[INTRIGUE][DH 163] Là où tout a commencé (terminé)

Topic réservé à Eloween.

Les bougies, reliées entre elles par d'épaisses toiles d'araignées, furent allumées lentement les unes après les autres par une longue torche au bois irrégulier. La pièce macabre retrouvait peu à peu de la lumière, et ce qu'on voyait ne la rendait pas plus belle - bien au contraire: les murs étaient recouverts de tapisseries à moitié déchirées par le temps et le feu, les fissures sur les murs témoignant d'un endroit à l'abandon proie des infiltrations d'eau. Un antique lustre se balançait faiblement sous la brise sous un cliquetis qui résonnait glacialement dans la pièce.
Et la silhouette continuait d'allumer les bougies.
Le sol devint plus visible. Recouvert de poussière et de petites pierres qui s'étaient décrochées du toit et des murs. La pièce s'agrandissait au fur et à mesure que les ombres reculaient, mais pour resurgir inévitablement au moment le plus opportun. A présent, le milieu de la pièce était devenu totalement visible grâce à l'action de la petite forme: les bougies entourées un large pupitre de pierre, dont les gravures vieillissantes ne suffisait pas à redonner un semblant d'humanité à cet endroit.

Et pourtant. Il ne fallait pas longtemps pour reconnaître que cette large pièce était le lieu de procession des Grandes Prêtresses de Silmarie, lorsqu'elles rendaient hommage à leur déesse. Le lieu de culte le plus riche, le plus entretenu et le plus important de la Cité, celui duquel tout est parti. Qu'a-t-il pu lui arriver pour qu'il soit dans un tel état ? Les bancs en bois n'étaient plus que des lattes rongées par le temps, les ornements des façades délavées et vieillissantes. Jamais un Elfe vivant n'aurait accepté de voir son lieu de culte dans un tel état. Était-ce vraiment le même endroit ?
Était-ce vraiment la même époque ?

La silhouette s'arrêta soudain, tournant le dos. Ce n'était plus une ombre à présent: elle était d'assez grande taille, portait un foulard dans les cheveux d'où dépassait une fine tresse. Elle était vêtu d'une simple tunique en cuir de couleur rouge sang qui lui donnait un air d'assassin dans cette pièce obscur. Le son de ses pas et du vents s'étant arrêtés. Elle ne bougeait plus. Elle restait le dos tourné vers toi, fixée sur un livre miteux à l'épaisse couverture grenat que tu reconnus presque instantanément pour l'avoir lu plusieurs fois. Et ce livre lui appartenait.
Ayaween se retourna, son visage faiblement éclairé par une bougie devant elle qui faisait obstacle entre toi et son livre, ses mémoires de Grande Prêtresse. C'était bien elle, ta prédécesseur, bien que tu ne l'aies jamais vu avec un tel visage. Son regard pénétrant semblait veiller sur toi et pourtant, tu te rendais vite compte que tout ce qui t'entourait n'avait rien de réel. La salle était trop poussiéreuse, trop vieillissante pour être celle que tu avais quitté quelques heures auparavant … Un rêve, tout cela ne pouvait être qu'un rêve. Il semblait que le rêve lui-même était un écho du passé, comme trop vieux pour rester net, il vacillait ici et là, troublant les détails, détruisant les vérités. Seule la silhouette semblait présente. Beaucoup plus jeune que ce qu'elle n'aurait du l'être, Ayaween était vêtue des robes de cérémonies des Grandes Prêtresses de Silmarie. Si le lieu semblait sur le point de tomber en poussière, ton ancêtre était bien là.

Tout ceci n'était qu'un écho du passé, il fut un temps jadis où Nalween, celle qui te succéda, fit le même rêve que celui que tu t'apprêtais à faire. Ayaween lui était alors apparue comme fragile, au bord de la folie tandis qu'aujourd'hui, elle était droite, calme et semblait plus peinée par ce qu'elle s'apprêtait à annoncer que folle. Un rêve, rien n'était jamais réel et pourtant, le monde des songes avait toujours été important dans la culture sylvestre. Les prêtresses du passé étaient les gardiennes de l'avenir de la cité. Quelque chose allait se passer, bon ou mauvais. Et pourtant, la voix que tu entendais était tellement réelle. Douce, paisible, elle était celle qui hantait tes rêves depuis de nombreux jours maintenant.

« Eloween »

Nul doutes désormais que tu étais celle qu'elle attendait ...

