Philéa saisit le morceau de papier avec autant de précaution que s'il avait contenu sa vie même.
En réalité ... c'était un peu le cas étant donné que cette lettre venait certainement de Tamawa, sinon, pourquoi Kiera elle-même aurait-elle pris la précaution de le lui donner en main propre ? Non, le message était forcément de la main de son époux, il n'y avait pas d'autres explications. La reine amazone prit le papier aussi soigneusement que possible et ferma la porte de son appartement à double tour avant d'en parcourir les lignes. Comme par le passé, Jacen n'était pas très éloquent et, comme par le passé, il avait une écriture difficile à déchiffrer. Il en avait toujours été ainsi, même après toutes ces années et quelque part, cela rassurait Philéa. Certaines choses étaient immuables et ne changeraient jamais dans ce bas monde, ce n'était pas plus mal. Un sourire paisible éclairant ses traits, la souveraine se mit à parcourir l'ensemble de la lettre. Il était évident que le Templier avait tenté de la ménager et comme toujours, même en écrivant, il ne savait pas mentir. C'en était presque amusant mais Philéa s'abstint de rire, les nouvelles n'étaient pas si bonnes que ça.
La dame attendit quelques heures avant de répondre, ne souhaitant pas se hâter pour éviter de répondre trop "méchamment" ou encore plus simplement, pour éviter de répondre des vérités trop mordantes. Lorsqu'elle saisit la plume, elle se demandait encore par quoi elle allait commencer. Les idées vinrent les unes après les autres en relisant mot par mot ce que son époux lui avait écrit.

" Jacen, "

Le ton lui semblait plus froid que dans sa précédente missive mais l'homme semblait tenir à cette disance et sans doutes était-ce mieux ainsi.

" J'ai longtemps réfléchi à la situation nouvelle qui s'offrait à nous aussi ai-je pris la décision - tout comme tu me l'as également suggéré - de cacher mon état à mes soeurs. Il serait fort difficile de leur expliquer comment j'aurais pu tomber enceinte sans qu'aucun Soumis ne soit entré dans ma couche depuis mon arrivée dans la cité. "

Et bien voilà, si Jacen avait eut un jour des doutes sur l'homme avec qui elle partageait ses nuits depuis son départ, maintenant, il n'aurait plus aucun doutes. Philéa n'avait jamais connu d'autre homme que son époux et cette lettre allait encore conforter Jacen dans l'idée que sa femme n'était peut-être pas aussi forte qu'il l'avait pensé. Tant pis, si tel était le prix à payer pour ne plus subir toute cette pression ou encore, plus simplement, pour éviter que sa fille ainée ne file de Muria loin de sa succession et du lourd héritage qui lui incombait. Philéa ne pouvait pas perdre ses filles et, elle s'en était rendue compte depuis peu, ne pouvait pas perdre son Templier alors il fallait bien faire quelques concessions.

" Pour l'heure, seule Kiera est au courant de mon état et me transmet tes missives. Je pense annoncer la nouvelle à Eléa et Jelenna plus tard, lorsqu'elles rentreront à la maison, pour le moment, je pense que notre fille ainée n'est pas encore prête à entendre les quelques nouvelles que j'ai à lui annoncer. Comme tu l'auras deviné, la vérité n'est pas toujours telle qu'on la prétend. Mais tu me vois rassurée d'apprendre qu'elles vont bien. J'espère seulement qu'elles ne tarderont pas à rentrer, au vue de la situation, j'ai tendance à croire que Muria est la cité la plus sure pour elle en ces sombres heures. "

Philéa marqua une pause une fois encore, comme si chacun des mots qu'elle notait sur ce papier lui pesait, lui couter en énergie.

" Pour ce qui est de surveiller mes frontières, je te le déconseille, pour ne pas dire que je te l'interdis. Mes Sentinelles sont les plus fières et les plus efficaces des soldats et même enceinte, je n'hésiterais pas à affronter l'ennemi sur le front à leur côtés. Je serais donc intrensigente sur ce point, Muria n'appartient qu'aux amazones et tes Templiers seront plus utiles pour reconstruire Tamawa. En parlant de cela, j'aimerais que tu me donnes quelques détails sur la bataille. J'espère que Jelenna n'y a pas pris part, ce n'est encore qu'une enfant et je crainds que ce genre d'expérience n'ai des effets néfastes sur cette petite. Je te prierais également de demander à Eléa de me donner de ses nouvelles tout comme je souhaiterais savoir comment se passent tes relations avec elle - je suppose que celles avec Jelenna sont des plus douces la connaissant -.
En ce qui concerne mes filles, j'espère sincérement qu'elles sont entre de bonnes mains puisque le Capitaine Feanaro n'est pas à leur côtés, j'espère que ta petite élève sera se montrer aussi douée voir même plus que maitre Galathil.

