Maya était une jeune adolescente plutôt étrange. Son regard étrange et fascinant tout à la fois avait tendance à faire fuir la plupart des gens de ce bas monde. Son œil droit était d'un bleu profond tandis que son œil gauche était vert émeraude et l'alliance des deux ne manquait jamais de faire détourner le regard des autres, préférant alors celui, beaucoup plus doux et délicat, de sa jumelle. Cela n'était qu'un détail pour la jeune Jinmen qui de toute façon, ne craignait pas plus que ça les regards extérieurs. Elle les oubliait le lendemain aussi surement qu'elle pouvait oublier tout le reste d'ailleurs. Maya avait intégré la Troupe par jeu ou peut-être par peur de se retrouver toute seule dans un environnement dont elle ne connaissait rien et dont elle oubliait tout chaque heure qui passait. Fort heureusement pour elle, sa jeune sœur lui permettait de survivre dans cet environnement hostile dont sa mémoire ne parvenait pas se souvenir. La princesse Jinmen passait son temps à fouiller la mémoire de sa jumelle pour ne rien perdre de ce qui faisait sa propre existence. Elle se souvenait de beaucoup de choses de son passé mais à partir d'un certain âge, de ce jour où elle avait traversé sans regarder où elle mettait les pieds, les évènements devenaient flous.

La jeune femme saisit le pinceau qu'elle tenait entre les doigts jusque là, le faisant tourner distraitement entre son index et son pouce, puis le trempa dans l'encrier. Maya n'était pas décidée aujourd'hui à s'amuser, ni même à grand chose d'autre. Miki n'était pas loin, elle sentait sa jumelle qui s'entrainait au combat à mains nues mais pour autant, la jeune Maya n'avait pas eut envie de la rejoindre. L'art de la peinture lui manquait ces derniers temps mais son inspiration semblait définitivement l'ignorer. Sa dernière œuvre lui avait pourtant vouée les regards admiratifs des passants et notamment de trois d'entre eux. La première, une jeune elfe, était venue admirer les portraits qu'elle avait griffonné au fusain et qu'elle avait placé le long de sa roulotte. Elles n'avaient pas parlé beaucoup, en réalité, Miki avait parlé pour sa jumelle, comme toujours, mais quoi qu'il en soit, la jeune Coralynn avait décidé d'apprendre l'art que maitrisait si bien la gamine. Maya n'était pas forcément à l'aise à l'idée d'enseigner ses techniques, peu encline à entretenir des relations avec qui que ce soit mais Miki avait insisté sur leur besoin de gagner leur indépendance pour rentrer chez elles. Le spectacle avait attiré deux autres personnes, une jeune femme à la peau basanée ainsi qu'un Templier et tous deux avaient formulé la même chose que la première venue.

Maya allait donner son premier cours et pourtant, elle n'y tenait pas vraiment, d'autant que sa jumelle avait finalement décidé de l'abandonner pour un entrainement quelconque tant et si bien que la Jinmen se sentait démunie. Consciente néanmoins que sa jumelle tenait beaucoup à rentrer dans leur pays d'origine, la jeune femme avait décidé de faire des efforts et avait préparé sa roulotte pour accueillir les trois compagnons d'infortune. Lorsqu'elle sentit le premier arriver, elle s'exécuta par la pensée :

** Bienvenue. **

[ Mon entrée en matière est bancale désolée XD ]

