Philéa était allongée sur le lit, alitée par la grossesse qui bientôt ne serait plus qu'un vague souvenir. C'était la troisième certes, mais avec trois petits bout de chou qui pointeraient bientôt le bout de leur nez, c'était sans doutes la plus éprouvante de tous. La reine amazone avait fermé les yeux un instant, allongée dans sa chambre. Elle ne s'était pas sentie glisser vers le monde des rêves ... La dame ouvrit les yeux sur un monde qu'elle reconnaissait bien. Elle était dans la clairière qui se trouvait non loin de la cité, celle où, un matin, elle avait mené une bataille pour sauver sa cité d'envahisseurs aux côté d'Eléa et de ses fidèles amazones. Aujourd'hui, elle était assise dans l'herbe fraiche, profitant du beau temps pour oublier ne serait-ce qu'un instant son rôle de reine. Elle était vêtue de blanc, telle une sainte, et ses mains allaient et venaient, coupant ici ou là un brin d'herbe quand l'envie lui en prenait. Jacen, à ses côtés, lui contait encore une fois une histoire qu'il avait vécu aux côtés de Jiven et de Celyween. Depuis combien de temps parlait-il ? Philéa l'ignorait mais elle ne voulait surtout pas l'interrompre, c'était ... si agréable ! Au loin, Jelenna jouait avec son nouvel arc. La petite fille était douée, c'était indéniable, bientôt elle aurait atteint le niveau de la Chef des Sentinelles. Philéa ferma les yeux, profitant de la douceur ambiante. Cette douceur qu'elle n'avait plus eu l'occasion de retrouver depuis bien des années. Son rôle de souveraine l'avait éloignée de toutes ces choses simples de la vie sans parler de ses choix quelque peu étranges aux yeux de certains. La souveraine le savait, elle n'avait pas toujours fait le bon choix et sans doutes avait-elle eu tord mais jamais elle ne pourrait revenir en arrière. Elle ne pouvait aller que de l'avant en espérant que les choses s'arrangeraient un peu. La jeune femme ferma les yeux tandis que la brise jouait tranquillement dans ses cheveux. La voix de Jacen la berçait et bientôt, elle s'endormit dans son propre rêve.

" Tout est de ta faute !! " hurla une voix derrière elle.

Philéa se réveilla en sursaut. La voix de Jacen s'était tue, Jelenna avait disparu de son champs de vision. La reine amazone se releva d'un bond, constatant avec effroi que l'herbe sous ses mains étaient devenue sèche et la terre craquelée. Que se passait-il ? Elle chercha des yeux sa fille cadette sans succès. Prise de panique car la situation lui rappelait sans doutes vaguement la réalité, Philéa se tourna alors dans la direction de Jacen.

" AAAAAAAAH ! " hurla-t-elle, tremblante de peur.

Jacen était là, étendu sur l'herbe, baignant dans le sang qu'une terrible blessure au ventre lui avait octroyé. L'herbe avait rougi autour de lui et la terre semblait boire avidement le sang qui s'écoulait de la plaie. Philéa saisit le corps de ce dernier, pleurant à chaudes larmes. Elle le gifla de toutes ses forces, hurlant son prénom sans que rien ne se passe.

" Tout est de ta faute ! "

A nouveau cette voix qu'elle ne connaissait que trop bien.

" Jelenna !! "hurla alors Philéa en se relevant. Mais la petite n'était pas là.
La souveraine amazone paniqua, cherchant désespérément du secours quelque part, mais il n'y avait personne. Elle était seule. Elle tomba sur le sol, pleurant sur le corps de Jacen, hurlant le prénom de sa fille.

" Tout est de ta faute. "

A cet instant; elle sentit la lame de l'arme qu'elle ne connaissait que trop bien pour l'avoir offerte à sa fille, sur sa gorge. Elle n'osa pas bouger. Elle n'avait pas peur, elle était simplement soulagée, aussi étrange que cela puisse paraitre. La lame tomba sur le sol dans un bruit sourd.
Eléa fit le tour, se retrouvant face à elle. Elle tenait dans ses bras le corps ensanglanté de la petite princesse bis. Si ses poignets n'avaient pas été ouvert et dégoulinant d'une substance rougeâtre à moitié coagulée, Philéa aurait pu pensé qu'elle dormait, tout simplement. Les vêtements de la princesse amazone étaient rougis par le sang du petit corps et le sourire éternel de la petite fille était figé à jamais sur son visage poupin. Philéa tendis les bras vers sa cadette, tremblante de chagrin, pleurant toutes les larmes de son corps.

