L'Orage Sanglant était amarré pas loin du port, quelque part près de la côté, à l'abri des regards indiscrets. L'équipage y était arrivé dans la journée, fatigué mais heureux d'être encore en vie. Tous étaient restés sur leurs gardes tout le long du voyage, scrutant l'horizon et les profondeurs de l'océan à la recherche du moindre mouvement suspect. Maintenant qu'ils étaient près de la terre ferme, plus rien ne pouvait leur arriver; ils étaient saufs et se remémoraient cette traversée comme la plus palpitante de toute leur vie.

Le pas légèrement vacillant, les pommettes délicatement rosées lui donnant un air bon-enfant, Cassandra avait peut être un peu abusé du Rhum, mais après tout, ce soir c'était la fête ! Les pirates célébraient leur survie face au plus puissant monstre des mers. Le Kraken n'avait réussi à rattrapé le magnifique brick qui, malgré tout, avait besoin de quelques réparations. Enfin, ces quelques dommages étaient secondaires, l'important était qu'aucun homme n'avait laissé la vie lors de cette confrontation, sans compter que la Capitaine avait gagné un matelot et pas des moindres; ses atouts égalaient sa puissance. C'était autant de raisons de se laisser aller et vider quelques bouteilles d'alcool.

En parlant de bouteilles, Cassie en tenait une à la main, qu'elle balançait d'avant en arrière, laissant échapper à chaque mouvement quelques goutes de ce merveilleux nectar qu'était le rhum -c'est elle qui le qualifiait de la sorte. La jeune femme avait abandonné ses compagnons pour une balade nocturne et solitaire, le cerveau embué d'alcool, inconsciente des risques qu'elle prenait. Après tout, Storghein ne la comptait pas parmi ses amis intimes ou amis tout court d'ailleurs et il suffisait d'une patrouille pour que la demoiselle se retrouve dans de beaux draps, mais bon... La Capitaine était à des milliers lieux de tout ça.
Le port était silencieux, seul le bruit des bottes de Cassandra, claquant contre les pavés, raisonnait dans la nuit. A cet instant, elle se sentait légère, comme si c'était la nuit où tout était possible et réalisable. Pur délire d'une ivrogne qui risquait d'attraper froid au vu de sa tenue; un chemisier blanc au col défait, révélant ainsi une partie de la gorge de la jeune femme et un pantalon noir, soulignant la courbe de ses jambes. Provocante, comme à son habitude.

Plouf.
Qu'est-ce que c'était que ça ? Le bruit venait de tirer la jeune femme de sa rêverie. Elle tourna sur elle même à la recherche de l'origine et son regard se posa sur un homme se tenant au bord de l'eau. Chouette, de la compagnie. Cassie s'approcha donc, de sa démarche incertaine, un sourire aux lèvres.

« Hé bien, mon grand, à ton âge tu t'amuses encore à lancer des cailloux dans l'eau ? »

D'un coup, la jeune femme fut saisie de vertiges et se rattrapa à l'épaule de l'inconnu, la tête penchée et une main plaquée contre ses lèvres. Il en suivit un instant de silence, puis Cassandra murmura entre ses dents.

« Je crois que je vais vomir... Un instant de réflexion. Ah non, en fait c'est bon. La pirate redressa la tête, toute sourire. Un peu de rhum ? »

Cassandra se laissa entrainer sans rechigner, ni dire mot, trop ivre pour chercher le « pourquoi du comment » de ce mouvement soudain. Et puis, le soutient de cet homme n'était pas de trop. Au vu de son équilibre actuel, la demoiselle se serait vite fait retrouvée dans l'eau et là... Adieu la redoutée Capitaine ! Bye bye l'une des plus belles femmes d'Azthia -bien que de cette renommée, Cassie s'en fichait et quelque chose de bien. Bref, l'inconnu était, en quelque sorte, son sauveur du soir. Que c'était romantique ! Ou pas... Disons que c'aurait été le cas, si la pirate ne se trouvait pas dans un état aussi déplorable; démarche vacillante et sourire béat -tu parles d'une Madone.
Cassandra s'accrochait donc à son bras, souriante, mais songeuse. La réplique de l'homme avait fait naître en elle une réflexion des plus profondes. De celles qu'on a lorsque l'alcool dans notre corps est présent en quantité plus importante que le sang -c'est une image. Enfin bref, l'histoire de la bouteille perturbait un peu l'ivrogne. Au bout d'un moment, Cassie leva ses yeux vers le visage de son « sauveur ».

