[DA 160] Leçon en famille (pv Thémis)

Innocence sur le chemin de la raison.
Quête de savoirs et de pouvoirs.
Apprentie.

Une fois ces quelques mots tracés sur mon carnet, je le refermais avec un sourire satisfait. J'aimais bien écrire des mots comme ça dans mon carnet avant d'entreprendre une journée. Aujourd'hui justement, maman m'avait promis de m'entraîner. J'étais entrée depuis un an environ à l'école élémentaire et j'adorais apprendre encore et encore. Je regrettais juste que ce ne soit pas papa qui m'apprenne à maîtriser le feu mais, vu son caractère, c'était peut être mieux que ce soit maman qui s'en charge. Papa n'était pas du genre patient et il avait du mal à s'exprimer de sorte que je comprenne vraiment ce qu'il attendait de moi … Maman quant à elle était beaucoup plus gentille, douce et patiente. J'aimais bien m'entraîner avec elle et j'avais hâte de commencer ce cours particulier. A l'école, c'était un peu difficile d'être « la fille Clari » mais j'aimais bien les cours qu'elle dispensait. Un très bon professeur, c'était clair et tout le monde le disait ! Même du haut de mes neuf ans je ne pouvais qu'être d'accord parce que c'était clair que maman était bien meilleur que l'autre vieux qui nous parlait de théorie élémentaire … Je détestais ce cours, plus encore celui sur la philosophie mais peu importait, là, j'allais m'entraîner. Enfilant ma tunique d'élève, je descendais dans la cuisine en dévalant l'escalier. Elios était déjà en train de prendre son petit déjeuner. Je l'embrassais sur le front tandis qu'il enfournait sa tranche de pain dans sa bouche, déjà couverte de confiture à la groseille. Il bafouilla un bonjour et je lui souriais. J'adorais mon petit frère, c'était un gamin intelligent et honnête, à la bouille d'ange. Évidemment que je l'adorais ! Maman entra dans la cuisine, nous prévenant que papa était parti tôt ce matin et que grand père passerait prendre Elios dans une demie-heure environ. J'étais contente de le voir lui aussi mais j'avais surtout hâte de commencer à m'entraîner. Maman du comprendre mon impatience car elle m'indiqua que nous ne partirions qu'après le passage de grand père …

Grand père était passé avec notre tante et notre cousine, la fille de Liam et Alizée. Ils avaient pris Elios et, comme toujours, ma tante ne m'accorda pas un regard. Je savais qu'elle n'aimait pas mon physique si proche de ceux qu'elle détestait mais peu importait. Maman m'avait appris à passer outre ces détails et je pouvais presque comprendre ma tante de réagir comme ça. Elle préférait Elios, c'était évident, tout comme la plupart des gens. J'étais un peu jalouse mais moi, j'étais la meilleure de nous deux pour maîtriser le feu ! Je me contentais de ça pour ne pas pleurer parce que ça faisait quand même mal de voir que j'étais différente et que tout le monde en profitait pour être méchant avec moi. Des fois, j'aurais bien aimé avoir les cheveux bruns et les yeux noisettes de mon petit frère … La voix de maman me rappela à la réalité et je souriais instinctivement.

- Dis, on va faire quoi aujourd'hui ? On va s'entraîner ? Avec une arme ?

Je fus déçue de voir que maman ne réagissait pas à mes questions. J'étais excitée et j'avais du mal à me calmer mais j'essayais quand même de ne pas paraître trop impatiente. Si maman était patiente, elle n'aimait pas spécialement pour autant le manque de respect.

- Désolée … je n'ai pas écouté ce que tu as dis.

