[151-DP] Le coeur, la tête et le bras (pv Jacen) (terminé)

Jiven avait rarement pris des claques mais celle-là en était une nouvelle après l'annonce de la mort de sa femme et du mutisme dans lequel s'était plongé son fils unique. Jacen voulait quitter son poste de co-directeur. En ces temps si troublés, alors que Celyween lui manquait cruellement, Jiven ne se sentait pas la force de diriger seul le Temple en l'absence de son plus vieil ami. Jiven avait besoin de Jacen, ils étaient les deux derniers membres de leur trio et si le bras était déjà tombé sur le champs de bataille, la tête ne pouvait se passer du cœur ! Néanmoins, derrière le Templier et le directeur qu'il était, Jiven comprenait parfaitement les raisons du choix de son vieil ami. Depuis que Philéa avait disparu en emmenant leur jeune fille, sa filleule de surcroit, l'Almer avait vu Jacen dépérir avant de retrouver sa vie d'antan. Maintenant que sa fille lui avait été rendue, et malgré son caractère des plus orageux envers son père, Jiven comprenait que ce dernier veuille vivre à ses côtés tout comme il comprenait qu'il veuille assister sa femme avec leur enfants à naitre … Toutefois, le Temple devait passer avant tout. Jiven se savait mal placé pour dire ce genre de choses, en réalité, il avait toujours plus ou moins fait passé Aerin avant le reste ces derniers temps …

« Je comprends ta position mais tout de même … j'ai besoin de toi à ce poste Jacen, tu le sais bien ! »

Il avait tenté de lui faire la morale sans pour autant insister, à vrai dire, Jiven savait déjà que son vieil ami avait pris sa décision et que rien ne pourrait lui faire changer d'avis. En matière de famille, Jacen était prêt à tout, il n'y avait qu'à voir ce qu'il avait fait pour retrouver les siens et comment il couvait du regard sa magnifique femme chaque fois qu'elle faisait un pas. Il était inquiet lorsqu'elle semblait en faire trop tout comme il était inquiet de la disparition de sa cadette ou des humeurs de son ainée. Jiven savait tout cela et pourtant, égoïstement plus que pour le Temple, il voulait que son ami reste. Le Templier espérait ainsi que les choses ne changeraient pas, que tout resterait immuable ou alors, il tentait de préserver ce qu'il restait de la formidable équipe qu'ils avaient su être, à moins qu'il n'ai peur de gérer Ankdor seul … peu importaient les motivations, Jiven savait qu'il avait perdu d'avance.

« Mon vieil ami, je suppose que rien ne te fera revenir sur ta décision, pas même notre vieille amitié n'est-ce-pas ? »

Jiven savait déjà la réponse. Quelque part, il aurait surement agi de la même façon. Il n'aurait pas quitté son poste, car malgré tout, il avait toujours été quelqu'un d'ambitieux, mais il aurait privilégié sa famille. D'ailleurs, s'il l'avait fait, Celyween serait peut-être toujours en vie. Si ce jour-là, ils avaient tenté de l'en empêcher, si seulement ils avaient trouvé les mots justes, si seulement lui, Jiven, avait su la retenir.

« J'espère simplement que mon approbation n'aura pas les mêmes conséquences que pour Cely. Je ne peux m'empêcher de penser en voyant Aerin que si nous l'avions empêchée de partir ce jour-là, elle serait peut-être encore en vie. Mais avec des « peut-être », je pourrais refaire le monde n'est-ce-pas mon vieil ami ? Promets-moi seulement que tu ne nous quittera pas, pas une nouvelle fois. »

Il tombait dans le sentimentalisme, ce qui ne lui ressemblait pas tellement. Néanmoins, la décision de son plus vieil ami avait ébranlé Jiven plus qu'il n'aurait pu y songer. Peu importe ce qu'il dirait, il ne serait jamais assez convaincant et de toute façon, il se savait mal placé pour le convaincre. Il n'agissait pas toujours comme un Templier le devrait, personne ne le faisait d'ailleurs, mais il préférait préserver son amitié plutôt que de la gâcher dans de vains débats même si quelque part, Jiven se doutait que les deux hommes ne se fâcheraient pas pour si peu. Jiven avait un fils, il comprenait.