« En voilà, une idée stupide, tout de même. Tu as jeté inutilement une bouteille, alors qu'à cette heure, on aurait pu aller la remplir de rhum et passer une soirée magnifique ! »

Hé bien, Cassandra, tout ça pour ça ? Un effort si intense pour... pour... une remarque des plus pertinentes, ma foi.
Elle secoua sa crinière en signe de désapprobation et pardonna aussitôt. La jeune femme n'était pas d'humeur rancunière et pour une fois que son cerveau ne lui ordonnait pas de se méfier, il fallait qu'elle en profite. Au diable la raison, ce soir elle était Reine ! Reine de la boisson et des idées pas claires; voilà un statut des plus prestigieux et des plus convoités ! Prosternez-vous devant Sa Majesté et peut être que dans sa bonté, vous arrosera-t-elle de quelques goutes de rhum !

« Pour ce qui est de te tirer de ton ennui, tu frappes à la bonne porte ! Je suis d'humeur causante et joyeuse, aujourd'hui, alors profite ! »

Collant le goulot à ses lèvres, Cassandra bu quelques gorgées du liquide ocre -un petit filet coula le long de son menton- et tendu la bouteille à l'homme avec une petite moue, l'air de dire « Bois pas tout, c'est précieux. ».
Elle s'essuya le visage d'un revers de manche et tendit la main à Lösgar, puisque tel était son nom.

« Quel nom à dormir debout ! Enfin, enchantée tout de même, moi c'est Cass... Cassie ! »

Petit soubresaut de conscience qui perça pour un instant l'épaisse brume de témérité. Prudence, ma fille, prudence, lui souffla son cerveau. Cela ne dura qu'un instant, juste le temps de réaliser que donner son vrai nom serait pure folie pour quelqu'un dont la tête était mise à prix.
Pour détourner l'attention de cette hésitation, Cassandra se tourna en direction de l'endroit qu'ils venaient de quitter, curieuse.

« Que faisais-tu donc là-bas, seul ? C'est étrange... »

Ses yeux se posèrent sur Lösgar, dont elle observa le visage, avant de lui tapoter la joue, songeuse.

« Mais dis moi, t'es tout pâle. Tu as des problèmes ? Raconte moi tout ! »

« Je te l’accorde. La marche est un moyen comme un autre de se vider l‘esprit. »

Cassandra ne cilla pas sous le regard de l’homme. Etre ivre ne l’empêchait pas d’être fière; jamais encore elle n’avais baissé les yeux et ce n’était pas prêt d’arriver. Que cherchait-il en la sondant ainsi ? Provoquer ? Juste admirer ses mirettes ? Cette dernière pensée la fit sourire - elle avait vraiment beaucoup trop bu. Réflexion pertinente, mais qui ne l’empêcha pas de vider un peu plus la bouteille. Au point où elle en était, une gorgée de plus ou de moins ne changerais pas grand-chose à son état. Cassie se réveillerait, de toute façon, avec une sale migraine et vomirait peut être. Enfin, la jeune femme connaissait ses limites et pour le moment, elles étaient loin d’être atteintes, malgré son déplorable état. Passons.

Un petit vent vint cajoler les deux corps; Cassie en apprécia la fraicheur les yeux mi-clos, tout en humant l’air. Ne fumant pas, certes, la jeune femme n’en appréciait pas moins l’odeur de tabac qui lui rappelait son enfance sur le navire de son père. Enfin, la pirate n’était pas d’humeur nostalgique - ce soir le passé n’était pas invité à se joindre à leur petite fête. Rouvrant ses mirettes, Cassandra posa sur l’homme un regard interrogateur. Il tardait à répondre. Sa question le gênait-elle tant ? Il l’en voyait désolée -elle était juste curieuse. Lösgar finit, cependant, par rompre le silence. Elle hocha la tête, comprenant ou non.

« La noyade est une belle mort, dit elle songeuse tant dis que ses yeux se portaient vers l’eau rendue brillante par l’éclat de la lune. C’est un dernier combat que la mer t’offre. Tu luttes contre les vagues et les courants. C’est bien la première fois que tu te bats vraiment pour vivre et sans faire couler le sang. Puis vient l’instant ou tu comprends, tu acceptes et tu abandonnes, te laissant sombrer doucement. C’est beau. »

Cassandra n’avait pioché qu’un mot dans sa question, se laissant un instant aller à la rêverie - pas vraiment gaie, mais tellement elle, toujours en rapport avec l’océan. Enfin, elle se reprit très vite, reportant son attention sur l’homme dans un éclat de rire. Elle riait, parce que c’était idiot, parce qu’elle était à côté de la plaque et que sa tirade n’avait aucun sens ou peut être trop.