17 ans.
Dix sept longues années que la jeune fille parcourait les terres d'Azthia. Ses parents, ses frères s'étaient-ils doutés ne serait-ce qu'un instant de la destinée qui l'attendait ? Du fardeau qui pèserait sur ses trop jeunes et trop frêles épaules ? La réponse demeurerait silencieuse de nombreuses années encore, tant que la belle n'aurait pas revu ses parents sans doutes. Dans l'autre monde, ils veillaient sur elle. Parfois, elle croyait les voir en rêve. Songes ou vérité, peu importait, la jeune fille aimait à croire qu'ils la protégeaient, peu importe où ils se trouvaient. Elle sentait au fond d'elle que le monde lui promettait encore de belles aventures mais jamais l'enfant qu'elle était encore n'aurait pu imaginer ce qui l'attendait.

Les rêves prémonitoires faisaient partie de son quotidien. Depuis toute petite, elle vivait au rythme des rencontres avec les Grandes Prêtresses du passé. Nalween, sa prédécesseur, lui avait dit de prendre gare à chaque parole qu'elle pourrait apprendre d'elles. A toujours peser le pour et le contre car si elles étaient sages, elles ne possédaient pas la connaissance infinie pour autant. L'adolescente savait que l'Elfe parlait par expérience. Trompée par son instinct, elle avait décidé de s'ouvrir au monde plutôt que de fermer les portes de la cité comme le lui suggérait Ayaween. Si cela avait permis à son peuple de survivre, il lui en tenait encore rigueur aujourd'hui. Au fond d'elle même, Eloween savait pourtant que la jeune femme avait agi pour le mieux et que, sans cette intervention, jamais Silmarie n'aurait pu survivre aux épreuves qui s'étaient dressées sur son chemin. Si les Elfes n'étaient pas encore prêt à l'accepter malgré toutes ces années, la demoiselle savait que ce serait le cas dans peu de temps. Le temps changeait les comportements, ce qui passait pour une trahison serait bientôt perçu par les générations suivantes comme un acte de bravoure et de dévouement. Dix sept ans, et déjà capable de percevoir ce que le commun des mortels ignorait. Arwen se moquait bien souvent de la petite sur ce point même si elle partageait son avis, ayant été une grande amie de Nalween en son temps. Tout le monde n'était pas capable d'apprécier son sacrifice à sa juste valeur. Personne ne pouvait comprendre cet amour pour son unique enfant. Eloween savait qu'elle n'aurait jamais d'enfant à elle, certes, mais elle comprenait l'amour qui liait la mère à sa progéniture. Elle se souvenait de celui qui vibrait dans les yeux de sa propre mère, de ce lien indéfectible qui, malgré la distance de la mort, n'avait pas pu se briser. Avec tristesse, elle ne pouvait qu'attendre que son peuple soit prêt à accepter tout cela.

Ses songes étaient souvent les mêmes. Adolescente, elle retrouvait son corps d'enfant, ce même corps qu'elle avait quitté quelques années plus tôt sans regret. Dix sept ans et les allures d'une enfant de dix ans plus jeune. C'était à cela qu'elle reconnaissait l'importance de ses rêves. La pièce dans laquelle elle pénétrait avait des allures macabres. Plongée dans une semi-pénombre, elle n'était éclairée que de bougies. Des tapisseries pendues au mur ne restaient que des lambeaux abîmés par les flammes et le temps. Le sol qu'elle foulait pieds nus était couvert de poussière, comme si la pièce était abandonnée depuis des années. D'instinct, Eloween sut où elle se trouvait et pourtant, elle sentait que « quelque chose » était différent.

Une silhouette hantait les lieux, allumant les bougies d'un geste mécanique, presque inhumain. Vêtue d'une tunique rouge sang, elle avait l'air d'un assassin et pourtant, il suffit que la petite fille croisa son regard pour qu'elle sache de qui il s'agissait. Ayaween.

