Biographie:
An 127« Je ne partirai pas sans toi. »Eliade eut un pauvre sourire envers cette femme Astorg. En si peu de temps elle était devenue sa seule et unique amie, et voilà qu'elle la découvrait comme une évadée... Comme chaque fois qu'elle se sentait inquiète, ses doigts caressèrent son gros ventre, preuve irréfutable de la vie qu'elle abritait.
Elle voulait partir. Partir de cette vie qui n'en était pas une, où coups de poings par beau temps et coups de ceinture par orage lui pleuvaient sur la tête. Ce n'était pas sa faute, elle s'était simplement tourné vers le mauvais prétendant alors que son énergie était encore florissante ! Seulement... Seulement maintenant elle n'était plus seule.
Il y avait lui. Cet enfant qu'elle portait en elle comme le plus cher des trésors, remerciant le seul bonheur qui lui avait été donner d'obtenir en toutes ces années. Même lorsque son mari rentrait avec cette lueur mauvaise qu'elle avait apprit à craindre, elle subissait et se taisait rien que pour cette étincelle qui n'allait pas tarder à voir le jour. Oui bien sûr, elle voulait une vie merveilleuse pour sa progéniture. Mais son instinct féminin lui hurlait de se méfier... Elle n'allait pas tarder à accoucher, et le voyage serait long, très long ! Devait-elle risquer de le perdre pour son futur bonheur ? Devait-elle suivre l' Astorg dans un périple qui les mèneraient vers la liberté, où son enfant avait une chance sur deux d'être rejeté ?
« Tu préfèrerais finir tuer par l'ignoble être que tu nomme « mari » ? Que ton enfant naisse dans un monde où il regarderait tous les soirs sa mère s'effondrer sous les coups, avant que ne vienne un jour son tour ? »Eliade planta un regard bleu ardent sur son interlocutrice. Non bien sûr que non qu'elle ne voulait pas de tout cela ! Mais... Et si c'était un garçon ? S'il passait les six premières années de sa vie en demi-esclave pour ces Amazones ? Cela ne serait pas franchement mieux que la vie qui l'attendait à Cydonia !
Elle soupira, souffla l'unique bougie du salon et suivit son amie vers la liberté.
Dans la petite maison le silence fut bientôt troublé par les ronflements profonds d'un homme endormis sur son lit, une ceinture pendant de sa main inerte...
An 128Maud sourit tendrement au poupon qui s'agitait dans ses bras en poussant des gazouillements ravis. Il était temps de partir... Elle était déjà resté bien trop longtemps dans ce lieu de semi-paix, depuis la mort d'Eliade.
Maud, femme Astorg qui avait fuit son foyer pour une vie meilleure au sein des Amazones, avait rencontré celle qui allait détourner son voyage par la suite, à Cydonia. Elle avait accompagné Eliade jusqu'au bout, main dans la main lorsque la jeune femme aux étonnants yeux bleus l'avait supplié de protéger son fils quoi qu'il advienne, avant de rendre son dernier souffle. Accoucher sous un arbre peut être mortel... Bien que ce fut dommage pour ce charmant bambin d'avoir perdu la seule personne qui l'aimait en ce monde, Maud n'avait ni le temps ni l'envie de s'encombrer d'un tel fardeau... Et pourtant, qu'est-ce qu'il était adorable !
La logique implacable de lui choisir une famille d'accueil s'était alors imposé à elle comme une évidence. Quel meilleur moyen de le protéger que celui de l'éloigner des Amazones féministes ? Sauf que cela faisait plus d'un moi qu'elle résidait chez les deux vieilles personnes au cœur profondément pur qu'elle avait choisit pour l'adoption de l'enfant !
Avec un grand sourire elle rendit le nourrisson aux bras protecteurs de mamie Pink Lady, que tout le monde appelait ainsi à cause de son goût prononcé pour les pommes du même nom... Ici, il serait bien et grandirait convenablement sous le bien trop chaleureux soleil de Ptot Tàh !
Elle repartit donc sur les routes à la recherche de son idéal de liberté, abandonnant ce qu'il restait d'une famille brisée aux cœurs remplis d'amour de deux retraités...
An 133« Pardonnez-moi, je n'ai rien pu faire... Il faut croire que son heure était belle et bien venue... »Une main ferme qui lui presse l'épaule, des doigts tremblants et froids qu'il tient avec toute la force que peut avoir ses petites menottes. A six ans, il est bien dur d'appréhender le concept de la mort, bien plus encore de consoler la personne qui y est confronté...
