[C'est finalement cette issue presque fatale qui le décida; laissant Evangeline s'approcher à nouveau du temple Zélote pour retourner y demander une formation.]


Ainsi; environ une semaine après sa première visite au monastère Zélote, la petite fillette s'apprêtait à y retourner. Les Zélotes... On ne lui en avait jamais dit beaucoup de bien, mais il semblait qu'ils formaient un groupe soudé. Cependant; bien qu'intelligente, Evangeline ne pouvait pas rêver de leur histoire; et c'est vers un groupe dont l'histoire et les opinions lui étaient inconnus, que la gamine de 9 ans se dirigeait.

Et le plus beau dans tout ça, c'est qu'elle y allait seule. Sa mère retenue par l'atelier n'avait pu l'accompagner, et en vue du monastère, son père s'était excusé de ne pouvoir l'accompagner plus loin, la laissant marcher seule vers cette race qu'il avait appris à haïr depuis son enfance.

La petite Eva jeta un oeil au batiment qui lui était étranger, elle fit une petite moue inquiète en montant les quelques marches. Des cernes -masquées par une poudre de maquillage de sa mère- étaient néanmoins visible, les paupières de la gamine se faisait lourde; mais comme d'habitude ce qui occupait son esprit, c'était le flot de sensations inconnues et étrangères qui l'envahissait dans la rue.

Elle achevait de monter les marches du monastère, quand elle ressentit une vive sensation de colère; qui l'effraya au point de la faire courir sur les quelques mètres qui la séparait de l'entrée du monastère. C'est donc fatiguée, et essoufflée que la tendre enfant, le visage neutre à nouveau vide d'émotion, balaya pour la seconde fois la battisse du regard.

Expirant de façon très posée, Evangeline se mordit la lèvre dans un tic avec un froncement de sourcil, en réalisant surprise qu'à l'intérieur du bâtiment; bien que toujours aussi fortes; les émotions étrangères se faisait moins forte...

La petite retint un frémissement, devant l'importance de son geste, dont elle avait confiance. Elle allait chez des gens qu'elle ne connaissait pas, pour qu'ils l'aident sans contrepartie à maîtriser un don qu'elle ne comprenait pas. Même à 9 ans elle était consciente de l'absurdité d'une telle demande en temps normal.

Mais voilà, ce n'était pas un "temps normal". Ces sensations; ces envies; ces paroles parfois dans son esprit; était devenus une vraie torture même si elle les accusait déjà beaucoup mieux qu'aux premières manifestation. Elle inspira à nouveau une grande bouffée d'air, avant de faire résonner sa voix douce, aiguë mais pourtant si faible, dans le monastère.

"Bonnnnnjour... Y a quelqu'un ?"

Ce n'était certes pas un discours très manifeste, mais la petite Evan', bras croisés dans le dos, sourcils froncés dans une moue d'inquiétude ne pouvait pas faire beaucoup mieux, perdue comme elle l'était.

Thonolan était dans sa chambre au monastère, en train de lire un volume historique emprunté quelques jours auparavant. La bibliothèque du monastère avait la réputation d’être une des mieux fournies d’Azthia, et une grande partie des manuscrits et parchemins qu’elle contenait datait du temps d’Erathia. Thonolan lisait à la lumière de la petite fenêtre de sa chambre. Cette chambre, pas très grande, mais pas petite non plus, était meublée d’une table, de deux chaises, d’un fauteuil un peu défoncé et d’un lit, dans un coin. L’épée du Zelote était appuyée contre le mur, près de la porte. Pas exactement a portée de main, mais après tout, Thonolan était ici chez lui.

La chambre avait l’avantage de donner sur la cour principale, en face de la porte du monastère, et assez loin du terrain d’entrainement, donc à l’ abri du bruit. Ce qui lui permit d’entendre quelque chose d’aigu, et d’à peine audible, venant de l’extérieur. Une voix ? Celle d’un jeune enfant ? Thonolan était bien placé pour savoir qu’aucun des novices n’était aussi jeune. Le Zélote reposa son livre, se pencha a la fenêtre… et aperçu une petite chose blonde, aux grands yeux sombres, hésitant à franchir la lourde porte de chêne. Toute seule. Ou était donc passé le novice censée accueillir les visiteurs ?

