Il y a des rencontres que l'on souhaite éviter. Pour nous-mêmes mais aussi et surtout pour nos enfants. Les protéger, les garder innocents et que jamais ils ne leur arrive quoi que ce soit, tel est la volonté de chaque mère sur Azthia comme ailleurs. Malgré tout ce qu'on pouvait dire d'elle, Philéa ne dérogeait pas à la règle. Et encore moins lorsqu'il s'agissait d'un certain Jacen, père "disparu" de son ainée. Dire qu'Eléa lui avait raconté cette rencontre comme on raconte une simple anecdote, ce qui, elle en était persuadée, était le cas en réalité pour la jeune fille. Tant mieux, ce n'en serait que plus facile.
La princesse lui avait conté sa rencontre avec un certain Templier nommé ... Jacen ! Oui oui, dans le mille. Encore heureux que la reine n'ai jamais divulgué le prénom de son père à la demoiselle sinon ... autant dire qu'elle était dans de beaux draps. Il n'était en effet pas question que sa fille, son ainée et celle destinée techniquement à lui succéder, hésite comme elle l'avait fait par le passé entre Muria et autre chose, quelqu'elle soit. Non, pas question que Jacen mette le doute dans la tête d'Eléa, il ne manquait plus que ça ! Oui mais voilà, il y avait un petit problème dans l'histoire, c'est que si la demoiselle ne savait pas qui elle avait rencontré, sa mère au courant ne changeait rien, Jacen était hors d'atteinte du pouvoir de Philéa.

Hors d'atteinte ? Et puis quoi encore ?
Rien n'était hors de la portée de Philéa, il fallait juste préparer la chose, aborder la meilleure technique, le meilleur stratagème pour faire tomber une fois de plus la victime dans les filets de l'archère. Et ça, c'était la spécialité de la reine Amazone : TOUJOURS obtenir ce qu'elle désirait et ce, pas tout les moyens. Pour l'heure, ce qu'elle désirait était un entretien avec le Templier, ni plus ni moins. Il fallait organiser la chose et voilà pourquoi elle avait demandé à Kiera, sa chef des Sentinelles, de chercher les meilleurs assassins de Muria.
La jeune femme s'était exécutée, sans doutes habituée aux exigences farfelues de sa souveraine, et lui avait donc ramenée les meilleurs assassins de la cité. Liyana était parmi eux bien sur, et elle sourit en la reconnaissant. La souveraine n'était pas certaine de pouvoir faire confiance à chacune de ses sœurs réunies, mais au moins, elle était certaine de la valeur de Liyana pour avoir combattu contre elle. Non, son équipe serait constituée donc exclusivement de Liyana et de Kiera. Sans doutes aussi demanderait-elle à Neliel de les accompagner pour finir le tout. Parfait, sa décision prise, Philéa congédia les autres prétendantes avec une excuse quelconque puis se concentra sur la mission.

Il était inutile de préciser à Liyana ou encore Neliel le but véritable de leur mission et, au vue de la récente amitié, si on pouvait appeler ça ainsi, existant entre sa fille et la Sentinelle, Philéa décida de ne pas révéler non plus son véritable projet à Kiera, malgré toute la confiance qu'elle lui accordait. Ainsi, elle leur expliqua simplement qu'elles devraient infiltrer le Temple d'Ankdor afin qu'elle puisse s'entretenir avec un de ses hauts dirigeants ... bien évidemment, l'Amazone inventa un prétexte quant à l'entretien, nécessitant bien sur une intervention musclée. Pour Kiera, Liyana et Neliel, la mission avait été monté dans l'unique but d'extorquer des informations à cet homme, ce Templier haut placé. Informations classées top secrète et pour lesquelles elles n'étaient pas habilitées à le savoir, voilà pour la part de vérité et de mystère. Pour sa part, Philéa n'était pas peu fière d'elle. Avec le peu d'informations qu'elles avaient, les filles ne s'encombreraient pas de prévenir qui que ce soit et quant bien même, elles n'auraient pas grand chose à dire. Parfait, le plan était prêt, il n'y avait plus qu'à décider du jour. Ce qui fut fait rapidement.

~ Jour J.
Ce fut discrètement que la formation quitta la protection de Muria. Kiera à l'avant, Neliel et Philéa au centre et enfin, Liyana pour fermer la marche. Sur sa jument couleur de nuit, Roxanne, la reine avait le temps de peaufiner son temps et à présent, il lui semblait plus que parfait. Le temps parut une éternité avant que les portes de la cité neutre ne s'ouvrent à elles. Bien évidemment, les Amazones attendirent la nuit noire pour s'infiltrer dans le Temple. Majestueux au passage, Philéa en aurait bien fait sa demeure principale mais la question n'était pas là. Il fallait trouver l'autre. Suivant le mouvement, le souveraine laissa passer Liyana et Neliel devant et Kiera derrière elle pour fermer la marche.