Une porte se ferma, en bas. Mamie Pink Lady ne faisait pas un bruit, tout comme papi qui fixait toujours le plafond de son regard mort. Sa peau autrefois si brune était blanchis par les années, mais la mort lui donnait une teinte presque transparente, trop fragile même pour le regard...
Et bientôt, on vint chercher le corps que l'on emmena comme un souvenir, une photo en noir et blanc qui disparaitrait tôt ou tard dans un placard. Akira serra fort fort la grande main de sa mère adoptive, levant vers elle de grands yeux bleus magnifiques et inquiets. Elle passa simplement ses doigts dans les cheveux du petit garçon, murmurant presque pour elle même...
« C'est dur, d'être impuissante contre le temps... »Et elle disparut dans sa chambre.
La nuit même la petite maison silencieuse résonna des sanglots haletants d'une femme découvrant la solitude d'un cœur brisé...
An 139Akira fit craquer ses doigts et pénétra dans l'immense foule de Ptot Tàh. Ce soir encore il s'était promis de ramener de quoi manger à mami Pink Lady ! A douze ans, les gens vous voient plus comme un gamin turbulent plutôt qu'un voleur aguerri...
Il se lança dans une course effrénée, repérant sa première cible. Le passant faillit tomber lorsque Akira le bouscula sans gêne, laissant s'échapper un simple
« Désolé ! » un peu rapide avant de s'engouffrer dans la première ruelle venue en sprintant...
« Ouaou t'avais une sacrée bourse mon vieux ! Pas de chance pour toi... »Il cacha la bourse pleine sous sa chemise avant de guetter à nouveau la foule à la recherche d'une deuxième personne à alléger un peu ! Et justement, à quelques mètres de lui, une jeune fille avec un beau panier de course affichait sa bourse bien en évidence... Akira opta pour la même tactique, la bousculant durement...
Et se prit un splendide coup de poing en pleine tête. La jeune fille lui arracha la bourse des mains récupérant ainsi son bien et lui envoya un deuxième coup de poing qui l'envoya à terre.
« Et tu n'as pas intérêt à croiser à nouveau mon chemin un jour ! Je ne me gênerai absolument pas pour te faire la tête au carré ! »Akira, douze ans, venait de se prendre la raclée de sa vie par une chose enragée non identifiée. Une main sur sa joue douloureuse, les yeux écarquillés, il grava dans son esprit le grand sourire de psychopathe qu'entourait de longs cheveux dorés réunis en deux nattes, qu'il avait prit pour une jeune fille pure et innocente... Qui tourna les talons et partit sans rien dire alors que la foule prudente s'ouvrait devant elle.
An 140La pluie tombait. Sur la terre aride et dans son cœur. Qu'allait-il faire ? Survivre ? C'était déjà un bon début. Lui manquait la fin...
Genoux repliés contre son torse, ses bras entourant sa frêle silhouette, il leva les yeux vers l'immense voûte céleste qui le dominait tout entier. Mamie Pink Lady était morte, bêtement étouffée par un trop gros morceau de ces pommes qui lui avaient donné son nom. Et lui s'était enfui. Qu'allait-il faire ?
« Je t'ai connu plus vif ! »Il sursauta au son de cette voix féminine. Une jeune fille était penchée au-dessus de lui, un doux sourire au visage. Ses longs cheveux dorés lui tombaient en cascade sur ses épaules, mettant en valeur ses grands yeux noisettes. Elle se laissa glisser le long du mur de brique de cette petite ruelle abandonnée et se mit exactement dans la même position que lui. Avec surprise il s'écria alors :
« Mais tu es... La chose non identifiée au fameux crochet du droit ! »Un coup de poing vint le saisir à la joue, l'envoyant rouler un peu plus loin.
« Traite moi encore UNE FOIS de chose non identifiée et je te promet que personne ne retrouvera jamais ton corps ! »
« Com... Compris... »Il se redressa péniblement en position assise, s'éloignant d'un bon mètre de cette fille qui avait un peu trop tendance à utiliser ses poings... Mais elle avait retrouvé son calme et elle souriait avec une douceur de mère, ses yeux plongés dans les étoiles.
« Moi c'est Emilie, et toi ? »
« ... »
« Oua, c'est un super nom ça ! »Elle était étrange, à parler comme ça de tout et de rien. N'avait-elle pas de famille qui l'attendait chez elle avec impatience ? D'endroit chaud ou de bras dans lesquels se blottirent alors que les nuits glaciales du désert frappaient à sa porte ?
