Forêt en bordure de Silmarie. Les environs étaient calmes et Arzhel se laissait guider par Beleg. La cavalière avait quitté Storghein quelques jours plus tôt car elle avait besoin de se changer les idées. Elle ne parvenait toujours pas à se faire à toutes les informations que Gorwin lui avait révélé auparavant. Alors elle sillonnait les routes mais revenait régulièrement vers sa ville natale. Ce jour-là, sa monture avait décidé du chemin à emprunter, une route qui traversait la forêt. La dame n'avait pas peur de voyager seule en des contrées qui lui étaient parfois inconnues. Elle savait se défendre et pouvait compter sur ses compétences pour se débarrasser de quelques inopportuns.

Pour l'heure, Arzhel était plongée dans ses pensées et Beleg en profita pour s'écarter de la route et pénétrer sous le couvert. Cela ne dérangea pas sa maîtresse qui continua à ressasser les brides de sa mémoire dans l'espoir d'y trouver une certaine cohérence. Mais il restait des zones d'ombre que Gorwin ne pouvait éclaircir. Elle poussa un soupir et s'intéressa de nouveau à ce qui l'entourait. Rien ne semblait vouloir troubler la quiétude de la forêt, à part Beleg. Chose étrange, elle avait une impression de déjà-vu, comme si elle était déjà passé dans une région semblable. Ne pas trouver de réponse la frustrait légèrement, cependant elle avait constata que s'acharner à trouver des éléments avait tendance à les mettre hors de sa portée.

Un changement dans l'attitude de Beleg ramena instantanément Arzhel dans le présent, les sens en alerte. Encore une habitude qui lui venait de son passé et qui était fort utile. Elle réunit les rênes dans une main et glissa discrètement la seconde jusqu'à son épée, cachée sous le sombre manteau marron qu'elle portait contre le froid. Son attitude n'avait guère varié. Elle se demanda ce qui avait bien pu déranger son cheval. Un animal ou bien un individu? Elle poursuivit sur quelques mètres avant de descendre de son cheval comme si elle faisait une pause. Beleg, content de cette halte, commença à brouter tandis que sa cavalière s'affaira dans ses besaces comme si elle cherchait quelque chose. Ce stratagème lui permettait d'observer les alentours, ainsi elle pourra voir ce qui avait dérangé Beleg puisque, apparemment, elle n'était pas seule.

Les broussailles bougèrent et un animal en sortit. Sans prêter attention à l'humaine il continua sa route. Fausse alerte. Pourtant un bruit attira l'attention d'Arzhel qui se retourna et l'aperçut. Un homme se tenait à quelques distances. Elle ne discernait pas ses traits alors elle posa tranquillement sa main sur son pommeau et décida d'engager la conversation.

- Puis-je vous aider ?

Peut-être n'était qu'un simple promeneur ? Peut-être est-ce un bandit ou bien un elfe ? Elle jugerait en fonction de la réponse et de la suite de la conversation s'il y en avait une.

L'homme, perché sur son arbre, lui retourna la question. Arzhel n'avait pas l'impression d'avoir besoin d'aide en dépit de la mise en garde concernant les elfes. Certes elle ne connaissait pas vraiment la région et se perdre était chose facile. Elle s'approcha de son interlocuteur, levant les mains comme on hausserai les épaules.

- Il n'est jamais vain de faire preuve de prudence, surtout sur les routes. On ne sait jamais sur qui on tombe. Dois-je comprendre que je n'ai rien à craindre de vous? demanda-t-elle sur un ton légèrement piquant.

Ce n'était pas en se montrant imprudente que l'ancienne assassin avait atteint son âge actuel. Tandis qu'elle parlait elle vint se positionner à quelques pas du pied de l'arbre, ce qui lui permit de mieux distinguer les traits de l'homme perché, des traits indubitablement elfiques. Cela n'étonna guère l'astorg puisqu'elle se trouvait à proximité de leur cité. Rien dans sa posture n'indiquait qu'il soit un ennemi. En tout cas il avait le sourire facile.

- Je ne comptais pas me perdre dans la brume, ni importuner les elfes. Je ne fais que traverser cette forêt et par conséquent je ne vois pas pourquoi j'aurai besoin d'aide. Etant donné que vous êtes vous-même un elfe, dois-je comprendre que ma présence vous importune?