« Comment se porte Philéa ? Je suppose qu'à son âge, avoir des triplés est risqué … Je m'étonne qu'elle ai bien pris cette nouvelle d'ailleurs. »

[ Je t'avais bien dit que je ne savais pas faire les RP d'ouverture ... ]

Alors que, près d'eux, des rires fusaient suite à une plaisanterie très mal-habile d'Evenor, Jacen trouvait avec un certain plaisir que la table des "anciens" n'étaient décidément pas la moins bien lotie. Ces derniers mois, agités, ne laissaient à la quiétude que peu d'espace et de temps, peu de minutes pour penser et se reconstruire. Était-il si évident, sans en parler, que l'avenir de sa famille occupait toutes ses pensées? A présent que Cely avait pris la dernière barque, Jacen se sentait plus proche que jamais de Jiven: lui aussi, à présent, avait une famille à défendre. Quelque soit l'exemple qu'il choisissait de donner à son vieux camarade, le Templier voulait qu'il soit juste. Lors de ses vœux, la promesse que jamais son coeur ne s'oppose à son bras l'avait tenue jusqu'à aujourd'hui. Un pensionnaire du temple, de haute fonction qui plus est, était un symbole de neutralité. Comment être impartial lorsque sa famille était en jeu? Si le plus fort des hommes pouvait agir, oublier et renier les liens de son sang, Jacen en était lui bien incapable. Du jour même où il rencontra Philéa, il sut que jamais il ne pourrait être impartial. A chacune de ses apparitions, avec un peu plus d'enfants à chaque fois, ses sentiments construisaient un mur de brique autour de sa neutralité.
Choisir l'impartialité était en soi un manque de neutralité. Voilà ce que le professeur de philosophie se disait, à présent, alors que son mariage l'emporter sur ses voeux. N'avait-il pas promis, bien avant de porter l'habit du Temple, que seule la mort pourrait le séparer de sa femme? En quoi cette promesse-ci était-elle moins importante que la suivante?

Jacen reposa sa miche de pain blanche, fade par la dureté des derniers temps, et expliqua posément à son ami:

"J'ai toujours été un homme fidèle, mes premiers vœux sont d'une importance aujourd'hui supérieure à ma propre vie, vois-tu. Tu me connais, je suis le Coeur quand tu es le bras. Un coeur n'est jamais impartial, sans sentiments. Tu te doutais bien que déjà, ces dernières années, je protégeais Muria plus que de raison."

Jetant quelques regards, il s'approcha un peu plus de son interlocuteur en s'avançant sur le banc face à lui.

"Ces derniers temps, j'ai compris que rien ne serait plus important que ma famille. Tu te doutes des efforts sur-humains que je concède pour ne pas prendre mon cheval et foncer récupérer ma petite aux mains de l'ennemi: tant que j'exercerai cette fonction, je serai... Faux. J'ai la chance de pouvoir redevenir ce que j'étais avant, ce que j'ai toujours voulu être."

S'il avait quitté l'ordre à ses dix-huit ans, c'était bien pour suivre cette voie qui, pour lui, correspondait plus à ce qu'il était. Les choses avaient changé lorsque Philea était partie, mais beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts.

"Je ne serai jamais ingrat de ce que m'a apporté Ankdor, sois-en sûr. Si je quitte mon poste, ce n'est pas pour cela que je vais abandonner ma vocation: je continuerai les cours, les formations et les missions. Je te soutiendrai, comme avant. Juste que... Je ne suis pas comme toi, Jiven. Ce temple va avoir besoin d'un leader et d'un exemple, je n'en suis aucun des deux. Toi, tu l'es, bien plus pour certains. "

Il laissa passer quelques secondes avant d'entrer dans la prairie épineuse:

"Cely a fait son choix, elle connaissait les conséquences. Elle a emprunter une voie dangereuse, mais cela t'avait-il étonné? Elle a toujours été ainsi. Tu dis juste, ce qui est fait est fait. Mais je le redis, je ne pars pas pour autant. Je suis juste, à présent, incapable d'exercer cette charge comme elle le mérite. De grands templiers vont voir le jour bientôt, mon ami. On ne sera pas de trop pour les guider je crois!"

Il sourit, pensant avec nostalgie à cette première génération qu'il avait vu arriver gamin et repartir adulte. Des enfants, ce n'était pas ce qui allait lui manquer d'ailleurs. La petite question sur Philea lui redonna des ailes.

