Néanmoins, aucun de ces maux ne valait l'intense migraine dans laquelle j'étais plongée. C'était une douleur diffuse semblable à une sensation d'éclatement, d'oppression. Sous son joug, mon visage ne pouvait que se crisper ; j'étais décidément dans un sale état.

Gentillesse, inquiétude et générosité vinrent frôler mon Esprit. Ces sentiments s'installèrent en moi et peu à peu remplacèrent les miens. Étais-ce ce qu'on nomme couramment « la mort » ? Mon Esprit s'éleva aux alentours et capta de plus en plus d'émotions différentes.

A travers mes yeux semi-clos, j'aperçus vaguement un jeune dieu. J'eus envie de me relever pour lui rendre hommage comme il se devait mais j'en étais incapable. Mes envies de fuite disparurent à sa vue : je savais qu'il n'était pas là pour me faire de mal. Quand il posa ses mains sur moi, mon Esprit se ferma et je me retrouvai seule avec mes propres sensations.

Le kami s'occupa de moi avec les produits mystiques qu'il possédait. Je sentais ses mains s'apposer sur mon corps. Peu à peu, je recouvrai mes forces et mes blessures se refermèrent. Celui que je prenais pour un shinigami ne semblait pas être apparu pour me guider vers le monde des morts. J'esquissai un léger sourire, heureuse de ne pas quitter ce monde trop tôt.

Lorsqu'il eut fini son œuvre, mes yeux s'ouvrirent simplement. Je ne me sentais pas en pleine forme mais j'allais beaucoup mieux néanmoins. Il m'adressa quelques mots mais j'étais incapable de comprendre son langage. Mon regard interrogateur. Se balada rapidement sur sa silhouette. Apercevant son visage, j'eus la confirmation que cet être était un dieu. Il possédait les oreilles pointues, marque des kamis. Précipitamment, je m'agenouillai devant lui. Mes douleurs se ravivèrent un peu par cet effort trop brusque mais je ne vacillai pas. Ma Foi était trop grande.

« Je ne méritai pas, Ô Kami, que vous veniez à mon secours. Je vous suis infiniment reconnaissante de ce don que vous m'avez offert ce jour. Moi, Clayra Kazuaki, vous suis redevable : demandez et j'agirai. »

Je venais de m'exprimer dans la seule langue que je connaissais : le Jinmen.

Le silence régna un instant. Je n'osais bouger. J'avais envie de relever la tête du sol pour admirer le visage de mon dieu-sauveur mais je n'en fis rien. Je me contentai d'attendre. Attendre qu'il me réponde quelque chose.

Au bout d'un moment, je déplaçai mon regard et observait son ombre se dessinant sur la terre. J'ose espérer qu'il n'eut pas remarqué cet affront.

Au bout de quelques secondes, un sourire fleurit sur le visage de la jeune femme et ses yeux ne tardèrent point à s'ouvrir. Ses traits se détendirent suite au traitement pour bientôt afficher un air serein.

Suite à mon interrogation, je remarquai que l'adolescente ne comprenait pas mon langage. Pourtant, elle me semblait être d'origine Jinmen, qui reçoivent une éducation à la langue elfique dès leur plus jeune âge, compte tenu de leur culte voué aux Elfes. Sans doute était-elle de basse naissance et n'avait pas dispensé de cet apprentissage. Néanmoins, son culte me parut indiscutable lorsque je la vis se jeter à genoux, tête baissée, dans un geste religieux (ou respectueux).

Ayant acquis quelques bases à propos de la langue Jinmen lors de mon voyage à Koubaï avec Heifara, je pus comprendre partiellement les propos de cette charmante inconnue et ne pus m'empêcher de me sentir gêné suite à sa volonté de servitude. Il faut croire que mon séjour au sein de son peuple n'avait pas suffit à m'habituer à ce type de considération. Écartant l'idée et repoussant cette réflexion à plus tard, je lui traduisis ma précédente question dans sa langue maternelle, de façon plus ou moins bancale mais sans doute compréhensible tout de même, en fronçant les sourcils d'un air de reproche face à la brutalité avec laquelle elle s'était mise à genoux.