Le temps de trouver ce qu'elles cherchaient paru très court. Les deux assassins savaient manifestement où elles allaient et menèrent leur reine à l'endroit où vivait le certain Jacen, que Philéa avait prit la peine de renommer pour éviter les soupçons ou autre. Pour ce qui est de la suite, la jeune femme se contenta d'attendre le signal de ses sœurs pour entrer.
Une fois le signal lancé, peut-être dix ou vingt minutes après que les assassins soient entrées, celles-ci ressortirent de la pièce et lui affirmèrent que tout était ok. Bien bien bien, les choses sérieuses allaient commencer. D'un geste, l'Amazone demanda à la chef des Sentinelles de se poster au bout du couloir pour vérifier leur arrières et aux deux autres, elle fit signe de se mettre à l'autre bout du couloir. Elle demanda finalement à Neliel, en qui elle avait le plus confiance, de rester prêt de la porte, au cas où. Ceci fait, les affaires pouvaient commencer.

~ Heure H, minute M.
Lorsque Philéa entra, la pièce était encore éclairée par une bougie. La scène était pitoyable. Jacen été là, cloué sur place à sa chaise, sur laquelle ses sœurs l'avaient solidement attaché. Surement inconscient puisqu'il ne tiltait pas en sa présence, à croire qu'à chaque fois qu'elle devait le voir, il n'était pas foutu d'être conscient. Enfin au moins, cette fois-ci, il ne risquait pas de finir évanoui par sa faute, d'une part parce qu'elle devait lui parler, le menacer peut-être plus exactement, et d'autre part parce qu'elle trouvait l'idée qu'il soit découvert attaché bien plus marrante que toutes celles qu'elle avait eu avant. Mais bon, là, on s'éloigne du sujet. Prenant soin de vérifier que rien ne pourrait entraver ses liens, et qu'aucune arme n'était disponible pour le Templier, Philéa prit la peine d'éteindre les dernières lumières, plongeant ainsi la pièce dans l'obscurité, puis, elle se posa sur le lit du Templier, qu'elle avait jadis partagé avec lui.

J'ai dit minute M !
Un mouvement lui fit comprendre que son mari était enfin réveillé. Parfait ! C'était pas trop tôt, même après tout ce temps, il se faisait encore attendre ! Mais bon, c'était un peu de sa faute alors passons. Philéa releva la tête. Sa robe noire, descendant jusqu'à ses chevilles mais fendue sur le côté jusqu'à mi-cuisse, sans parler de son serpent d'or cerclant son bras droit nu la rendait superbe. Le tout complété par une cascade blonde soigneusement peignée - si on évite de parler de la course à cheval bien sur -. Bref, une vraie reine mais dans le noir ... ce n'était pas bien utile. Philéa prit le temps de poser sa cape noire sur le lit avant de prendre la parole :

" Bonsoir Jacen. "

Elle avait envie de dire " il faut qu'on parle " ou encore d'autre chose mais le calme était de rigueur. Dans sa main, le serpent de cuir (le fouet) claqua sans qu'elle n'y prenne gare et elle poursuivit, convaincue qu'il fallait qu'elle mène dès le début contre lui. Elle avait toujours mené de toute façon.

" Je crois que nous avons besoin d'une discussion tous les deux. "

Voilà, c'était dit. Poliment, plein de tact ... surtout avec un ton amusé, mi figue-mi raisin, dans le genre, je ne sais pas si je suis sérieuse, si je veux profiter de l'instant pour te tuer, si je me moque de toi et j'en passe. Bon, que faisait-on maintenant ? Car si elle avait planifié tous les rouages de son plan, toutes les éventuelles mésaventures et autres, la reine Amazone était loin d'avoir prévu la réaction de son mari.

[Liyana, tu es censée ne plus être dans la pièce!]


Les murailles de son cauchemard s'effondrèrent et Jacen ses yeux s'ouvrirent faiblement.
Il était mal, extrêmement mal. Il savait qu'il venait de faire un mauvais rêve, et que celui-ci venait certainement de le réveiller. Mais impossible de se rappeler de quoi il parlait. Sa convalescence? Sa maladie? La mission foireuse à Jafa où il avait failli y rester avec Asora?
En tout cas, il sentait qu'il devait être fièvreux vu la chaleur qu'il ressentait et la sueur sur le front. Génial, il était malade. Il avait beau être soigneur, il était impuissant face à des virus qui épuisent le corps. Et il avait mal partout...
D'ailleur, pourquoi avait-il tellement mal au dos? Pourquoi n'avait-il pas la sensation du matelas? Pourquoi était-il.... Assis?
Et pourquoi est-ce-qu'il ne pouvait plus bouger.

*Quelqu'un*

Son Esprit venait de se réveiller correctement, lui. Malgré la chaleur de son front et le flot de questions dans sa tête. Les boites commençaient à s'emboiter dans son cerveau comme les pierres d'une muraille fragile. Il comptait trois ou quatre personne à la présence inconnue de lui, assez proche. Très proche même. Assez proche pour l'avoir drogué (ce qui expliquait sa fièvre) et l'avoir attaché sur sa chaise. Qui lui semblait extrêmement inconfortable ce soir, soit dit en passant.
Secouant la tête pour reprendre ses esprits, il sentit les sensations de son corps revenir petit à petit. Mais il ne fallait pas rêver: si on avait pu l'attacher si facilement, c'est que ces types étaient des Pros. Donc se libérer était hors de question. Restait à savoir ce qu'on lui voulait.
Il s'était fait avoir comme un putain de débutant. Lui, un Maître Templier. Lui qui avait juré ne plus jamais baissé sa garde depuis....
Depuis ce soir là. Et depuis que sa femme l'avait poignardée dans le dos.
Et son coeur se serra. Ses muscles se crispèrent. Son cerveau commanda une décharge d'adréaline qui le réveilla complètement en un instant.
Cette présence, comment n'avait-il pas pu la reconnaitre?
Elle.
Après quinze longue année, il n'avait oublié ni sa voix, ni son odeur, ni sa présence. Ni ses sentiments.
Mais il en avait gagné d'autres.