C’était d’abord le regard qui l’avait interpelé. Deux yeux sombres dans lesquels se lisaient la concentration et la détermination. Deux yeux qui vous fixaient, comme si, vivants, vous étiez la cible de la flèche encochée sur l’arc, prête à filer droit au but sous la volonté de celle qui bandait l’arc. On pouvait presque sentir la tension qui parcourait les muscles de l’archère pour maintenir la corde tendue ainsi. La bouche entrouverte comme pour faciliter la respiration dans cet effort, le visage dans son ensemble restait tout de même plutôt calme, concentré sur son objectif. Coralynn était fascinée de voir la manière dont on avait réussis à fixer l’instant. Comme si le temps s’était arrêté. Tout y était : l’ombre de la corde sur le visage dessinant une balafre à l’œil droit, le léger flou de mouvement du coude qui tremblait imperceptiblement sous la tension de l’effort, les mèches de cheveux ondulées qui volaient, soulevées nonchalamment par une brise légère…
Les mains étaient fidèlement reproduites, tout comme la douceur de la peau et le délicat dessin des lanières de cuir tressées pour former le vêtement de l’artiste. Car c’était bien une artiste qui était représentée : Hélèn, l’archère dont la précision, l’adresse et le charme impressionnait les foules à chaque halte de la troupe.

Quand à celle qui avait ainsi magnifiquement dessinée la jeune femme, c’était bien d’une artiste qu’il s’agissait. Toutes ses œuvres exposées contre sa roulotte en témoignaient. Que ce soit Elly, Jillian, Siam ou un autre des nombreux membres de la troupe, tous avaient ce petit truc en plus, cette impression de réalisme saisissant qui vous accrochait le regard et vous les faisait sembler vivants. Esra avait béni les mains de ce prodige, il n’y avait pas de doute. La reine de Arts devait être satisfaite de voir un tel travail.

L’idée de récits illustrés par de tels portraits lui avait alors traversé l’esprit. Quel effet ce serait ! Quel charme supplémentaire… Et quand on sait qu’un beau dessin valait cent longs discours, quel impact ces croquis pourraient-ils avoir sur son public !! La décision fut prise en un instant. Il lui FALLAIT apprendre cette technique de peinture.

La surprise en découvrant la personne qui les avait peintes fut par contre totale. Qui aurait pu se douter qu’il s’agissait de la jeune Maya ? Coralynn l’avait toujours vu renfermée sur elle-même, collée à sa sœur et pratiquement muette. Alors découvrir en elle un tel talent, c’était assez imprévu. Mais agréablement imprévu.
Lui faire accepter de lui enseigner son art n’avait pas été très simple. Sa sœur avait parlé pour elle, comme à son habitude, mais si celle-ci semblait voir d’un œil favorable la requête de la Conteuse, ce n’étais pas le cas de la principale intéressée.. Heureusement deux autres personnes s’étaient jointes à elle pour demander d’apprendre son art, et la jeune fille avait finalement accepté. Bonheur.

Elle s’était donc rendue au lieu dit, le jour dit à l’heure dite, l’esprit fébrile, curieux et impatient à la fois. Dans son sac elle avait glissé un peu tout et n’importe quoi, ignorant ce dont elle aurait réellement besoin, elle avait acheté un peu au pif dans une des boutiques de Tamawa des fusains, crayons gras, aquarelle, gomme et autres pinceaux de diverses taille ainsi que plusieurs feuilles de papiers épais reliées en un carnet à dessin de grande dimension. Une fois n’étais pas coutume, elle avait laissé son Luth chez elle, sachant qu’elle n’en aurait pas besoin aujourd’hui.
Le salut mental la déstabilisa un peu. Elle n’en avait pas l’habitude, et surtout elle ignorait que Maya en avait la capacité. Elle masqua de son mieux ces sentiments et rentra dans la roulotte en la saluant à son tour.

« Bonjour Maya, merci encore de bien vouloir nous donner ce cours »

Elle regarda autour d’elle, inspectant la pièce dans laquelle elle pénétrait pour la première fois. Curieuse comme toujours, avant de se rappeler que tout scruter ainsi était franchement malpolis.

« Hum, j’espère que les autres ne vont pas tarder. Je peux m’installer là en attendant ? »

Et sur un signe positif, Coralynn posa son sac a coté du siège le plus éloigné de l’entrée, pour laisser la place aux futurs arrivants.