Tout en la laissant reprendre son souffle et trouver ses mots (sans doute cherchait-elle des mots convenables lorsque l'on s'adresse à un être considéré comme un dieu), je replongeai moi-même dans ma précédente réflexion. Après tout, pourquoi pas ? La pauvre enfant était manifestement dans le besoin, et si je tenais rigueur du garde que j'ai assommé tantôt, peut-être même qu'elle était en danger. Je pouvais sans doute demander à Clayra de devenir mon apprentie sans qu'elle imagine seulement refuser, l'éloignant de ce fait des dangers qui l'entouraient. Ma détermination à aider les personnes en besoin prenait le dessus et je savais d'ailleurs qu'Heifara serait enchantée d'accueillir une charmante demoiselle égarée et souffrante. Mes réticences n'étaient dues qu'au culte que me vouait l'adolescente, auquel je ne m'habituerais sans doute jamais. Ce qui me décida fut la proximité qu'elle entretenait avec la végétation : en l'observant là, agenouillée, je percevais encore l'environnement converger vers elle. Son don, quoique moins fort que celui que je partageais moi-même avec la nature, semblait pourtant encore incontrôlé, voire même (et l'idée m'effara) inconnu de Clayra. D'où l'idée d'en faire mon apprentie.

N'ayant écouté que d'une oreille distraite sa réponse, je ne sus réellement quelle elle fut, et lui annonçai plutôt ma décision, toujours dans un Jinmen simple et maladroit :

- Bien, si je donne toi une obligation, c'est être mon apprentie. Je apprendre toi ma langue et cydien. Je apprendre toi... hmmm.. nature et herbe !

La divinité qui se dressait face à moi, celle qui venait de guérir mes blessure, celle sans qui je serais probablement morte s'adressa à moi en jinmen. Je fus choqué qu'il ne maîtrise pas mon langage mais ces pensées impures se dissipèrent rapidement dans mon esprit. Je cherchai quelque temps mes mots. Comment répondre à cet être supérieur sans lui faire offense ? Je mis quelques minutes à préparer mes phrases et, sans relever la tête du sol, je laissai ma bouche les prononcer.

« Je ne suis pas digne de tant de considérations, Vénérable Kami, je ne suis qu'une heimin sans intérêt. Je me déplacerai par mes propres moyens, je ramperai s'il le faut, mais je ne peux ne serait-ce supporter l'idée que vous me portiez. »

Je restais à genoux, immobile. Je n'osais me mouvoir sans qu'il me le permette. J'étais face à un dieu et je n'étais rien par rapport à lui. Je lui devais tout et surtout respect et politesse. Le fait qu'il m'ait vu ainsi accoutré était déjà une insulte à mes yeux.

Un court instant, je doutai de sa présence. Je n'entendais plus que le vent souffler dans les branches des arbres nus. Je jetai maladroitement un œil vers l'endroit où il se tenait et j’aperçus ses chausses de cuir. Je me replaçai aussitôt en position et attendis le temps nécessaire.

Le divin prit un ton plus ferme pour m'annoncer la suite. J'étais dans l'obligation de devenir son apprentie. Il allait m'apprendre la langue des dieux, le cydien et... la nature et l'herbe ? Je fronçais légèrement les sourcils : qu'est-ce que cela signifiait ? Sa déclaration me perturbait au plus haut point. En quoi une jeune fille de mon rang pouvait-il bien l'intéressé ? Pourquoi diable désirait-il m'apprendre ces choses-là ? Enfin, qu'entendait-il exactement par nature et herbe ? Je laissais ses réflexions m'envahir quelques instants.

Il dut s'écouler une ou deux minutes avant que je reprenne mes esprits. Toujours sans bouger, j'acceptais l'offre du démiurge. A vrai dire, avais-je d'autres choix ?

« Je m'excuse profondément pour avoir eu l'audace de prendre un temps de réflexion aussi long, c'était fort indécent. Il est évident que j'accepte humblement votre proposition. Je me questionnais seulement sur les raisons de cet intérêt pour ma misérable personne. Peut-être pourriez-vous m'expliquer ce qui vous pousse à agir de la sorte avec une heimin telle que moi, si cela n'est pas trop indiscret bien sûr. Sachez que je comprendrai votre refus et je m'en contenterai. Je ne voudrais pas vous faire d'affront. »

Après une courte attente, bien que pénible pour la jeune femme agenouillée, je reçus avec satisfaction son acceptation. Je fronçai brièvement les sourcils lorsqu'elle acheva sa phrase toutefois.

