| Sujet: [D-A] Un héritage brisé (Solo - Terminé) Sam 7 Juil - 2:22 | |
| Soufflevent, 2ème jour.
Une brise d’automne, le soleil, le silence. C’était très probablement la meilleure description pour l’instant présent, seule dans le dojo familial qui n’était encore éclairé que par les rayons du soleil. Un instant de calme, moment propice vider son esprit, se concentrer jusqu'à l’extrême, ressentir ce qui nous entoure. Un léger crissement se fait entendre sur le tatami. Seule ? Non, j’étais assistée par le meilleur des domestiques que je connaissais. Les yeux fermés, l’esprit vide, je n’entendais que les petits crissements réguliers qui m’indiquaient qu’il se déplaçait vers ma gauche. Compte tenu du fait que je tenais mon arme de la main droite, s’était-il dit qu’une ouverture était possible sur la gauche ? Non, il s’était entrainé maintes fois, suffisamment pour savoir que je n’étais pas droitière. J’ouvris les yeux, l’action s’exécuta en un instant, un projectile, lancé avec une grande précision effleura mon épaule, puis un, non, deux coups de wakisashi s’abattaient sur moi, l’un tentant le côté gauche, l’autre, visant mon bras armé. Le premier manquant de punch ne fut que trop facile à éviter. Le second, en revanche, bien plus rapide était difficile, pour ne pas dire impossible à éviter sans sacrifier sa chair. Mais viser un bras armé était également le meilleur moyen de s’exposer à une contre-attaque fulgurante, mon wakisashi bloqua le sien, l’éclat des deux lames retentit haut et fort, si fort que l’ont pu entendre un désagréable bruit qui émana de l’un d’eux. Certes, mon wakisashi était assez vieux, il coupait mal, pour ne pas dire plus, mais je doutais fortement assister un jour à un tel évènement.
Un simple contact, celui de trop, et voilà comment notre existence sur le champ de bataille peux devenir notre dernier voyage. Une arme, d’apparence si solide, se fissurant si grossièrement, comme si on l’avait tordue en tout sens avec divers outils. Je regardai mon assistant, qui semblait tout aussi étonné de voir cela et pour cause, il n’avait jamais manié que des armes soigneusement entretenues, à l’inverse du cadeau que m’avait fait mon père. Quel genre de fille avais-je pu être pour négliger quelque chose d’aussi important ? Je me souviens encore de la lame resplendissante, de son éclat d’antan… Et maintenant il n’était pas plus qu’un vulgaire couteau de cuisine, à peine assez pointu pour pénétrer sans difficulté dans un morceau de bois. Les événements de ces cinq dernières années n’aidaient en rien, entre la disparition des deux princesses, les explorateurs venus, les rumeurs sur cette sorcière utilisant la magie impie du sang, les infâmes accusations jetées contre notre famille ainsi que la disparition de mes deux frères, je n’avais tout simplement pas envisagé, à un seul instant, à faire entretenir cette arme. Devant mon air perdu, mon assistant s’empressa de s’adresser à moi, avec tout le respect dont il me témoignait depuis qu’il me connaissait.
« - Karaleth-sama, souhaitez vous que je porte cette arme au forgeron ? - Non, je vais le faire moi-même, j’étais responsable de son entretien et j’ai lamentablement oublié… Occupe-toi de ranger le dojo en attendant, je pense que cela ne sera pas trop long. - Comme il vous plaira. »
Une ultime courbette et il s’exécuta sans sourciller, j’étais reconnaissante d’avoir quelqu’un d’aussi dévoué au sein de la famille, il était, à quelques exceptions prés, une des seules personnes vraiment dignes de confiance que je connaissais. J’enveloppais l’arme dans un linge, la remettre dans son fourreau n’était qu’un risque de plus de la briser définitivement, puis je gagnais la sortie de l’habitation, me mettant en quête d’un artisan forgeron. L’art de travailler le métal n’était pas mon fort, bien que je trouve la matière intéressante. Il était de plus difficile, voir impossible de concilier le rôle de samouraï et de forgeron. Fort heureusement, je me souvenais du nom que mon père avait évoqué une fois, lorsqu’il m’avait expliqué la différence entre les artisans du peuple et les artisans nobles. D’après lui, il y avait un forgeron au sein du clan, dont l’adresse et l’art de la forge n’avaient encore jamais été égalés. Aussi dithyrambique cela soit-il, je pense qu’il était temps pour moi d’évaluer par moi-même certains points de mon éducation que je n’avais encore jamais