[HRP] Le dessin qui m'a inspiré. (Je trouve qu'on dirait Philéa ^^) [/HRP]

[J'ai repris le même tableau, du coup Coco, j'espère que ça t'embête pas ! D'habitude j'aime pas faire des intro si longues mais la perche que tu m'as tendue, Coco, j'ai pas pu résister =S.]

Descente à Tamawa. Aller les amis c'est parti ! Faites vous plaisir, mais faites vous discrets. Il faudrait pas se mettre les Templiers à dos. Non, ils sont bien trop forts pour vous. Allez pirates, profitez des quelques jours sur terre...

Et l'équipage de l'Orage Sanglant avait débarqué dans la cité en reconstruction. Gaëlle ne savait pas trop comment d'ailleurs elle s'était retrouvée aux côtés du Capitaine. Impossible de s'en dépêtrer ! Et vas-y que je te balade dans telle rue, qu'on boive un coup dans telle taverne. Tous ces regards alléchés qui se tournaient vers elles. Ou plutôt vers Elle. La sublime louve des mers, à la beauté sauvage et sans borne. Gaëlle en aurait été vite jalouse si elle n'avait pas su que Cassandra ne cherchait pas à croiser le regard de ces messieurs mais celui des femmes à leur bras. Et puis l'Amazone aussi avait du succès. Auprès d'un tout autre public, certes, mais du succès quand même ! A peine avait-elle mis pied à terre qu'un convoi de chats s'était précipité dans ses pattes, se frottant contre elle tant qu'ils le pouvaient et miaulant à tout va. Cela lui avait valu quelques moqueries de son Capitaine, qu'elle avait pris soin de ne pas relever. 'Comprend rien aux animaux de toute manière...

Les voilà qu'elles pénètrent dans la rue marchande. Gaëlle n'avait pas beaucoup d'intérêt pour les boulangeries, les bouquineries, les bijouteries et toutes sortes d'attrape-nigauderies. C'était ce qu'elle croyait. Pourtant, lorsqu'elle passa devant une boutique qui n'en était pas vraiment une, elle s'arrêta net. Hypnotisée. Devant une roulotte de saltimbanque, une jeune femme terminait un tableau qui irait bientôt rejoindre ses frères contre le pan de bois. Une oeuvre d'art.

Une larme roula sur la joue de Gaëlle. Ses yeux noirs embués détaillaient les formes à peine voilées de l'archère, les lanières de cuir, le réalisme de son regard, la tension dans son bras qui bandait l'arme. C'était trop. Trop.

L'espace d'un instant, une femme ayant vieilli trop vite prit la place de la Saltimbanque. L'espace d'un instant, les cheveux sombres de l'archère se teintèrent de bleu, de violet, de rouge, de vert ou encore de jaune. L'espace d'un instant, Gaëlle revit sa mère, pinceau à la main, tentant d'immortaliser sa fille, si fière d'être entrée à l'école des filles amazones, arc à la main, sourire aux lèvres. L'espace d'un instant, elle replongea dans un passé qui lui parut soudain si loin.

Mais Mouchka ne peignait plus. Mouchka était morte. Et elle ne maniait plus l'arc. Elle n'avait jamais su.

Cassandra avait perçu le trouble de Gaëlle et s'abstint de tout commentaire. Ce ne fut pas le cas de Gilles, un pirate qui les accompagnaient.

« Eh regarde Gaëlle ! C'est pas toi qui risquerait d'arriver à faire un truc pareil hein ? Avec tes deux mains gauches ! »

Il partit à rire. Il fut seul. En temps normal, l'Amazone aurait ri volontiers avec lui. Elle assumait sans problème sa maladresse légendaire et avait su dédramatiser son handicap. Là c'était différent. Gilles avait fait mouche. Piquée au vif, Gaëlle se tourna vivement vers lui en pointant un index menaçant. Mille insultes lui vinrent à l'esprit et alors qu'une vague de rage et d'impuissance menaçait de la submerger, elle inspira profondément et rétorqua d'une voix aussi froide et tranchante que la glace :

« Pari tenu ! »