- Hm.. « misérable » n'est pas vraiment le qualificatif que je te donnerais pourtant. Mais passons sur ce point. Par contre, je me vois contraint de te décevoir : je préfère que tu découvres le véritable sens à mes paroles par toi-même. Ne t'inquiète pas, je ne doute pas que ce soit rapide.

Estimant que la discussion était close, je m'accroupis dos à la Jinmen et fis de mon mieux pour la placer délicatement sur mon dos. Grâce à mes soins, elle n'était plus en danger, mais son état m'inquiétait toutefois ; heureusement, le médecin le plus proche vivait à moins de dix kilomètres de là. À défaut de monture, il me fallait quand même faire cette distance à pied, mais l'habitude de ma vie sylvestre m'avait fait affronté des épreuves infiniment plus rudes que de porter une adolescente sur six miles. J'aurai tout aussi bien pu la placer sur Soyokaze, mais mon loup était plus méfiant que moi vis à vis des étrangers, et même si mon dressage l'avait rendu inoffensif envers ceux que je fréquentais, il n'irait pas lécher avec joie leurs visages pour autant. Lui intimant du regard que nous reprenions la route je prévins Clayra en souriant :

- Accroche-toi à l'aide de tes bras, sinon j'aurais tôt fait de m'épuiser en te soutenant de tout ton poids !

Cela m'était en réalité égal, la Jinmen étant aussi légère qu'une plume et mon dos suffisamment bâti pour supporter Soyokaze et Soburin à la fois (après pour bien les placer... c'est une autre paire de manche), mais la boutade permit au moins de sortir Clayra de ses rêveries.
Je me levai donc lentement et commençai ma marche vers le sud en direction d'un village voisin. J'estimai la durée de ce cours voyage d'environ une heure et demie, puisque je n'avais pas besoin de me ravitailler au camp : le médecin chez qui nous allions était un homme généreux qui ne nous laisserait pas dans la faim, je le savais pour l'avoir déjà rencontré. Soburin nous rattraperait sans aucun doute en cours de route suite à mon ordre mental, je devrais donc envoyer Soyokaze garder le camp à sa place un peu avant que mon renard ne nous atteigne. J'essayais effectivement de mon mieux de ne pas laisser voir de préférence entre mes deux bêtes. Sur mon dos, Clayra s'était de nouveau perdue dans ses pensées. Je ne comprenais toujours pas pourquoi les Elfes étaient perçues comme des divinités par les Jinmens, et je me demandais à quoi bon se terrer dans un mutisme complet.

- Si tu as des choses à dire : des questions, des envies, et bien parle ! Je ne compte pas rester dans un silence de mort durant tout le trajet, ahaha !

Le Kami venait de refuser de répondre à mes interrogations. Je me ravisai silencieusement. Mes yeux se dirigèrent dans le coin inférieur droit. J'étais un peu triste qu'il ne souhaite pas démêler mes pensées mais je n'insistai pas. Lorsqu'il s'approcha de moi pour me soulever, je ne bronchai pas non plus. Je lui donnai tout pouvoir de vie et de mort sur mon être. Après tout, c'était un dieu.

Il me demanda de m'accrocher à lui et j'obéis. Je me collai à son torse musclé, attrapant mes mains dans son dos. Je le serrai fort. Qu'importe qui nous voyant aurait pu croire à que nous étions amants mais il n'en était rien. D'ailleurs, cette idée ne m'effleurait même pas l'esprit. Je me contentai d'obéir à un ordre qu'il m'avait donné. Ce n'était ni plus, ni moins que cela. Lorsque des obstacles se dressaient sur notre chemin, je l'enlaçai d'avantage. Nous restâmes un long moment ainsi avec pour unique son celui de ses pas dans le sous-bois. La chaleur de son corps en activité me réchauffait, moi la jeune fille glacée par le froid et fatiguée des épreuves que je venais de traverser. Quelques fois mes paupières se frôlèrent mais jamais je ne cédai à Morphée : ç’aurait été trop indécent. D'ailleurs, lorsque je pris conscience que je me faisais porter par un Kami, je rougis de honte. Je lui aurais bien dis de me déposer, que je me débrouillerais seule mais j'avais peur qu'il s'énerve si je n'arrivais pas à le suivre.