" La ferme ! " hurla Eléa avec colère.

La jeune femme releva la tête en direction de sa fille. Malgré la tristesse, elle ne souhaitait pas que cette dernière lui parle de la sorte, elle restait sa mère après tout ! C'est alors qu'elle vit le visage de son interlocutrice. Pâle comme la mort, couvert de boue et d'éclaboussures de sang. Un léger filet rouge coulant le long de son cou et trouvant sa source aux niveaux des lèvres de son ainée. Philéa écarquilla les yeux, failli hurler lorsqu'elle la voix tranchante de sa fille s'éleva :

" Tout est de ta faute. C'est toi qui les as tué ! C'est de ta faute s'ils sont morts ! "

Les yeux de sa fille n'était plus que colère, rancune et haine. Comme si tout le reste avait disparu, comme si tout le poids du monde tombait sur les épaules de la reine amazone. Philéa tenta de se justifier mais elle enchaina aussitôt :

" C'est de ta faute s'ils ont brûlé mon corps ! ''

A cet instant, une flèche se ficha dans son ventre. Sa robe jusque là immaculée se teinta rapidement de rouge tandis qu'elle sentait sa conscience vaciller. C'était de sa faute, elle avait mérité tout cela. La jeune femme voyait sa fille ainée l'observer en train de mourir. Pas un mot, pas un sourire, rien, comme si elle-même avait été un pantin. Le monde devint ténèbres autour d'elle.

Lorsque Philéa ouvrit les yeux, en sueur, elle se retrouva face à face avec Eléa.
Un instant, elle se cru encore dans son rêve et faillit crier mais lorsqu'elle sentit que la douleur disparaissait au niveau de son ventre et lorsqu'elle vit le visage de la demoiselle, immaculé et simplement fatigué, elle comprit qu'elle avait repris conscience, que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Elle soupira en silence, soulagée. Eléa était là et elle ne cherchait pas à la tuer, au contraire, elle sentait un flux magique provenant d'elle qui envahissait tout son corps et faisait disparaître la douleur.
Philéa hésita longuement. Elle se doutait qu'Eléa savait qu'elle était éveillée et pourtant, cette dernière ne bougeait pas, continuant son travail les yeux fermés. Lui avait-elle pardonné ? Devait-elle comprendre cela dans son geste ? Et pourquoi était-elle là d'ailleurs ?
La mère posa alors sa main encore chaude de part la fièvre qui l'avait alitée jusque là, sur celle de l'ainée de ses enfants. Elle sentit une certaine tension sous ses doigts. Un instant, son rêve lui revint en mémoire mais elle le laissa de côté et souffla simplement :

" Tu es revenue. "

Une main se posa sur la mienne et la voix de Philéa s'éleva dans la pièce. "Tu es revenue". Si seulement elle savait à quel point ces mots me faisaient mal, à quel point ils me transperçaient le peu de cœur qu'il me restait. Pourtant, je décidais de garder mon calme, de me concentrer sur ce que Jiven m'avait appris durant mon séjour au Temple de Tamawa. Me concentrant sur le soin que j'étais en train de faire, j'en oubliais la présence de ma mère et de la pièce qui nous entourait. Sous mes doigts, je sentais le mouvement délicat de quelque chose qui se développait dans le ventre de cette dernière. Le pire dans l'histoire était sans doutes que Philéa n'avait prit que six malheureux kilos ... C'était dingue mais la physionomie de la jeune femme était comme cela. Par l'Esprit, j'avais ressenti la présence plus ou moins certaine de trois enfants, j'espérais me tromper d'ailleurs ce devait être le cas car, dans mes souvenirs, Jacen avait parlé de jumeaux. Il me fallut plus de cinq bonnes minutes pour conclure le soin et lorsque ce fut fait, je décidais enfin d'ouvrir les yeux, laissant ma main là où elle était.