soupçonné d’être légèrement… Embelli. Je ne passais pas inaperçu dans les rues de la ville, il était je dois dire difficile de rater un samouraï lorsqu’ils passent près de vous, le port du katana étant probablement le signe le plus ostentatoire du statut de ces derniers. Je me perdais dans mes pensées, en oubliant presque mon objectif premier qui était de trouver la personne que je cherchais, bien qu’en me torturant l’esprit je n’arrivais toujours pas à extraire le nom correctement, mais il m’était sur de pouvoir le reconnaitre si je le voyais. Entre les enfants qui jouent au coin de la rue, les vendeurs au pied de leurs échoppes, les bonnes gens qui se racontaient les commérages récents, et les diverses marchandises que je prenais le temps de regarder malgré tout, certains sons restaient plus audibles que les autres, comme le bruit d’une armure cliquetante au pas de course. Cela interpellait à présent tout mes sens, de multiples questions submergeaient mon esprit, de quelle origine était l’animation au loin ? Était-ce un simple bandit tentant de fuir avec son larcin ? Quelque chose de plus grave ? Ne pouvant donner de réponses précises, ma curiosité me harcelait pour que j’aille voir, ce que je n’ai en réalité pas eu besoin de faire. L’agitation était causée par un jeune homme qui était à présent à une trentaine de mètres de moi, en train de dévaler la rue comme si tout l’enfer allait s’abattre sur lui. Il avançait dans ma direction, les passants s’écartant pour ne pas se faire bousculer ou gêner les deux autres hommes qui paraissaient le poursuivre. Il devait être à une dizaine de mètres, tout au plus maintenant, j’observais toujours la scène, la main gauche posée sur le fourreau de mon katana, chose qu’il m’arrivait de faire lorsque mon attention était captivée par quelque chose. Il apparut que ma posture avait eu un tout autre impact sur les passants derrière moi et l’homme, lui, venait encore de progresser de deux ou trois mètres. Il se stoppa net, me fixant avec un regard terrifié, je n’étais pourtant pas d’une carrure très imposante, aussi venais-je de comprendre qu’il avait remarqué la présence de mon arme et en avait donc déduit que sa course effrénée venait de prendre fin. En l’observant plus en détail, le malheureux faisait peine à voir, à un point tel que je pouvais évaluer son dernier repas sur une période de deux à quatre jours, il avait le souffle court, ce qui était normal après avoir couru un marathon. Cela m’étonnait plus au vu de sa carrure, il m’avait clairement l’air d’être en état de malnutrition, bien que je savais que la pauvreté était hélas présente dans notre beau pays, il n’y avait aucun moyen efficace de lutter contre et de fil en aiguille, certains mendiants osaient passer par le vol afin de subsister à leurs besoins les plus primaires. Les deux miliciens étaient arrivés derrière lui, tandis que le premier se dépêchait de neutraliser le malheureux, son collègue, qui venait de m’apercevoir s’empressa de s’incliner par respect avant de me remercier « d’avoir arrêté ce bandit ». En y regardant a deux fois, n’importe qui présent au moment serait capable d’affirmer que je n’ai en aucun cas essayé d’arrêter le fugitif, quand bien même je n’aurais pas eu grandes difficultés à le faire, il était donc normal, à mon sens de justifier auprès du milicien que je n’y étais pour rien et que l’homme s’était arrêté de lui-même, comme s’il avait pris conscience de la gravité de son acte.
Que cela soit vrai ou pas n’était pas d’une grande importance, il m’était difficile de porter un jugement sur le fuyard, n’ayant jamais connu sa position sociale ni rien qui s’approche de près ou de loin à la famine. Au fond de moi je ne pouvais que remercier les dieux de m’avoir permis de naître et grandir au sein d’une famille aisée et reconnue par ses faits d’armes. D’arme… Je viens de me souvenir à l’instant de la raison de ma présence ici, je me rendais initialement chez le forgeron pour faire réparer l’instrument que je tenais toujours, enveloppé dans son linge d’un blanc immaculé, dans ma main droite. En y réfléchissant à deux fois, il m’aurait effectivement été difficile de dégainer si le fuyard avait été hostile et armé. Enfin, je ne pouvais rien faire pour cet homme, je me remis donc à arpenter la grande rue en direction de la forge, passant à nouveau devant un groupe d’enfants et plusieurs magasins.