Ce fut uniquement lorsque le soleil se leva à l'horizon qu'elle se leva enfin, s'étira, et lâcha une dernière phrase, avant de s'en aller :
« Relève toi et continu à marcher droit devant toi, autrement qu'en maudissant le monde entier et en volant tous ceux qui croisent ton bonhomme de chemin... »An 142La famine qui frappa cette année là fut mortelle pour la population de Ptot Tàh.
Akira était parvenu à trouver le seul érudit grincheux et sénile acceptant de lui apprendre le métier de guide.
Chaque fois qu'il revenait de l'un de ses longs, très longs voyages que lui faisait subir son précepteur, l'adolescent ne manquait jamais de rendre visite à la personne la plus chère à son cœur... Emilie.
La nuit, alors que brillaient les étoiles, il rêvait de son odeur, de la couleur de sa peau jusqu'à la mélodie de sa voix tantôt riante, tantôt mordante. Il l'aimait de tout l'amour d'un jeune garçon de quinze ans découvrant une nouvelle porte s'ouvrant sur un futur qu'il n'aurait jamais pus concevoir sans elle ! Et d'ailleurs, il lui faisait une déclaration chaque fois qu'il la voyait, ce à quoi elle répondait toujours en riant, disparaissant au coin d'une autre rue...
Mais aujourd'hui, elle ne vint pas. Et elle resta introuvable jusqu'à ce qu'il apprenne que la famine l'avait décimé, la laissant sans force face à une grippe colossale...
An 143Akira fléchit les jambes, se tapis derrière un rocher, et attendit.
La situation était assez délicate comme cela, sans qu'en plus il s'en mêle... Il n'était pas vraiment intrépide, et n'avez pas l'envie infaillible de mourir ! Lui restait donc une option : réfléchir.
Juste derrière lui et le léger rocher qui lui servait de maigre protection, son croulant de maître tentait désespérément de mettre un gros matou à l'état de tapis Welcome... Pas facile facile quand le matou en question était tout en crocs et en griffes !
Pourquoi avoir risquer stupidement sa vie, allez-vous me demander ? Et bien tout simplement à cause du jeune poulain bai brun recroquevillé juste à côté du jeune garçon, qui avait du voir sa chance tourner... Et n'avait pas les défenses nécessaires à sa survie.
Akira serra les dents et décida qu'il en avait parfaitement assez d'être un incompétent poids lourd, attrapant le premier truc pointu qui lui passait sous la main : un couteau, en l'occurrence. Le félin devait bien s'amuser, lorsqu'il regarda s'avancer vers lui le deuxième round, un gamin avec un cure dents à la main !
Position d'attaque des deux assaillants. Akira parvint à éviter l'assaut violent de l'ennemi de justesse et... Perdu sa seule arme au même moment, qui partit voyager au pays merveilleux. Et son maître ne pouvait pas faire grand chose pour lui, évanoui près de ce même couteau...
Lorsque l'on se retrouve dos au mur, une foule de pensées vous traversent parfois l'esprit. Des pensées purement intelligentes et relevant d'un grand niveau de langage :
* Attaquer attaquer attaquer... *
Des nausées violentes le prirent soudainement, et avant qu'il ne s'en aperçoive, le monde avait brusquement changé autour de lui. Mais où étaient passé ces satanés couleurs doré pour le sable et bleu pour le ciel ? Et puis... Le sol semblait drôlement plus proche qu'avant...
Akira tourna le museau vers un félin un peu choqué qui le fixait, légèrement en retrait. Pourquoi diable ce stupide humain s'était-il soudainement transformé en gros canidé à l'intense fourrure noire ? Pas de doute, c'était le même qu'avant, mais pas dans son corps habituel. Ces yeux bleus regardant un peu partout autour de lui l'attestaient !
Le loup, beaucoup plus grand que la moyenne, qui lui faisait face, reprit soudain contenance, grognant dangereusement en pleine possession de tous ses moyens défensives et offensifs, au contraire du félin fatigué par la faim...
Prudemment, après avoir évalué ses chances, le gros chat préféra tirer sa révérence, laissant le jeune garçon béat se transformer et se retransformer inlassablement...
An 150Et voilà. Nous y sommes. Âgé aujourd'hui de vingt-trois ans, Akira vit sa vie officiel de guide, et officieusement, de voleur, accompagné du jeune poulain sauvé aujourd'hui devenu magnifique étalon...