Bonsoir. S'il n'avait pas autant mal à la tête, cela l'aurait rendu malade. C'était donc tout ce que sa femme avait à lui dire après autant d'année et une cicatrice longue comme le bras?

" Je crois que nous avons besoin d'une discussion tous les deux. "

Il bouillonnait. Il ne la voyait pas encore, mais il devenait sa position: assise sur le lit, elle s'amusait forcément avec quelque chose entre les mains. Depuis quand était-elle adepte farouche du fouet? Ne l'avait-elle pas assez torturé durant la dernière quinzaine d'hiver?
Ce avec quoi elle s'amusait entre ses mains, c'était sa vie. Point barre.
Et la finalité de sa vie était si proche....
Oui, ce dont il s'était douté était donc vrai. Il avait rencontré sa fille, Eléa, tout à fait par hasard. Et là, la personne qu'il souhaitait le plus au monde écraser de sa main se trouvait à quelques mètres à peine. Et les quelques personnes derrière la porte ne changeraient rien.
Mais force était d'avouer que sa femme était pleine de ressources. Venir le cueillir ici, chez lui, en pleine nuit, sans que personne ne sentent leur présence....


"Chérie, c'est une manière bien maladroite de venir t'excuser!"

Il fut lui-même extrêmement surpris par la son de sa voix. Elle lui semblait distance, voilée, comme sortie de quelqu'un proche de lui. Son sang semblait atteindre cent degrés tandit que son ventre se tordait sous le froid glacial. L'excitation aurait pu permettre à ses bras de soulever Tamawa avec tous ses habitants réunis.
Quinze ans qu'il n'avait pas fait d'humour, et c'est ce soir que ça lui reprenait....

"Tu sais, j'ai rêvé de cet instant chaque nuit que ta main a fait que je vive encore... Mais à chaque fois la situation que nous vivons actuellement était, disons, plutôt inversée."

L'obscurité de la pièce tranchée par la lumière de la lune devenait de plus en plus perceptible. L'ombre de son amante se détachée, immobile, comme la Mort qui prenait le visage de la personne qui fut la plus importe pour lui.

Décidément, Philea ne démordrait jamais de sa position. En souveraine inflexible qu'elle était devenue, se plier aux avis des autres était un luxe qu'elle ne se permettait plus depuis dix longues années. Enfin, si jamais elle s'y était pliée un jour...
Non, et par dessus cela elle cherchait à reprendre la main dans la joute verbale. Force était de constater qu'elle le faisait avec talent et que rien ne semblait l'atteindre: loin de dire qu'elle ne ressentait rien, elle savait faire la part de choses. Jacen en était loin d'en faire autant. Philea frappait fort à chaque mot, et le Templier peinait chaque seconde un peu plus pour relever le défi. Avait-elle gagné dès qu'elle avait posé le pied dans la chambre? Certainement, mais au moins lui restait-il une dernière chose qu'elle ne lui déchirerait jamais: son libre arbitre.

Elle jouait de la conversation d'une main de maître: tantôt jouant sur ses sentiments, l'accusant presque de ce qu'il ressentait pour elle et qu'il ne pouvait lui cacher derrière un masque de haine. Puis en lui relevant la cruelle vérité de son existence: vide de sens, à poursuivre des idéaux et des rêves bien maigres qui n'engagent que lui. Un battement de cil de sa femme avait des répercutions sur tout le continent alors que la mort de Jacen n'en perturberait pas même le dixième. Plusieurs mondes les séparaient à présent. C'était cela, la terrible vérité: ce qu'ils laisseraient derrière eux à la fin. En ce sens, elle avait bien fait de le quitter.
Mais pas de cette façon.
La seule chose qu'il laisserait derrière lui serait sa fille. Eléa était l'héritière de sa personne, la dépositaire de l'amour qui lui restait encore et jamais il ne l'abandonnerait. Que sa fille choisisse? Il n'en demandait pas tant. Il voulait juste qu'elle sache la vérité et que son rôle de père soit rétabli. Qu'elle sache qu'il l'attendait depuis tout ce temps, et qu'il donnerait sa vie pour elle.


"Tu es devenue bien impitoyable avec des mots, une vraie politicienne."

Le ton était ironique, ses sentiments plus meurtris: Ankdor était tout ce qui lui restait, relever la déchéance actuelle des Templiers lui creusait un trou béant dans le coeur, à côté du cimetière nommé "Famille heureuse".

"De toute manière, tu n'as jamais vraiment porté les Templiers dans ton coeur si je m'en rappelle bien. J'avais même choisi de les abandonner pour te suivre. Ironique, non, de se dire que j'avais choisi ma famille plutôt que mes "ambitions", comme tu dis si bien. Revois ta position ma chère, je n'avais rien prévu qui aurait pu nous dévorer. Je n'avais prévu qu'une vie heureuse à vivre de nos mains, c'était tout mais c'était déjà bien. Si cela ne te suffisait pas, il y avait d'autres moyens de me le dire que de me transpercer le coeur et la poitrine avec ton arme et tes mots.