" Oui. "

Je n'avais pas trouvé mieux comme réponse. En réalité, j'ignorais moi-même pourquoi j'étais revenue. Sans doutes m'étais-je dit que c'était mieux, que cette cité dans laquelle j'avais grandi saurais me faire retrouver le calme et la raison mais j'avais peut-être eu tord. J'ignorais totalement ce qui m'avait poussé à venir ici et quelque part, je commençais également à le regretter. A regretter ce choix en voyant les espoirs que Philéa avait placé en ma simple présence. Je n'étais pas rentrée pour lui pardonner, j'en étais incapable, non pas parce que je lui en voulais, même si je lui en voulais quand même un peu sur le coup, mais parce que j'étais moi-même perdue. Elle était là, fatiguée et sans doutes éprouvée par la grossesse tandis que moi ... j'ignorais quel était mon état d'esprit. Même si je pouvais me calmer grâce aux techniques enseignées chez les Templiers, je sentais une colère insondable en moi, pire que tout, je sentais du ressentiment et une infinie tristesse. C'était vraiment ... étrange en réalité de voir qu'on pouvait à ce point avoir conscience de ses sentiments tout en étant en même temps spectateur de ses propres sentiments.

Le temps passait et je sentais pas l'Esprit que Philéa n'osait pas parler, comme si elle respectait mon silence ou comme si elle avait peur également de découvrir la raison de mon retour. Quelque part, elle avait raison d'avoir peur. Je détestais ses mensonges, la réalité qu'elle m'avait offert pour mieux la briser ensuite, ce père qu'elle m'avait caché, Jelenna, ces enfants à naitre que je ne voulais pas voir. J'étais égoïste, monstrueuse ... mais elle m'avait rendue comme cela ! Faisant un énorme effort sur moi-même, j'ouvrais enfin la bouche, brisant le silence qui régnait ainsi dans la chambre.

" Comment te sens-tu ? Cela ne te fais pas trop souffrir ? "

Je ne souhaitais pas mettre un mot sur son état. Si je reconnaissais qu'elle était enceinte, une nouvelle partie de moi s'envolerait. Quelque part, je trouvais injuste que ces enfants aient un endroit pour vivre, un foyer avec un père et une mère aimants alors que je n'y avais pas eu le droit, du moins pas entièrement. J'étais jalouse et je me détestais de ce sentiment mais qu'y pouvais-je ?

" Je suis venue te faire un rapport, il peut attendre si tu te sens trop fatiguée. "

J'étais horrible. Lui faire croire que je me souciais d'elle pour enchainer avec cela ... qu'avais-je donc dans la tête ? Bien sur que j'étais inquiète pour elle ! Bien sur que j'avais peur pour sa vie surtout si il y avait plusieurs gamins dans ce maudit ventre ! Lui faire payer ce qu'on pourrait appeler des erreurs ainsi étaient monstrueux. Quelque part, je me disais aussi que je n'avais jamais eu que le côté de mon père, peut-être ma mère saurait-elle défendre ses choix. Je connaissais Philéa, je savais parfaitement qu'elle ne prenait jamais de décision à la légère mais je connaissais également son fichu entêtement et sa soif d'ambition qui la rendait prête à tout ... Raaaah et si je les détestais finalement tous les deux, ne serait-ce pas plus simple ?? Non, j'avais promis, c'était stupide d'agir ainsi ! Il fallait attendre la réaction de Philéa, il fallait attendre d'avoir les tenants et les aboutissants ... Raaah putain mais parle aussi là !

[ Désolée, c'était ... pourri ! XD ]

La reine écouta sa fille et plus cette dernière parlait, plus elle s'inquiétait. Comment avait-elle pu subir autant d'épreuves en si peu de temps ? Comment elle, en tant que mère, avait-elle pu laisser sa précieuse héritière aller au devant de la mort sans réagir ? Était-elle donc une si mauvaise mère ? Elle écouta avec attention ce qu'Eléa lui disait sans savoir ce qu'elle devait dire. Visiblement, sa fille tentait de lui épargner les détails les plus fâcheux mais c'était sans doutes pire que de tout lui raconter car Philéa s'imaginait à présent des choses étranges. Elle n'avait encore jamais eu l'occasion de voir un Cavalier de ses propres yeux et ne tenait pas tellement à en rencontrer un avant bien longtemps. Quand bien même, elle se demandait si elle avait bien fait de laisser la princesse faire autant de choses, prendre autant de risques … mais que pouvait-elle faire d'autre que de se plier aux choix d'Eléa ? Avait-elle encore droit à son rôle parental après ce qu'elle avait découvert ?
Philéa acquiesça lorsque la gamine lui dit qu'elle irait prévenir les enfants de la défunte. Finalement, c'était sans doutes plus à Eléa d'y aller qu'à elle. Là dessus, elle ne pouvait qu'être d'accord. Pourtant, elle avait l'impression que ce n'était pas suffisant mais que faire ? Elle avait autant de pouvoir sur la princesse que sur la mort !