Thonolan repoussa sa chaise de bois et sortit dans le couloir. Il faudrait qu’il demande le nom de ce garçon -ou de cette fille- et qu’il lui passe un sermon sur l’importance de rester à son poste, même quand ce poste n’est qu’une porte très peu usitée. Mais plus tard. Il allait d’abord voir ce que voulait la petite. Quel âge pouvait-elle avoir ? Huit ans ? Douze ? Quelque chose dans ces eaux-la… La question qui se posait, était : que venait-elle faire seule ? Les cydiens venaient rarement au monastère, à part les officiels, et quand ils venaient, c’était toujours en groupe. Thonolan voyait mal un père ou une mère envoyer leur enfant seul dans ces parages, a portée de vue du bastion des traitres nationaux.

Lorsqu’il parvint à la cour, la petite était toujours la, se tenant bien droite, mains derrière le dos, sourcils froncés en une expression trop sérieuse pour son âge. *pas douze ans, surement moins que dix*, pensa-t-il. D’aussi près, Thonolan pouvait voir qu’elle avait les traits tires, le visage fatigué. Encore un sujet d’interrogation. L’air perdu, aussi… mais ca c’était normal.

« Bonjour, petite, lui dit-il avec un sourire. Qu’est ce qui t’amène par ici ? »

[Encore désolée pour ce temps de réponse... Lamentable. U.u"]

La petite fillette n'avait pas osée bouger d'un pouce. Après avoir demandé si quelqu'un était là; et n'ayant manifestement pas eût de réponse -et pourtant elle sentait que le bâtiment n'était pas vide-, la petite fille dû faire un monumental effort pour ne pas partir en courant; il fallait dire que l'atmosphère du lieu était impressionnante pour une gamine. Elle venait de passer une porte imposante, pour pénétrer dans un bâtiment inconnu dont les membres étaient -pour elle- mystérieux...

Enfin; Evangeline inspira longuement; en voyant se profiler une silhouette, qui s'approchait d'elle; ne maîtrisant pas le moins du monde son don; et comme ils n'étaient pas seuls tous les deux -puisque le bâtiment grouillait de vie malgré tout- elle ne put dire ce que l'homme ressentait à ce moment-là; parce que oui c'était un homme; et elle ne savait même pas si elle était la bienvenue; pour la seconde fois.

Il n'était pas très jeune; il devait avoir la trentaine; peut-être un peu moins, Eva le dévisagea, sans trop savoir quoi dire pendant qu'il s'approchait; et sans oser bouger. Retenant un petit frémissement; une moue légèrement inquiète figée sur le visage; ce n'est que lorsqu'il lui parla de sa voix étonnamment douce; et lorsqu'elle perçut son sourire, qu'Evan' osa relâcher ses mains.

Les bras ballants, elle joignit les mains devant son corps, se tenant néanmoins toujours droite, la tête un peu penchée sur le côté, et lui offrit un petit sourire forcé; consciente qu'un geste de politesse aidait toujours à démarrer une conversation. Jouant avec ses doigts; manifestement victime de cet affreux et récurent handicap qu'est le stress; la petite de 9 ans toussota malgré elle, plaçant la main devant la bouche avant de se la passer dans les cheveux.

" Bonjour monsieur... Euh... Je suis là... Mais toute seule ! J'étais venue avec mon papa il y a une semaine... On m'avait dit de repasser... Evangeline marqua un temps d'arrêt, puis baissant le ton; comme si elle confiait un secret; elle ajouta : Pour régler les voix et les trucs qui passent dans ma tête... "

Puis comme si elle venait de lâcher un poids qui pesait sur elle; la gamine expira longuement. Pas calmement encore, mais longuement déjà; et vrilla ses yeux dans ceux de l'adulte qui l'avait acceuilli.

« Pauvre enfant », se dit Thonolan, « elle a vraiment l’air terrorisée. » En effet, la petite fille blonde avait l’air de ne pas trop savoir ou se mettre, ou quoi faire, entre s’efforcer de rester bien droite genre je n’ai pas peur, ou garder les yeux par terre. Ou filer en vitesse. Faisait-il si peur aux enfants ? Faisaient-ils si peur ? Thonolan se demanda si les cydiens en étaient encore à menacer leurs enfants capricieux en leur disant que « les méchants Zélotes t’emmèneront et t’enfermeront dans leur château ». Il l’avait entendue, celle-là, alors qu’on jour il avait observé une mère et ses enfants –un garçon et une fille- faire ses courses au marché. Thonolan ne faisait que passer par la, mais le garçon avait eu l’air fasciné par l’épée… et sa mère n’avait pas apprécié.


