[FH] Tu ne seras plus jamais seule (pv Eléa) (flashback) [terminé]

La jeune fille avait compris depuis longtemps ce que sa sœur prospectait. Si Eléa était très secrète sur ce point, sa petite sœur la connaissait suffisamment bien pour savoir qu'elle ne pardonnerait jamais le meurtre de leurs parents. Pourtant, Anatoli Clari en personne avait envoyé des excuses écrites à la nouvelle Reine Amazone, assurant à cette dernière qu'il n'était nullement au courant des manigances de son neveu, Liam Clari, le directeur du Monastère. Plus encore, il lui avait assuré qu'il regrettait la disparition de Philéa comme de Jacen. Si Eléa n'y avait pas cru une seconde, sachant pertinemment que la mort de Philéa arrangeait bien le Consul, Jelenna sentait que le vieil homme était sincère. Il avait correspondu des années durant avec leur mère et cette dernière prétendait qu'il n'était pas aussi terrible qu'il le paraissait. Plus encore, elle semblait lui faire confiance, suffisamment pour que les relations entre les deux cités se soient considérablement améliorée. Thémis Clari, la fille du Consul, avait d'ailleurs fait partie de ceux qui l'avaient sauvée par le passé, lorsque le Dieu Azael l'avait faite prisonnière. Il était évident pour la princesse bis qu'Anatoli Clari, s'il profitait de la situation avec la disparition de la puissante et influente souveraine, en était sincèrement attristé. La mort du Templier était également quelque chose qui avait du le toucher. A vrai dire, Jacen avait été recueilli à Cydonia et pris en charge par le Consul après le départ de sa femme. Quelque chose de particulier les unissaient.

Quoi qu'il en soit, tout cela n'entrait pas en ligne de compte. Pour Eléa, il était responsable de la mort de leurs parents et elle chercherait nécessairement à les venger. Trois ans déjà que les deux figures d'Azthia avaient disparues et bientôt, toute cette histoire prendrait fin, que le dernier chapitre se solde ou non par un échec. Jelenna ignorait comment sa grande sœur comptait s'y prendre mais elle sentait qu'elle se préparait. Son Esprit lui demeurait inaccessible là où il lui avait toujours été ouvert. La petite ne pouvait se tourner vers personne d'autre qu'elle même. Aerin était à Tamawa et malheureusement, il ne connaissait pas suffisamment Eléa pour l'éclairer. Le seul qui aurait pu l'aider était Maître Jiven mais ce dernier était bien trop touché par la mort de Jacen et de Philéa pour qu'elle se permette de lui remémorer ces souvenirs. Elle savait que l'homme avait une profonde amitié pour l'ancien co-directeur, qu'ils avaient grandi ensemble avec Celyween. Désormais, il se retrouvait seul sans eux et c'était suffisamment douloureux pour lui sans que la jeune fille en rajoute. Elle savait également qu'il avait toujours admiré Philéa jusqu'à en avoir eu des sentiments pour elle. Inutile de le nier, cela se voyait clairement quand on le connaissait suffisamment bien pour le comprendre. Quoi qu'il en soit, Jelenna ne pouvait pas se permettre de se tourner vers lui bien qu'elle l'apprécia grandement et qu'il soit le dernier adulte censé qu'elle connaisse en ce bas monde.

Face à son impuissance, incapable de consoler son aînée, Jelenna avait également eu du mal à accepter la disparition de leurs parents. Leur famille était enfin recomposée, enfin heureuse depuis la naissance de la petite Lyanna que rien ne semblait pouvoir troubler tout ça. Lorsque le Temple avait été pris par Scarlett et sa bande, finalement, ce n'était pas dérangeant. Jacen vivait à Silmarie mais passait beaucoup de temps avec elles. Et puis … ses relations avec Eléa s'étaient clairement améliorées. Du jour au lendemain, ils avaient tous étaient privés d'eux. Ici à Muria plus qu'ailleurs, il était difficile de vivre avec ce fardeau. Les Amazones avaient perdu plus qu'une Reine, elles pleuraient toutes une sœur, une mère et une amie. Ce poids pesait désormais sur ses héritières en plus de leur propre chagrin. Eléa et Jel' étaient les plus âgées, elle devait protéger les leurs et assurer la survie de Muria. Si la prêtresse avait craint que l'aînée ne perde la tête, Eléa était restée froide et digne de son nouveau rôle de souveraine. Prête à tout pour protéger les siens, elle n'avait pas hésité une seconde à diriger. Ensemble, elles avaient surmonté leur chagrin pour avancer.