Honteuse, je me concentrais enfin et la suivait en silence. Elle m'emmena dans la même salle que la dernière fois sans pour autant répondre vraiment à mes questions. Je savais qu'elle faisait ça pour m'embêter et j'entrais dans le jeu, la harcelant gentiment de questions détournée pour qu'elle réponde à son tour de façon détournée. C'était un jeu que nous adorions, parce que ça me forçait à réfléchir à la façon de dire les choses de façon détournée et je trouvais marrant que maman me réponde comme ça. Une fois arrivées, je la regardais et, cette fois, je me taisais. Je savais que cette fois, on était entré dans le vif du sujet. Je devais rester sérieuse et concentrée et l'exercice verbal jusque là n'était que le prélude de l'entraînement. Avec impatience mais en silence, j'attendais que maman me dise ce qu'on allait faire cette fois-ci !

La jeune femme savait que savait était désireuse d'apprendre. Depuis sa plus tendre enfance, la jeune héritière des Clari souhaitait de tout son cœur rendre ses parents mais essentiellement son grand-père maternel fier d'elle. Sa différence physique, qui avait été un fardeau durant très longtemps, vibrait désormais en elle comme un trésor. Les cheveux roux de la petite fille flamboyaient le long de son dos et encadraient son visage d'enfant, faisant ressortir sa peau de porcelaine et ses yeux océans. « Les mêmes yeux que sa mère », c'étaient les premiers mots de Soren lorsque la métisse avait repris connaissance en donnant naissance à leur fille. Ce jour-là, bien qu'il manqua de marquer la fin de sa vie, fut le plus beau de sa vie. Thémis Clari avait donné naissance à une petite fille, Astorg jusqu'aux ongles physiquement mais en grandissant, Cydienne à en faire pâlir les plus loyaux. La jeunette était douce, fière et prête à tout pour défendre ses origines. Depuis que sa tante avait insinué qu'elle n'était pas digne d'être une Clari, l'enfant s'était mise en tête de devenir la meilleure dans tous les domaines qu'elle testait. Depuis qu'elle était entrée à l'école élémentaire, la jeune élève était motivée et en demandait toujours plus. Thémis avait espérée qu'elle apprenne à maîtriser l'eau mais il était devenu rapidement évident qu'elle avait hérité des dons de son père pour les flammes. Inquiète à l'idée qu'elle ne se blesse, sa mère avait demandé au Capitaine de l'entraîner. Soren avait refusé dans un premier temps mais la médecin avait su trouver les mots. Pourtant, ces derniers temps l'homme partait tôt et ne revenait que tard dans la journée, comme si quelque chose se tramait et que l'armée comme le Sénat devaient s'y préparer. Sans doutes se faisait-elle des idées … Thémis enfila une tunique légère mais suffisamment chaude pour qu'elle ne craigne pas d'être malade. Elle avait préalablement préparé le petit déjeuner et son fils devait déjà engloutir ses tartines à la confiture de groseille avec envie. L'élémentaire s'attacha les cheveux rapidement en une queue de cheval pour lui permettre une facilité de mouvements et boutonna le haut de sa tunique. D'un pas décidé, elle sortit de la chambre parentale.

« Ne mange pas trop mon chéri, ton grand-père ne va pas tarder. »

La jeune femme déposa un baiser sur le front de son fils et embrassa Erys sur la joue. Elle les observa quelques instants encore, saisissant cet instant de bonheur dont elle avait tant rêvé quand elle était enfant. Thémis Clari avait enfin une famille à elle et la jeune femme ferait toujours tout pour la protéger. Elle dévora du regard ses enfants avant de soupirer en silence.

« Tu es prête ma puce ? »

Elle savait sa fille particulièrement excitée et sentait son envie pressante d'aller s'entraîner. Exactement comme elle à son âge, Erys manquait totalement de calme et sa patience était plus que limitée. Il était évident qu'elle devait avant tout apprendre à se taire et à écouter … C'était peut être la première raison pour laquelle son père refusait de lui enseigner quoi que ce soit en ce moment, lui qui avait tant de mal à supporter l'impatience. Thémis connaissait sa fille pour savoir qu'elle était simplement jeune et qu'avec ce jeune âge rimait l'impatience et l'envie de tout apprendre tout de suite. Elle accepta cependant ses excuses à l'instant même où Anatoli venait chercher Elios.