Convaincre la Saltimbanque n'avait pas été facile. D'ailleurs Gaëlle n'était pas sûre qu'elle ait été convaincue, même maintenant qu'elle s'apprêtait à assister au cours... C'était sa soeur jumelle qui s'était engagée pour elle. Elle lui avait même carrément forcé la main. Qu'importe. Ca arrangeait bien l'Amazone ! Surexcitée, elle entra dans la roulotte, deux ou trois chats sur les talons, tandis que l'elfe saluait leur professeur. Elle tiqua une nouvelle fois sur la chevelure blanche de la jeune femme, oubliant que la sienne était tout aussi étrange avant de remarquer l'attirail qu'elle avait emporté. Certainement des instruments de peinture – ou de torture, allez savoir la différence – et elle se sentit franchement idiote d'arriver les mains vides. Elle lança un regard paniqué à la fameuse Maya.

« Mais mais... je suis désolée ! Je, je savais pas vraiment ! J'ai rien emmené, j'arrive les mains dans les poches ! Ah, ce que je suis bête, je suis vraiment désolée, vrai-ment désolée. Je suis qu'une profiteuse, je crois que je ferais mieux de partir, sérieusement, c'est n'importe quoi, je suis d'une impolitesse rare. Non, ça me gêne, je reste pas... Désolée encore pour le dérangement... Au revoir et bonne continuation ! »

Incorrigible Gaëlle...

Maya ne se souvenait plus vraiment de la tête des trois personnes qui devaient venir, elle avait beau fouiller la mémoire de sa jumelle pour y trouver les réponses à ses questions, étant donné qu'elle agissait « sous la contrainte », la jeune Jinmen ne se sentait pas l'envie de gâcher sa mémoire déjà bancale pour de simples détails. Pourtant, lorsqu'elle sentit la première arrivante s'approcher de la roulotte, outre son cœur battant la chamade bien que son visage reste impassible et qu'elle adopte son éternelle expression distante, Maya sentit son cœur se serrer d'appréhension. Pour se rassurer, elle chercha le contact mental si particulier qui l'unissait à sa sœur et déjà, une jeune Elfe faisait son apparition dans sa roulotte. Elle la gratifia d'un signe de tête quand à sa première remarque et lui fit un nouveau signe de tête pour lui indiquer que cela ne lui posait aucun problème qu'elle s'assoit, bien au contraire.
La jeune Jinmen observa un instant la jeune femme, se disant qu'elle l'avait déjà vu quelque part. Elle força sa mémoire à lui dévoiler les secrets de cette impression sans succès et une fois encore, Maya dut fouiller la mémoire de Miki, qui ne s'en souciait guère plus désormais, pour trouver ses réponses. Elle s'appelait Coralynn et vivait avec eux dans la Troupe depuis peu. Les jumelles l'avaient déjà rencontré auparavant même si la Jinmen n'en avait aucun souvenir … Maya se força à détailler la belle Elfe, qui se trouvait être Conteuse si elle en croyait les bribes de mémoires de Miki, et remarqua alors son sac. Il semblait particulièrement rempli tant et si bien qu'elle ne put s'empêcher de lui demander ce qu'il contenait.

** As-tu amené du matériel ? **

Cela faisait si longtemps que Maya n'ouvrait plus la bouche qu'elle effrayait même les plus aguerris de la Troupe et les plus téméraires qui osaient encore l'approcher malgré son air distant, ses étranges cheveux et surtout, ses yeux verrons. En réalité, depuis son passage, en utilisant d'ailleurs son don d'impressionnisme, Maya avait perdu l'envie de parler ou peut-être la faculté, elle ne s'en souvenait plus très bien et préférait ne pas aborder le sujet. Parler par l'Esprit était devenue une habitude et, même si par ce biais elle ne s'exprimait que peu, cela avait au moins l'avantage de permettre de trier les pensées que l'on voulait faire passer à certains et pas à d'autres. La jeune Elfe n'eut pas l'occasion cependant de lui répondre car une deuxième femme entrait dans la roulotte, se confondant en excuse alors même que Maya ou Coralynn n'avaient pas encore ouverts la bouche. C'était dans ce genre de moment que l'Esprit devenant une torture pour Maya qui n'avait pas l'habitude de le fermer aux autres …