Jelenna devait avouer que Philéa et Jacen lui manquaient cruellement. Elle se réveillait la nuit, le cœur serré en se rappelant qu'ils ne seraient plus jamais là pour la consoler, pour lui sourire ou même pour lui dire « bonjour » chaque matin et « bonne nuit » chaque soir. C'était un rituel idiot peut être mais elle avait insisté pour qu'il perdure chez les plus jeunes. C'était la force de leur famille qu'elle témoignait ainsi … Du fond de son cœur, la petite espérait qu'il aient trouvé la paix tous les deux et qu'ils puissent « vivre » enfin heureux. Le destin les avaient séparés puis ils avaient su reprendre leur route commune. Les choses n'avaient jamais été faciles mais ensemble, ils avaient tout surmonté. Les mensonges, les peines, la douleur, ils avaient su recréer un cadre familial sain et s'aimaient réellement malgré leurs différences. Des deux, la demoiselle n'aurait su dire qui lui manquait le plus et en même temps, elle s'en moquait totalement. La sagesse, le calme et la voix posée de son père comme la fougue, la fierté et l'intelligence qui brillaient dans les yeux de sa mère, rien ne saurait jamais égaler les deux figures qu'étaient ses parents. Se blottir dans leurs bras lui était à jamais interdit. Elle qui était pourtant ritualiste ne parvenait pas à les rencontrer. Sans doutes était-ce leur choix, celui de laisser les vivants en paix et d'attendre tout simplement l'heure où ils pourraient tous à nouveau être ensemble.

« Finissez de lire ce chapitre les filles, je reviens tout de suite. »

La réincarnation de Diane embrassa ses deux cadettes, Elana et Denea avant de s'éclipser. Elle doutait que les deux jumelles lui obéissent mais peu importait. Elle était grande désormais, si elle devait surmonter le deuil de ses parents, elle devait prendre ses responsabilités et affronter la Reine. Eléa ne pouvait pas tout gérer toute seule, ce temps là était révolu et il n'était pas question qu'elle continue de croire que c'était à elle de tous les protéger. D'un geste sur, la jeune Amazone frappa à la porte et entra sans attendre la réponse. Le Conseil était réuni et visiblement, elle en troublait sa séance. Peu importait.

« Je suis désolée de vous interrompre, je dois parler à ma sœur. En privé. »

Il était pour ainsi dire tellement rare qu'elle se montre si autoritaire et fasse preuve d'autant de force dans ses propos que les cinq sages se levèrent et quittèrent la pièce en silence. Quand elles furent sorties et que la porte se referma sur elles, Jelenna ne laissa pas le temps à son aînée de réagir et de s'énerver, elle ne la connaissait que trop bien pour savoir qu'elle n'aurait pas le temps d'en placer une si elle ne tentait pas dès maintenant de s'affirmer face à elle. Eléa était toujours comme ça, à vouloir la protéger. Aujourd'hui, il était temps qu'elle partage son fardeau.

« Eléa, je sais ce que tu prépares, je m'en doutes du moins. Ne nie pas s'il te plait. Ecoute, je ne suis plus une enfant, il est temps que tu me dises la vérité. Je ne sortirais pas d'ici sans la connaître. »