"Tu as sentis toi aussi qu'il y en avait trois alors... Je n'en ai rien dit à ma femme, elle serait capable de m'assassiner derechef. C'est un sentiment étrange: j'aimerai être là pour l'accouchement, mais je le redoute d'autant plus! Et puisque l'on parle de cela... Comment t'en sors-tu avec Eléa?"

[On a beaucoup à se raconter je crois Smile

]

Jiven saisit sa fourchette sans même regarder son assiette. Depuis un petit moment déjà, il savait qu'il ne finirait pas ce qui s'y trouvait, par manque d'appétit comme par ennui. Ils avaient beaucoup à se dire et cela faisaient bien des jours qu'ils n'avaient pas pris la peine de s'assoir pour discuter tranquillement, aussi, le Templier avait-il décidé de faire semblant de se battre pour faire changer d'avis son vieil ami. En réalité, Jiven savait bien avant d'avoir ouvert la bouche qu'il était inutile de discuter avec Jacen sur sa décision de quitter la direction, depuis toujours, l'Almer savait en effet que le Cydien avait toujours fait passé sa famille avant tout le reste, même avant ses vœux et quelque part, il l'avait envié pour cela à une certaine époque. Aujourd'hui, Jiven ne pouvait que le comprendre et l'accepter, sans rien de plus.

Jiven se doutait en effet que son vieil ami faisait passer les intérêts de sa femme avant le reste, même si cette dernière l'avait trahi par le passé. Il se doutait également que le Cydien ne le faisait pas par envie mais par inconscience plus qu'autre chose. Il savait sa fille à Muria et s'il ne semblait pas pouvoir pardonner à Philéa, il semblait en revanche prêt à tout pour préserver la vie de cette enfant dont il était privé. En lui confiant l'existence d'Asora, les maitres Templiers avaient pensé pansé sa plaie mais ils étaient loin du compte. Quelque part, ce choix n'avait fait que renforcer le manque de Jacen envers sa fille. Si Jiven n'avait pas toujours compris ses choix, sa volonté farouche mais non consciente de défendre la cité de sa fille, et de sa femme quelque part … jusqu'à ce qu'il obtienne par la force des choses la garde d'Aerin. Jiven se tut, cherchant du regard quelque chose d'appétissant dans son assiette. Il jeta son dévolu sur un morceau de viande saignante et l'avala, écoutant avec attention ce que Jacen avait à lui dire.

Jacen souffrait d'être loin des siens, ce dont Jiven ne pourrait jamais souffrir. En devenant Templier, en entrant à Tamawa ce jour-là, l'homme avait compris que jamais il ne reviendrait sur le passé. Ilith, ses parents, Celyween, tous étaient partis dans un monde qui ne voulait pas encore de lui. Aerin était à ses côtés et si l'Almer ne comprenait pas encore vraiment ce concept, il savait que le petit ne risquait pas de lui être enlevé par qui que ce soit. En d'autres termes, il comprenait son ami sans le comprendre.

« Tu es Templier, ce n'est pas seulement quitter la direction mais quitter l'Ordre entier si tu choisis ta famille … »

Ce n'était pas un reproche dans la bouche de Jiven, simplement une demande qu'il savait injuste. Jacen ne quittait la direction que pour profiter un peu plus de sa famille, et c'était son choix, son droit aussi seulement leur trio avait déjà souffert de la disparition de Celyween et Jiven craignait qu'il ne souffre à nouveau si Jacen s'éloignait trop.

« Tu sais que flatter mon égo ne me rends pas service ! Plus sérieusement, je rejoins ton idée, mais contrairement à ce que tu sembles penser, je ne me sens pas être un exemple, simplement un Templier parmi les autres. »

La fourchette de Jiven piqua un aliment quelconque qu'il mangea sans vraiment sans rendre compte. Il était convaincu que sa place était à la direction du Temple certes, mais il était également convaincu qu'il n'était pas l'exemple dont parlait Jacen. Il était une sorte de guide, car pour l'Almer, l'homme qui rendrait son âme au Temple appartiendrait à la génération suivante, eux, ne faisaient que permettre au futur de s'accomplir.
Un sourire nostalgique et triste fendit le visage du directeur du Temple.