** Reste. **

Ce n'était ni un ordre ni une demande pour autant, juste une constatation, une invitation sans l'être à rester. Maya s'approcha de la porte et ajouta :

** Je m'appelle Maya, entre. Peu importe que tu ai du matériel ou non, j'en ai pour vous. **

C'est qu'elle aurait presque fait peur la petite demoiselle mais pour autant, le ton qu'elle employait était plutôt doux même si ses phrases semblaient sèches de par le choix des mots qu'elle faisait. Maya observa la nouvelle venue au teint mat. Sans pour autant dire si elle allait l'apprécier, elle esquissa un sourire en refermant la porte derrière elle.

** Nous allons commencer. **

Avait-elle oublié le dernier invité ? Peut-être. Sans doutes. Peu importait, il prendrait en route si le cœur lui en disait. La Jinmen invita d'un signe de tête la dernière venue à s'assoir avant de se poser à son tour sur une chaise, à l'autre bout de la table. En réalité, elle ne savait pas trop par quoi commencer … L'impressionnisme était quelque chose de particulier, il suffisait d'avoir la technique de base pour développer ensuite la sienne mais surtout, il fallait connaître les rudiments d'un tel don.

** Il existe plusieurs techniques de peinture ou de dessin, l'aquarelle, le fusain, le pastel, l'encre … Néanmoins, la base reste à mes yeux la mine de carbone. Sans un tracé correct, vous ne parviendrez à rien. Je vais vous apprendre les bases, cependant, il vous faudra développer votre don seules par la suite car certaines choses ne peuvent pas se transmettre. **

Maya avait beaucoup parlé, rien que ça représentait un effort de sa personne. Son expression n'avait pas changé mais ses paroles vibraient d'une certaine fierté et d'une certaine passion. L'âme de l'artiste parlait plus que la Saltimbanque en elle-même, la rendant presque sympathique et attrayante. La Jinmen avait fait le choix de ne pas leur apprendre tout de suite les règles de l'impressionnisme permettant de se déplacer d'un lieu à l'autre sans risque, s'il s'avérait qu'elles avaient le don, elle leur en parlerait, sinon, les deux filles sauraient au moins faire quelque chose face à une toile !

La jeune fille, tout juste adolescente du haut de ses treize ou quatorze ans, fit signe à ses convives de prendre une feuille de parchemin devant elle sur la table ainsi qu'une mine de carbone. Puis, lorsqu'elles se furent exécutées, Maya leur expliqua :

** Dessiner un être vivant est toujours plus délicat qu'un objet inanimé, on commencera donc par un objet de votre choix. **

Elle prit ensuite le temps de leur expliquer les mouvements du poignet qu'il valait mieux avoir, ceux qui permettaient notamment de ne pas passer sur son dessin avec une quelconque partie de son corps, main, bras ou poignet et d'abimer ainsi le travail des dernières heures. Elle leur montra également les rudiments du dessin, leur expliquant par exemple quels points de repère prendre pour dessiner au mieux. Lorsqu'elle eut terminé ses explications, elle ajouta tout simplement :

** Je vais prendre mon nunchaku comme modèle, faites en de même avec un objet qui vous semble ni trop difficile ni trop facile à reproduire. Si vous avez des questions .. **

La dernière phrase en suspend indiquait surement qu'elle n'avait pas l'intention d'y répondre ou au moins, qu'elle espérait qu'il n'y aurait pas trop de questions ! En fait, Maya n'était surtout pas certaine de parvenir à y répondre car pour elle, dessiner était une seconde nature même si parfois, l'inspiration lui faisait cruellement défaut. Mais les filles étaient là pour apprendre …

[ Je vous laisse gérer, soit vous réussissez du premier coup même si ce n'est pas parfait et Maya détectant le « don » chez vous, elle vous apprend comment créer des tableaux pour aller dans d'autres endroits, soit vous ne réussissez pas du premier coup ^^ Vous pouvez sauter le tour de Jacen y'a pas de soucis =) ]

[On ne saute pas Jacen, on le retarde tout au plus. Retiens bien cela, petit être!]