La petite fille eut l’air rassurée en voyant qu’il n’allait pas la manger sur place, même si son sourire sembla au Zélote un peu forcé. C’était déjà ca. Elle n’arrêtait pas de se tripoter les mains, comme ne sachant pas quoi en faire… Thonolan s’accorda de nouveau un moment d’attendrissement devant la mine de l’enfant. Avec ses grands yeux et sa petite bouille ronde, elle avait l’air d’une poupée de porcelaine… Puis il réalisa ce qu’elle venait de dire.


« Les voix et les trucs bizarres qui passent dans ma tête ? » Qu’est-ce que c’était que ca ? Si elle entendait des voix, ses parents devraient plutôt l’emmener voir un médecin. A moins que… Oh ! L’idée fusa sans crier gare. Elle entendait des voix ? Peut-être aussi les émotions des gens autour d’elle ? Sans être un expert en la matière, Thonolan en savait autant que tous les Zelotes, et cela ressemblait à une manifestation de l’Esprit. Thonolan fronça les sourcils. L’arme secrète des Templier. Enfin, pas si secrète que ca, mais inaccessible de toute façon, a moins de naitre avec le don. Il fallait une espèce d’apprentissage, semblait-il, mais sans le don, il n’y avait rien à faire. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Zélote ne s’attendait pas a ca.


Que faire de la petite ? Elle avait dit qu’elle était déjà venue… avait-elle révélé cette information a celui qui l’avait accueille ? Surement pas, la nouvelle aurait filtré, Thonolan en aurait entendu parler… et surtout, on ne l’aurait pas laissée partir, comme ca, sans un mot, en lui disant de « repasser » ! Il faudrait qu’elle voie maitre Lymion. Les Zelotes ne pouvaient pas lui apprendre à maitriser son don, mais… Mais quoi ? Qu’est ce que tu veux en faire ? se demanda-t-il. Ce n’est qu’une petite fille perdue. Elle n’a pas l’air de savoir ce qu’elle fait plus que toi, ou n’importe qui ici. De toute façon, on ne peut pas apprendre à manier l’Esprit. Qu’est-ce que tu lui veux ?


Il l’amènerait quand même chez Lymion. Si elle voulait bien. Il s’accroupit devant elle pour être à sa hauteur et pouvoir lui parler tranquillement.

« Ecoute, petite, ce que tu me dis la est assez… inhabituel. Je ne peux pas t’aider, mais mon supérieur en sait probablement plus que moi. Veux-tu aller lui parler ? »

La stricte vérité. Lui-même n’avait pas la moindre idée de comment l’aider.

Evangeline, devant le grand homme; devait lever la tête pour le regarder dans les yeux. Elle l'écouta silencieusement, et pinça les lèvres malgré elle; se mettant à danser d'une jambe à l'autre. On ne l'avait pas vraiment écoutée la dernière fois; et son père n'avait pas su expliquer le problème comme il l'aurait dû.
Maintenant que le monsieur semblait aimable, et qu'il souriait comme une 'personne tout à fait convenable' -comme dirait sa mère-; et bien on lui disait qu'on ne pouvait rien pour elle ! Heureusement, on lui proposait quelque chose; d'aller voir le supérieur du monsieur. L'idée de s'enfoncer plus loin dans le bâtiment ne l'enchantait guère; surtout pour rencontrer d'autres gens qui ne seraient sûrement pas tous aussi gentil que... Que...

"Hé, comment vous vous appelez ? La question était sortie toute seule; se rappelant les recommandations de sa mère de ne jamais parlé à un inconnu; la gamine plaça ses petites mains devant sa bouche; l'air d'hésiter avant de les abaisser et de continuer. Moi c'est Evangeline. Dites... Tous les monsieurs ici sont comme vous ?"