Le temps était passé tellement vite.
Je n'avais pas vu passer les jours, ni même les semaines ou les mois, enfermée que j'étais dans ma tristesse et dans ma colère. Depuis la mort de Philéa, depuis celle de Jacen, nous étions seuls dans cette foutue cité qui continuerait toute notre vie à nous prendre ce qu'on aimait le plus. Pour Muria, j'avais perdu le père de ma fille, mes propres parents et tant d'Amazones … Azthia était sans cesse à feu et à sang et c'était aux vivants de perdre ce qu'ils possédaient de plus cher pour sauver ceux qui restaient. C'était tellement facile de partir les premiers … Depuis la mort de la Reine, j'avais pris sa place et pourtant, Philéa avait encore tellement à faire. Dans les premiers temps, je me suis sentie tellement seule, tellement impuissante que j'ai pensé à m'enfuir. C'est idiot, je sais, mais ce n'est que parce qu'ils étaient là que j'ai décidé de rester. Je suis donc restée dans la cité, endossant avec fierté et force le rôle de souveraine bien que je ne sois pas forcément la plus compétente pour cela. J'ai vite appris, sur le tas comme on dit en général mais au moins, je sais ce que je dois faire désormais. Pour m'assurer le calme et la paix, je dois me venger. Non, pas me venger, la vengeance ne mène à rien de plus qu'à la colère et la haine. J'ai suffisamment souffert de la vengeance par le passé. Elle m'a pris Feanaro, puis volé des années avec mon père avant de comprendre mes erreurs et d'avancer. Mais je n'avais pas avancé suffisamment vite pour en profiter.

La colère.
J'ai toujours eu cette colère et cette haine en moi. D'abord envers mon père que je pensais être le salaud le plus admirable que cette terre ai porté pour nous avoir abandonné ma mère et moi et puis quand j'avais appris la vérité, j'avais détesté ma propre mère de m'avoir menti à son sujet. Finalement, j'avais du attendre des années avant de lui pardonner et ce n'était qu'aujourd'hui que je comprenais les choix difficiles qu'elle avait du faire. Je crois même au fond de moi que j'ai toujours su que j'aurais agi de même si j'avais été dans sa position. Peut être était-ce la raison pour laquelle je n'avais jamais pu taire cette colère, parce que finalement, je n'étais pas si différente d'elle ? Philéa avait ses tords, j'avais les miens, tout comme Jacen en avait aussi mais aujourd'hui, je regrette juste de ne pas avoir su avancer plus vite sur le chemin du pardon et de la « sagesse ». J'aurais peut être pu changer les choses …

La justice.
Je ne cherche que la justice désormais.
Je n'ai pas cette colère sourde et envoûtante qui me bouffait de l'intérieur par le passé, simplement cette colère froide qui me pousse à agir. Je sais que je ne cherche pas à les venger, uniquement à rendre justice à cette mort infâme. Liam Clari. Ce chien doit mourir pour expier sa faute et je m'emploie à cela depuis maintenant tellement de mois que j'en ai perdu la notion du temps. Il m'est parfois difficile de jongler entre les affaires de Muria et cette vendetta personnelle mais je sais que je peux compter sur le soutien infaillible de mes Amazones. Le Conseil m'a beaucoup aidé lorsque j'ai repris le pouvoir après ma mère et aujourd'hui, j'ai l'impression de voir dans leurs yeux de la fierté. Je me trompe peut être mais je crois que je n'ai pas encore fait trop d'erreurs pour diriger la cité et lui assurer un plein essor comme du temps de Philéa. D'un autre côté, les Cinq m'ont aussi aidé au sujet de Liam Clari. Certaines étaient pour l'assassinat d'Anatoli Clari mais pour ma part, je veux uniquement la tête de Liam et la présenter à Anatoli Clari. Peut être que je prendrais la peine de le tuer aussi ou alors, que je l'emmènerais avec moi pour qu'il assiste à la décadence de sa propre cité. Son satané Joyau. Pour l'instant, je suis parvenue à planifier la mort du Directeur Zélote de bout en bout. J'ai pris en compte tous les aléas et ce soir, je sais que je peux compter sur le Conseil pour m'aider dans l'achèvement de mon projet. Je ne peux pas confier cette tâche à quelqu'un d'autre car je sens au fond de moi qu'elle me revient. Ils étaient mes parents mais plus encore, en les tuant, Liam Clari s'est adjugé le droit d'ôter la vie, le droit de prendre l'hégémonie sur nous et de détruire ce qui ne lui appartient pas. Cet espèce de fou a cru que la cité tomberait en tuant sa tête, il ignorait sans doutes que ses héritières ne laisseraient jamais Muria derrière elles. Jamais. C'est de notre honneur que de réclamer justice et puisque la voie traditionnelle n'a rien donné, puisque le Consul se borne à protéger son subordonné de neveu, alors je dois prendre ce qui est mien par moi-même.