Philéa prit le temps de digérer toutes ces informations avant d'esquisser quoi que ce soit. Un pâle sourire à l'écoute de la nouvelle concernant Jacen fut tout ce qu'elle pu offrir à son interlocutrice. Quant aux deux questions qu'elle lui posa, Philéa n'y réfléchit pas immédiatement. Elle cogitait encore sur les informations données par sa fille.

« Y avait-il des survivants ? » demanda-t-elle laconiquement, presque par réflexe.

Sa fille hocha tristement de la tête et lui répéta le triste constant qu'elle avait déjà du lui faire quelques minutes auparavant. Tutnesi enlevé. La population décimée à de rares exceptions près. L'armée disparue. La cité était devenu un tombeau à ciel ouvert. A cette réflexion, la reine tiqua. La dernière fois qu'elle avait entendu cette réflexion dans la bouche de sa fille, cette dernière avait eut la bonne idée de ….

« Eléa, qu'as-tu fais des morts ? »

Elle espérait que la gamine n'ai pas réitéré son œuvre de Tamawa. Elle n'était qu'une gamine, qu'une enfant de seize ans, elle ne pouvait pas côtoyer la mort de si près ! C'était … malsain ! Le visage de sa fille lui répondit plus que ce qu'elle bredouilla. Philéa ferma les yeux.
Avait-elle offensé les dieux pour qu'ils s'acharnent ainsi sur sa progéniture ?
Elle réfléchit un instant, mieux valait ne plus parler de tout ça.

Ce qu'elle avait fait depuis la disparition de sa fille ? Si elle avait été méchante, Philéa lui aurait répondu qu'elle n'avait cessé de s'inquiéter pour elle, pour sa santé comme pour le reste mais leurs relations étaient déjà si tendues que mieux valait éviter d'aggraver les choses. Elle préféra s'abstenir et réfléchir à ce qu'elle allait répondre. Visiblement, certaines nouvelles ne plairaient pas à son ainée. Mais elle n'avait pas eu le choix, pour sauver la cité, elle avait du sacrifier sa fierté et ses convictions les plus intimes et se rendre chez l'ennemi.

« Beaucoup de choses ont changé mon enfant depuis ton départ ».

Elle hésitait. A présent, elle comprenait pourquoi sa fille avait choisi ses mots pour lui donner des nouvelles du monde.

« Je vais être honnête, je suis lasse de devoir toujours réfléchir avant de parler. Tu es ma fille, tu es à même de comprendre ».

La jeune femme sourit faiblement et poursuivit :

« Je me suis rendue avec ton père à Cydonia pour nouer une alliance avec Anatoli Clari. Ne t'offusque pas, je comprendrais parfaitement que tu ne cautionnes pas cet acte mais je n'avais guère le choix. Seule, je ne pourrais ramener ta sœur saine et sauve à la maison. Il faut que les peuples s'allient pour vaincre Azael, il me fallait donc sacrifier ma fierté pour sauver Jelenna ».

La pire des informations était passées.

« Ce n'est pas tout, laisse-moi finir je te prie ».

Philéa attendit que sa fille se taise pour poursuivre.

« Je ne suis pas partie sans rien non plus, la fille même d'Anatoli est partie avec Kiera et une templière du nom de Siobhan en direction d'Erathia pour découvrir si ta sœur est là-bas. En parlant de la gamine, elle ne manque pas de courage. Cette templière est venue jusqu'à Muria pour m'offrir son aide. »

Philéa sourit.

« En parlant de courage. Connais-tu la pirate Cassandra ? Figure-toi qu'elle est venue jusqu'ici. Kiera l'a trouvé en compagnie de l'Oblat dans la forêt. Kriisten restera ici jusqu'à ce qu'elle décide de rentrer à Storghein, traite-la avec respect ».

