Trois semaines. Trois semaines s'étaient écoulées depuis cette aventure glauque qu'avaient vécu Ocarenna et Méléane. Cela n'avait duré que quatre jours et pourtant ceux-ci furent riches en événements. Tout avait commencé par une série d'enlèvement et lorsque le voile fut levé sur une horrible réalité, l'enquête s'était finie dans un bain de sang. Quatorze personnes avaient été tuées au cours du dernier soir, quatorze vies prises sans aucune hésitation. Il le fallait, quelqu'un devait mettre fin à cette folie, le massacre de ces jeunes filles devait s'arrêter. La Louve l'avait fait, agissant au nom de la justice, convaincue d'agir de la bonne façon.
Tuer était désagréable la première fois, il demeurait une sensation de souillure après cet acte, comme si les choses n'auraient pas dû se terminer ainsi. Peut-être était-ce le fait que son premier meurtre fut celui d'un homme qui avait rendu cela plus doux. Elle ne savait pas mais ce dont elle était sûre, c'était qu'une forme d'accoutumance s'installait, tuer ne provoquait plus le même malaise. Certes, la lancière évitait de prendre des vies autant qu'elle le pouvait et ne le faisait que lorsque la situation l'exigeait. Elle n'était pas une meurtrière, tuer sans raison ne faisait pas partie de son comportement, et pourtant, c'est avec conviction qu'elle avait tué ces paysans. La rage au ventre, oui, mais il ne pouvait en être autrement. Idolâtrant un dieu oublié au point d'en perdre toute capacité de jugement, aveuglés par son prêtre, faisant couler le sang de leurs propres filles, ces villageois avaient été trop loin, seule la mort pouvait expier leurs péchés.

L'âme à jamais entachée de cette tuerie, Méléane ne regrettait toutefois pas son acte. Grâce aux deux femmes, le village était libéré de cette vague d'enlèvement et Nihade avait été sauvée, de même que toutes les futures victimes potentielles. Pour le village, ces événements resteraient à jamais un accident, un malencontreux incendie qui avait pris au piège et tué toutes les personnes présentes chez Ismail à ce moment-là. Le feu avait effacé les traces du massacre et de cette secte vouant un culte à Nereid. Seule la mort de l'herboriste leur était reprochée, suite à quoi elles s'étaient enfuies du village, incapables de prouver leur innocence. Il y avait deux jours que personne ne les avait vues quand le drame survint, nul ne pouvait soupçonner deux étrangères chassées depuis longtemps et probablement déjà loin de là , surtout quand le drame en question ressemblait à un accident. Personne ne suspectait leur massacre alors qu'on les accusait d'un autre meurtre dont elles n'étaient même pas responsables, Ironique n'est-ce pas ?

Nihade fut ramenée à Muria, endroit où, comme promis, elle serait en sécurité. La jeune fille s'était d'ailleurs montrée réticente à partir avec Méléane quand vint le moment de se dire au revoir. Nul doute qu'elle aurait préféré partir avec l'Astorg qui, elle, avait montré à la fois de l'empathie et de la compassion à son égard. La petite Almer s'était vue obligée de suivre la femme qui avait tué son père et son frère, quand bien même cela avait été fait pour la sauver.
Elle avait demandé à voir sa mère bien avant de pénétrer dans la forêt Amazone est c'est sur un air presque indifférent que la Chargée des Soumis lui annonça sa mort. La nouvelle fut sans doute la goutte qui fit déborder le vase : Nihade fut anéantie en l'apprenant. Elle avait été enlevée, droguée et sa famille elle-même projetait de la sacrifier. Elle en était ressortie libre, certes, mais elle n'avait plus ni famille ni foyer et elle était contrainte de suivre une meurtrière qui la mettait mal à l'aise. Néanmoins elle était en vie et selon la Louve, c'était là le principal.