Son regard était calme, posé, et il semblait comme protecteur. Mais de quoi voulait-elle protéger l'enfant, cela, elle n'aurait su le deviner. Le décor trembla quelque peu, comme si tout n'était qu'une vaste illusion orchestrée par des personnes extérieures au rêve et qui ne parvenaient pas à la maintenir en place. Seule la Grande Prêtresse était réelle. Présente, elle veillait sur l'enfant. Ses vêtements se muèrent en une robe élégante, la même qu'Eloween portait le soir même pour célébrer la gloire de Silmaria dans le Temple. La voix raisonna dans l'immense pièce trop vide. C'était donc bien elle qu'on attendait mais l'enfant se demanda pourquoi. Hésitante, elle fit un pas de plus vers sa prédécesseur, ne cessant de se rappeler ce que Nalween lui avait dit à son sujet. Cette Dame n'avait pourtant l'air ni folle, ni à enfermer. Au contraire, elle ne semblait que trop lucide, comme si le poids de ce qu'elle avait à partager lui pesait trop lourdement sur les épaules.

« Dame Ayaween »

Les mots semblaient bloqués dans sa gorge. Impressionnée, redoutant ce qu'elle avait à lui annoncer, la prêtresse ne savait pas qu'elle attitude adopter. Sa robe jusqu'alors immaculée était ternie par la poussière environnante. Ses pieds, gelés par le sol trop froid, étaient quand à eux d'une couleur indescriptible et elle préférait ne pas y penser. La pièce qu'elle connaissait si bien éveillée l'effrayait dans ce rêve.

« Sang de mon sang ... » la petite se tut, consciente qu'elle devait attendre et non réclamer. Chaque chose venait en son temps à celui qui savait les accueillir.

Il fut un temps où elle avait été le porteur de biens sombres promesses. Une nouvelle fois, le destin s'en était mêlé et une nouvelle fois, Ayaween se devait de porter de biens sombres nouvelles à sa jeune protégée. Les Grandes Prêtresses veillaient les unes sur les autres, vivantes ou mortes, elles étaient le corps d'une seule et même âme. Incarnation de la déesse Silmaria, elles avaient toutes participé à sa gloire sur ces terres fertiles d'Azthia. Le peuple Elfe n'avait jamais été si prospère depuis ces dernières années et pourtant, elle se faisait oiseau de mauvaise augure. D'un geste lent, elle s'approcha de toi et saisit ta main tremblante. Avec un sourire paisible, elle embrassa cette main potelée d'enfant. Elle savait que tu avais peur, plus encore, elle savait que tu étais effrayée par ce qu'elle allait t'annoncer. Le monde vacilla autour de vous. Les murs tombèrent, brisés par enchantement. Le livre et le pupitre disparurent, comme s'ils n'avaient été qu'un écho du passé. La poussière se mua en vastes prairies d'herbes vertes et grasses, gorgées de la rosée matinale. Le ciel, d'un bleu sans nuage, réchauffait le sol et les cœurs. Chaque parcelle de ce rêve était gorgé d'une vie qui semblait presque trop « vivante » pour en être réelle. Le regard d'Ayaween se portait avec amour sur chaque créature avec un amour infini et son rire cristallin emplissait l'air d'un son doux à l'oreille de n'importe qui.

Ta robe avait retrouvé son éclat immaculé. Tes pieds, toujours nus, baignaient désormais dans la rosée du matin, fraîche mais agréable. Tu n'avais plus ce corps d'enfant, tu étais désormais la jeune Eloween, du haut de ses dix sept jeunes années. Quelque chose avait changé même si tu n'étais pas encore consciente de ce qu'il se passait. Le vent s'amusaient dans vos cheveux tandis que doucement, ta prédécesseur t'entraînait à sa suite. Son rire se fit distant puis disparut pour ne laisser place qu'à la chaleur de sa main tenant fermement la tienne. De temps à autre, Ayaween s'arrêtait, comme sur le point de t'avouer quelque chose mais rien ne sortait de ses lèvres, seul son regard trahissait un amour infini, une compassion à toute épreuve. Et la route reprenait. L'herbe était haute et chatouillait tes genoux mais, magie du rêve, ta robe demeurait sèche et le soleil réchauffait ton corps comme ton âme.

Une forme se dessina dans le lointain et il ne fallut que peu de temps pour qu'elle se concrétise. Une maisonnée, telle était votre destination. Avec appréhension mais poussée par la curiosité, tu suivais Ayaween sans un mot, calquant ton pas au sien. A moins que ce ne fusse l'inverse. Il s'échappait de cette maisonnée une fumée blanchâtre, un hameau l'entourait, jusque là invisible. Tout semblait se dessiner au fur et à mesure que vous avanciez. Une fois devant, Ayaween t'indiqua une fenêtre. Ton cœur avait-il compris ? Une charmante se jouait à l'intérieur pour qui savait partager le bonheur des autres. Une jeune Elfe tenait dans ses bras un nourrisson. De l'amour, de la tendresse, mais également une envie irrépressible d'aller à l'encontre de ce petit bout de vie te firent sans doutes comprendre le sens de ce songe. Pourtant, quelque chose n'allait pas. Tu étais trop jeune non ? Le regard voilé par la tristesse de ton interlocutrice acheva sans doutes de te mettre sur la voie.