La salle d'entraînement était encore vide et l'élémentaire se doutait qu'elle le resterait encore longtemps, c'était la raison pour laquelle elle y avait emmené sa fille. Il était particulièrement difficile à Thémis d'entraîner son propre enfant, de peur de la blesser ou autre mais la jeune femme savait qu'elle était la seule à pouvoir l'aider et lui enseigner les mouvements qui lui seraient utiles. Soren était un combattant né mais elle était une médecin, elle savait qu'Erys pouvait apprendre sa méthode de travail.

« Je vais t'apprendre les mouvements de base, tu es d'accord ? »

Sans même attendre quoi qu'elle ne réagisse, la Clari commença à effectuer le premier mouvement de base que lui avait appris son maître par le passé. De nombreux souvenirs affluaient dans sa mémoire en repensant à ce passage de sa vie. Avec souplesse, la jeune femme effectua un mouvement ample avec les bras suivis d'enchaînements secs et brefs. Elle répéta l'expérience trois fois avant de reprendre sa position initiale. Elle se rendit compte à quel point cela lui avait fait du bien de répéter ces quelques mouvements, si basiques soient-ils. Son enfance lui remontait à la gorge lorsqu'elle observa sa petite fille. Erys était aussi fluide et fine qu'elle à l'époque et pourtant, elle sentait brûler en elle des désirs et des croyances qui ne l'avaient jamais animé par le passé. Fière d'elle, l'Astorg lui adressa un sourire calme. D'une voix neutre, elle demanda :

« A ton tour, répète les mouvements que je viens de te montrer. »

J'étais excitée, je ne pouvais que difficilement le nier mais je savais aussi que maman n'apprécierait pas si je me mettais à sauter partout et à la harceler de questions. Je préférais que ce soit elle qui commence à parler mais elle garda le silence pendant tout le trajet. Je me demandais du coup ce que nous allions faire sans parvenir à me calmer. J'étais tellement excitée que je n'avais même pas fait attention au trajet et qu'il passa malgré tout très vite. Perdue dans mes pensées, je m'imaginais déjà en train de combattre, de faire des pirouettes, de lancer des jets de flammes de plusieurs mètres de long. En proie avec mon imagination, je me voyais déjà devenir en quelques minutes la meilleure élémentaire de tous les temps, plus forte encore que mon père et plus douée que ma mère. Pourtant, quelque chose me souffla le contraire quand nous arrivions à la salle d'entraînement. Maman s'arrêta devant la porte et la poussa d'un air satisfait. Constatant qu'il n'y avait personne, je me demandais pourquoi elle était si contente. Avec qui allais-je m'entraîner si personne n'était là ? Qui allait voir mes exploits ? Un peu déçue, je préférais là encore me taire, vexée que j'étais en comprenant que nous serions seules et que les beaux rêves que j'avais esquissé ne resteraient que des rêves, bien sagement enveloppés dans leur brume. Malgré mes efforts, je ne parvenais pas à dissimuler ma déception et sans doutes maman le perçut-elle parce qu'elle me parla vraiment gentiment. Plus que d'habitude si c'était possible.

J'avais déjà eu l'occasion de m'entraîner un peu avec papa. Il ne parlait pas beaucoup, sauf pour donner des ordres, mais j'aimais bien sa façon de me montrer comment me placer, quelle position adopter. J'avais toujours l'impression que ces moments n'appartenaient qu'à nous et si je regrettais qu'il ne me parle jamais vraiment, je me disais que c'était peut être sa façon de communiquer avec moi. Pourtant, je crois que je préférais quand c'était maman qui s'occupait de moi mais là, j'étais déçue. J'avais beau retourner la situation dans tous les sens, je sentais qu'on allait pas faire grand chose de plus que … des mouvements de base. Voilà.

