Forte de ses convictions, Sanna savait qu'elle prenait la bonne décision. Elle n'avait décidé de devenir Compagnon que pour une seule et unique raison : protéger le peuple. Sa Reine passait avant tout bien entendu mais elle avait estimé que le corps d'élite était le plus à même de lui permettre de veiller sur ce qui comptait le plus pour les Oblats, ses gens. Ce peuple fier et fidèle qui la suivait dans les froids et la glace, dans la neige et le brouillard. Que serait-elle si ce n'était une lâche à vouloir chercher la justice de la jeune Lystra en abandonnant ces pauvres âmes à leur triste sort. Elle était apprentie certes, mais elle avait des valeurs parmi lesquels défendre les plus démunis faisait partie. Il était inconcevable qu'elle prenne le risque d'abandonner la caravane à la mort certaine qui l'attendait pour le simple fait d'obéir aux règles. Faire l'aller retour ne permettrait jamais, même aux meilleurs coursiers, de protéger la caravane, de plus, ils ignoraient tout de ce qu'elle possédait de si précieux pour qu'ils se décident à l'attaquer. C'était d'ailleurs là le premier point qu'ils devaient apprendre de leurs prisonniers, sans quoi, cela ne servirait à rien. Se focaliser sur ce qu'il y avait de précieux et que convoitaient les brigands était primordial.

Devant la justice des hommes, il était évident que ces deux larrons ne diraient rien. Ils savaient que le temps qu'ils fassent l'aller-retour, personne ne pourrait sauver les marchands. De plus, ils connaissaient sûrement le sort réservé à de telles engeances, la mort les attendait. La torture avait quelque chose de répugnant aux yeux de Sanna mais elle savait que la douleur pouvait faire perdre la raison à quelqu'un au point de le faire révéler ses plus précieux et intimes secrets. Plus encore, la peur de souffrir pouvait aider à déverrouiller certaines serrures aussi sûrement que le passage à l'acte et c'était justement là dessus qu'elle comptait. Distiller la peur dans leurs yeux, dans leurs veines et dans leurs esprits pour ensuite obtenir ce qu'elle voulait d'eux. Elle avait entendu les récits de son frère sur les champs de bataille et, s'il en avait peu connu, elle savait cependant qu'un soldat ne craignait qu'une seule et unique chose : souffrir inutilement. Mourir ne leur ferait pas peur mais ça, à coup sûr, oui.

La voix du soldat tira l'apprentie forgeron de ses réflexions. Elle doutait qu'il la suive mais elle savait aussi que sans lui, elle n'irait pas bien loin. Il lui posa une question étrange, à laquelle elle ne s'était pas préparée. Pourtant, la réponse lui vint presque naturellement. Elle posa un regard entendu sur le soldat et répondit d'une voix calme, parfaitement maîtrisée.

- Vous avez raison, ce sont deux éclaireurs de la pire engeance. Cependant, comme vous le soulignez, ils ne sont que des éclaireurs, nous avons donc un coup d'avance sur leurs commanditaires. De plus, vous n'avez pas remarqué comme il s'inquiétait pour sa compagne ? Il faut jouer là dessus, inspirer la peur de la voir souffrir car l'homme est le plus faible des deux. Je ne garantie pas que cela va fonctionner, mais à coup sûr, cela vaut mieux que de retourner à Storghein. Le temps de faire l'aller-retour, les marchands seront morts. Je ne trahirai pas mon serment de protéger le peuple.

Sanna se tut, consciente qu'elle ne devait pas aller trop loin. Il était un soldat expérimenté, il savait sans doutes que ce qu'elle proposait était quelque peu dangereux et même elle était consciente des risques et leurs minces chances néanmoins, elle ne pouvait pas se résoudre à laisser tomber. La suite de son dialogue la surprit mais elle repoussa tout cela d'un revers de main. La violence faisait partie de son quotidien, que ce soit dans ses entraînements ou dans les récits de son frère. Elle n'était plus une enfant et aujourd'hui, elle avait une responsabilité qui lui tenait à cœur, protéger et veiller sur ceux qui ne pouvaient pas se défendre seuls. D'un ton décidé, elle répondit tout aussi calmement que précédemment.

- Il nous faut savoir ce qu'ils cherchent et où aura lieu l'attaque. Ils ne négocieront pas, j'en suis consciente, mais eux ne sont pas censés le savoir. En revanche, nous pouvons jouer sur l'effet de surprise. Je maîtrise le feu, cela nous sera très utile pour les séparer des marchands. A les voir, si leurs compagnons sont du même acabit, nous n'aurons aucun mal à nous en défaire.

Elle se tut, marqua une pause puis soupira avant de reprendre tout aussi sereinement.

- J'ai juré fidélité à notre Reine et son peuple, si mon destin est de sauver ces gens, alors je tuerais. Il faut les réveiller, vous vous occuperez de la jeune femme pendant que j'interrogerais l'homme. Il suffira de lui instiller la peur pour qu'il se confesse, j'en suis certaine. consciente soudainement qu'elle donnait des ordres à un soldat bien plus expérimenté qu'elle, elle rougit et se permit de rajouter rapidement Excusez moi, je ne voulais pas vous donner d'ordre. Ma stratégie vous paraît-elle être la bonne ? Je n'ai que peu d'expérience en ce domaine et j'agis comme si je savais tout. Que pensez-vous que nous devrions faire pour découvrir ce qu'ils veulent ?

Sanna attendit la réponse de son interlocuteur. Elle savait que la torture ne serait pas efficace sur les deux prisonniers, du moins elle s'en doutait vu ce que le soldat avait dit et vu ce qu'elle avait lu dans les yeux de la jeune femme. Cependant, elle pensait pouvoir terroriser l'homme car elle avait vu la couardise et la peur dans son regard. Il tenait à la jeune femme et plus que tout, à la vie, la simple perspective de rester en vie devrait suffire à lui délier la langue et la torture même factice de sa compagne d’infortune devrait achever de le faire parler. L'apprentie en aurait mit sa main au feu.