« Cely a fait ses choix seulement, je ne peux m'empêcher de penser que notre rôle était de veiller sur elle comme nous veillons sur ces enfants. Tu sembles me croire bien meilleur que je ne suis moi qui ai accepté de perdre ma femme sans jamais oser lui demander sa main tout comme j'ai accepté de ne pas voir mon fils. Maintenant, je me retrouve avec cet enfant dont je ne sais rien, dont je dois tout apprendre et dont je suis incapable de tirer le moindre mot. Aerin est un mystère pour moi qui ne l'ai vu que peu grandir et sans sa mère, je ne peux le tirer du sombre chemin qu'il a emprunté. »

Jiven était angoissé bien plus qu'il ne l'avouait aux autres Templiers qui osaient lui poser la question directement. En général, il éludait les questions touchant à son fils ou alors, il apaisait les craintes des autres par de simples paroles mais s'il y avait bien quelqu'un à qui il pouvait se confier à ce sujet, c'était Jacen. Sa tourmente de voir l'enfant sombrer dans le mutisme ou encore, de le voir se renfermer, ne souriant désormais plus qu'en présence de sa louve grandissait chaque jour. S'il ne s'était jusque là confié à personne, Jiven se sentait apaisé de l'avoir fait, même gauchement.

La réaction de Jacen le sortit de son état et lui tira un sourire. Jacen n'avait pas changé, il craignait sa femme sans doutes autant qu'il l'aimait. Philéa était quelqu'un d'attirant, de charismatique et Jacen quant à lui était quelqu'un de beaucoup plus calme et effacé. Leur couple était touchant mais Jiven ne pouvait s'empêcher qu'il n'allait pas s'en sortir aussi facilement lorsque la reine amazone accoucherait.

« Tu feras un bon père pour ces enfants, tu l'es déjà. Enfin … si Philéa te laisse en vie. »

Jiven réfléchit réellement à la dernière question de son plus vieil ami. S'il s'en sortait avec Eléa ? En réalité, lorsque Jacen lui avait demandé de se charger de l'éducation de son ainée, Jiven avait hésité. Il savait l'enfant perturbée, perdue et en colère. Cependant, au nom de leur amitié, Jiven avait accepté. Eléa était une jeune fille perturbée et difficile mais finalement, il avait réussi à instaurer une sorte de lien entre eux. Elle le respectait et lui se contentait de l'aider à toucher du doigt le calme de l'Esprit.

« Le plus difficile avec ta fille est sans doutes qu'elle considère encore l'Esprit comme une malédiction, sans parler du fait qu'elle semblait vous détester tout particulièrement Philéa et toi. Semblait car aujourd'hui, ses sentiments sont beaucoup plus calmes à ce sujet. Sa colère est un obstacle permanent pour qu'elle garde le contrôle. C'est drôle, j'ai l'impression de la revoir enfant, impatiente et colérique, mais en réalité, c'est peut-être qu'elle n'a pas vraiment grandi depuis. Je crois qu'il n'y a qu'aux personnes qu'elle aime vraiment qu'elle réserve son mauvais caractère. Je pense qu'elle t'aime vraiment, à sa manière. Il lui faudra du temps et, heureusement, vous en avez devant vous. »

Jiven tâchait d'être délicat, Eléa était un sujet sensible pour le Cydien.

« Tu sembles inquiet pour Eléa, si je peux me permettre, je crois que cette gamine ne sait plus où elle en est entre vos vérités. Vous devriez éviter de la forcer à choisir entre vous. Vous ne cessez de lui dire que vous êtes famille alors que les apparences jouent contre vous, comment veux-tu que cette gamine ne soit pas en colère ? »

Jiven grimaça, il avait parfois tendance à être trop direct et s'il détestait mentir et se mentir, sans doutes aurait-il du choisir de meilleurs mots. Quoi que, si Celyween avait été là, nulle doutes qu'elle n'y serait pas allée par quatre chemins et aurait sans doutes appuyé sur le fait que si leur fille ne se sentait pas bien, ce n'était pas du fait de son caractère difficile mais du fait de leur comportement. A vouloir se l'approprier chacun, il la détruisait petit à petit. Etait-ce pour cela que Jiven avait accepté de laisser s'éloigner de lui Aerin ?