Lorsque Jelenna entra, je me demandais encore pourquoi elle tenait tant que ça à me parler mais en voyant son regard si pénétrant, son air si sure d'elle, je compris avant même qu'elle n'ouvre la bouche. Elle savait que je préparais quelque chose et elle voulait y prendre part, ou au moins essayer de m'en dissuader. Je n'avais pas envie de me battre avec elle sur le pourquoi du comment ce que j'envisageais était juste ni sur mes motivations mais je devais bien admettre que cela devait arriver un jour. Je ne pouvais pas partir comme ça sans donner une explication, au moins une, à Jelenna. S'il m'arrivait quelque chose, c'était à elle que reviendrait le pouvoir, même si elle l'ignorait. J'avais fait en sorte que ma jeune sœur soit la prochaine reine au lieu de ma fille le temps que cette dernière soit devenue majeure. Quoi qu'il en soit, je sentais qu'il était inutile de lui mentir ni même de nier ou d'esquiver la question alors je soupirais et décidais de me lancer.

«Assieds-toi Jel'. »

Je regardais cette petite fille qui n'en était plus une et je me sentais soudain nostalgique. Jelenna avait grandi, tellement grandi depuis toutes ces années. Elle était restée dans mon esprit cette petite fille haute comme trois pommes que j'avais aimé dès le premier regard. Mère m'avait laissé choisir son prénom et peut être était-ce pour cela qu'un lien si particulier s'était tissé entre nous dès sa naissance. Peu importait, je l'aimais comme je n'avais jamais aimé personne et j'aurais tout donné pour elle. La jeune fille qui se tenait devant moi et s’asseyait n'avait plus rien à voir avec la petiote qui courait derrière moi pour que je lui fasse « un tour de magie » comme elle disait. A mes pieds, Haiiro bailla de sorte qu'elle me tira de mes pensées. Je plongeais mon regard dans celui de la petite princesse bis et ajoutait

« Je ne compte pas me venger rassure-toi, je cherche simplement à honorer la mémoire de nos parents. Je cherche la justice et non le meurtre pur et simple. » je marquais une pause pour observer sa réaction mais elle ne dit rien alors je lâchais plus simplement,« Je vais tuer Liam Clari. »

Je savais qu'elle était au courant, qu'elle s'en doutait mais j'attendais sa réaction avant d'aller plus loin. En réalité, je n'avais pas peur, j'étais persuadée que mon choix était le bon et plus encore, je me sentais forte. Cette force, je pensais alors qu'elle était synonyme de justice, je me rendrais compte plus tard que j'avais tord. Pour l'heure, j'étais sure de moi et certaine que la voie dans laquelle je m'engageais était la plus juste.

Jelenna avait pensé qu'il lui serait nécessaire de convaincre sa sœur aînée de tout lui expliquer, qu'Eléa, comme d'habitude, rechignerait à lui avouer la vérité et qu'elle devrait une fois encore la pousser dans ses retranchements pour savoir ce qu'il se tramait même si au fond, elle savait déjà ce que la reine Amazone allait tenter. Elle en avait une bonne idée en tout cas. Elle fut surprise de constater que sa grande sœur était plus résignée qu'en colère et plutôt disposée à lui avouer la vérité. Cela ne manqua pas de la surprendre également lorsqu'elle lui proposa avec calme de s'asseoir. Peut être qu'avec le temps, Eléa avait fini par comprendre qu'elle était toute aussi capable qu'elle d'affronter les vérités et la réalité en face ? Peu importait, Jel' voulait cette vérité car, si elle ne pourrait pas dissuader sa sœur d'aller jusqu'au bout, elle pourrait au moins l'épauler et limiter si possible les pertes. En silence, la demoiselle se faufila d'un pas souple et distingué vers la chaise libre indiquée par son interlocutrice et attendit que cette dernière reprenne la parole.