Non, je n'étais pas d'accord. Mais en même temps, est ce que j'avais le choix ? Si maman était plus calme et plus patiente que papa, elle avait la même tolérance que lui concernant le manque de respect. Autant dire que j'avais tout intérêt à l'écouter, surtout après avoir tant insisté pour que ce soit elle qui m'apprenne tout ça. Je rechignais à la tâche, me plaçant sans grande conviction face à elle pour suivre ses mouvements. Je n'avais pas répondu à sa question mais peu importait, je suivais avec toute mon attention disponible ce qu'elle me disait de faire, c'était déjà suffisant. Je m’exécutais de mauvaise grâce et reproduisait les mouvements sans y mettre vraiment du cœur à l'ouvrage. Je refaisais le même manège deux fois de suite avant de finalement m'arrêter, boudeuse.

- Pourquoi fait-on toujours les mêmes mouvements ? J'en ai marre, je pensais qu'on allait se battre ! Que tu allais me montrer des techniques de combat, pas ces mouvements que j'apprends déjà depuis des mois.

Je me doutais que maman le prendrait mal mais j'en avais vraiment marre de toujours faire la même chose. Ces mouvements, je les apprenais plus ou moins à l'école, elle nous demandait de les refaire à la maison et j'avais l'impression qu'ils n'étaient pas fait pour moi. Je les connaissais par cœur, c'était bon non ? J'étais capable de les faire machinalement sans même réfléchir !

- Chuis pas une élémentaire d'eau moi ! bougonnais-je dans mon coin en croisant les bras, bien décidée à ne plus faire ces stupides mouvements.

J'étais consciente que j'allais sans doutes vexer maman mais j'étais moi-même frustrée de ne pas pouvoir faire ce que je voulais. Après tout, je ne resterais pas toute ma vie une enfant, je devais apprendre à me battre ! Si on m'avait donné le feu comme élément, c'était bien pour me battre pas vrai ? J'allais quand même pas rester là bien sagement toute ma vie …

La jeune femme avait compris que sa fille n'était pas spécialement passionnée par ce qu'elle essayait de lui transmettre. Pour ainsi dire, Erys était une de ces enfants précoces, douée pour tout ce qu'elle entreprenait et suffisamment maligne pour apprendre par elle-même ce qu'elle ne parvenait pas à obtenir des adultes. La mère en elle était extrêmement fière mais elle s'inquiétait également que la petite fille ne brûle les étapes et ne parvienne pas à apprendre toutes les ficelles de cet art qu'était la maîtrise élémentaire. Thémis avait tenté enfant à sauter les étapes et elle s'en était rapidement mordue les doigts. La discipline et la rigueur étaient les seules clés pour devenir douée dans ce domaine. Sachant pertinemment que la demoiselle n'apprécierait pas spécialement d'apprendre une nouvelle fois les mouvements de base, la médecin avait essayé de faire de son mieux pour lui faire comprendre que sans la répétition de ces gestes apparemment si simples, elle ne pourrait pas progresser. Soren et ses professeurs avaient tenté de le lui faire comprendre à leur tour, chacun à leur façon mais visiblement, leurs efforts avaient été aussi vains que ceux de la jeune mère. A voir sa précieuse enfant réagir et s'exécuter de mauvaise grâce, des sentiments mêlés saisir la Cydienne. Erys était douée, indéniablement, elle était également têtue et pour cela, elle ressemblait énormément à sa mère. Aussi butée que son père, elle était également impatiente et fière. La métisse l'observa réaliser ce qu'elle lui avait demandé en s'attendant à une nouvelle vague de protestations qui ne se fit pas attendre plus longtemps. La petite moue boudeuse de l'enfant aurait pu la faire sourire en d'autres circonstances mais Thémis se refusait à céder. Elle était pour l'heure son élève et elle se devait d'apprendre. La vie ne serait jamais tendre avec elle, d'autant plus parce qu'elle était une Clari.