Soudain, le son de sa voix retentit. Comme si j'avais reçu un coup de foudre sur la tête, la fatigue me quitta. Il essayait maladroitement de démarrer une discussion. Je gardai encore le silence un instant. L'art et la manière de parler aux divinités n'était pas inné chez moi, aussi il me fallait préparer mes phrases.

« Si je puis me permettre, j'ai quelques questions. J'aimerais, si cela ne vous gêne pas, connaître votre nom. »

Hésitante, je continuai mon « interrogatoire ».

« Que faisiez-vous par ici avant de me trouver ? J'espère que je ne perturbes pas vos plans, sinon sachez que je pourrais me débrouiller. Vous en avez déjà tellement fait pour moi... »

Le vent souffla un grand coup. Des cris d'oiseaux retentirent, suivis de près par des battements d'ailes. Bientôt, c'est toute la forêt cherchait à me dire de m'échapper, c'est du moins ce que j'avais l'impression de ressentir. Un bruit de corne transperça la scène, des chiens aboyèrent. Je me serrai encore plus contre l'être divin. Que se passait-il à la fin ?

Clayra semblait être épuisée et avoir grandement besoin de dormir, néanmoins elle réagit au quart de tour à l'entente de ma voix, et après un moment d'hésitation je pus enfin connaître l'étendue de sa curiosité.

-Je me prénomme Kanjou, mais tu peux m'appeler Swirl, c'est mon nom d'emprunt.

J'ignorais pourquoi j'avais précisé cela à une illustre étrangère, mais de toute façon Clayra serait mon apprentie et rien ne prime sur une relation de confiance entre un maître et son apprenti.

-Inutile de t'en faire, les seuls plans que j'avais étaient d'entretenir mes réserves commerciales tout en profitant de la douceur sylvestre de ces bois. Le premier est chose faite, tandis que le second n'est qu'une habitude. Tâche donc de te détendre et de profiter de l'av-...

L'envol soudain d'un groupe de bouvreuils ne me laissa pas finir ma phrase : quelque chose clochait. Ce fut chose confirmée lorsque, en tendant mes sens vers la forêt, j'entendis le bruit funèbre d'un cor. Plus le temps d'hésiter : je touchai du bout des doigts la souche d'un chêne et commandai à ses racines de s'étendre jusqu'à celles des arbres proches, qui firent de même. Le vaste réseau de racines ainsi créé recouvrit la forêt en un rien de temps, me permettant de localiser rapidement nos poursuivants : au nombre de trois d'après la résonance de leurs pas sur le sol, assez massifs selon les racines qu'ils écrasaient inconsciemment, mais surtout motivés et plus expérimentés que le garde que j'avais facilement assommé étant donné l'allure et la fluidité de leur course. Ils ne possédaient aucun chien et je m'interrogeai de ce fait sur leur faculté à connaître notre exacte position. Peu importait, ils ne se précipitaient que pour mieux se faire violenter. Mon regard se posa alors sur Clayra toujours blottie contre moi et je compris immédiatement que l'adolescente serait utilisée pour ouvrir une faille dans ma garde. La dégageant doucement et plantant intensément mes yeux dans les siens, je cherchai mon ton le plus rassurant mais arbitraire :

-Il faut partir d'ici. Trois personnes nous pourchassent pour une raison dont je ne suis pas encore certain. Je pourrai te porter encore longtemps mais malheureusement cela me ralentirait et ils ne tarderaient pas à nous rattraper. Pour faire simple : tu pars devant et tu n'hésites pas.

J'avais insisté sur ces cinq derniers mots, sachant que la certitude de savoir Clayra à l'abri m'était capitale, afin d'être pleinement concentré sur le combat. Ce dernier ne devrait pas être difficile mais, si nos poursuivants en avaient exclusivement après l'adolescente, alors il n'aurait peut-être même pas lieu. Il me faudrait alors être sûr qu'elle se trouvât loin. Je jetai un regard à Soyokaze, dont les prunelles étincelèrent d'un éclat empli d'intelligence : il avait compris l'ordre muet et était disposé à accompagner la jeune humaine qu'il ne connaissait pas. Sans perdre plus de temps, je plaçai délicatement Clayra sur son dos et lui enjoignis de s'accrocher sans hésiter aux poils de la bête qui n'en tirerait aucune souffrance.