Depuis, l'adolescente avait été placée à l'orphelinat où l'on prit soin d'elle tandis que Méléane reprit ses fonctions au sein de la Cité Amazone. Bien entendu, Nihade ne demanda pas une seule fois à la revoir, sans doute avait-elle trouvé compagnie plus agréable en présence des autres enfants de l'orphelinat. Au moins la Cydienne n'aurait-elle pas une gosse dans les pattes, ce n'était pas plus mal. Son avenir ne la concernait pas, son rôle n'était pas là. Tant qu'elle la savait en sécurité, cela lui suffisait.
Méléane avait entre temps lu les manuscrits que lui avait donné sa partenaire. Il s'agissait d'un vieux journal où quelqu'un avait couché sur papier l'histoire de Nereid et son culte. Les rites, les faveurs accordées par ce dieux, tout était inscrit dans ces pages. Il était dit qu'il s'agissait d'un dieu oublié et pourtant, de fervents adorateurs existaient toujours et le culte en lui-même était dangereux. Outre le fait que vénérer Nereid se faisait à l'aide de sacrifices humains, les bénéfices qu'en tiraient ses adeptes étaient... effrayants. Si la Louve en croyait ce qu'elle lisait, la divinité Almer influençait le hasard affectant ses fidèles et leur destin. Le tribut à payer était aussi énorme que les faveurs reçues et c'est justement parce qu'elles étaient puissantes que cela rendait le culte dangereux. Peu seraient prêts à assassiner des enfants mais une fois cela fait, ils commenceraient à s'enrichir ou à devenir puissants et ne s'arrêteraient donc plus.
Quand le journal se referma, sa décision était déjà prise quant à ce qu'elle allait faire. L'existence de Nereid ne devait pas être révélée au monde, il valait mieux que son culte reste secret. Aussi n'en parlerait-elle à personne, ces pages resteraient à jamais cachées au peuple. Néanmoins, la Vice-Capitaine demanda audience à la Reine afin de lui faire rapport des ces étranges événements et lui montrer les écrits trouvés sur place. Il ne servait à rien de lui cacher cette tuerie, Nihade viendrait de toute façon à parler un jour ou l'autre et la rumeur arriverait peut-être jusqu'aux oreilles de Philéa, les frasques d'une gradée ne passant jamais inaperçues. Puis, les rumeurs avaient une vilaine tendance à être déformées et amplifiées... Autant que l'on sache pour toutes les vies qu'elle venait de prendre, elle avait après tout agi comme il le fallait. Si les plus pacifiques ne seraient pas d'accord avec cela, certaines Amazones approuveraient ses actes mais au final, peu importait, elle se fichait royalement d'être mal vue.

La voici donc trois semaines plus tard, en selle sur sa monture. Elle avait tout préparé afin que son absence ne soit pas bouleversante : Myriam n'aurait pas besoin d'aide mais Lana aurait quelques difficultés à s'occuper de tout à elle seule, aussi la Louve lui avait-elle mâché le travail en s'occupant de tout la paperasse du moment. Elle conseilla quand même de laisser les affaires « de second rang » sur le côté afin de pouvoir s'occuper de l'essentiel. Ce serait une bonne expérience si elle envisageait de reprendre le poste de Chargée des Soumis quand Méléane prendrait sa retraite – ou serait remerciée, qui sait. Il lui faudrait du temps pour apprendre la Maho, beaucoup de temps et assurément n'en aurait-elle pas assez pour recevoir un enseignement poussé. Enfin, le simple apprentissage des bases lui suffisait amplement, elle pourrait ensuite se perfectionner seule de son côté, il lui fallait juste savoir comme s'y prendre pour pouvoir tirer quelque chose du sang.
Elle entra à Tamawa et une fois Kalane laissée aux écuries, la brune se dirigea vers l'Auberge de l'Or Bleu. Le rendez-vous avec Ocarenna était fixé là-bas, dans cet endroit connu de tous afin qu'elles puissent se retrouver facilement. Après, pour les besoins de l'apprentissage, elles se déplaceraient sans doute vers l'est, où les nombreux bois environnants leur offriraient tout le loisir de se livrer à cette magie taboue.

Armée comme à son habitude, Méléane pénétra dans bâtiment en début de soirée, heure à laquelle la grande salle commençait à se remplir doucement. Elle jeta un regard alentour afin de repérer l'Astorg mais elle ne trouva que des visages inconnus ou quelquefois, des ivrognes déjà croisés lors d'une précédente halte dans cette auberge – la lancière passait à chaque fois une nuit ici quand elle devait se rendre à Tamawa. L'aubergiste lui aussi la reconnut, en témoigne le signe de tête qu'il lui adressa en guise de salutation. Enfin, ce n'était pas comme s'ils avaient déjà discuté tous les deux, l'homme ne connaissait même pas son prénom.