Beaucoup entendaient ce nom comme un cadeau pourtant, ceux qui le portaient ne se sentaient pas plus puissants pour la plupart. Thémis avait vécu son enfance comme un calvaire, son nom porté comme une croix jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle devait faire face et devait le percevoir comme une force. Métisse, fille illégitime de l'homme le plus puissant de la cité, fille de traîtresse, la jeune Clari en avait tellement entendu enfant qu'elle faisait tout pour protéger celle qui avait le plus hérité de ses gênes. Physiquement, rien ne différenciait Erys d'une Astorg, ses cheveux roux, ses yeux d'un bleu océan si semblables à ceux de sa mère, sa peau blanche, autant dire qu'elle ne passait pas aperçue. C'était pour cette même raison que Thémis voulait qu'elle comprenne qu'elle devait fournir des efforts, que tout ne lui serait pas toujours offert sur un plateau et qu'elle ne devait surtout pas se reposer sur le nom qu'elle portait. Être une Clari ne la protégerait pas éternellement, un jour, elle serait grande et devrait se battre seule. La vie ne lui ferait aucun cadeau et si son nom était une bénédiction à son âge, tous ses camarades l'adulant en espérant quelques faveurs de son grand-père, la professeure savait que cela changerait. Une fois que le Consul quitterait son poste, leur nom ne vaudrait plus grand chose de plus qu'une légende. En dehors de cela, à supposer qu'un Clari reprenne un jour le flambeau, Erys devait apprendre à se démarquer par elle-même, pour ce qu'elle était et non pour ce qu'elle pensait être réduite à. Elle était une Clari, c'était évident, mais elle était avant tout une petite métisse pleine de talents qui devait se forcer à avancer au lieu de rester sur ses acquis. D'un geste de la main, Thémis fit taire sa petite fille. Elle était pleinement consciente que l'exercice était difficile et ennuyeux tout comme elle savait qu'elle l'avait sans doutes réellement répété des centaines de fois cependant, si elle le maîtrisait, elle devait également faire corps avec pour progresser par la suite, sans quoi, elle resterait au même niveau toute sa vie. Calmement, Thémis se rapprocha de la jeune fille et posa sa main sur ses bras croisés. Elle se doutait qu'il était difficile pour elle de saisir l'opportunité qui lui était offert. Erys était assoiffée de connaissances, elle n'avait pas envie de stagner.

« Ma puce, je sais qu'il est difficile pour toi de comprendre à quel point ces mouvements sont importants. Tu te contentes de les reproduire à merveille certes, mais tu ne fais pas corps avec. Cela n'a rien à voir avec l'élément que tu maîtrises, si tu ne comprends pas ton élément, alors tu seras un perroquet toute ta vie, douée pour reproduire, pas pour créer. »

Thémis sourit à sa petite protégée en comprenant que rien ne fonctionnerait comme elle l'avait prévu. Tant que sa fille ne mettrait pas du cœur à l'ouvrage, tout ce qu'elle pourrait lui apprendre ne servirait à rien. Soren avait rapidement perdu patience, sans doutes parce qu'il ne connaissait pas aussi bien qu'elle la petite rousse. Si elle s'était refusée à de telles solutions jusque là, force était de constater qu'elle devait maintenant les envisager, pour leurs biens à toutes les deux. Erys ne comprendrait que d'une seule et unique manière ce qu'elle souhaitait lui transmettre, en le vivant. Sa mère soupira et finit par sourire avant d'ajouter :

« Je sais que tout ce que je dirais ne te feras pas changer d'avis. Tu penses que nous ne voulons pas t'apprendre davantage pour je ne sais quelle raison et tu as tord. Chacun apprend à son rythme et à sa façon, je crois que le seul moyen de te faire comprendre ce que l'on cherche à te transmettre reste d'essayer à ta façon. »

Elle se recula de quelques pas, tournant volontairement le dos à son enfant. Se préparant psychologiquement à ce qu'elle estimait être l'épreuve la plus difficile qu'elle avait eu à réaliser jusque là dans sa jeune vie, Thémis se retourna vers sa fille et finit par lui dire d'un voix autoritaire où ne régnait rien d'autre que celle du professeur qu'elle était.