« Enfin, je dis ça, mais je ne suis pas experte. Pour en revenir à ta question, c’est ma solitude que je noie dans l’alcool. »

Mensonge ! Et alors ? C’était la nuit des contes de fée. Cassie pouvait bien s’inventer une vie nouvelle, de celles qu’elle ne voudrait jamais connaitre. Et puis, il était tellement plus amusant de se perdre dans des délires au gout de rhum.
Elle vint titubante se placer à ses côtés, s’appuyant contre son épaule.

« Chacun fait comme il peut pour oublier ses crimes. Les miens sont pesants, ils s’accrochent faisant fuir chaque personne qui m’approche. »

La pirate fit doucement courir ses doigts sur la cicatrice du monsieur, taquine ou voulant simplement souligner le fait que chacun avait ses propres démons. Les siens ne l’ennuyaient pas trop. On pouvait le dire, Cassandra était heureuse, contrairement à Cassie, son personnage du moment.

« Mais dis moi, tu me trouves vraiment belle pour m’appeler ‘ma jolie’ ou est-ce juste une façon de parler ? »

Trop de sérieux tue le sérieux. Ils n’allaient tout de même pas se lancer dans un mélodrame où chacun raconte ses malheurs. Et puis, la Capitaine était, pour une fois, curieuse de connaitre l’opinion de Lösgar -généralement, elle s’en fiche totalement; elle n’a pas de temps à accorder à de la romance, namého !

[J'ai vraiment eu du mal à faire ce post : il n'est pas terrible, je suis désolée. J'espère tout de même que ça ira. =/]

Une pointe de malice éclaira le regard de Cassandra; l'inconnu ne croyait pas si bien dire. Des pugilats, elle en avait déclenché, mais généralement c'est elle qui donnait le premier coup de poing, ne laissant pas aux hommes ce privilège. C'est la jeune femme qui choisissait avec qui elle allait passer la nuit et non l'inverse. Trop orgueilleuse, elle ne se laissait pas impressionner par ces élans de machisme. « Je vais te mettre ta raclée et partir avec elle ! » -tu parles. Comme si elle était du genre à se jeter dans les bras du vainqueur en criant « Mon héros. »; elle serait bien cruche et bien facile, dans ce cas. C'est dans ce genre de situations que Cassie préférait les femmes -elles sont plus sournoises et ont plus de tact, ce qui rend les choses si amusantes.
Enfin, ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait se montrer bagarreuse, tenant pas très bien sur ses jambes et pas du tout en état de porter le moindre coup. Et puis, son chevalier servant d'un soir était là; il est parfois bon d'être une femme faible.

« Oh, tu sais... Il est rare de voir des Astorgs se battre pour une Cydienne. Il y a bien longtemps qu'on ne m'a pas fait de compliments. »

Quelle comédienne ! Sa réponse n'était, cependant, pas dénuée de sens et rattrapait habilement sa précédente question, lui évitant de passer pour trop bête. Ne croyez pas que tout était déjà calculé dans la tête de la jeune femme, non. Les idées venaient au fil de ses délires d'ivrogne. Cassandra avait fait place à Cassie pour cette nuit.

« Je ne recherche que quelque gentillesse de la part d'un homme. Ne me blâme pas pour ça. Après tout, ici je représente moins que du bétail. »

C'était vrai. Si quelqu'un venait à la capturer, la demoiselle serait loin d'être traitée comme une princesse. On la voulait vivante à Storghein et ce n'était surement pas pour pouvoir partager avec elle un bonne tasse de thé et la loger dans une luxueuse chambre en attendant le procès.
Et puis, quelque part, Cassandra avait envie de séduire cet étrange homme, s'amuser un peu, guidée par l'ivresse, le cerveau enveloppé de coton. Généralement, il n'était pas dans ses habitudes de jouer de la sorte, en offrant sourires et regards brillants. La pirate était du genre à aller droit au but sans détour. Enfin bon, on mettra tout cela sur le compte du rhum, dont elle bu une nouvelle gorgée.
Passant son bras autour du sien, Cassie hocha la tête avec enthousiasme, appréciant l'idée d'aller se joindre à quelques autres personnes.

« Je suis bonne nageuse, va. Je ne risque pas de me noyer -boire une tasse tout au plus. A cet instant, c'est ma solitude qui sombre grâce à toi. »

Un sourire reconnaissant et Cassandra resserra un peut plus sa prise au tour du bras de l'homme, marchant lentement et l'obligeant à faire de même. Ils avaient la nuit devant eux et au vu de l'état de ses hommes, personne ne cherchera la Capitaine avant le petit matin, alors autant en profiter. C'était aussi une façon de masquer les vacillements de sa démarche, je vous l'accorde. Une peine bien inutile, en somme, puisque son compagnon devait se rendre compte que la demoiselle était bien pleine.