« Une chambre pour la nuit ainsi que le dîner » dit-elle une fois arrivée au comptoir.

Elle ne l'avait pas salué ni plus qu'elle n'avait fait preuve de quelque autre marque de politesse, elle n'avait pas changé. Si sa façon de parler avait pu choquer l'aubergiste, il avait fini par s'y habituer avec le temps.

« Je cherche une femme qui devrait loger ici. Cheveux roses, un tas de breloques inutiles, vous ne pouvez pas l'avoir manquée »

L'homme plissa les yeux, un peu suspicieux quant à ce que pouvait bien vouloir Méléane à cette demoiselle. À coup sûr, il ne donnerait pas d'informations sur ses clients à la première venue, quand bien même elle venait depuis plusieurs années ici.

« Je ne suis pas sûr... »

La Vice-Capitaine soupira, excédée, avant de décrocher la bourse de sa ceinture et d'en sortir une pièce qu'elle lança à l'aubergiste. Si l'argent était tout ce qu'il lui fallait pour parler, ce n'était pas un problème pour elle. Bien des hommes étaient cupides, celui-ci n'y faisait pas exception.

« Elle est sortie ce matin mais elle a encore loué sa chambre pour cette nuit » répondit-il, « Vous n'êtes pas là pour causer des problèmes, j'espère ? »

« C'est une amie que je devais retrouver ici, voilà tout »

L'aubergiste parut rassuré, comme son visage s'éclaira de soulagement. Il était vrai que la Cydienne s'était battu plus d'une fois avec un pochard un peu trop insistant. Des chaises avaient été cassées, des tables renversées, ... cela arrivait rarement mais l'auberge finissait parfois en désordre complet. Sans attendre davantage, elle se trouva une petite table tranquille dans un coin de la pièce, là où il n'y avait personne. Une fois sa lance déposée contre le mur, elle prit la peine de s'asseoir. Une serveuse lui apporta le repas ainsi qu'un pichet de vin et elle put commencer à se restaurer.
La Soldate ignorait combien de temps elle allait devoir attendre mademoiselle l'Originale, aussi prit-elle son mal en patience jusqu'à ce qu'elle revienne à l'auberge.

La porte s'ouvrit au moment où la brune prenait une grosse bouchée de rôti. Ocarenna fit son entrée et, à la regarder de haut en bas, elle n'avait pas changé d'un poil depuis la dernière fois. Elle avait toujours cette teinture et ces accessoires improbables qui faisaient d'elle la première personne à être remarquée quand elle arrivait quelque part. Pratique pour celui désirant rester au centre de l'attention, autrement Méléane ne voyait pas l'utilité de se faire ainsi remarquer. D'ailleurs elle se demanda si cela n'avait pas déjà valu quelques problèmes à l'Astorg. Enfin, peu importait au final car peu importe ses étranges goûts, retrouver l'Astorg n'était pas désagréable à ses yeux. Elle et Méléane avaient vécu bien des aventures il y a de cela trois semaines, guère joyeuses, certes, mais riches en émotions.
Au début, elle n'appréciait pas beaucoup la demoiselle. Non pas pour ses origines – la Vice-Capitaine avait depuis longtemps surmonté ses préjugés sur les Astorgs, dus à son éducation – mais plutôt pour sa façon de se comporter : elle prenait un malin plaisir à envoyer lui envoyer des piques et, venant d'une étrangère, cela ne lui plaisait pas. Au bout du compte, Ocarenna ne s'était pas révélée aussi insupportable que prévue et sa compagnie n'était pas désagréable. La brune s'était même surprise à être contente de la revoir après trois semaines. Comme quoi, les épreuves traversées avaient dû les rapprocher d'une façon ou d'une autre. Ainsi s'entendaient-elles plutôt bien et même si leurs discussions restaient rares, Méléane avait eu suffisamment confiance en elle pour lui demander de lui enseigner la Maho. Enfin, cela avait davantage ressemblé à un ordre qu'à une requête mais c'en était bien une. Elle avait une estime suffisamment haute de l'Astorg pour la laisser lui inculquer les bases de cet art complexe qu'était la magie du sang.
Elle laissa la jeune femme s'asseoir face à elle et lui offrit quelque chose qui devait ressembler à un sourire en guise de salutation, la bouche encore pleine. La Chargée des Soumis prit d'abord la peine d'avaler sa bouchée de pommes de terre et de boire une gorgée de vin avant de lui répondre :