« Attaque-moi. Vas-y, montre-moi que j'ai tord. »

Boudeuse, je n'avais pas vraiment envie de faire des efforts et ce, même si j'étais consciente que cela chagrinait vraiment maman. Je savais qu'elle faisait de son mieux pour m'enseigner tout ce qu'elle savait et je me doutais également que je mettais sa patience à rude épreuve mais pour autant, j'étais fatiguée d'être toujours traitée comme une novice qui doit se contenter d'obéir. L'action ne semblait même pas les effleurer. Et si on nous attaquait demain ? Je voulais être prête à défendre ma cité, ma famille et tout ce qui faisait jusque là ma vie. Je voulais être prête à sauver maman, papa ou Elios des dangers et à assurer leur protection. J'étais grande maintenant, j'avais l'impression de l'être en tout cas, et je voulais à mon tour leur prouver que je pouvais prendre soin d'eux et veiller sur eux. J'étais jeune, j'en étais consciente, mais je sentais que la force qui dormait au fond de moi pouvait être dévastatrice et tout autant protectrice. Si seulement quelqu'un acceptait de m'apprendre à la maîtriser, à la dompter pour en faire une précieuse alliée au lieu d'une dangereuse ennemie tapis au fond de mes entrailles …

Je regardais ma mère non sans un certain désespoir. J'avais le sentiment qu'elle ne comprenait pas le feu qui m'animait, pas plus que mon père ne l'avait compris. Papa était quelqu'un qui n'aimait pas s'encombrer de détails et il ne réfléchissait en général que peu à ce que je pouvais ressentir ou à ce que ses mots pouvaient avoir comme portée profonde. Il ne s'encombrait pas de ce genre de détails et il n'avait pas cherché à comprendre ce qui me motivait le plus au fond de moi. Savoir que sa fille voulait devenir la meilleure Zélote que le Joyau ai connu ne lui avait pas même effleuré un seul instant l'esprit. Il s'était contenté de la former, de la modeler pour qu'elle ne se laisse pas prendre par le feu qui brûlait en elle … je regrettais ce choix. Je ne comprenais pas pourquoi papa et maman passaient leur temps à veiller sur nous. Elios était encore petit d'accord, mais j'étais prête maintenant et je voulais le protéger à mon tour. Éviter que les grands ne l'embêtent et tout faire pour rendre mes parents fiers. Pourquoi ne voulait-on pas me donner les clés qui me permettraient d'ouvrir toutes les portes qui jusque là m'entravaient ?

Je voulais apprendre, je voulais percer les mystères de ces étranges dons qui grandissaient en moi et surtout, je voulais être fière du nom que je portais. Je voulais voir briller dans les yeux de grand père la même fierté qu'il avait en regardant maman. Je voulais que ma tante ferme sa grande bouche face à moi et qu'elle cesse de me rabaisser. Je voulais être quelqu'un de respecté, de fier et de courageux. Je voulais tout cela et au lieu de quoi, je me retrouvais à esquisser des gestes tellement stupides, tellement vains. « Importants » … tu parles. C'est surtout que tu aimerais que reste ta petite puce pour toujours ! Je rageais intérieurement contre maman, parce qu'elle ne comprenait pas. De toutes les personnes adultes qui m'entouraient, maman était celle qui nous comprenait le mieux Elios et moi et là, elle faisait comme si de rien n'était, comme si elle ne voyait pas mon envie d'en savoir plus. Elle était une élémentaire tellement réputée … comment ne pouvait-elle pas comprendre ces sentiments qui se mêlaient en moi ?