« Sang de mon sang, ma douce enfant, ne sois pas effrayée. »

Les mots étaient douloureux mais si doux … Le regard empli de compassion, Ayaween t'entraîna à l'écart de la fenêtre et souffla simplement ces quelques mots :

« Ton cœur connaît-il la réponse ? »

Le monde avait changé autour d'elles et pourtant, tout cela ne semblait plus n'être qu'un mauvais rêve. En s'approchant de la maisonnée, Eloween sentit son cœur se serrer à chaque pas. Son esprit n'avait pas encore assimilé ce vers quoi elle se dirigeait mais son corps semblait tout à fait comprendre ce qu'il se jouait dans ce théâtre. La fumée blanchâtre qui s'échappait de l'endroit donnait à la scène une ambiance étrange, comme si rien de tout ce que la petite prêtresse voyait n'était vrai. Tout pris soudain un sens différent, comme si le monde venait de basculer. L'esprit de la Silmarienne comprenait enfin ce qu'il se tramait sous ses yeux lorsqu'elle observa la scène à l'intérieur de la bâtisse. La Grande Prêtresse avait tout oublié sauf le regard de cette jeune femme qui berçait son enfant avec l'amour d'une jeune mère. L'herbe grasse sous ses pieds qui la chatouillait et mouillait doucement sa robe immaculée ne l'intéressait plus, pas plus que les oiseaux, les lapins et autres rongeurs amassés à l'orée du bois à l'arrière de la maison. Rien n'avait plus d'importance que cette jeune Elfe, tenant fermement son nouveau né dans les bras. Le regard que lui portait son frère lui rappelait vaguement quelque chose. Était-ce une scène du passé qui se jouait sous ses yeux ? Son cœur relâcha un peu la pression, une seconde, avant qu'elle ne comprenne réellement.

Cette enfant n'était pas l'écho de son passé, c'était au contraire tout son futur.
Le cœur de l'Elfe manqua un battement lorsque cette révélation fit son chemin dans son esprit et, au fur et à mesure qu'elle prenait acte de l'ampleur des conséquences de ce qu'elle venait de voir, la peur s’immisçait dans son esprit et son corps d'abord lentement puis, de façon tellement violente que les larmes lui montèrent aux yeux. Les paroles d'Ayaween ne parvinrent pas à calmer ses angoisses, au contraire, elle confirmait, elle la confortait dans son état si bien que la demoiselle ne put s'empêcher de prendre la main de son interlocutrice dans la sienne et de s'exclamer :

« Ce … c'est impossible ! »

Ce qu'elle voyait ne pouvait refléter la vérité. C'était impossible.
Elle ne pouvait pas concevoir qu'à dix sept ans, sa vie allait prendre fin. C'était cela le symbole n'est ce pas ? Les petites prêtresses ne naissaient qu'à la fin de la vie de leur prédécesseur n'est ce pas ? Si elle réfléchissait bien, elle-même était née quatre ans avant de prendre la place de Nalween et cette dernière était toujours en vie alors peut être que … Non, Nalween avait été « punie » pour avoir obéi à ses ancêtres. En donnant la vie, l'âme de Silmaria avait quitté son corps pour prendre place dans celui de sa successeur. Eloween n'avait rien fait de tel, elle n'aimait personne au sens corporel du terme, ne ressentait aucune attirance particulière. Qu'est ce que tout cela pouvait signifier ? Allait-elle réellement trahir ? Pire, mourir ? Son regard perdu se posa sur Ayaween qui, jusque là, n'avait pas bronché.