Elle ne doutait pas d'Eléa mais mieux valait rappeler les bases. Elle leva la main en signe de paix et pour finir de parler. Elle ne voulait rien oublier.

« Ereine et Adéla ».

Elle hésita une dernière fois avant d'ajouter :

« Je suis contente que tu sois revenue, nos discussions me manquaient ».

Elle n'avait menti que pour me protéger ?
A nouveau, une colère sourde gronda en moi et, malgré mes efforts pour la laisser là où elle était, je la sentis gronder encore et encore, prête à exploser. Je la sentis monter encore, inlassablement sans que mes efforts ne parviennent à l'annihiler totalement. Me protéger ? De quoi ? De l'espoir d'avoir une famille ? Une vie normale ? Non, il ne fallait pas que je me pose de questions, sinon, je ne pourrais pas maintenir ma colère bien au fond de mon âme et si jamais elle explosait comme je le craignais … Philéa avait menti toute sa vie, elle m'avait menti à moi, sa propre fille. La chair de sa chair, son propre sang. Qui pouvait m'affirmer qu'elle ne continuait pas à me mentir maintenant encore pour se protéger une nouvelle fois ?

Lorsque la jeune femme évoqua l'idée de Jenaa, je compris qu'elle ne mentait pas. Je connaissais suffisamment ma mère pour savoir qu'elle était ambitieuse au point d'avoir hésité entre sa vie Cydienne apparemment et celle qu'elle pourrait mener ici, en grande pompe. Ainsi, elle n'avait choisi que pour elle. Que pour sa petite personne. Egoïstement. Elle était partie pour vivre son rêve d'enfant bercé d'illusions et d'ambition. Elle m'avait emmené pour satisfaire ses désirs de mère qu'elle ne pourrait plus assouvir loin de sa famille. Elle avait quitté mon bâtard de père qui n'avait jamais cherché à me retrouver ! Ils étaient coupables tous les deux de leur égoïsme !

Me laisser vivre dans le mensonge était plus simple ? Pour me protéger ? Mais de quoi bordel ! Du monde extérieur que je finirais par côtoyer un jour ? N'avait-elle donc jamais pensé qu'au fond, j'aurais peut-être préféré vivre comme une pauvre fleuriste que j'étais malgré tout devenue tout en étant princesse, avec mon père et ma mère plutôt qu'une vie de princesse solitaire et pleine de questions sans réponses ? Et Jelenna ? Avait-elle pensé une seconde à elle en lui mentant sur l'identité de son père ?

« Tu n'es qu'une menteuse ! » hurlais-je comme pour trouver un exutoire.

J'étais capable de comprendre les choix de Philéa et peut-être aurais-je fait les mêmes à sa place mais il était tellement facile de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre …

« Toute ma vie, tu m'as élevée en me mentant, toute ma vie, tu m'as affirmé que mon père était parti alors que c'est toi qui t'es enfuie comme une lâche ! Toute ma putain de vie a été construite sur votre mensonge mutuel ! Sur votre égoïsme ! »

Je commençais à perdre pied.

« Tu voudrais quoi ? Que je souris en faisant semblant de ne pas savoir la vérité ? Etre heureuse en apprenant que j'ai un père et que Jel est ma vraie sœur ? Que croyais-tu ? Que j'allais vous sauter dans les bras comme si nous n'avions jamais été qu'une famille ? Croyais-tu que j'apprécierais que tu donnes naissance à ses bâtards qui eux connaitraient leur père là où je n'ai pas eu droit à cette chance ? »

Je mélangeais tout.
Il fallait que ça sorte.

« Mais bordel, à quoi avez-vous pensé tous les deux ? Vous nous détestiez donc tellement pour nous mentir si longtemps ? Tu as eu maintes fois l'occasion de me dire la vérité, pourquoi ai-je du la découvrir par moi-même ? Ton courage ne vaut-il donc que pour tes amazones ? N'y ai-je pas le droit moi, ta fille ? »