Le retard conduit à l'impatience. L'impatience conduit à l'énervement. L'énervement conduit à la colère et la colère mène au côté obscur disait maitre Yau'dha. Et le retard conduit au retard, ajouta le très sage maître Jacen.
Dans un plan chronométré au cheveu près, la moindre perte de temps avait été fatale au Templier. Déjà, Lùkhas était en retard dans sa "production" d'après repas. Jacen avait donc dû le changer en retard, faisant attendre Asora à côté qui était elle aussi en retard. A lui expliquer, pour la trente-sixième fois, qu'elle ne pouvait pas en tant que Templière en devenir se crêper le chignon à coup de sac lesté avec une cydienne qui venait d'arriver (en retard), voilà que lui-même était à la bourre à son rendez-vous.

Jacen n'avait plus vraiment beaucoup de temps pour lui, ces temps-ci. La naissance de ses triplés ayant raccourcie par un diviseur de trois ses journées, il perdait un peu sa concentration, son énergie... Et sa tête. Il avait choisi, un peu sur un coup-de-tête (celle qu'il avait perdu), un atelier de peinture qui pourrait l'aider à le calmer et reprendre les choses en mains.
Le problème, c'est que dans les mains en arrivant, il avait son fils. Et qu'il avait totalement oublié de le laisser à la nourrice du Temple en partant. C'est en frappant à la porte de la caravane qu'il s'aperçut du gazouillant cadeau qu'il apportait avec lui, n'ayant pas vraiment le temps de trouver une excuse valable. "Bonjour, mon royal fils ne pouvant habiter tranquillement à Muria les premiers mois je l'amène partout avec moi"? Il y avait longtemps qu'il ne s'était pas senti un homme normal après tout.

Ouvrant la porte, il s'étonna de trouver un intérieur aussi vaste: chevalets et peintures étaient impeccablement en place, avec un écartement assez large pour permettre de larges gestes.

"Pardonnez mon retard, je suis Jacen Ryran. Et... Voici mon fils, Lùkhas, je m'en excuse mais j'en ai la charge aujourd'hui. Il est heureusement le plus sage de mes enfants, je vous l'assure!"

La petit s'était en effet endormi, comme à son habitude, trop rapidement pour qu'il puisse saluer par des sourires. Jacen le déposa délicatement entre de larges coussins posés sur un canapé, l'empêchant ainsi de tomber dans son sommeil. Par les dieux, qu'il dorme longtemps!
Voyant les deux autres jeunes filles au travail, il étudia son hôte discrètement: derrière ses yeux en amandes, il discerna sa sensibilité ... Au sens Templier du terme. Avait-elle était formée ici? Jacen n'en avait aucun souvenir, et n'étant pas ici pour cela il préféra ne pas relever.
Des années qu'il n'avait pas peint! Venu sans modèle, il se reporta sur la seule chose immobile qu'il avait avec lui: son fils endormi. A la mine de carbone, il crayonna les traits de son petit, appuyant certains contours de traits épais, noircissant les cils clos du bébé. Finalement, il concentra son attention seulement sur le visage, laissant de côté le reste du corps pour un reflet au crayon.