La fillette semblait plus curieuse, et ses yeux balayaient maintenant tout ce qui l'entourait; avec lenteur certes, mais avec intéret malgré tout. Sûrement le relatif abri que lui offrait le temple vis à vis des sensations et pensées étrangères, lui permettait un répit bien mérité. Et alors pour une fois que la chape de plomb qu'elle portait au quotidien semblait s'alléger, ses sens se retrouvaient exaltés.
Quelque part, contre son gré, Evangeline semblait déjà apprécier cet endroit. Et alors qu'elle réalisait elle-même que les voix et impressions se faisaient moins intenses; la petite vrilla à nouveau ses grands yeux bruns; seule partie de son visage qui n'avait pas l'air maquillée; dans celui de l'homme, en levant la tête vers lui. Elle eû un semblant de sourire, toutefois encore un peu forcé; malgré qu'elle se sentait plus à l'aise dans le lieu qu'à son arrivée.

"Tout le monde m'appelle Eva, mais je connais personne ici. Vous pensez qu'on m'aidera peut-être si je vous suis ?"

Manifestement partagée; Evan' raisonna rapidement. Si elle était venue pour chercher de l'aide; c'était sûrement pas avec une seule personne et sur le palier de la porte d'entrée; qu'elle aurait ce qu'elle voulait. Et puis l'endroit semblait agréable; on l'y avait bien acceuillie. Même si elle n'avait vu qu'une personne; alors avant même que le grand homme ait répondu; Evangeline avait prise sa décision.

La petite eut l’air instantanément déçue par la réponse de Thonolan, et semblait hésiter à l’accompagner plus loin. Elle se mordillait les lèvres comme si elle réfléchissait intensément, entrer ou partir ? Faire confiance ou tout laisser tomber ? On pouvait presque voir la suite de ses pensées sur son visage, tellement elle était expressive. Thonolan se dit qu’il avait rarement vu un enfant aussi vif…

La question vint sans prévenir, surprenant la fillette plus que le Zélote. Sa mimique étonnée, hésitante, puis déterminée à nouveau le fit sourire…

« Evangeline est un joli prénom, qui te va bien, répondit-il. Moi c’est Thonolan. » Il hésita une seconde, supposant avoir bien compris la question de la petite fille. « Ici, personne ne sera méchant avec toi. Maitre Lymion peut parfois avoir l’air sévère, mais il n’a jamais pu s’empêcher de sourire a un enfant. D’ailleurs, tu sais, nous ne sommes pas tous des « messieurs » ici, il y a aussi pas mal de femmes, et elles adorent les enfants. »

La petite jeta un coup d’œil derrière lui, balayant du regard la cour extérieur. Pas bien gai, l’endroit, nu et vide, mais plus loin a l’intérieur se trouvaient des jardins, les quartiers des novices, conviviaux malgré le petit nombre qu’ils abritaient, la cour d’entrainement, la salle commune aux grandes fenêtres… Tout le coté « vivant » du monastère.

« Si tu ne veux pas entrer, ajouta-t-il, je peux au moins te renseigner. Ce qui t’arrive est une manifestation d’un don, l’Esprit. Peu de gens le reçoivent à la naissance, et ceux qui ne l’ont pas ne peuvent pas l’apprendre. Tu pourrais faire de grandes choses, avec, mais il te faudra apprendre à t’en servir. Je n’en sais pas plus a ce sujet, mais maître Lymion pourra peut-être te dire comment pouvoir le bloquer, pour que tu ne sois plus gênée. »
Il s’arrêta de nouveau, prenant le temps de réfléchir. Il supposait que Lymion en saurait plus que lui, mais il ne pouvait pas être vraiment sur.

« De toute façon, dit-il, si maitre Lymion ne t’aide pas, ou si tu veux aller plus loin, l’un d’entre nous peut t’accompagner a Tamawa, ou tu pourrais y aller avec tes parents. Les Templiers sont reconnus pour leur capacité à maitriser l’Esprit.

Quoi que les Zélotes puissent ressentir par rapport aux Templiers, Thonolan reconnaissait qu’ils ne refuseraient pas leur aide a a petite, et ne l’enrôleraient pas dans leurs rangs si elle n’en avait pas envie. On pouvait leur faire –relativement- confiance.