-Soyokaze, nous sommes déjà allé chez ce médecin, donc je te laisse le soin de retrouver le chemin. Ne va pas trop vite : Clayra est fatiguée et mal en point, et il vous faut tous deux préserver vos forces au cas où d'autres hommes soient placés sur votre route. Je compte sur toi.

Après un clin d'oeil en direction de la jeune femme et un ébouriffage se voulant rassurant, je me retournai et courus dans la direction opposée à celle que venait de prendre mon loup. On allait vite savoir après qui ils en avaient.

Le Kami qui m'avait sauvé portait le nom de Kanjou. Cela sonnait un peu bizarre à mon oreille. La sonorité de son appellation ne ressemblait en rien à celles des autres divinités. Il m'apprit, en outre, qu'il s'était approprié, un autre nom, un nom d'emprunt :Swirl. C'est ce dernier que je retins.

Il répondit à ma deuxième question avec allégresse. Il n'entra dans aucun détail et se contenta de quelques paroles superficielles. Je n'en fis pas la remarque, d'autant plus que des événements plus sombres se profilaient à l'horizon. Les avertissements de la nature firent faire d'étranges choses à mon interlocuteur. Il effleura un arbre de ses mains rougies par le froid. Ce qui se passa en suite fut étonnant : les racines des arbres séculaires qui nous entouraient se murent lentemen. Bientôt, il me semblait qu'un parfait réseau c'était créé autour de la souche que Swirl touchait. J’écarquillai les yeux devant ce spectacle magique. J'étais ignorante au sujet de la magie et, la seule que j'avais approchée était celle des Shugenja mais cela n'avait rien à voir avec ce qu'il faisait. Un instant, je songeai que la fatigue m'avait emporté bien loin, vers de profondes rêveries, mais je me rendis rapidement compte que c'était bel et bien la réalité.

Mon sauveur voulait que je parte. J'aurai bien protesté mais je n'avais rien pour contredire ses arguments. J'étais trop mal en point pour me déplacer rapidement et me portait le ralentissait. Kanjou me déposa sur son compagnon, un loup au pelage clair. Il m'exhorta m'accrocher aux longs poils de la bête mais j'avais peur de lui faire du mal. Je m'y accrochai néanmoins, essayant d'exercer le moins de pression possible. Quelques secondes plus tard, nous partîmes.

Le trajet était plus mouvementé que sur le dos du Kami. Je bougeai de gauche à droite selon les impulsions que la bête donnait à ses pattes pour bondir. Par moment, je resserrai ma prise et m'en excusai en lui murmurant un « désolé » quasiment inaudible. Je me demandais ce qu'il se passait pour mon maître, car c'est ce qu'il était devenu depuis peu. Je ne faisais pas vraiment attention au chemin que l'animal prenait, je m'inquiétai trop pour cela. De plus, il savait mieux que moi où aller.

~

«Toi tu vas par la droite, toi à gauche et moi j'irai tout droit. Il faut qu'on la récupère sinon il nous le fera payer ! »

« Pourquoi il la veut cette fille ? Yen a plein dans le village d'à côté... »

« Idiot ! Elle possède un don très rare ! Allez, on y va ! Et n'oubliez pas, si vous la trouvez, dites lui de nous suivre si elle ne veut pas que sa sœur meure... Cette imbécile, croire qu'elle pourrait remplacer le catalyseur sans qu'on le remarque... Hahaha ! »

Les trois hommes se séparèrent. Ils avançaient vite, presque en courant. Ils étaient déterminé à retrouver la fugitive, celle qui les mènerait vers la gloire.

~

Alors que Soyokaze faisait de son mieux pour m'amener au médecin, je perdis l'équilibre et m'étala sur le sol. Il se rendit rapidement compte que j'étais tombée et attendit que je me relève, tant bien que mal, pour me remettre sur son dos. Je m'exécutai du plus vite que je pouvais mais les douleurs étaient de plus en plus forte. Les bienfaits des soins que m'avaient apportés Kanjou semblaient s'estomper peu à peu.

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