Il était inutile de brusquer Eléa, du moins pas quand elle s'était enfin décidée à parler. En effet, il n'y avait pas de pire méthode pour l'énerver et, sans s'attirer ses foudres, elle se fermait comme une huître et ne répondait plus. Mieux valait donc éviter cela et faire en sorte de la laisser venir d'elle-même. Brusquer les choses ne lui apprendrait rien de plus sur la situation et elle ne pourrait pas connaître les détails essentiels lui permettant de veiller aux arrières d'Eléa. Philéa, leur mère, avait toujours dit avec le sourire que si Eléa était le bras, Jelenna serait le cœur et la tête. Sans savoir réellement à quoi elle faisait référence, il arrivait parfois à la cadette de penser qu'elle n'était pas si loin de la vérité. Lorsqu'elle reprit la parole, Jelenna retint son souffle sans vraiment s'en rendre compte. Il était évident que ce que lui confiait sa sœur était « secret » mais plus encore, qu'elle lui ouvrait son cœur.

La révélation n'en était pas vraiment une.
Jelenna savait ou plutôt se doutait qu'Eléa comptait agir de la sorte. Il n'y avait qu'à voir ce qu'elle avait entrepris pour retrouver leur père et se venger de lui lorsqu'elle croyait encore aux mensonges de leur mère. Jacen avait beaucoup souffert de son vivant de cette situation même s'il ne s'en était que rarement ouvert. Quoi qu'il en soit, il avait souffert en silence de cette haine violente et destructrice qui couvait chez sa fille aînée, prête à tout dévorer. Aujourd'hui, force était de constater que ce n'était pas la haine pure que ressentait la princesse bis chez son aînée mais une colère froide, contrôler et quelque part bien plus terrifiante que les accès de colère impulsive qui la caractérisaient jusque là. Visiblement, dans le cas présent, la souveraine en titre avait pensé à tout et ce n'était pas la vengeance mais bien la justice qui l'animait. Elle avait quelque part fait beaucoup plus de chemin que la jeune réincarnation concernant le meurtre de leurs parents …

« Je ne chercherais pas à t'en dissuader, je sais à quel point cela peut être inutile. » Jelenna eut un sourire qui en disait long sur la relation des deux sœurs avant de poursuivre d'un ton toujours aussi calme « Je ne cautionnerais pas le meurtre de Liam Clari pour autant, je pense que papa ne l'aurait pas souhaité »

Elle se tut, réfléchissant à la suite. Devait-elle aider Eléa malgré tout ? N'était-elle pas sa sœur ? Ne devaient-elles pas venger leur père et leur mère pour l'horrible mort qu'ils avaient subi en défendant leurs idéaux ? Non, ce n'était pas comme cela qu'on obtenait justice, ce n'était pas non plus comme cela qu'on consolait les vivants car rien ne ramenait les morts de l'au-delà. Il fallait apprendre à vivre et, sans pardonner, il fallait agir dans la lumière et ne pas se laisser happer par l'ombre de la vengeance … Car il s'agissait bien de vengeance. La justice n'était rien là dedans, prendre la vie d'un homme, aussi mauvais soit-il n'était pas rendre la justice. N'est ce pas ? Philéa n'aurait pas été d'accord, mais c'était ce que Jacen lui avait enseigné. Au fond de son cœur, Jelenna connaissait la réponse. Si la vengeance était tentante, elle ne lui rendrait pas ses parents. En revanche, elle ne comptait pas empêcher Eléa d'agir, la jeune femme le ferait un jour ou l'autre de toute façon. La demoiselle soupira et ajouta alors

« Quel est ton plan ? » devant l'air satisfait de son aînée, l'Amazone reprit d'un ton plus doux mais cependant explicite « Ne te méprends pas, je ne cautionne toujours pas ce que tu nommes justice, je veux uniquement m'assurer que Muria n'offrira pas une nouvelle Reine au Joyau. »

Il lui en coûtait énormément de dire cela mais au fond, c'était la vérité. Muria ne pouvait perdre une nouvelle fois sa reine pour les beaux yeux de Cydonia. Il fallait à tout prix éviter de catapulter une gamine de dix ans sur un trône qui ne lui revenait que par le sang. La cité avait suffisamment souffert, leur famille, en miettes, avait suffisamment souffert, c'était fini, il fallait avancer. Si pour cela Eléa avait besoin de sang, Jelenna la laisserait se gaver de celui de l'assassin de leurs parents, même si elle ne pouvait pas cautionner cet acte par respect pour les préceptes de son père et du Temple en général, mais elle ne comptait pas laisser sa sœur se détruire par la même occasion!