Eléa s'est construite un monde illusoire, basé sur des mensonges dont tu es à l'origine. Ouvre les yeux, ce n'est qu'une question de temps avec qu'Anatoli et le P'yra ne te mette la main dessus! Et j'aurai beau venir vous couvrir avec ce "temple tombant en ruine", rien n'évitera ta fin. Et je n'aimerai pas retrouver ma fille une fois que ce monde se sera écroulé."


C'était une tactique totalement désespérée, celle de chercher à lui faire ouvrir les yeux sur son avenir: Philea ne craignait personne, et encore moins Cydonia. Un conflit avec ses ennemis mettrait Azthia à feu et à sang par le jeu des alliances et des rivalités. Pour l'heure, Muria semblait protégée. Mais sur ce continent, tout allait beaucoup trop vite... Jacen ne voulait pas, par dessus tout, retrouver un jour sa femme et sa fille le dos criblés de flèches.

"Alors, pour la dernière fois, non je ne renoncerai pas à elle. Si je ne peux pas te sauver toi, alors je sauverai ce qu'il reste de nous."

Philéa n'avait pas l'intention de laisser s'échapper sa fille.
Il y avait tant de secrets, tant de trahisons, de haine, de pouvoirs, tant de choses qui faisaient qu'on ne pouvait pas vivre en paix, au sein d'une famille unie. Elle savait parfaitement que si la demoiselle apprenait la vérité, elle, reine amazone de son état, ne serait considérée que comme la méchante de l'histoire, celle qui avait poignardé son père pour fuir vers une cité perdue, celle qui lui avait menti des années durant, sur ses origines, son père, sa sœur ... sur tout. Philéa savait pertinemment que si le choix était laissé à Eléa, elle ne choisirait Muria que par fidélité pour ses sœurs, par amour pour Jelenna et pour le trône, mais en aucun cas pour la mère qu'elle avait été. Et ça, la souveraine ne pouvait l'accepter.
Maladroite, elle aimait pourtant le chair de sa chair comme personne d'autre. Tout l'amour qu'elle avait encore pour Jacen ne suffisait pas à qualifier celui qu'elle portait, aussi discret soit-il dans ses actes et ses mots envers ses filles, pour ses enfants. Si elle aimait Eléa plus que tout, c'était justement parce qu'elle représentait la dernière chose vivante la reliant à Jacen ... il fallait avouer que la princesse ressemblait fortement à ce dernier et, chaque fois qu'elle la voyait, Philéa revivait les quelques années de quiétude auprès du Templier. Mais voilà, elle avait besoin de cette paix intérieure, sans ça, elle ne serait jamais devenue la reine qu'elle était désormais, du moins ne serait-elle pas restée aussi saine d'esprit. Si Eléa partait, Muria tomberait dans la folie de sa souveraine ... tout ceci faisait que la princesse ne pouvait quitter le bercail. Impossible ... inconcevable pour la mère comme pour la reine. Non, Philéa serait et resterait inflexible : soit Jacen pliait de lui-même, soit elle le ferait plier.

Oui mais voilà, dans la situation, tout ne dépendait pas de la Dame, Jacen avait son mot à dire et si Philéa les maniait à merveille, c'était également le cas de son amant. Impitoyable ... il était vrai que le temps avait fait de la jeune femme une politicienne reconnue de tous pour être têtue et inflexible. Si Philéa écoutait quelqu'un, c'est qu'il avait soit son cœur, soit qu'elle n'avait pas le choix, soit que c'étaient ses dernières volontés. Jacen n'était pas encore dans le dernier cas, et pas dans le deuxième, Philéa ne l'écoutait que d'une oreille par respect pour ce qu'ils avaient vécu, et surement aussi parce qu'il n'avait pas encore quitté son être. Mais pour autant, c'était peut-être là une erreur de la grande tacticienne ... car le Templier faisait mal. Pas autant qu'elle avait du lui en faire, mais tout de même assez pour la déstabiliser.
Les mensonges ... il était vrai que Philéa avait battit l'empire de sa vie sur les mensonges et les cachoteries. Eléa et Jelenna en avaient été les premières victimes et malheureusement, faute de pouvoir revenir en arrière, il en serait sans doutes toujours le cas. Philéa ne pouvait plus se permettre désormais de leur avouer toutes ces vérités délicates et honteuses ...

La jeune femme attendit que son mari ai fini de parler.
Ainsi, il ne renoncerait pas, ainsi cherchait-il à la culpabiliser. Bien, dans ce cas, les années de solitude et d'attente allaient se payer. Certes c'était de la faute de la Dame si tout ceci était arrivé, si elle n'avait pas voulu partir pour Muria, jamais n'aurait-elle eu à quitter Jacen et la vie tranquille qu'il s'apprêtait à lui offrir mais voilà, ses ambitions avaient été plus lourdes dans la balance. Il était temps que l'homme comprenne, qu'il sache une vérité puisqu'il en demandait une. Le regard dur, la souveraine s'approcha de son époux au point de presque le toucher. Elle sentait son souffle sur son visage, ses yeux sur sa peau, comme inquisiteurs. Tous les reproches du monde auraient suffi à la faire reculer, mais pas pour Eléa. Elle était fautive, mais elle se savait dans son droit, elle savait avoir agi avec raison.
Jacen allait comprendre.