Depuis qu'elle était entrée; pas une seule fois l'homme ne l'avait quitté des yeux. Pas même une petite seconde; pourtant il ne semblait pas se méfier d'elle, d'ailleurs il n'avait aucune raison de le faire... Et puis, il avait esquissé un sourire. Et il s'était présenté ! Et puis; d'ailleurs, il l'avait vite rassurée en lui affirmant que les gens ici n'étaient et ne seraient pas méchants avec elle, qu'il y avait des femmes, et même qu'il pouvait la renseigner.

Evangeline à ce moment-là; ressentit une légère augmentation dans l'intensité des manifestations de l'Esprit; qui se faisaient plus calmes ici pourtant. Expressive comme elle l'était; une grimace passa sur son visage; ses yeux se vidèrent un instant; comme si elle était perdue dans ses pensées; et ses sourcils se froncèrent... Le tout n'avait duré qu'une seconde. Aussitôt fini, la belle -presque habituée à ces désagréments- secoua la tête; et retourna planter ses yeux dans ceux de Thonolan.

Comme il semblait vouloir la renseigner sur son don; et comme cela intéressait la petite; cette dernière croisa les bras dans le dos, et se tînt bien droite, clignant des yeux par à-coups. Puis l'agréable zélote lui adressa quelques explications; lui expliquant que ce qu'elle avait était une capacité rare qui ne pouvait s'apprendre, et avec laquelle elle pourrait faire de grandes choses ! La gamine ne voyait pas du tout ça de cette façon... Et elle ne put empêcher une petite moue de déformer ses lèvres; ni un mouvement d'épaule d'agiter ses cheveux blonds autour de son visage.

"Mais vous savez... Moi j'voulais juste devenir fleuriste. Je sais beaucoup de chose pour mon âge ! La petite Evan' hocha de la tête plutôt vivement, comme si ce mouvement et ses yeux qui ne lâchaient plus ceux de l'homme; étaient un moyen de persuasion supplémentaire. Mais si quelqu'un ici peut m'aider à empêcher ça..."

Elle grimaça à l'évocation de son "don". Elle était très loin de le considérer comme un bienfait; et la belle petite laissa aller ses bras ballants, en regardant derrière le Zélote une nouvelle fraction de seconde. Elle conservait une certaine appréhension envers le lieu, mais naïve qu'elle était; Thonolan lui avait paru si agréable, si gentil, et l'avait mise tellement en confiance que dores et déjà elle ne voulait pas le lâcher dans l'enceinte du bâtiment.

Aussi, la petite tendit la main et priant pour que son geste ne soit pas mal interprété où considéré comme de l'insolence; elle agrippa ses vêtements au niveau de la hanche d'une main sûre, puis releva la tête vers lui. L'air sérieux qu'elle arborait ne lui allait pas du tout, et il aurait prêté à faire rire n'importe qui, mais evangeline se sentait comme une héroïne de ces contes qu'on lui avait racontée ainsi...
Fière et bravant l'inconnu aux côtés d'un bel homme sans peur. De belles pensées; qui transparaissaient par son regard. Et c'est en regardant à nouveau derrière lui, que la petite reprit la parole de sa petite voix fluette.

"Vous m'amenez m'sieur Thonolan ?"

Thonolan sourit à nouveau à la fillette. A l’instant, elle semblait prête à affronter tous les dangers… Elle ne risquait rien ici, mais elle ne le savait pas, et elle avait quand même beaucoup de courage. Il prit la main qu’elle lui tendait hardiment. Fleuriste, avait-elle dit ? Elle ne préfèrerait pas plutôt être aventurière, exploratrice, quelque chose de moins tranquille ?… mais elle avait le temps de changer d’avis. Ou de perdre sa fougue, pensa-t-il, mais il n’avait pas l’impression que ce serait son cas.
« Allons-y, alors. » dit-il.

Le Zélote mena Evangeline à travers le monastère, en prenant soin de passer par les plus beaux endroits. Pour l’amuser, il se mit à lui expliquer a quoi servaient les grands bâtiments, ce que faisaient les gens qu’ils croisaient, et quelques anecdotes qui lui revinrent a l’esprit.