Ah ah, elle avait bien grandi la petite fille qui pleurait le soir après avoir fait un cauchemar. Elle était passé où la gamine qui venait squatter mon lit toutes les nuits de peur que les monstres qui hantaient ses rêves ne a dévorent ? Cette gamine qui, du haut de ses sept ans, avaient su donner la foi à tout un peuple ? C'était une enfant hier encore mais pourtant, plus je l'observais, plus je voyais une femme devant moi. Sans doutes le sale petit morpion d'Aerin y était-il pour quelque chose. La mort de nos parents également malgré tous mes efforts pour la protéger. Quelque chose me disait que l'enfant était partie loin et cette pensée m'attrista. J'aimais Jelenna, je l'aimerais toute ma vie et donnerait jusqu'à mon être pour elle, je l'avais déjà prouvé et je n'hésiterais pas à le refaire mais je me demandais encore comment elle avait pu grandir aussi vite en si peu de temps. Sans doutes qu'au final, maman avait raison, on ne voyait jamais vraiment grandir ceux qu'on aimait. On ne pouvait que constater un jour qu'ils n'étaient plus les mêmes, qu'ils étaient adultes et qu'on ne pouvait plus que les guider sur la bonne voie pour les voir s'éloigner. Ce jour-là, Philéa m'avait avoué qu'elle était fière de moi, de ce que j'étais devenue et qu'elle me faisait confiance pour la suite. Ce foutu jour où, ensemble, nous étions allées reprendre le Temple. Jusque là, maman ne nous avait jamais ouvert son cœur de la sorte. Pensait-elle qu'il y avait une chance pour qu'elle ne revienne jamais ? Je ne crois pas. Elle savait juste qu'il était temps de tout nous dire. Quoi qu'il en soit, elle m'avait avoué ne pas m'avoir vu grandir mais voir en moi une femme accomplie qu'elle espérait voir s'épanouir. Elle n'en aurait pas la chance mais je comptais bien lui rendre hommage et lui faire honneur. Jelenna n'était plus une gamine. Elle était une adulte ou presque et bientôt, je n'aurais plus rien à lui apprendre. Elle savait déjà beaucoup, elle avait de toute façon toujours eu de l'avance sur les autres. Éveillée, vive d'esprit, Jel' avait toujours eu tendance à se montrer bien plus perspicace que les enfants de son âge. La demoiselle était maintenant tellement perspicace qu'elle n'avait eu aucun mal à comprendre ce que je comptais faire et qu'elle savait déjà qu'il était inutile de tenter de me faire changer d'avis. Inutile et peine perdue. Non ça, c'était sans doutes parce qu'elle me connaissait par cœur.

Papa et maman étaient morts.
La phrase avait tourné en boucle dans mon esprit ce jour-là et j'avoue qu'elle tournait toujours autant le soir quand il fallait coucher les plus jeunes. Les questions des enfants étaient toujours très dérangeantes et rappelaient bien souvent aux adultes la perte de ceux qui étaient partis trop tôt. Non, je n'étais pas d'accord pour accepter aussi facilement leur disparition. Leur meurtre. Ce bâtard de Clari allait payer. La justice n'était rien en ce bas monde, les Cydiens pouvaient faire ce qu'ils voulaient, personne ne s'opposait à eux. Et bien je n'avais pas l'intention de laisser les choses comme ça. Pas question que le meurtre de mes parents reste impuni. Quelle excuse pourrie que de dire qu'il les avait confondu avec des brigands. Allez, à d'autres Liam Clari. Bref, Jelenna savait que ma colère, froide et réfléchie, ne pourrait pas être détournée.