" Mon cher époux, tu n'as pas changé, tu te perds toujours dans des discours perdus d'avance. " dit-elle en se relevant, commençant alors à marcher dans la chambre en silence, tel un félin sortit de sa cage qui cherche à attraper une proie. Arrivant près de la fenêtre, elle stoppa sa marche pour reprendre, sur un ton dégouté :

" Il est bien inutile de tenter de me menacer, dans ta position, tu ne peux pas faire grand chose. Si quelqu'un osait trouver Muria, crois-tu vraiment qu'il s'engagerait dans une guerre au risque de voir Azthia tout entier à feu à sang ? Il faudrait être bien stupide pour cela, et quand bien même, Muria renaîtrait de ses cendres, je m'y attèlerais. Personne ne peut nous atteindre pour l'heure, et tant que je vivrais, je ne laisserais personne approcher notre fille. "

Notre ... tiens, c'était une marque de faiblesse ça non ? Hello ma grande, il faut se reprendre un peu où Jacen allait marquer des points de façon visible. Non non, pas question.

" Si tu avais été à ma place ce jour-là ... aurais-tu délaissé le trône et l'avenir brillant qui s'offrait à ta fille ? La possibilité d'assurer son avenir, sa sécurité ... je ne crois pas un seul instant que tu aurais refusé le trône de Muria. Et pour ton information, j'ai cherché les moyens de concilier ma famille et la quiétude que tu m'apportais avec cette fonction. Mais oui, je l'avoue, j'ai fini par te sacrifier pour notre bien, pour elle. Je suis persuadée que tu en aurais fait de même ...

Je n'ai peut-être pas choisi les bons mots, certes y avait-il des méthodes plus douces pour te quitter mais si je l'avais fait, oseras-tu me jurer que tu n'aurais pas chercher à nous retrouver ? Mère n'aurait sans doutes pas été aussi clémente que moi à ton sujet. Elle t'aurait fait exécuter si tu avais ne serait-ce qu'osé nous approcher. Voilà pourquoi je suis partie : pour te protéger de toi-même, parce que je ne pouvais pas t'emmener avec moi, mais aussi pour Eléa, parce que je savais que, comme moi, elle ne pourrait se satisfaire de cet avenir sans promesses que nous étions en mesure de lui offrir ensemble. Par la suite, j'aurais fait évoluer les lois pour toi, mais tu m'en voulais tellement que oui, j'ai préféré bâtir un empire de mensonges pour la protéger, et te protéger aussi quelque part sans doutes. Certes mes ambitions m'ont menées là où je suis à présent, mais elles ont aussi menées ta fille à devenir princesse de Muria, héritière de notre patrimoine comme de celui de sa cité. Ne me dis pas en toute honnêteté que devant un tel destin, tu aurais refusé de partir et de me laisser derrière toi. "

Les yeux embués de larmes qu'elle eut du mal à chasser, Philéa se tourna vers son mari tout en revenant face à lui. Déterminée, elle ne comptait pas laisser échapper sa petite et précieuse Eléa. Ainsi, maintenant qu'il savait en partie ce qui l'avait poussé à partir et pourquoi elle ne l'avait pas pris avec lui, il était temps qu'il comprenne que jamais elle ne lui laisserait sa fille, leur fille. Eléa était le dernier bastion de leur amour, la seule chose sur terre qu'il restait d'eux, ou presque. Mais ça, c'était une autre histoire. Philéa ne pouvait pas croire qu'il la haïssait autant au point de vouloir la lui enlever.

" Peut-être ma fin viendra-t-elle plus tôt que je ne le pense, peut-être aussi qu'il y a bien longtemps que plus personne ne peut me sauver de mes erreurs passées, mais, lorsque la fin arrivera, j'ose espérer que tu viendras me sauver pour ce que je t'ai appris ce soir, pour moi, pour ce que nous avons vécu et non pas pour m'enlever ce qu'il me reste de toi. "

C'était une carte comme une autre. La sincérité n'était pas feinte, même si Jacen était en droit d'en douter vu ce que sa femme lui avait fait subir par le passé. Pour l'heure, la grande reine amazone ne se pliait pas aux désirs légitimes de son époux, elle ne faisait qu'exprimer, pour la première fois de sa vie, ses pensées les plus enfouies, mais aussi ses peurs. Au fond, peut-être que le Templier n'en ferait rien de cette vérité, peut-être même en jourait-il contre elle mais après tout, elle n'avait rien à perdre. Philéa se savait assez forte pour s'opposer à son époux au cas où il pourrait tirer profit de sa présente "faiblesse", elle se savait assez maligne pour empêcher l'homme de voir sa progéniture, mais elle avait aussi besoin, comme tout être humain normalement constitué, de dire la vérité, d'avouer une partie de ce qui faisait son monde intérieur. Le rideau tombait, pour l'heure, restait à savoir ce que Jacen ferait de la scène finale de l'acte. Serait-il convaincue par son discours ? La prendrait-il simplement pour une politicienne dans la maitrise de son art, tentant de le manipuler, ce qui était quelque part, aussi inconscient soit-il, le cas. Accepterait-il de lui laisser Eléa ou devrait-elle avoir recourt à plus ? A la violence qui sait ? Les mots étaient si facilement manipulables à son avantage ... Il y avait encore tant de cartes à jouer pour le faire plier, le faire souffrir au point qu'il ne puisse plus se relever et l'affronter de nouveau. Mais pour l'heure, c'était la carte de la sincérité. Point final.