« As-tu des nouvelles de Jelenna ? »

[ J'espère avoir bien compris votre situation familiale, si ce n'est pas le cas, n'hésitez pas à me le dire et j'éditerai ! ]

Afin de ne pas montrer une quelconque gêne, ou mettre son ami dans l'embarras après ses paroles, Jacen accepta les dire avec un hochement de tête rapide, reposant ses ustensiles et passant son pouce sur son menton. Jiven, comme à son habitude posé et calme, avait analysé froidement la situation et en tirait des conclusions logiques, implacables mais logiques. Cependant, il n'était pas homme à critiquer et juger lorsqu'il observait une situation, une qualité à mettre une nouvelle fois à son crédit et qui justifiait, s'il le fallait encore, la légitimité de sa position. C'était un trait qu'il trainait depuis longtemps -depuis toujours? Il avait appris, par l'expérience, à analyser plus que juger. La Tête du trio, tout était résumé ainsi, si justement et si succinctement. Ô combien ces surnoms avaient été judicieusement choisi à l'époque. Jacen ne se rappelait pas vraiment qui au Temple avait déterminé ces noms, mais aujourd'hui le corps qu'ils formaient était terriblement amputé d'un de leur membre. Jacen n'avait cependant pas pleuré la mort de Cely -pas encore. Il réalisait, depuis la première seconde, le vide que cela causait dans son être, cette partie de lui mutilée. Mais il craignait plus pour la vie de sa fille, aucune partie de son coeur ne laissait de la place pour une autre peine.

"Tu me connais bien, je ne m'engage jamais dans quelque chose que je ne peux pas réaliser: vois cela comme de la prudence, ou peut-être une forme d'intelligence?"

Il sourit avant de poursuivre:

"Mon amour pour ma famille ne gênera en rien l'exercice de mon métier si je n'ai pas de poids dans les décisions. Je serai, dans le cas contraire, bien incapable d'agir efficacement. Le Temple est aussi une partie de moi, une partie dominante de ma vie: j'aime m'occuper des jeunes pousses et transmettre l'importance de notre métier. C'est ainsi que je continuerai, à discuter avec toi des sujets sensibles si tu le souhaites, mais mon avis ne sera bientôt plus une position officielle. C'est cela être un templier comme un autre -ce que tu n'es pas par la force des choses et de ton talent. "

Il profita de la petite pause pour se remettre à manger, même si l'appétit lui manquait ces jour-ci. La tempête approchait, une ombre qui rendait tout plaisir fade et détestable. Jacen n'avait jamais été, de toute manière, un gros mangeur qui appréciait la bonne nourriture: il mangeait pas nécessité, rien de plus.

"La relation que tu entretenais avec Cely et dont tu souffres aujourd'hui avec mon filleul n'est que la conséquence perverse mais nécessaire dont je t'entretenais justement: tu as su prendre tes responsabilités et faire passer ta fonction avant ta famille, ce qu'un directeur se devait de faire. Pourquoi penses-tu que fonder une famille nous est presque interdit: certains d'entre nous sont des exemples, des guides nécessaires. Tu as pu mener de front famille et direction, voilà pourquoi il faut que ce soit toi. Mais je me permettrai un conseil: ne presse pas ton fils, il risque de se fermer d'autant plus vite. Laisse-lui le temps de bâtir de nouvelles bases saines dans son Esprit, après une enfance de vagabondages ponctuée par ce déchirement. Il viendra de lui-même quand il sera prêt. Six mois, deux ans? Le temps n'importe plus quand il implique nos enfants. Si tu le juges bon pour lui, je pourrai m'occuper de sa formation".

Les renseignements de Jiven sur sa fille, quoiqu'inquiétants, n'étant pas surprenant. Jiven était également un partisan du "temps pour le temps" et connaissait bien les relations délicates de la famille Ryran. Il était, par sa patience et son sens de l'analyse, certainement le meilleur professeur pour Eléa. Encore fallait-elle qu'elle soit présente! Car elle ne connaissait rien de l'Esprit, campait sur ses à-priori. Quelque part cela n'était pas surprenant, ayant dû vivre avec ce don qu'elle avait appris à mâter toute seule. Philea était une fine stratège, mais pas vraiment sur ce coup-là!