Les larmes commencèrent à affluer malgré moi. Non seulement je mélangeais tout, mais je perdais pied. Je confondais tout, la colère et la tristesse m'aveuglant. J'en voulais certes à mes parents de ne pas m'avoir laissé le choix de vivre normalement mais je savais également que Philéa avait raison. Jusque là, je n'avais jamais eut à me plaindre de ma vie de princesse, toute aussi solitaire soit-elle. J'avais moi-même fait ce choix.
J'avais moi-même décidé de croire les choses telles qu'elles étaient. J'avais décidé de laisser les choses telles qu'elle même quand je sentais qu'il y avait des secrets dessous les apparences. Philéa avait fait des choix certes mais qu'en était-il de moi ? N'avais-je pas choisi de savoir à tout prix en sachant pertinemment que cela pourrait me détruire ? N'avais-je pas décidé de haïr les hommes par ma propre volonté ? Je ne me souvenais pas que ma mère, une seule fois, n'ai dénigré Jacen. Non, visiblement, ma mère n'était pas la seule fautive mais c'était encore trop tôt et trop difficile de l'avouer.

J'étais perdue.
Perdue de ne savoir quoi faire et qui croire.
J'étais jalouse.
Jalouse de ces vies nouvelles qui connaitraient ce que je n'avais pas pu connaître.
J'étais une égoïste.
Avais-je pensé une seule fois à mon père qui avait vécu loin de son enfant ? Avais-je pensé au sacrifice de Philéa qui, je ne pouvais le nier, avait continué d'aimer mon père en secret toutes ces années durant. Avais-je seulement pensé à Jelenna, qui avait retrouvé un père que je ne cessais d'insulter devant elle.
Je regrettais de ne pas avoir l'innocence de ma cadette. Elle m'aurait permis d'accepter aussi facilement qu'elle la situation.

« Tu m'as trahie. Vous m'avez trahi et laissée seule avec toutes ces questions, avec tous ces sentiments inassouvis. »

Ce n'était plus la colère mais le trou béant laissé dans ma poitrine qui parlait à présent.

« Je me suis posée des questions si souvent. Je me suis si souvent demandée si ce n'était pas ma faute si mon père avait quitté les lieux. J'ai si souvent voulu être à la place de Jelenna. J'ai si longtemps été perdue sans que personne n'y prenne gare. Alors pourquoi … POURQUOI devrais-je te pardonner ? »

Mes yeux se posèrent sur Philéa.
Si un regard pouvait tuer, sans doutes serait-elle morte sur le champs devant la noirceur de mon regard.

« Tu veux savoir le pire ? » commençais-je avec plus de calme, riant presque d'ironie.

« C'est que je sais que je te pardonnerais, que je pardonnerais à ce père. Parce qu'au fond, je crois que je suis toujours cette enfant pleine d'espoirs qui n'attendais qu'un je t'aime. »

Je me doutais de ce qu'elle allait dire, je me doutais de ce qu'elle allait me raconter et pourtant, j'obéissais. Je savais pertinemment qu'elle me raconterait encore son enfance, le départ de sa mère et qu'elle m'expliquerait à quel point les choses avaient été difficiles pour elles et pourtant, je me doutais aussi qu'elle ferait un parallèle avec notre situation. Sans savoir pourquoi, je m'asseyais pour l'écouter, n'osant l'interrompre.
Philéa parlait encore et encore.
Elle parlait tant et si bien qu'elle en vint à me parler de mon père. J'ignorais depuis toujours comment elle l'avait rencontré et comment Jelenna et moi avions pu arriver dans ce décor qui me paraissait chaotique. J'écoutais avec plus d'attention ce qu'elle me disait.

Je reconnaissais dans la réaction de ma mère ma propre réaction lorsque j'avais rencontré Feanaro. Sans faire un parallèle entre nos deux couples, car le mien n'en était pas vraiment un, je me reconnaissais dans les réactions de ma mère. Elle avait voulu jouer avec les hommes, avec l'homme qui serait celui qui partageraient toute sa vie, toutes ses folies, qui partagerait son corps et son âme, un cœur battant à l'unisson. J'étais bien loin de cela avec le Capitaine et à vrai dire, je ne comptais pas un jour devenir comme ma mère, follement amoureuse mais tiraillée entre deux mondes. Je ne comptais pas non plus baser ma vie sur des mensonges. Mais j'étais tout de même amusée de voir que Eléa, première princesse de la cité des femmes, était belle et bien la fille de sa mère.