J'espère te voir bientôt même s'il me sera de plus en plus difficile de quitter ma cité et toi de même, je suppose en effet que la situation actuelle du Temple nécessite ta présence. Pourtant, il me semble qu'il est nécessaire et urgent que nous puissions discuter de vive voix.
Je me porte bien du reste, ne t'en fais pas pour notre enfant.
Avec toute mon affection,

Philéa. "

La souveraine amazone regrettait déjà sa lettre. Cette dernière était à la fois une accusation et un aveu. Elle n'était pas vraiment fière de l'avoir écrite mais elle n'avait pas non plus envie de la recommencer. Elle se sentait dans un tel état de fatigue qu'elle se doutait que si jamais elle reprenait sa lettre pour en écrire une nouvelle, elle serait pire. Dans son palais, ce qu'il en restait du moins car elle n'avait jamais voulu des palais à l'image de ceux de Kriisten ou de Nalween, Philéa se sentait seule, surtout depuis le départ de ses filles, aussi est-ce sans doutes pour cela qu'elle ajouta :

" J'espère te voir vraiment bientôt. "

Philéa soupira et fit appeler Kiera. Une fois arrivée, elle confia la lettre presque à regrets à son assassin royale et partit se coucher.
Demain était un autre jour et sans doutes regretterait-elle d'avoir confié la missive à l'amazone mais il serait déjà trop tard et elle aurait tout le temps de regretter par la suite.

Les missives de Jacen s'étaient faite plus tardives, comme si son mari avait trop de choses à faire pour la gérer elle aussi. Mais pour autant, Philéa ne lui en tenait pas rigueur, elle savait plus que quiconque ce qu'il incombait aux dirigeants et même si Jacen n'en était pas un, il avait un poste important au sein du Temple et cela d'autant plus depuis la récente bataille. Ce soir-là pourtant, Philéa avait décidé de reprendre la plume et d'écrire une dernière missive pour son époux. La bataille lui avait prouvé que la menace prédite par Nalween n'était pas une blague et ses filles étaient peut-être maintenant en danger. Quant à ses enfants à venir, elle ne tenait pas à les faire vivre dans un monde où ils seraient soumis à qui que ce soit. Sa décision était donc de rallier les deux dernières cités à leur cause, même si elle ne la partageait pas pour les mêmes raisons que la Prêtresse. Ptot Tàh et surtout Cydonia, les grands ennemis de Muria, devait comprendre leur intérêt à survivre à Azael. Ils n'étaient pas aussi idiots qu'ils en avaient l'air n'est-ce-pas ? Philéa saisit la plume l'air résolu et écrivit.

" Jacen,

Je sais que ton temps est précieux aussi, je ne te tiendrais pas rigueur de ton absence de missives. Toutefois, je tiens à te faire part de ma décision de me rendre à Cydonia pour rallier Clari à notre cause puis à Ptot Tàh pour rallier Tutnesi. La guerre approche et je ne tiens pas à ce que mes filles vivent dans un monde soumis à un fou. J'irais sous peu à Cydonia, en espérant que tu me feras l'honneur de ta présence.
Prends bien soin de Jelenna et d'Eléa. "

Philéa reposa la plume. Elle n'était pas mécontente de la tournure de sa demande et savait d'avance que le templier accepterait. De toute façon, il l'aimait trop, elle et les petits qu'elle portait, pour la laisser tomber dans un moment pareil, à moins que ce ne soit plutôt sa crainte de voir sa femme découper Anatoli Clari en rondelles qui ne le pousse à agir, quoi qu'il en soit, elle connaissait déjà sa réponse. La jeune femme enceinte confia la lettre à sa Chef des Sentinelles sans un mot.
Elle n'avait plus qu'à attendre la date de rendez-vous que fixerai Jacen. Qui vivra verra comme disait le dicton.

[ Désengagés : Jacen, Philéa ]