[ Désolée pour les fautes, flemme de corriger ce soir XD ]

Philéa attendait, perplexe, la réaction de son mari.
Oh elle connaissait Jacen pour savoir que ce dernier n'allait pas tarder à lui faire regretter d'être venue, pour la deuxième fois depuis ce qu'elle considérait secrètement comme sa fuite, à sa rencontre. Oui, la jeune femme l'aimait encore, oui, elle avait peur de beaucoup de choses mais non, elle n'avouerait pas tout ça. Elle savait de toute façon que c'était inutile. D'une part, Jacen était un Templier, il savait donc les sentiments qui l'animaient ou, s'il l'ignorait, pouvait l'apprendre facilement, d'autre part, parce qu'elle était trop fière pour avouer ses peurs. Elle avouait déjà ses erreurs, alors il ne fallait pas en demander trop. Mais en réalité, ce qu'elle craignait le plus en ce moment même, plus qu'Eléa ne rejoigne son père, c'est qu'il déverse sur elle sa colère, sa haine et tous les sentiments qu'il avait du accumuler depuis tout ce temps. Il la détestait ... c'était certain et il avait bien raison, mais plus que tout, Philéa voulait encore croire qu'il l'aimait, car ça, elle en était persuadée. Mais qu'il l'aimait plus qu'il ne la haïssait. Elle n'était pas prête à attendre l'homme qu'elle aimait toujours après toutes ces années lui dire en face qu'il ne l'aimait plus. Qu'elle était désormais seule.
Mais ce qu'elle craignait n'arriva pas.
Malgré tout ce qu'il lui disait, en réponse à ses provocations, Jacen demeurait l'homme qu'elle avait toujours connu : droit, franc, mais doux et délicat. Si elle était le serpent, il en était le dompteur et le charmeur.

La souveraine écouta avec attention ce qu'il avait à dire.
Guérir sa blessure et sa peine ... Philéa en était incapable de son côté. Incapable de se pardonner ce qu'elle avait fait, elle se contentait de subvenir du mieux qu'elle le pouvait à sa cité plutôt qu'à la famille qu'elle avait abandonné lâchement ce soir-là. Durant toutes ces années, l'amazone avait tenté de racheter ses fautes en se montrant la plus dure possible envers les autres pour permettre la survie des siennes. Tout ce qu'elle avait entreprit pour protéger ses fières amazones cachait en réalité sa volonté de cacher sa fuite, de cacher ses erreurs passées. Et puis, le temps était passé et le péché qu'elle tentait d'expier par cette voie-là avait fait d'elle la reine la plus crainte et respectée d'Azthia ... au final, elle s'était pris au jeu sans s'en rendre compte. Mais ce soir, était-elle encore la souveraine de la cité amazone ou une simple femme ?
Mais revenons-en à nos moutons. Leur fille. Eléa.
Philéa savait pertinemment que la demoiselle viendrait à la rencontre de son père. Elle ne vivait que pour cela depuis la naissance de sa cadette. Depuis qu'elle avait vu Jelenna avec ce qu'elle croyait être son père, la petite princesse était persuadée qu'il lui manquait quelque chose. Et puis, Philéa n'était pas dupe, la jeune fille avait hérité du don de son paternel, c'était évident, tout comme la petite Jelenna le possédait aussi. Alors oui, elle savait qu'Eléa lui échapperait, mais en interdisant à Jacen de voir leur fille ou, plus simplement, de la chercher, elle réduisait les chances que son ainée trouve son géniteur.

" Je sais pertinemment qu'elle te cherchera et ce, parce qu'elle te ressemble plus que tu ne le crois. Mais pour l'heure, je préfère qu'elle ne sache pas la vérité. Ce n'est encore qu'une enfant, elle n'est pas prête. "

Peut-être était-ce toi Philéa qui n'était pas prête à laisser partir ta progéniture ? Cela ne démontrait-il pas encore une fois une de tes erreurs ? Et si tu n'avais pas fait ce choix ce jour-là, ta fille ne serait-elle pas encore avec toi et non sur le chemin qui allait vous séparer toutes les deux ?
Toutes ces questions, la reine amazone les connaissait par cœur. Mais pour autant, elle estimait, outre ses propres sentiments, qu'Eléa était trop jeune pour savoir toutes les vérités entourant sa venue à Muria. Elle était trop jeune pour apprendre une vérité qui remettrait en cause tous les fondements de son enfance ... Plus que jamais, Philéa tentait désespérément de protéger son ainée des erreurs qu'elle avait pu commettre. Plus que jamais, elle essayait de la protéger de cette terrible vérité qui mettrait fin à ses espoirs de vivre unis un jour. Même si bien sur, elle n'avouerait jamais tout ça.