Le passage sur mon père ne m'étonna pas non plus. A vrai dire, j'avais eut toute l'occasion de comprendre que cet idiot m'aimait comme il avait surement aimé la petite fille que j'avais été un jour à ses côtés seulement de mon côté, j'étais incapable de me dire qu'il était mon père. Qu'il n'avait pas abandonné ma mère comme j'avais pu le penser durant seize longues années. Pour moi, il était plus facile de le détester plutôt que de l'aimer. La suite en revanche, je ne la connaissais pas. Ce fut en écoutant le récit de ma mère que je compris que le choix qu'elle avait du faire avait été le plus cruel et le plus difficile de sa jeune vie. Je compris également qu'en de telles circonstances, sans doutes aurais-je fait la même chose à sa place et pourtant, je lui en voulais. Plus elle parlait, plus je comprenais et plus je lui en voulais de façon tout autant contradictoire.

Elle m'avait trahi mais au delà de ça, elle m'avait volé une enfance heureuse auprès de mes parents. Elle l'avait en partie volé à Jelenna et l'offrirait sans arrière pensée à ceux qui allaient naitre. Je la trouvais injuste, tellement injuste que cela m'énervait. Pourquoi eux auraient ce qu'elle même m'avait enlevé ? La déclaration de ma mère eut pour effet de faire faire un raté à mon cœur. D'aussi loin que je me souvienne, jamais elle ne m'avait dit être fière de moi, jamais non plus elle m'avait souffler m'aimer avec autant de conviction.

J'oubliais bien vite les sacrifices que Philéa avait toujours fait pour nous. Certes elle m'avait privé d'une vie de famille mais j'avais eu il fallait bien l'avouer une enfance privilégiée. Troublée de mille et unes questions sans réponses, mais privilégiée. J'étais la princesse d'une fière cité, j'étais la soeur d'une gamine prodigieuse, la fille d'une reine charismatique et puissante. J'avais pu faire ce que je voulais, apprendre à maitriser les éléments, me battre dans l'arène quand cela me chantait, voyager, vivre, rire, pleurer, j'avais eut l'occasion de faire le tour des sentiments humains dans cette cité. Philéa m'avait privé de quelque chose mais m'avait offert tant d'autres choses. Tout cela était donc bel et bien de sa faute, en mal ou en bien.

« Tu n'es pas une mauvaise mère. Tout comme tu n'es sans doutes pas une traitresse. Tu as simplement fait des choix à un moment donné de ta vie. Je ne peux pas te pardonner, pour l'instant, je suis incapable de te pardonner, mais sache au moins que je comprends. »

Je fermais les yeux.
Le monde adulte était encore bien loin mais quelque part, je commençais à l'appréhender un peu mieux. Je commençais à comprendre à quel point j'avais été préservée. Et de cela, je ne pouvais qu'en remercier Philéa.

« Tu sais, en revenant ici, je ne pensais qu'à une chose, fuir. Je me rends compte aujourd'hui que c'était là encore une réaction de gamine. J'espère ne jamais avoir à faire les mêmes choix que toi tout comme j'espère un jour être digne de ta fierté. »

Philéa n'eut pas le temps de répondre que déjà, on frappait à la porte. Je me levais pour voir de qui il s'agissait et une amazone apparu dans l'embrasure de la porte, un message cacheté à la main. Elle me fit savoir qu'il venait de Cydonia, sans attendre, je le tendais à ma mère en ayant pris soin de refermer la porte derrière moi.

« Mère ? » osais-je enfin lorsqu'elle en eut fini la lecture.

Ce mot me paraissait étrange dans ma bouche, comme s'il y avait trop longtemps que je ne l'avais pas prononcé. Dans un coin de ma tête, je compris qu'il était la première clé sur le chemin de la guérison, sur le chemin du pardon. La seconde, je le savais, serait de parler à mon père, mais pour l'heure, j'en étais incapable. J'avais déjà trouvé le courage de venir ici, de parler à Philéa, je savais que quelque part, je trouverais le courage de me rendre à Tamawa pour parler avec lui. Je savais également que je leur pardonnerais, je l'avais déjà plus ou moins fait aujourd'hui mais sans doutes étais-je encore incapable de me l'avouer.

La guerre était aux portes de sa cité natale et il n'était pas bien difficile de savoir qu'elle avait déjà décidé de s'y rendre pour la défendre.

[ Désengagées ]