"Il est bien difficile de démêler la vérité de nos actes. N'existe-t-il pas autant de vérités que de protagonistes? Jamais Eléa n'aura ma vision des événements, ni ceux de Philea je l'espère. Elle devait savoir certaines choses, quitte à la troubler pour un temps. Rien de sain ne nait du mensonge, et aucune base solide dans notre famille n'y résisterai. Mais tu as raison, il est temps que nous arrêtions de jouer à la famille comme à la poupée. C'est pourquoi je dois prendre cette décision et choisir mes priorités. Finalement, nous nous retrouvons sur ce point! J'ai la chance de visiter assez régulièrement, le soir, Jelenna. A tel point que je résiste parfois à l'envie de me forcer à dormir à toute heure pour la retrouver. Je l'aide à forger son Esprit, construire ses protections. Elle est si précieuse..."

La réflexion de son vieil ami fit sourire Jiven tant et si bien qu'il en oublia un instant son assiette et ses préoccupations. Jacen était quelqu'un qui acceptait d'être remis en question et acceptait les remarques, bonnes ou mauvaises, tant qu'elles étaient constructives. Il était patient, calme et avait sans doutes bien plus de qualités que Jiven lui-même n'en possédait pourtant, il souhaitait abandonner un poste que Jiven lui-même chérissait. La direction était un challenge qu'ils avaient relevé ensemble et qu'ils avaient su remplir sans accroc, la décision de Jacen, s'il la comprenait et ne désirait pas la juger, lui octroyait tout de même un certain pincement au cœur. Le passé semblait bel et bien résolu désormais et chacun suivrait sa propre voie. Jacen avait toujours eu tendance à croire que Jiven était quelqu'un au dessus du lot et c'était là peut-être le seul tord que lui accordait son vieil ami. A ses yeux, le soigneur avait bien plus de qualités que lui-même n'en avait et toujours selon son point de vue, Jacen était quelqu'un d'un peu trop ébranlé par la vie pour parvenir à reconnaître ses propres dons. Sa gentillesse et sa patience avaient eu raison d'une des élèves les plus délicates de son époque tandis que lui héritait d'Evenor. Le jeune homme était brillant bien que trop gamin tandis qu'Asora, certes élève brillante, était une apprentie difficile et à problèmes.

« Je ne suis pas différent de toi, le poste de Directeur ne change en rien ce que je suis, un Templier parmi les autres aussi, ton avis me sera toujours précieux. » se contenta-t-il d'ajouter l'air pensif.

Jiven ne s'était jamais vraiment penché sur ce qu'aurait pu être ces dernières années sans le soutient discret mais toujours présent de Jacen. Lorsqu'on lui avait confié la direction du Temple, certes il en avait été heureux et honoré mais comme tous ceux qui un jour avait occupé ce poste, il s'était senti désespérément seul et inabordable de par sa nouvelle charge. Certains changèrent leur regard envers lui, pas de grand chose, mais juste ce qu'il fallait pour faire comprendre à Jiven qu'il n'était plus un simple Templier à l'avenir prometteur mais bien un Directeur. Le supérieur hiérarchique, certes son orgueil en avait pris en coup dans le bon sens du terme si l'expression le permettait, mais Jiven avait également compris ce que cette charge impliquait socialement parlant. Avoir du pouvoir éloignaient les gens et seul Jacen s'était montré inchangé. Ils étaient amis et cela passait outre la nouvelle position de Jiven ce qui lui avait permis d'une part de ne pas oublier qui il était en prenant la grosse tête et d'autre part, de ne pas se sentir si accablé que ça. Jiven était quelqu'un de sur de lui pourtant, n'importe qui pouvait avoir une minute de doutes en passant du jour au lendemain Templier puis Directeur. Les choses ne seraient plus pareilles en l'absence de Jacen à ses côtés mais peu importait, Jiven savait qu'il n'était pas de son droit de l'en dissuader et qu'il continuerait à remplir sa tâche malgré tout.

Le seul point sur lequel Jiven avait besoin d'être éclairé était bel et bien son fils. La mort de Celyween était délicate à surmonter pour le Templier mais encore plus pour Aerin. Si Jiven était capable de faire comme si de rien n'était et de continuer à avancer, laissant de côté sa peine par la force des choses, l'enfant n'en était encore pas capable et son état le minait. Certes Jacen avait raison, Jiven avait pris les responsabilités en main, délaissant quelque peu le côté familial de sa vie. En réalité, Jiven ne souhaitait pas vraiment être père de peur de transmettre ses propres erreurs à son fils. Aerin était un enfant désiré mais Jiven le savait plus en sécurité auprès de sa mère qu'auprès de lui et cela lui avait permis par la force des choses d'évoluer dans son métier. En y repensant, Jacen n'avait pas tout à fait tord, comme bien souvent, il trouvait les mots justes. Comme toujours, ses conseils étaient avisés et sonnaient diablement vrais. Laisser le temps au temps était un précepte qu'ils avaient toujours eut en commun tous les trois et Jiven semblait presque l'avoir oublié concernant son fils.