Je m'attendais à sa réponse. Je savais qu'elle ne cautionnerait pas mon choix. Je savais aussi pourtant qu'elle ne m'en empêcherait pas. Cela avait toujours marché comme ça entre elle et moi. J'avais réfléchis trop longtemps sur mon sujet pour qu'il soit mis à l'eau. Pas question. Pas avant d'avoir essayé.

« Papa n'aurait pas souhaité cela Jel'. Il n'aurait pas voulu partir, il aurait préféré rester avec nous, voir grandir les p'tites. Il n'y a qu'un coupable, que cette foutue cité protège et qui peut vivre impunément. J'ai d'abord pensé à tuer sa femme et sa fille pour nous venger mais c'était folie. Lui prendre sa vie sera justice et ça, Jacen l'aurait compris. »

Je savais que nos parents étaient trop jeunes pour mourir. Peut être que j'aurais mieux accepté la situation s'ils étaient morts comme des clampins dans leurs lits mais non. Ils avaient donné leur vie pour nous offrir une vie future, un avenir. Savoir que LUI pouvait profiter de sa femme et de sa petite fille alors qu'il en avait privé mes parents était intolérables. Je n'aurais même pas réclamé sa vie, juste qu'il soit jugé et puni pour ses fautes mais non, le vieux Consul l'avait protégé. On ne devait pas pouvoir toucher à sa famille … Bah à la mienne non plus. Sans hésiter, je racontais à Jelenna comment je comptais agir. Il m'avait fallu du temps pour mettre ce plan au point. J'avais mûri chaque partie de ce plan, demander des conseils, étudier des vieilles cartes etc. Je tentais de rassurer également ma sœur, sachant qu'elle ne voulait pas perdre un nouveau membre de sa famille.

« Je reviendrais Jel'. Je ne vais pas chercher la mort, juste la justice. Je ne risque rien, tout se déroulera bien et … si jamais je ne reviens pas malgré tout, je sais que tu sauras veiller sur eux. »

J'étais sincère, je savais que je reviendrais. Je ne voyais pas pourquoi ça se passerait mal. J'avais tout prévu. Tout. Je reviendrais à Muria pour assurer la place qui était la mienne. Je lui souriais et, avec calme, ajoutais :

« Jelenna, tu sais que je ne te mens pas. Tu peux avoir confiance. »

La jeune fille n'était plus une enfant, elle se savait capable de comprendre les raisons qui poussaient sa grande sœur à agir ainsi et pour autant, la demoiselle n'était pas encore prête à suivre son aînée dans ce genre de périples de vengeance … En réalité, son cœur lui hurlait de se venger, de prendre à cet homme autant que ce qu'il avait pu leur prendre à eux mais son éducation comme sa tête lui disaient de se calmer, que cela ne ramènerait pas son père et sa mère et que, pire que tout, cela pourrait avoir des conséquences néfastes sur le monde. Une guerre entre Muria et Cydonia apporterait le sang et la mort. Si la cité Amazone était sure ou presque de remporter la bataille, il était évident qu'elle avait plus à perdre qu'autre chose … Jelenna était comme tous les gens normaux et censés, elle aurait souhaité la mort de ce Liam Clari si elle avait eu l'occasion de le tuer elle-même mais cela ne lui rendrait pas ses parents. Trop de mal en ressortirait, cela ne valait pas le coup. Alors pourquoi ne pas dissuader sa grande sœur d'agir ?

Plus elle écoutait Eléa, plus la petite se disait qu'elle devait lui avouer sa peur de la perdre. Plus encore, elle se sentait responsable. Sa mère lui avait dit un jour qu'elle serait le guide, le calme dans la tempête qu'Eléa pouvait provoquer à cause de son caractère mais la demoiselle ne s'en sentait pas capable. A l'heure actuelle, si elle désapprouvait l'action de son aînée, la petite ne parvenait cependant pas à lui dire d'arrêter, à la remettre dans le droit chemin. C'était une mauvaise idée mais en même temps … N'était-ce pas justice ? Si Anatoli Clari ne voulait pas la leur offrir alors … Non. Elle devait arrêter ce projet maintenant. Son père n'aurait pas souhaité tout cela ! Mais en même temps, Clari avait mis la vie de tellement de gens en danger pour ses ambitions personnelles...