Bien que tout à fait inhabituel, le fait d’entendre Maya dans sa tête n’avait pas réellement dérangé Gaëlle. Si elle avait su faire de même, certainement que l’Amazone ne s’exprimerait plus que par la pensée, ainsi, évitant le bégaiement et ses éternelles hésitations. Non sans renverser un pot de peinture au passage, elle s’était saisie d’une mine de carbone et avait écouté attentivement les instructions de leur professeur. Professeur. Une boule d’angoisse noua son estomac au souvenir de ces jours lointains, à l’école des filles, ponctués d’échecs et embués de larmes de frustration. Au début ce cours-ci ne fut pas bien différent. Elle tenta vainement de refaire les mouvements que leur conseillait Maya, pour finir par n’avoir esquisser qu’un vase difforme aux contours troubles. Pourtant voilà quelques temps qu’elle s’entraînait, calepin à la main, du haut de son perchoir, à saisir ces instants magiques qu’offraient la mer, le ciel et les terres au loin. Quoi qu’encore maladroits, ses dessins étaient d’un réalisme bluffant, surtout lorsque l’on sait que l’artiste en question ne sait pas se servir d’une fourchette sans s’écorcher la main et arroser de sauce son voisin de table.

Le stress probablement. La peur de ne pas être à la hauteur. De ne pas pouvoir rendre fière la dessinatrice qu’était sa mère. Que leur professeur ait cinq ans de moins qu’elle n’y changeait rien. Elle n’y arrivait pas. Elle posa sa mine, boudeuse. Et voilà que le retardataire pénétrait dans la roulotte, un marmot dans les bras. Il s’excusa de leur imposer un tel spectateur et prit place derrière un chevalet. Le nourrisson s’était déjà endormi, bien sage, parmi les couvertures. Gaëlle passa machinalement la main au bas de son ventre. Deux mois sans avoir été embêtée par les tracas réguliers féminins. Il ne lui en avait pas fallu plus pour conclure que cette folle nuit chez les Nuas, chez Le Nua l’avait pas laissée indemne. Elle évitait de trop y penser, ignorant sa poitrine menue qui commençait à la lancer, les nausées qu’elle accordait au mal de mer.

Mais voir ce petit bout, tout rose, si paisible, la bouleversa. Sans plus prêter attention à ce qui l’entourait, ni à la consigne de Maya qui était de faire une nature morte, elle déchira la feuille au vase raté et entreprit un nouveau dessin sur celle d’après, vierge. Ses prunelles noires allaient de la toile au bébé, infiniment concentrée sur ses traits, ceux du petit et de son bambin à elle qui prenait vie sous sa mine de carbone.

Plus rien n’existait autour de Gaëlle Juste les deux rejetons et elle. Quoi que, elle-même se résumait à la main qui portait l’instrument. Un long moment s’écoula sans que Maya n’intervienne, certainement occupée avec ses autres élèves, si bien que lorsqu’elle eut fini son œuvre, elle eut l’impression de se réveiller. Son regard fier allait du fameux Lùkhas à son dessin. Son bébé à elle. Bien qu’il manquait de détails, de précision, il était incroyablement réaliste. Réaliste, ça oui, mais pas le moins du monde ressemblant. Des boucles sombre avaient remplacé les cheveux du gamin, les joues avaient été faites plus généreuses, plus rebondies, les cils plus longs et surtout, surtout, la peau bien plus sombre. Sans être aussi noire que le carbone que Gaëlle tenait, elle avait la teinte chocolat de certains Nuas. Et pourquoi pas celle de l’enfant d’un Nua et d’une Almer ? Au hasard…

L’Amazone chercha son professeur des yeux. Lorsqu’elle croisa son regard vairon, elle lança :

« Je… ‘fin je suis pas sûre quoi mais… mais j’ai fini… Euuh… t’en dis quoi ? »

[Je te laisse nous désengager Maya ? Sinon j'édite la fin de mon post.]