« Le temps sera long avant qu'il ne soit capable de se remettre, son mutisme en est la preuve mais tu as raison, bâtir de nouvelles bases saines lui sera nécessaire et je ne peux que l'y aider sans le brusquer. J'oublie parfois ce que c'est d'être un enfant. Aerin n'est pas un Sensible, tu as du le remarquer quoi qu'il est sans doutes trop jeune. Je serais honoré que tu te charges de sa formation, cet enfant a besoin de bases solides que je ne peux lui offrir qu'en partie. Dès qu'il se sentira prêt, je lui ferais part de ta proposition. »

Aerin avait tout à gagner à avoir Jacen pour professeur, Jiven savait en effet pertinemment que l'homme saurait prendre l'enfant sous son aile protectrice et l'aiderait à avancer pas à pas sur un chemin sur. Pour le moment, Jiven allait se contenter d'aider son fils de son mieux, attendant que ce dernier fasse les derniers pas nécessaires pour guérir et lorsque le moment serait venu, dans six mois, dans deux ans, Jiven le confierait à son vieil ami et son parrain si ce dernier le souhaitait pour apprendre la philosophie, art respectable auquel Jiven prêtait beaucoup d'attention sans être capable de l'enseigner et de le comprendre aussi bien que son compagnon d'arme.

« Il faut laisser le temps au temps, en accordant du temps à Eléa, je pense que les choses évolueront dans un sens plus favorable pour toi comme pour elle. La vérité qu'elle s'est forgée est encore incertaine mais le temps viendra où elle sera capable de faire la part des choses et de pardonner, je ne désespère pas. »

Jiven cessa un instant de parler, délaissant totalement son assiette cette fois-ci.

« Eléa est incapable d'accepter qu'elle possède l'Esprit, à l'heure actuelle, elle se contente de rejeter tout ce qui pourrait la rapprocher de toi mais Jelenna est différente. Elle est encore une enfant, et son don de l'Esprit m'a paru particulièrement puissant lorsqu'elle vivait entre nos murs peu de temps avant la bataille de Tamawa. Cette enfant est précieuse, non parce qu'elle est une Clé, mais parce qu'elle est ta fille mon ami. Nous aurons beau dire, nous aimons nos enfants et toi sans doutes plus que nous autres, c'est sans doutes pour cela qu'aimer nous est déconseillé. Un homme avisé sait où sont ses priorités comme tu l'as si justement précisé. »

Jiven se leva, son repas terminé même s'il n'avait pas avalé grand chose, il avait remarqué en suivant la course du soleil qu'il n'avait que trop tardé.

« Mon vieil ami, Jelenna te sera bientôt rendue, je t'y aiderai du mieux que je peux. Aerin m'a expliqué qu'il l'avait rencontré en rêve, maintenant que tu m'affirmes que toi aussi, je ne peux plus mettre ce songe sur le compte de son esprit troublé. Je prêterai plus attention à ses rêves la prochaine fois et m'assurerais qu'il ne m'apprenne rien de déplaisant au sujet de ta fille cependant, tâche de te reposer. Jelenna est une enfant précieuse, tu l'as toi-même affirmé, il est inutile de l'inquiéter davantage qu'elle ne doit l'être en lui montrant une mine aussi affreuse que la tienne. Sur ce, je dois prendre congé, je ne peux délaisser davantage mes élèves. »

Un dernier sourire illumina le visage de Jiven lorsqu'il se leva avant de quitter la salle commune. Si la bataille avançait à grand pas, l'homme avait décidé de ne pas mettre pour autant de côté l'entrainement comme l'apprentissage en général des jeunes recrues. Malgré les préparatifs, il avait pris sur son temps personnel pour continuer à donner ses leçons et ne regrettait en rien cette décision. Les jeunes gens avaient parfois une vision des choses qui le poussait à remettre en question certaines de ses certitudes, ce qu'il appréciait tout particulièrement.

[ Merci pour ce RP Jacen, j'espère que ma réponse sera suffisante ! Merci également pour les précisions que tu m'as apporté! ]

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