Face au Templier, Philéa eut bien du mal à rester calme. Toute politicienne qu'elle était, elle n'était pas venue ici que pour Eléa. Après tout, ce qui la perturbait depuis tout ce temps ... n'était-ce pas plutôt de le perdre lui plus que de perdre leur fille ? Philéa avait beau eut monter des remparts insurmontables entre elle et lui, elle en revenait toujours au même point, ce jour où, ensemble, ils s'étaient promis à l'éternité. Alors pour se faire pardonner, elle avait monté des murailles solides autour de leur filles pour que jamais elles ne connaissent la faim, le froid ou autre chose, mais ne les avait-elle pas privé de l'essentiel ? Surement, mais à cette époque, ses ambitions personnelles avaient été les plus fortes.
"Je protégerai toujours ma famille. C'est le seul but de ma vie."
Les quelques mots de Jacen distillèrent leur poison dans les veines de la souveraine qui ne put se retenir d'afficher un pale sourire. Voilà tout ce qu'elle espérait ... qu'il serait là malgré tout à la fin. Qu'il lui dise qu'ils étaient encore une famille. Qu'il l'aimait. Toute reine qu'elle fut par le passé, ce soir, il était évident qu'elle n'était qu'une femme comme les autres. La grande Philéa réduite à cela, elle qui était venue en conquérante ... mais au fond, n'était-ce pas à cela qu'elle aspirait depuis le début ? Avoir quitté ce qui la rendait certes triste par le manque d'action, mais lui assurait une vie stable et heureuse ... au fond, la première erreur de sa vie avait sans doutes était de faire passer une cité avant le reste.

" Je suis une bien piètre épouse n'est-ce-pas ? " conclu-t-elle comme pour elle-même tandis que son regard plongeait dans celui de son époux.

Elle l'observa un instant avant de poursuivre :

" Je repense souvent à ce temps là tu sais. Quand je vois Eléa s'épanouir un peu plus chaque jour, j'ai l'impression de te voir toi. Elle te ressemble tellement ... que j'en viens à regretter amèrement d'être partie. "

Les larmes à nouveau tentèrent une percée dans la défense émoussée de la souveraine et d'un revers de main, elle les chassa. Elle n'était pas une femme, elle était LA femme de Muria. Celle que tous craignait. Elle était Philéa, la reine amazone.

" Nous serons réunis avant la fin, tous les quatre ... je te le promets. Peut-être me pardonneras-tu à ce moment là pour tout le mal que je t'ai fait. "

Un sourire timide éclaira les lèvres de la jeune femme tandis qu'elle avançait vers son promis. D'un geste tendre, elle posa sa main sur son cou avant de déposer un baiser sur ses lèvres tandis que sa main libre courrait le long de son dos pour le libérer de ses entraves. Pure folie que de le libérer, mais la reine amazone n'en était plus une, ce soir, elle était la femme du Templier, et le maltraiter ne lui apportait rien. D'autant plus que s'il avait voulu la tuer, il n'aurait eut aucun mal à faire appel à ses élèves. Et puis, ses sœurs étaient derrière la porte, prêtes à agir au moindre mouvement, à la moindre tentative. Mais non, il n'était pas comme ça, elle le savait, elle le connaissait. Une larme roula en silence sur la joue de la femme si fière pour finalement se perdre dans les ténèbres les entourant. Son visage toujours près de celui de Jacen, elle murmura :

" Cette vie-là me manque. Être ta femme était pour moi la source de tout plaisir, voir Eléa grandir à tes côtés était ... " ne s'égarait-elle pas ? Non, il ne fallait pas, pas maintenant, elle avait tant de choses à régler, il fallait continuer, elle devait être la femme dominatrice et sure d'elle ! Elle devait être la reine " Qu'adviendra-t-il de nous ? " finit-elle par souffler ....


Elle était venue pour imposer ses conditions. Elle était venue en conquérante. Elle était venue pour toutes ces raisons qui maintenant, à la minute où elle parlait et avouait des vérités tant enfouies profondément en elle que redoutées, semblaient bien loin des réponses qu'elle attendait réellement et des priorités du moment.
Leur histoire était compliquée !

Attention, la scène qui suit peut choquer xD

« De nous, il adviendra ce que tu choisiras. Il n'est pas trop tard pour arrêter cette folie. Laissons ce monde tourner sans nous, laisse-le tourner sans toi! Ce que tu crois être ta voie ne fait que te détourner de ce que tu étais, de ce que tu es. Ce n'est pas toi ça, et le fait que tu sois ici avec moi le prouve bien. »

Il posa ses lèvres sur les siennes pour ne pas lui laisser le loisir de répondre et méditer sur ces paroles. Ce contact le raviva, et il serra les hanches de sa femme entre ses mains, assez puissamment pour ne pas la laisser partir. En réalité, il n'en avait aucune envie. Son mouvement continua malgré lui vers le haut du corps de sa promise, entrainant la robe noire qu'elle portait.

Il ne choisit pas ce qui se produisit ensuite: cela arriva car c'était écrit. Ils s'aimaient, ils s'étaient promis l'un à l'autre, ils avaient partagé des choses intimes qu'ils retrouvèrent dans ce lieu. Jamais dans toutes les versions de cette rencontre il n'avait envisagé de ressouder leurs liens son corps contre le sien mais la réalité du moment, de la chambre, de sa peau, de son odeur et de sa voix triomphait de ses rêves. Il savait que cela ne serait éphémère, qu'elle repartirait bientôt dans le manteau de nuit qui l'enveloppait depuis si longtemps.... Mais on ne lutte pas contre sa folie. Et il l'aimait à la folie.
Il prit soin de fermer totalement son Esprit aux liens extérieurs afin que cette nuit reste en leur seule possession.