« Vois-tu cette façade avec les grandes fenêtres ? C’est la bibliothèque. Elle est un peu à l’ écart, pour éviter le bruit, et ses fenêtres qui laissent passer le soleil donnent sur une salle d’étude bien éclairée. Mais les livres sont entreposes dans des salles plus sombres, certains parchemins sont si vieux que l’encre disparait a la lumière. Là-bas, ce sont les cuisines… »

Et ainsi de suite. Thonolan s’amusait autant que son hôte. Il revoyait le monastère tel qu’il l’avait vu la première fois qu’il y était venu, plus de dix ans auparavant… Il était bien plus âgé alors qu’Evangeline aujourd’hui, mais l’effet devait être le même. Les bâtiments majestueux, les maitres qu’on voyait parfois et qui avaient cette démarche féline propre aux hommes d’épée, et cette assurance imposante propre aux mages. Et les éclats de voix venant des cuisines, et un novice qui couraient on ne savait ou. Il rappela à Thonolan son premier jour, dans cette même cour, ou un violent coup de tonnerre avait fait sursauter tout le monde, au point que le jeune homme s’en était retrouvé assis par terre. Surgit alors un jeune garçon, ébouriffé, tout essoufflé et se rependant en excuses, et j’espère que vous allez bien, je suis désolée, je ne maitrise pas encore ma magie, et êtes-vous sur que vous n’avez rien ?

Depuis combien de temps n’avait-il pas repensé a l’évènement ? Il sourit, mais ne raconta pas l’histoire a Evangeline… il ne voulait pas lui faire peur.

Le bureau de Lymion n’était pas très loin, ni très enfoncé vers l’intérieur des bâtiments. La lourde porte de chêne, toute simple, s’ouvrait sur une espèce de couloir dont un coté était fait de colonnes. La porte était a demie ouverte, et Thonolan entra, tenant toujours Evangeline par la main.

Lymion était assis à son bureau, la tête appuyée sur une main alors qu’il rédigeait quelque chose de l’autre. Plusieurs papiers étaient étalés sur le meuble massif, et son épée y était appuyée. Lymion était resté un homme d’action, prêt a bondir a la moindre alerte… Sans relever la tête (il savait très bien qui venait d’entrer, comme d’habitude), il finit d’écrire une phrase, reposa sa plume dans l’encrier, puis leva sur Thonolan un regard interrogateur.
Le Zelote salua son supérieur et commença à expliquer la situation.

« Maitre, voici Évangeline. Elle s’est présentée seule a la porte du monastère il y a quelques instants, et demande notre aide sur un sujet assez particulier. Évangeline, s’il te plait, reprit-il a l’adresse de la petite fille, peux-tu répéter a Maitre Lymion ce que tu m’as dit tout a l’heure ? »
Il lança un clin d’œil a la fillette, pour lui signifier que tout allait bien.

Evangéline ne se fit pas prier, et Thonolan alla s'adosser contre un mur a quelques pas en arriere, pour ne pas les gêner. Les bras croisés sur la poitrine, il suivit distraitement l'échange, tout en réflechissant aux implications de ce qu'il venait de voir.

La fillette allait rester. Thonolan n'était pas spécialement fan des Templier, loin de la. Mais est-ce qu'il n'était pas temps d'abandonner la vielle querelle ? peut-être feraient-ils mieux de leur envoyer l'enfant, en guise de bonne foi. Elle y recevrait une meilleure éducation que ce qu'ils pouvaient lui offrir ici... Mais il savait qu'il n'en serait rien. Lymion ne possédait pas l'Esprit, mais Thonolan ne doutait pas que le maitre de l'ordre trouve moyen de surmonter cette difficulté. Il n'avait pas meme rencontré ses parents, mais il ne laisserait pas échapper la fillette, et la chance qu'elle representait. L'occasion de rivaliser avec les Templiers, en employant leurs propres armes.

Tout cela allait trop vite. Si Evangéline avait eu cinq ou six ans de plus, Thonolan aurait lui-même proposé ce plan a maitre Lymion. Mais à présent, il ne pouvait se départir d'un certain malaise. Lymion exagerait...

Mais Thonolan n'avait pas l'autorité d'intervenir. D'ailleurs, il n'était pas sur de vouloir intervenir. Qu'aurait-il dit ? De toute facon, la petite fille avait de longues années d'apprentissage devant elle, avant que quoi que ce soit ne puisse être envisagé. Il se faisait des idées.

N'empêche, il garderait un oeil sur elle.


(Désengagé)