« Je ne suis pas certaine qu'on puisse parler de justice en prenant la vie d'un homme. Je … je ne crois pas que cela nous apaisera. Ta place est ici, avec nous ! »

Plus que ce que sa sœur comptait faire, la petite craignait que leur reine ne revienne jamais. Muria était fragilisée par la perte de Philéa même si l'aînée de la fratrie était douée dans ce métier, alors la perdre causerait énormément de mal et plongerait sans doutes la cité des femmes libres dans le chaos le plus total... Sans un mot, malgré l'angoisse qui saisissait ses sens, l'Amazone écouta le plan que projetait de mettre à exécution sa souveraine. Avec patience, avec calme, la jeunette ingurgita les informations et se les assimila. Lorsque ce fut fait, elle comprit qu'il avait des failles, béantes, énormes, car Eléa n'avait pas spécialement prévu ce qu'il se passerait en cas d'échec de sa mission. Certes elle avait prévu comment fuir la cité en cas de succès mais que faire si elle se faisait prendre avant ? Ou pendant sa fuite ?

« J'ignore si nous pouvons parler de justice ou de vengeance mais je sais une chose, tu ne reviendras pas si ton plan échoue. Ne le nie pas, tu n'as pas prévu une seule seconde que tu puisses échouer. J'ai confiance en toi, mais je sais aussi que si mère était là, elle te dirait que mieux vaut prévenir que guérir. »

La gamine réfléchit à la situation. Si jamais la mission échouait, cela voudrait dire que la Reine se trouverait en plein cœur de Cydonia et, encore pire, qu'elle serait aux mains des ennemis ...

« Si tu tombes entre leurs mains, ils n'hésiterons pas à te tuer. Tuer l'héritière fera tomber la cité ... »

Jelenna se tut, réfléchissant encore à la situation. Elle énonçait à voix haute ses pensées et sa réflexion. Elle finit par se rendre compte que la faille, outre le fait qu'elle soit béante, serait difficile à combler.

« Il faudrait s'assurer que quoi qu'il arrive, tu puisses quitter la cité ou être certaine de rester en vie. »
La petite réfléchissait lorsque le flash se fit. Il n'existait qu'une seule chose qui avait toujours su faire plier Anatoli Clari. Qu'une seule et unique personne plutôt. Sa précieuse « bâtarde ». Il avait couvert ses frasques lorsqu'elle était gamine, l'avait protégée malgré ses origines et Jelenna était à peu près certaine que, s'il n'avait pas touché à son neveu qu'il ne semblait que apprécier malgré le meurtre de Philéa et Jacen, il était prêt à tout pour sa famille. C'était la force des Clari que de se protéger les uns les autres mais … et si c'était aussi leur faiblesse ? La femme de Liam était une option également mais Jelenna n'était pas certaine que le vieux Consul la protège autant que sa propre fille dont elle savait beaucoup. La solution n'était certes pas parfaite et tenait beaucoup à la réaction du vieil homme mais c'était toujours mieux que rien. La faille était encore existante mais elle aurait le temps d'y réfléchir. Pour l'instant, elle avait le début d'une piste et puis … Eléa avait dit que tout se passerait bien n'est ce pas ?

« Si jamais les choses tournent mal, je ferais en sorte que Storghein fasse pression sur Cydonia pour les empêcher de … enfin d'agir. Tu devrais envoyer un messager à l'Oblat immédiatement, je me chargerais de m'assurer du soutien de Silmarie. Avec trois cités prêtes à l'attaquer, même Anatoli Clari n'osera pas tuer une Reine Amazone. J'ai beau y réfléchir, je pense également qu'il faudra avoir en notre possession quelque chose à laquelle il tient et … Eléa, je refuse de croire que cela nous apportera la paix mais je refuse également de te perdre. Il nos faut capturer Thémis Clari, elle est la clé car je pense que rien ne fera plus plier son père que de la savoir entre les mains de ses ennemies. »

Qu'on lui pardonne ce qu'elle venait de dire, ce qu'elle s'apprêtait à faire … Qu'on lui pardonne … parce qu'elle aimait sa famille plus que tout.

[ Désengagées ]

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