Plus je l'écoutais, plus je me sentais déchirée entre plusieurs sentiments. J'avais envie de lui hurler à la figure que j'en avais marre des leçons qui tournaient en rond mais en même temps, je comprenais aussi qu'elle veuille que je maîtrise à la perfection les bases de cet art avant de m'aventurer plus loin dans sa compréhension et son apprentissage. Je savais que ce qu'elle disait était vrai, chacun de ses mots trouvait un écho positif en moi et pourtant, je savais aussi que je voulais juste apprendre, aller plus loin et être forte. Je me moquais d'être un perroquet, je voulais juste savoir faire des choses aussi folles et impressionnantes que papa et elle. J'étais la fille de deux élémentaires doués et reconnus pour leurs talents et leurs qualités respectives, je voulais être comme eux ! Je dois avouer que je me sentais coupable, maman semblait triste de me voir réagir ainsi et de repousser ses enseignements avec toute la force de ma mauvaise foi mais pour autant, je n'avais pas envie de reculer. Je voulais apprendre. Pourtant, lorsqu'elle me proposa de l'attaquer, mon cœur se serra, irrémédiablement, je me sentais coupable. Je posais sur elle un regard plein d'incompréhension mais je ne croisais que sa détermination. Maman était sérieuse et, visiblement, je tenais ma chance de prouver que j'avais raison de vouloir apprendre et avancer sur le chemin au lieu d'en prendre tous les détours. Hésitante, me demandant si tout cela avait un quelconque sens, je reculais d'un pas avant de me rendre compte que je devais passer par là. Maman avait dit vouloir me prouver que j'avais tord, cela signifiait donc qu'elle n'avait pas encore compris ma soif de connaissances et qu'elle se refusait à croire en la sincérité de mes motivations. Mais … et si je la blessais ? Impossible pas vrai ? Maman était la plus douée des élémentaires d'eau, je n’étais qu'une apprentie … Mais il y avait un risque. Je ne maîtrisais pas spécialement mes pouvoirs et je risquais de lui faire mal … Hésitant encore, je m'accrochais à son regard, à cette volonté farouche qu'elle avait de vouloir me prouver que j'avais tord. Sans même plus penser à quoi que ce soit d'autre, je voulais lui prouver que ce n'était pas le cas.

Lentement, j'avançais d'un pas, puis de deux et, prenant une longue inspiration, je faisais le vide dans ma tête pour ensuite sentir le feu brûler en moi. Je visualisais une petite flamme à l'intérieur de ma tête et je m'accrochais à elle pour maintenir ma concentration comme nous l'avait appris les professeurs à l'école. Je devais lui prouver que j'avais les bases, que je les maîtrisais à la perfection. Utilisant les gestes que l'on m'avait tant de fois montré, j'hésitais une ultime seconde avant de comprendre que je devrais mettre toutes mes forces comme si ma vie en dépendait, c'était ce que maman attendait de moi, je ne pouvais pas la décevoir alors que c'était moi qui avait demandé tout cela. J'avançais d'un nouveau pas et lançait mon poing vers l'avant d'où jaillit un rayon de flammes. J'étais trop loin, cherchant dans ma mémoire, je me souvenais des leçons de stratégie que l'un des professeurs avait commencé à nous distiller. J'avançais plus rapidement et continuais d'enchaîner les mouvements pour la prendre dans un jet de flammes sans trop oser la viser directement non plus. Je ne voulais pas la blesser, j'étais terrorisée à cette idée ! Je sentais mes forces se vider trop rapidement mais j'avais cette foi en moi de vouloir lui montrer de quoi j'étais capable et je savais que je pouvais la faire plier. J'en étais persuadée.

La jeune femme était plus que consciente que sa petite fille était avide d'apprendre cependant, elle ne pouvait pas brûler les étapes à chaque fois et se contenter de survoler les exercices qu'elle n'appréciait pas ou jugeait à tord trop longs et inutiles. Les bases de l'art élémentaires étaient la répétition et l'entraînement, le calme et la patience, si Erys n'était pas capable de les assimiler, alors elle ne serait jamais une bonne élémentaire, elle ne ferait que copier au lieu de créer et cela, Thémis voulait le lui éviter. La gamine avait le potentiel pour devenir quelqu'un d'exceptionnel, sa mère en aurait mis sa main au feu mais pour autant, elle ne se donnait jamais à fond et rechignait trop souvent à faire ses devoirs. Par conséquent, ses progrès se montraient discrets, trop sans doutes à son goût pour qu'elle ai réellement envie de s'investir un peu plus dans les leçons. L'art élémentaire était frustrant, dans les premiers mois, la personne faisait toujours des progrès spectaculaires et rapides mais venait ensuite une longue phase de stagnation où les dons se révélaient petit à petit et avec une grande parcimonie si bien que la plupart des enfants avaient tendance à baisser les bras et à se laisser porter au lieu de persévérer. Erys ne faisait même pas partie de cette catégorie, au contraire, elle était douée et n'avait la plupart du temps même pas besoin de faire un réel effort pour créer une flammèche aussi, elle considérait comme acquises les bases alors qu'elle était tellement loin de la vérité. Son père n'avait pas réussi à le lui faire comprendre et, peu patient, il avait demandé à sa femme d'agir sans quoi, il ne pourrait rien lui apprendre de plus. Néanmoins, Thémis craignait d'échouer également tant sa fille était retorse à l'idée de considérer ces entraînements comme d'une importance capitale.