L'Esprit avait des travers bien désagréables quand on y réfléchissait. Si Maya l'utilisait à tord et à travers pour fouiller la tête des gens et pour leur parler plus facilement, elle ne supportait pas d'en subir les désagréments. En d'autres termes, la gamine aimait se servir de l'Esprit sans en être l'esclave et, au vu de sa maitrise parfois hasardeuse, il suffisait que sa concentration s'émousse pour se retrouver avec un bon mal de crâne. Encore heureux que Miki ne soit pas trop loin pour se raccrocher à ses souvenirs ou à son Esprit plus simplement. Ainsi, Maya se sentait apaisée et pouvait reprendre le cours de ses pérégrinations. Pour l'occasion, ce fut un homme qui vint perturber ses pensées, celui qui avait promis de venir le plus vite possible et qui se trouvait être le seul en retard … à croire que tout aujourd'hui avait décidé d'aller de travers ! La demoiselle avait déjà commencé son œuvre, perdue entre l'art et la réalité, lorsqu'il frappa à la porte, ne manqua pas de la faire sursauter. Fort heureusement pour lui comme pour elle, Maya n'avait pas la mine de carbone appuyée sur la toile sans quoi son nunchaku imaginaire aurait eut quelques problèmes …Déjà qu'elle ne supportait pas le retard, voilà qu'il lui ramenait un nourrisson … La saltimbanque n'ouvra pas la bouche et se surprit, au contact de son Esprit, à constater à quel point il en avait la maitrise.

** Entrez **

Le ton n'était ni poli ni désagréable, tout simplement neutre à en pleurer. Maya n'était pas du genre à s'apitoyer sur les sorts qui ne dépendaient pas d'elle ou encore, à se montrer tolérante. L'art n'attendait pas, seul comptait l'imaginaire et le talent de ses élèves, le reste importait peu.

Tandis que ses trois élèves étaient en train de crayonner en silence, Maya se prit à faire le tour des dessins. Il était amusant de constater que tous avaient une sensibilité différente. Les deux femmes, que l'on aurait pu croire semblable de part leur nature même de femme, avaient une vision diamétralement opposée de l'art, cela était clairement palpable dans leurs représentations du réel.

Deux des personnes avaient choisi le petit monstre qui dormait à poings fermés au milieu des coussins malgré la consigne. Peu importait, d'autant que dessiner un être vivant se révélait bien plus délicat qu'un objet inanimé ! Sans parler d'un enfant qui ne cessait de bouger, obligeant l'artiste à moduler son œuvre en fonction de ses humeurs. Encore que ce gamin-là eut été relativement calme et peu mouvant songea la Jinmen en silence. Maya s'attarda sur le dessin de la jeune femme timide sans dire un mot. Certes il ne ressemblait pas vraiment au modèle choisi, mais les traits, aussi réalistes que si l'enfant qu'elle avait peint s'était trouvé devant elle, laissaient à penser que la jeune fille avait bel et bien la fibre de l'artiste. Sans dire un mot, Maya chercha la faille et l'erreur. Le dessin comportait des imperfections mais elle ne se sentait pas de le dire aussi crument à son interlocutrice.

** Tu as du talent c'est certain, il n'appartiendra qu'à toi désormais de donner vie à tes œuvres. **

Sans savoir pourquoi elle se préoccupait autant du bien être de la jeune femme, Maya espérait avoir trouvé les bons mots pour la rassurer et lui faire comprendre que si aujourd'hui le dessin était encore hésitant, demain, il n'en serait que plus beau.

Sans plus s'attarder sur elle, Maya passa à la deuxième femme. Son dessin était, dans son style, tout aussi surprenant que celui de l'Almer. La saltimbanque le contempla quelques secondes avant de féliciter à sa façon sa propriétaire. Elle en profita pour donner un conseil ou deux aux deux femmes qui avaient semble-t-il été en proie aux mêmes hésitations. Pour finir, la demoiselle se dirigea vers Jacen pour contempler son œuvre. Maya n'avait jamais vu s'exprimer un homme au travers du dessin et elle devait s'avouer vaincue : ils avaient une tout autre sensibilité que les femmes certes, mais tout aussi intéressante qu'elle. Sous ses yeux, elle avait l'impression de voir le gamin sur la toile … Ces trois-là avaient un talent certain, même le plus imbécile l'aurait reconnu, ne leur restait plus qu'à l'entretenir et l'exploiter.

[ Désengagés, compétence validée ]