Son cœur avait-il trouvé la réponse ? Peut-être mais elle ne voulait pas le concevoir. Elle ne pouvait pas le concevoir ! Il devait y avoir une autre explication. Toute sa vie durant, elle avait accepté de ne vivre que pour la gloire de Silmarie et de son peuple, comment sa déesse pouvait-elle décider de son destin et la punir ainsi ? Eloween était totalement perdue, elle ne comprenait plus, ne consentait plus à comprendre et finalement, sa voix vibrait de son trouble intérieur lorsqu’elle reprit la parole :

« Cela ne se peut, j'ai toujours agi pour la gloire et le bien-être de mon peuple, je n'ai jamais failli à ma tâche. Dame Ayaween, par pitié ... »

[ Passage à la troisième personne ^^ ]

« Sang de mon sang, ma douce enfant, je suis sincèrement désolée. »

Ayaween ne pouvait mentir à la jeune femme bien que son cœur lui hurle de la protéger. Elle se sentait responsable de la petite demoiselle sans pour autant être capable de la rassurer. Sa mission n'était pas de la rassurer mais de lui avouer la vérité à laquelle elle serait bientôt confrontée car de ses décisions futures dépendraient bientôt la vie de tout son peuple. La façon dont elle prendrait la nouvelle avec le temps et les conséquences de ses actes à partir de ce jour pourraient soit maintenir l'équilibre actuel soit plonger les Elfes et la cité des brumes dans le chaos. L'ancienne prêtresse posa un regard plein de compassion sur la jeune femme et répondit d'un ton qu'elle voulait calme et apaisant :

« Tu es effrayée, je le sens, mais tu ne dois pas l'être, chacune d'entre nous est vouée à accomplir son destin, quel qu'il soit. Ne juge pas Silmaria cruelle de celui qu'elle t'offre aujourd'hui ma douce car ta seule raison d'être est la survie de ton peuple. »

Ces mots étaient durs mais elle se devait de les prononcer. Pour la suite, pour la survie de Silmarie, il fallait qu'Eloween prenne totalement conscience que son destin, sa vie en elle-même ne comptait pas et n'avait jusque là jamais compté. Jamais les Grandes Prêtresses n'avaient eu un destin facile, de nombreuses fois elles avaient du choisir entre bien et mal et mener leur peuple à travers la brume. Eloween n'échapperait pas à son destin mais il ne tiendrait qu'à elle de prendre les bonnes décisions et de ne pas sombrer dans la folie et la peur. Tout ce que ses prédécesseurs pouvaient faire pour la jeune femme était de l'épauler, de la conseiller et de veiller sur elle. Avec douceur, Ayaween serra la main de sa protégée dans la sienne avant de reprendre :

« Le cœur ne ment jamais. Cette petite fille, tout comme toi, sera un jour Grande Prêtresse à son tour. » la dame se tut pour laisser le temps à son interlocutrice de digérer l'information et reprit lorsqu'elle fut certaine que c'était le cas, « Elle se nomme ... »

Le rêve avait basculé.
Eloween s'était éveillée, en sueur, consciente qu'elle venait d'apprendre quelque chose de terrible. Son corps ne semblait pas d'accord et ne voulait pas se rappeler mais après quelques minutes passées à se calmer, le songe lui revint en mémoire. Les larmes roulèrent sur ses joues sans qu'elle ne parvienne à les arrêter. Cruelle, la vérité s'était insinuée dans chaque parcelle de son corps. Il lui fallut une heure environ pour se calmer et mettre ses idées au clair et, lorsque ce fut fait, la Grande Prêtresse se dirigea dans le bureau de sa Tutrice. Ce rêve ne pouvait rester secret, elle se devait de le partager.

- Eloween ?

Les yeux bruns de cette femme avaient toujours eu tendance à taire les angoisses les plus sourdes de la prêtresse depuis sa plus tendre enfance. Une fois encore, Eloween aurait voulu s'y perdre et s'y abandonner mais elle se retint, de l'avenir de Silmarie dépendait ce qu'elle s'autoriserait à partager avec sa plus fidèle et fervente servante. Du haut de ses dix-sept jeunes années, l'adolescente tenait l'avenir de tout un peuple, plus encore, de toute une nation, de toute une terre que leurs ancêtres avaient nommés jadis « Azthia ». Jamais un combat lui avait semblé plus difficile que celui qu'elle allait entamer en cette matinée.

- Tu me sembles pâle, serais-tu souffrante ma petite ?
« Je vais bien, affirma l'enfant qu'elle était encore pour rassurer celle qu'elle avait toujours vu comme une sœur malgré sa propre peur qui la tenaillait encore« Je pense que je devrais te raconter ce dont j'ai rêvé »

Ce ton lourd, cette angoisse naissante dans la voix de sa petite protégée, Arwen ne le connaissait que trop bien. Les rêves prémonitoires étaient le lot quotidien des réincarnations de leur déesse et tous jusque là avaient trouvé un sens et une réalité. Si la petite avait si peur de ce qu'elle avait vu, alors la Tutrice avait tout à craindre à son tour.