Arzhel avait levé la tête vers l'inconnu, le regard interrogateur, une main sur la hanche. Depuis le sol, elle avait la désagréable impression de se voir en posture d'infériorité, comme s'il avait l'ascendant sur elle, ce qu'elle n'appréciait guère. Elle avait toujours aimé avoir le contrôle de la situation, a minima si ce n'était totalement. Si seulement, il daignait descendre de son perchoir, cela lui éviterai de se tordre le cou.

- Et quel serait ce chemin moins risqué, mon sieur...?

Elle laissa sa phrase en suspens pour l'inciter à se présenter. Il lui retournerai certainement la question mais Arzhel n'avait pas envie de se présenter d'elle-même à un inconnu perché dans son arbre.

Arzhel haussa un sourcil. Quelle question... Pour l'astorg, son interlocuteur avait le physique d'un elfe, un fait indéniable. Ce peuple avait toujours présenté des membres au physique attrayant et beaucoup succombait à leur charme. Les paroles qui suivirent informèrent la cavalière qu'il avait de la suite dans les idées. En tout cas, elle soutint son regard quand il l'inspecta de la tête aux pieds.

- Vous m'avez l'air des plus vivants quoi que, perché comme vous êtes, je ne peux attester de votre consistance. Et...

Arzhel fit une pause car l'évocation d'esprits et d'âmes défuntes firent résonner un écho dans sa mémoire. Ben qu'elle ait l'esprit pragmatique et cartésien, elle avait apparemment dû avoir des discussions à ce sujet, à moins qu'elle n'ait été confronté à l'une de ces entités lors des batailles qu'elle semblait avoir livrées. Son regard revint sur son interlocuteur.

- On m'a déjà mentionné les propriétés particulières de la brume et de la forêt entourant Silmarie.

Sa voix avait perdu un peu de son assurance car elle ne se basait que sur des impressions et des histoires qu'elle avait entendu ces dix dernières années. Pourtant, ces connaissances lui semblaient antérieures et venant d'une source des plus fiables. Une source dont elle ne parvenait pas à se remémorer l'identité.  

- C'est exact, je ne vous connais et j'accorde rarement ma confiance au premier venu. Quant à votre nom, comme vous dites, cela m'aurait permis de mettre un nom sur votre visage, évitant ainsi que je vous nomme l'inconnu sur son arbre perché. Et je pratique assez bien l'elfique pour comprendre certaines subtilités de votre langue. Pour ma part, je m'appelle Arzhel... Et vous ?

Elle inclina légèrement le buste suite à sa présentation. Elle lui avait accordé le bénéfice de son prénom, même si elle risquait de ne jamais revoir cet elfe-là. Quand il mentionna la grande guerre, elle baissa la tête, le regard assombri par des lambeaux de souvenirs, de sombres et encore incompréhensibles réminiscences. Secouant légèrement la tête pour chasser ces images, Arzhel redressa la tête.

- Je vais suivre vos conseils et quitter la forêt par le plus court chemin. Je n'ai pas envie de fricoter avec l’au-delà. Sa voix s'était assombrie avant de reprendre un timbre normal. Quelle direction pour la sortie la plus proche ?

En attendant la réponse, elle claqua la langue pour appeler sa monture. C'était une habitude qu'elle avait gardé de son existence précédente. Beleg répondit à l'appel de sa maîtresse, s'arrêtant à ses côtés.

Voilà qu'il s'exprimait en elfique. Mettait-il ses paroles en doute en testant ses connaissances? Arzhel pinça légèrement les lèvres tout en se faisant la réflexion qu'il en avait le droit. Elle avait eu l'occasion de pratiquer pendant ses voyages, ainsi elle parvenait à comprendre son interlocuteur. Mais ce qui l'ébranla furent les derniers mots de cet elfe. Sur le coup, elle se ferma et posa un regard froid sur cet homme. Esprit du feu... Une image commença à surgir des lambeaux de sa mémoire, accompagnée d'un nom, sauf qu'elle ne pouvait croire que la personne qui se tenait devant elle soit l'elfe auquel elle pensait. Apparemment, il avait eut une place particulière dans son existence bien que l'astorg n'ait pas réuni tous les morceaux de cette époque. Néanmoins, on lui avait dit qu'il n'était plus de ce monde. Alors, usant également de la langue elfique avec un léger accent nordique, elle répliqua.

- Vous ne ressemblez pas à l'Esprit du feu que j'ai côtoyé, d'autant qu'il n'est plus de ce monde... Laissant sa phrase en suspens, elle poursuivit dans la langue commune. Très bien, allons pour Vaillance.