Lösgar était décontraction et calme. La présence du garde ne le perturba aucunement, contrairement à la jeune femme qui nicha son visage contre le cou de l'homme, instinctivement. Elle ne voulait pas qu'on la voit. Pur réflexe de celle dont le portrait devait trôner en plein milieu du tableau des primes de la caserne et qu'on rêverait voir derrière les barreaux d'une prison astorg. Cassandra n'aurait surement pas dû. Son personnage n'avait pas tant à se reprocher pour se dissimuler ainsi d'un garde, puisque l'inconnu l'avait rencontrée sur le port totalement à découvert. Enfin, peu importait. Il allait prendre cela pour un élan chaleureux, un besoin de contact physique tout simplement. Elle l'espérait. Ce n'était pas comme si il y avait écrit « Recherchée » sur son front. Elle se le frotta d'ailleurs, au cas où, manquant de renverser un peu de sa boisson sur sa figure, ce qui la fit rire doucement. Quelle enfant ! L'alcool ce soir ne la réussissait que moyennement. Avec ses hommes, elle aurait hurlé, insulté et autres subtilités du même genre, mais là... Son comportement se devait être celui d'une femme et non d'une barbare, ce qui n'était pas chose facile après des semaines à se comporter comme un homme.

Une parade de plus. L'inconnu déjouait à chaque fois les excuses de la jeune femme, à croire qu'elle ne savait manier que la vérité, ayant oublié de prendre l'option « Mensonge en état d'ébriété. ». Elle soupira, le regard rivé devant elle, les yeux légèrement dans le vague. Que pouvait-elle répondre à ça ?

« C'est vrai, tu as raison. Je ne suis pas un bout de viande. J'ai, ici, un statut qui flatte bien plus mon égo de petite princesse. »

Oui, la pirate était flattée d'être connue dans une cité telle que Storghein et puis, ils n'étaient pas allés de la main morte sur les zéros. Cassie aurait presque pu se rendre d'elle même pour empocher ce petit magot. Enfin, la piraterie lui rapportait tout autant, sinon plus et c'était bien plus excitant. Le doux frisson du danger, la délicate mélodie des lames qui s'entrechoquent et l'agréable sensation de son poing contre le nez d'un inconscient qui aurait osé l'attaquer, elle.
Cassandra secoua légèrement la tête, revenant à la réalité. C'était bien beau tous ces souvenirs, mais ce soir elle était en bien agréable compagnie -ta vie, tu la retrouvera ben assez tôt alors reste avec nous, pardi !

Ils étaient arrivés.
C'est avec étonnement que la Capitaine constata que Lösgar parlait la langue de ces nomades. Quelles autres surprises cet homme cachait-il dans son sac ? Mais en fait, cela paraissait logique; c'est lui qui avait fait la proposition de venir ici et en connaissance de cause, surement. Enfin, Cassandra n'était pas vraiment en état de tirer des conclusions de chaque parole que prononçait l'homme.
La jeune femme s'adossa sagement contre l'arbre et suivi un instant l'inconnu du regard, puis se laissa aller, s'envoyant quelques gorgées de rhum. L'ambiance qui régnait dans le campement était festive et apaisante. C'était autre chose que ses beuveries en compagnie de ses hommes -elle préférait ses dernières.
C'est avec amusement que Cassie regarda Lösgar s'installer sur son tapis et finit par s'asseoir en face de lui, à même le sol, loin de l'élégance princière qu'elle aurait dût avoir entant que princesse -s'étant qualifiés de telle tout à l'heure.

« Cette prison de glace ? Aurais-tu quelque rancœur à l'encontre des Astorgs ? Enfin, qu'importe. Et de même pour ma présence. Je pourrais tout autant te raconter la vérité qu'un conte. »

Rejetant la tête en l'arrière, Cassie porta son regard vers le ciel rêveuse.

« Cependant, on ne va pas passer la nuit à se regarder dans le blanc des yeux -ce serait fort ennuyant- alors voilà. Je suis venue ici pour une affaire qui aurait dû, à l'avenir, m'éviter tout problème dans la cité, mais il se trouve que j'ai décidé de garder ma monnaie d'échange et le résultat est que mon voyage fut inutile, on ne voudra plus jamais de moi ici et ma solitude ne sera que plus grande. »

La pirate sourit, reportant son attention sur l'homme. Il était libre de la croire ou non, cependant, une partie de l'histoire était vraie.
La jeune femme huma l'air.

« J'aime cette odeur... Je suppose que les raisons de ta présence à Storghein vont restés secretes, tout comme ta présence sur le port. Je crois que tu es fort pour éluder les questions gênantes. »

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, un blanc manteau recouvrira le monde, le chant joyeux des oiseaux cédera sa place au silence et le monde s'endormira petit à petit. Dans ce décor figé par le temps, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

Désengagés : Cassandra, Abisheï