- Je t'écoute.

L'enfant conta tout ce qu'elle avait vu, entendu et sentit. Elle avait beaucoup de mal à rester cohérente tant sa peur grandissait mais étrangement, partager ce rêve lui permettait de recouvrer au fil du récit un peu de calme. Lorsqu'elle eut fini, elle sentit que ce qui lui était apparu comme cruel cachait certainement autre chose. Elle n'était que le jouet du destin et seul comptait le peuple sylvestre, pas sa propre personne. Si Silmaria avait décidé de son destin, alors elle ne pourrait pas lutter contre.

- C'est absurde ! gronda la voix d'Arwen.

Comme toujours, Eloween s'était confiée à elle sans retenue, n'hésitant pas une seule seconde et pourtant, la Tutrice avait interrompu le flot de ses souvenirs et de ses émotions avant la fin. L'enfant qu'elle était toujours n'avait pas pu lui révéler l'ensemble de sa vision. Sans attendre une autre réaction de la guerrière, l'adolescente se pressa de poursuivre ses explications, sachant que sinon, elle n'en aurait pas l'occasion. Arwen devait comprendre, sinon, elle ne se sentirait pas d'affronter ce funeste destin.

« Elle se nomme Eveween et naîtra dans un mois. »
- Foutaises !tempêta à nouveau Arwen mais la jeune fille lui fit signe de la main qu'elle n'avait pas fini.

Malgré le lien qui les unissaient depuis de nombreuses années, bien qu'elle fusse la Tutrice depuis les quatre ans de la Grande Prêtresse, Eloween était désormais en âge de s'exprimer et de diriger la cité sans elle, et pourtant, elle la gardait toujours à ses côtés. Ses précieux conseils, son caractère irascible faisait d'elle quelqu'un de précieux. D'un ton doux, Eloween continua d'expliquer la suite de son songe à la jeune femme car sa prédécesseur ne lui avait pas seulement confié cet événement, elle avait également partagé avec elle un secret trop lourd à porter pour les jeunes épaules de la prêtresse. Avant même qu'elle ne puisse le partager, Arwen avait reprit la parole, bien décidé à ne pas écouter la mise en garde de sa supérieure. C'était sans doutes ce qu'Eloween aimait le plus chez l'a guerrière, sa capacité à faire fi de ses ordres, tout comme l'adolescente faisait fi des siens. Leur étrange « couple » fonctionnait ainsi, sans limites mais dans un respect et un intérêt communs profonds.

- Admettons que cette histoire soit vraie, pourquoi avoir rêvé de cette enfant maintenant ? Il est trop tôt pour rêver de ton successeur.

C'était là la partie la plus cruelle de son rêve. Ayaween l'avait mise en garde, elle ne devait pas avoir peur, elle ne devait pas céder aux tentations qui se dresseraient sur son chemin et devrait suivre la voie tracée de son destin. Plus encore, elle ne devrait jamais en vouloir à Silmaria, car la déesse n'agissait que pour le bien de son peuple et la Grande Prêtresse, en tant que représentante terrestre, se devait d'en faire de même. Cependant, le fantôme lui avait fait promettre une chose étrange, lorsque les rouages seraient en marche, lorsqu'elle ne pourrait plus arrêter le court du temps, rien ni personne ne devait pouvoir la détourner de ses convictions. C'était à elle de prendre les décisions et à personne d'autre. Quoi qu'en dise ses rêves, quoi que lui ordonne les anciennes Prêtresses du passé, Eloween serait la seule à pouvoir choisir la fin.

« J'ai rêvé d'elle car elle sera bientôt des nôtres et tu devras l'aimer comme tu l'as fait avec moi. »
- Il suffit, tout ça est impossible !
« Nul ne peut aller à l'encontre de son destin et le mien est de mourir, car seule ma mort apportera le salut à notre peuple. »

Les mots étaient des armes, de dire cette vérité avait une toute autre valeur que de la connaître. A présent, il était gravé dans les mémoires qu'elle allait mourir. Ayaween avait été claire, sa mort ne serait qu'un prélude.

[ Terminé ]

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