Maintenant qu'il avait quitté sa branche, Arzhel pouvait observer plus amplement son camarade du moment, et elle conclut qu'il n'avait rien à voir avec l'elfe de ses pensées. N'étant pas très sensible à l'Esprit, elle ne pouvait sentir l'âme qui habitait ce corps. La cavalière saisit les rênes de Beleg et laissa échapper un rire légèrement moqueur quand il avoua ne pas savoir où il se trouvait.

- Étrange pour un elfe de ne pas se retrouver dans sa propre forêt... Comment se fait-il que vous soyez perdu ? Quant à la brume, mes connaissances à son sujet se sont étiolées suite à une mésaventure, je connais son rôle mais je ne saurai déjouer tous ses charmes. Jusqu'à présent, Beleg menait la marche, expliqua-t-elle en désignant sa monture. Peut-être trouvera-t-il la sortie de lui-même...A moins qu'en faisant un bout de route ensemble, vous ne finissiez par vous situer ce qui m'assurerait de ne pas tourner en rond toute la journée.

Une proposition qu'il pouvait refuser et dans ce cas, elle se débrouillerait toute seule, ce n'était pas la première fois qu'Arzhel devait composer sans aide extérieure. Beleg avait jusqu'ici géré le trajet dans la forêt, la brave bête devait pouvoir échapper à la brume. Et puis, elle n'était pas assujettie au temps, car son voyage actuel n'était pas motivé par un but particulier. Elle vaquait seulement à travers le continent.

- Cela fait un petit moment que je n'avais pas eu l'occasion de rencontrer un elfe. Vous sortez rarement de votre cité et rares sont les voyageurs acceptés chez vous. Vous avez toujours le chic pour conserver le mystère.

Arzhel se permettait quelques observations sur le peuple elfique tout en amorçant une ballade aux côtés de Beleg. Mais le représentant elfe suivra-t-il ses pas ou retournera-t-il se percher sur un nouvel arbre?

Quand son interlocuteur apporta des précisions sur le prénom, Arzhel ne put s'empêcher de sourire d'un air entendu en se remémorant les brides de cette époque.

- Cet elfe ne se laissait pas entraver, à part par ses propres passions. Comme vous le dites, ce nom porte sa destinée.

Et si elle s'en reférait aux informations qu'elle avait récoltées ces dernières années, le Feanaro qu'elle connaissait était mort sur le champ de bataille et pour le peuple d'Azthia. Une fin qui lui semblait appropriée par rapport aux souvenirs de cet homme. L'astorg continuait à marcher aux côtés de sa monture tout en écoutant Vaillance.

- Et bien, si nous ne retrouvons pas la sortie, il sera plus simple de se rendre à Silmarie et que je reparte de là-bas...

Une éventualité qui rebutera peut-être Vaillance mais qui pourrait résoudre son problème de chemin. Déjà qu'il avait tiqué sur ses connaissances de "défenses" naturelles de la cité elfique, consentira-t-il à mener une étrangère dans sa ville? La cavalière n'en avait aucune idée, cela ne l'inquiétait pas outre mesure.

- L'ancien capitaine... La Kabbale... murmura-t-elle. Cette association lui venait naturellement, d'autant que Corwyn avait confirmé son appartenance à cette ancienne confrérie. Outre ses fonctions auprès de l'ancienne Oblat, Arzhel avait été membre de deux confréries, cette Kabbale et la Troupe. Même si elle ne se souvenait pas de tout, sa vie avait été bien remplie. Et mine de rien, elle avait également une famille. Laissant ses pensées de côté, elle poursuivit sur un ton audible. Je pense que les elfes ont encore de belles années à vivre, même si les temps s'obscurcissent à cause des troubles actuels et que vous avez quelques difficultés démographiques. Et si des velléités de conquête venaient à apparaitre, je doute que certaines cités restent les bras croisés sans rien faire.  

Les alliances se mettraient en branle et cela risquait de plonger le continent dans une nouvelle guerre, alors qu'il n'avait pas encore fini de panser ses plaies. Du point de vue de la voyageuse.

- Qui est la nouvelle prêtresse? Et si je puis me permettre avez-vous une fonction particulière?

Voilà qu'elle se montrait curieuse. Sa première question n'était que simple vérification quant à la seconde... Juste une manière d'en apprendre plus sur Vaillance.

Spoiler:

[EDIT de Lilith : pense à mettre les actions en italique]
[Edit : modifications effectuées]