Quand tout deux furent calmés et leurs respirations moins haletantes, il trouva la force de la poser la question qui, même si elle était désespérée, méritait tous les sacrifices.

« Pourquoi ne restes-tu pas ici? Tu y seras heureuse enfin. »

Philéa n'était plus la reine venue en conquérante, elle n'était plus que la femme mariée, la mère inquiète et tiraillée entre ses devoirs, ses envies et ses responsabilités. Et peut-être qu'elle attendait des réponses qu'elle avait déjà comme si au fond, tout n'était pas déjà écrit. Elle voulait croire qu'il y avait un espoir, même si elle n'était pas réellement consciente de ce qu'elle demandait. Au moment où Jacen prit la parole, il n'y avait plus aucune trace de la reine amazone en elle. Les mots du Templier se répercutèrent dans son esprit, chacun y laissant une profonde cicatrice, plus béante que la précédente. Muria tournerait sans doutes sans elle c'était vrai, après tout, la cité tournait déjà sans elle avant et puis elle était protégée des dieux. Elle échappait sans cesse aux dangers ... Muria pourrait se passer d'elle. Mais pas l'inverse. Philéa le savait, elle le sentait, elle avait toujours été ambitieuse, avait toujours craint l'ennui. Dans la cité amazone, ces mots n'existaient pas comme si au fond, diriger sa cité n'était qu'un jeu, un passe-temps qui aujourd'hui avait pris le pas sur le reste. Mais elle n'eut pas l'occasion d'aller plus loin dans ses réflexions.
Leur destin semblait écrit, ce qui devait se passer arriva.
Toutes ces nuits loin de lui, Philéa n'avait rêvé que d'une chose, l'avoir rien qu'à elle. Lui dire oh combien elle l'aimait et regrettait quelque part de l'avoir quitté, de l'avoir privé de sa fille. Lui avouer aussi qu'il n'avait pas connu l'enfant de leur amour, qu'elle gardait précieusement, la cachant aux yeux du monde. Jacen, l'homme qui malgré tout ce qu'elle pouvait faire ou dire, hantait toujours ses pensées, son corps et son esprit, nuit et jour. Philéa se laissa aller, comme si plus rien au monde n'existait mis à part son époux.

Depuis combien de temps était-elle là ? Elle l'ignorait, sans doutes que ses Sentinelles cachées de l'autre côté devaient trouver le temps mais pour sa part, le temps était trop court, il la fuyait sans qu'elle ne puisse l'arrêter. Ce moment, elle aurait voulu le garder précieusement en elle. A cet instant, la reine amazone aurait voulu tout abandonner pour lui. Sa peau contre la sienne, ses bras autour de son corps qui semblaient vouloir dire que rien ne pourrait l'atteindre, qu'elle était à jamais protégée du monde extérieur, ses yeux pleins de douceur ... la reine amazone n'avait jamais pu rêver avec autant d'exactitude. Elle s'enivrait de la présence du Templier, cette présence qui lui manquait tant. Jacen devait encore ignorer qu'elle l'attendait, chaque soir.
Rester ici, dans ses bras, à jamais perdue aux yeux du monde.
Philéa ne demandait que ça.
N'attendait que cela.
Mais il y avait la cité, il y avait Kiera et les autres, ses fières Sentinelles. Il y avait Jelenna et Eléa qu'elle avait tenté de protéger de tout, bien à l'abri dans les hautes murailles de sa cité. Il y avait ses engagements et surtout, le fait qu'elle était recherchée. Oh oui, la reine amazone aurait voulu lui dire combien elle préférerait rester ainsi, à l'abri du monde, pour toujours, mais elle ne le pouvait pas, elle ne le devait pas. Si jamais elle acceptait, qu'adviendrait-il de toutes ces femmes qui avaient placées leur confiance en elle, de toutes ces femmes qui ne vivaient libres que parce qu'elle tenait leur cité d'une main de maitre ? Si elle acceptait ... qu'adviendraient-ils d'eux ? Philéa avait tant menti qu'aujourd'hui, elle n'était pas sure que les choses puissent encore s'arranger. Jelenna lui pardonnerait sans doutes, mais qu'en serait-il de son ainée ? Voir même de Jacen lui-même ? Les larmes aux yeux, la grande reine préféra détourner la question :

" Si je te disais que je changerais les lois de Muria pour toi, viendrais-tu me rejoindre au nom de notre amour ? "

Elle espérait beaucoup de la réponse mais savait que, comme elle, il déclinerait l'offre. Tout deux avaient choisis des destinées différentes ou plutôt avait-elle forcé le destin pour avoir une destinée différente de la sienne ... Oh comme elle regrettait et pourtant, tout aussi paradoxalement, comme elle aimait sa vie d'amazone.

" Je ne souhaite que vivre avec toi mais cela ne nous est guère offert n'est-ce-pas ? " précisa-t-elle en passant délicatement sa main sur l'ancienne blessure qu'elle lui avait infligé, bien des années auparavant.

Un maigre sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle n'attendait pas vraiment de réponses. Bientôt, il faudrait partir, il faudrait le laisser à nouveau ... Puisse le dieu du temps leur offrir encore quelques minutes.

[ Désengagés : Jacen, Philéa ]