J’arrivais enfin devant mon but, incapable de définir avec précision le temps que je venais de mettre pour traverser une partie de la ville, mais il ne semblait pas si tard que cela, le soleil était encore haut dans le ciel. Je pénétrais alors dans la boutique, prenant mon temps encore une fois pour examiner quelques marchandises. J’étais bel et bien au bon endroit. L’homme qui venait d’arriver de l’arrière-boutique, était bien plus âgé que moi, peut être même l’était-il autant que maître Feng. Au premier abord, il n’avait pas l’air très commode, pour ne pas dire bourru, d’une carrure assez impressionnante, il en ferait pâlir certains soldats. Il était néanmoins quelqu’un de très soigné si l’on pouvait en juger par le choix des mots qu’il avait utilisés pour me demander ce m’amenait ici. Il m’était plaisant de voir quelqu’un porter autant d’attention à son client, même si cela faisait sans aucun doute partie du travail d’un commerçant. Ayant perdu mes repères chronologiques, je ne souhaitais pas vraiment perdre davantage de temps, m’empressant de lui présenter mon wakisashi, dont la lame émoussée venait de se pourvoir d’une magnifique lézarde. Il jeta un premier coup d’œil à l’arme, ne pouvant retenir un commentaire sur la manufacture « exceptionnelle » de celle-ci, puis un deuxième, plus attentif sur la lame, avant de me certifier qu’avec ce genre d’entaille, sa position et l’impact faisaient qu’il était préférable de changer l’arme que de tenter de la restaurer, au risque de voir ce désagrément revenir. Je n’y connaissais pas grand-chose en matière de forge, mais cette lame était un cadeau précieux et cela me faisait mal au cœur de devoir me séparer de ce wakisashi. Un sentiment que l’arisant semblait avoir compris, il n’attendit pas ma réponse avant de me proposer, d’éventuellement changer l’intégralité de la lame, en conservant le reste de l’arme telle quelle. Après tout, pourquoi pas, je préférais encore cette solution au remplacement complet de l’arme. Je pense avoir eu, pendant une fraction de seconde, un visage laissant voir mon hésitation, ce que l’homme remarqua visiblement, pour qu’il vienne m’assurer que cette réparation pouvait être faite immédiatement et qu’elle ne devrait pas prendre énormément de temps. Je finis par accepter, confiant l’instrument à ses soins et décidant d’attendre dans la boutique même, puisque cela ne devait pas demander une durée énorme. Je portai d’abord mon attention sur l’étal le plus proche de moi, où étaient soigneusement alignés des nodaichi et des katanas, ils me semblaient être d’une qualité pour le moins surprenante, le travail de la lame m’était familier. Ce n’est qu’en saisissant l’arme que je perçus plus précisément cette sensation de déjà vu, j’avais l’impression de saisir mon propre katana, le poids et la lame étaient très similaires. Une autre question saugrenue jaillit dans mon esprit : qui avait forgé le Ryunoeikou ? En trifouillant dans les méandres de ma mémoire, je n’avais jamais appris la provenance de cette arme. Mon père n’avait jamais pris le soin d’aborder ce sujet avec moi et je doute qu’il l’a fait avec l’un de mes deux frères, quand bien même il l’eut fait, je n’aurais aucun moyen de le savoir maintenant. Tout ce que je savais de cette arme est qu’elle avait été forgée et qu’elle appartenait à ma famille depuis des générations, que son nom est devenu relativement renommé de par les faits d’armes de mon père, mon grand-père, arrière-grand-père et je ne sais combien d’autres parents avant d’être placé dans les mains de mon frère ainé qui avait fui en la laissant au milieu du dojo familial. Mon autre frère ayant lui aussi disparu peu de temps après, j’étais la seule héritière restante apte à recevoir l’arme. Si je n’avais pas été samouraï, elle aurait été probablement confiée à un époux qui m’aurait été choisi, sans doute quelqu’un de bonne famille également… Je préférai stopper ma réflexion ici, cela me faisait presque froid dans le dos de penser que j’aurai pu, dans un contexte différent, déjà mariée à quelqu’un que je n’aurais probablement pas aimé sincèrement. Je reposai l’arme à sa place, toujours aussi étonnée, ce qui a priori, avait attiré le regard de l’apprenti forgeron qui me regardait comme on regardera une princesse. Il ne dit mot, probablement était-il trop timide pour oser entamer la conversation ou ne savait-il tout simplement pas quoi dire. Après un petit moment, il s’inclina à deux reprises, la première étant un salut et la deuxième une forme pour s’excuser de ne pas avoir salué plus tôt. Puis il me gratifia un sourire avant de m’adresser quelques mots :
« - Excusez-moi, que puis-je faire pour vous être utile ? »
Effectivement, il semblait timide. Je lui retournai son sourire avant de relancer la conversation.
« - J’attends une commande, un wakisashi dont la lame était fissurée et quelque peu émoussée. - Ah oui, il me semble l’avoir aperçu, la réparation ne va pas être longue. - Dites-moi, ces katana sont étonnamment légers, compte tenu de leur taille, ils devraient être logiquement plus lourds, non ? - Et bien, les matériaux utilisés pour forger la lame d’un katana se développent au fil du temps et il est donc possible de faire des katana plus longs avec un poids quasiment similaire à ceux d’avant. - C’est intéressant, l’évolution des technologies et des méthodes... »
Le forgeron venait de réapparaitre de l’arrière-boutique, avec mon wakisashi dans son fourreau. Je ne pus m’empêcher d’admirer le travail, mon père ne m’avait pas menti, c’était un véritable travail de maître. À moins d’être au courant, il était difficile de savoir que cette arme avait été démantelée puis réassemblée avec une lame neuve. Exprimant ma gratitude envers l’artisan, je lui réglai mon dû avant de repartir à la maison. En sortant de la boutique, le soleil était presque couché, le vent était un peu plus fort, le climat, plus froid.
* … Combien de temps avais-je passé dans ce magasin ? *
[ Modération Eléa : Attention aux règles d'écriture différenciant les actions des dialogues ] (Edité : Ajout de la date pour mon repère chronologique et correction des petits défauts. ) |
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