Erys semblait enfin saisir l'opportunité de faire ses preuves et de démontrer sa valeur. Thémis ne souhaitait pas la dégoûter ou la détourner de son don naturel à maîtriser le feu, simplement lui faire comprendre qu'elle ne savait rien sur ce dernier et qu'elle serait toujours à la merci des autres en se montrant aussi bornée et butée. Elle attendit néanmoins en silence que la petite fille se décide à réagir et à l'attaquer, sachant qu'il était sans doutes difficile pour elle d'appréhender les choses de cette manière. Leur relation quasi fusionnelle ne laissait pas vraiment la place à un éventuel combat entre la mère et la fille ! Elle avança d'un pas, puis de deux, comme si elle se sentait intimidée. Elle se concentra et si Thémis savait que tout cela ne lui serait pas permis en conditions réelles, elle la laissa faire, cette leçon serait pour plus tard, en même temps sans doutes que l'humilité qu'elle semblait ignorer totalement. Sa première attaque était ridicule, trop loin, pas assez préparée mais la médecin n'en fit aucune remarque et ne laissa rien paraître. Erys devait apprendre seule de ses propres erreurs de jugement pour progresser. Elle continua d'avancer pour enchaîner les mouvements. Ils étaient bien exécutés, parfaitement même il était vrai mais elle ne faisait attention à rien d'autre. La gamine n'avait pas un seul instant fait attention au fait que sa mère avait augmenté petit à petit l'humidité de la pièce au point que ses jets de flammes s'en retrouvaient affectés. Elle n'avait pas non plus pris garde à la flaque d'eau qui s'étendait désormais à ses pieds et qui allait se révéler fort utile pour la contrer. Sans même esquisser un geste, Thémis sourit et lança son attaque. Erys fut alors submergée par une langue d'eau qui éteignit ses chances de porter un coup décisif.

Elle s'approcha alors de la petite fille pour lui redresser le nez et lui sourit avant de conclure d'un ton calme, de celui qu'elle employait pour ses élèves.

« Tu connais les mouvements, je suis bien d'accord mais tu te contentes de les répéter mécaniquement. Lorsque vraiment tu auras compris leur importance, tu seras capable de les faire instinctivement, ce qui te permettra de te concentrer sur les actions de ton adversaire. Tu étais trop focalisée sur ta maîtrises et ce que tu devais faire et pas assez sur mes mouvements ou mes attitudes. Tu comprends désormais ? »

Son ton doux tranchait avec son regard très sérieux. Une fois que sa fille aurait assimilé ce principe, il était évident qu'elle serait à même d'apprendre réellement quelque chose de leur séance matinale. Tant qu'elle se cantonnerait à répéter mécaniquement les gestes par obligation et non par passion, elle n'apprendrait rien et resterait une proie pour les autres.

« As-tu envie d'apprendre désormais ? »

Elle ponctua sa dernière phrase d'un sourire taquin avant de déposer un baiser sur le front encore mouillé de sa précieuse progéniture. Elle aimait cette enfant, plus que tout et surtout, malgré ses petits défauts. Elle se recula d'un pas pour laisser sa fille assimiler sa leçon et attendit avec patience qu'elle lui réponde.

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