« Notre dernière aventure, ça c'était des vacances ! Ces trois dernières semaines, j'ai plutôt retrouvé la routine quotidienne »

À vrai dire, la brune avait regagné Muria dans l'intention de reprendre le travail car son absence avait été plus longue que prévue. Les affaires qu'elle avait eu à régler pour sa Cité ne devaient pas lui prendre très longtemps mais elle n'avait pu deviner que sa route croiserait celle des adorateurs de Nereid. Son retour parmi les Amazones fut tardif mais aucune sanction ne tomba car elle avait une bonne raison à son retard, il ne s'agissait pas de sa volonté.
Ainsi, durant les trois semaines qui suivirent son retour, Méléane reprit ses fonction de Chargée des Soumis et de Vice-Capitaine. Partagée entre la paperasse, la gestion des mâles et dans une moindre mesure celle des Louves, elle n'avait guère eut beaucoup de temps libre. Les rares occasions qu'elle avait pour se faire plaisir étaient souvent utilisées pour s'entraîner comme une acharnée au maniement de la framée et de la rapière et, plus rarement, elle décompressait en buvant un verre au Bar Bu ou en passant un moment avec Ceana. Celle-ci l'attendait d'ailleurs quelque part à l'extérieur de la ville, ayant décidé de suivre sa maîtresse. L'animal savait toutefois que Muria mis à part, il ne pouvait pas s'approcher des autres cités sous peine d'être tiré à vue. Enfin, la Soldate ne s'en faisait pas trop pour elle, ce n'était pas la première fois qu'elle la suivait dans un de ses petit voyage et la bête était suffisamment bien dressée pour s'en tenir aux ordres de Méléane.

« En ville, les murs ont des oreilles. Attendons demain, lorsque nous quitterons la ville, avant de discuter des détails »

Il serait fort regrettable qu'un client de l'auberge ou que quelque autre oreille indiscrète entende quelque chose en rapport avec la Maho. Si mentionner cet art ne choquait aucune des deux femmes, il n'en était pas de même pour la majorité de la populace. Beaucoup seraient scandaliser à la simple mention de cette magie. Parler de Maho était comme parler d'Azael, mieux valait que personne ne l'entende. C'est pour cela que Méléane préférait attendre le lendemain avant d'aborder le sujet de la raison de leur rencontre.
La Louve interpella alors la serveuse qui passait à côté de la table après avoir servi un autre client, lui demandant d'apporter un verre et de remplir le pichet afin qu'Ocarenna aussi puisse se désaltérer. La jeune femme s'exécuta rapidement et lui apporta ce qu'elle avait commandé. La lancière servi d'abord Ocarenna puis rempli son propre verre, vidé entre temps, avant de le porter à ses lèvres.

« Je ne peux malheureusement pas m'absenter longtemps » poursuivit-elle, « Je dispose de deux semaines, que peux-tu faire sur cette courte période ? »

Elle aurait aimé obtenir une permission plus longue afin d'approfondir son apprentissage mais ce ne fut pas le cas, bien qu'elle soit contente de s'être vue accorder la permission en question. Elle avait des devoirs et des responsabilités à endosser dans la Cité Amazone, il était évident qu'elle ne pouvait pas quitter la ville pour de longues périodes.
Ocarenna lui avait un peu parlé de la Maho mais rien ne lui disait qu'en seulement quinze jours, les bases pouvaient lui être inculquées. Elle l'espérait, certes, mais la magie du sang était un art complexe et probablement difficile à apprendre, aussi n'était-elle pas sûre de ce qui serait possible ou non. Bien sûr, ses propres capacités seraient un facteur important dans ses progrès au terme des deux semaines mais sur ce point-là, elle ne se faisait pas le moindre soucis. Méléane se savait parfaitement capable d'y arriver en des temps records, l'échec n'était même pas une éventualité.

[Je ne sais pas si je te laisse vraiment matière à répondre... N'hésite pas à me dire si cela te bloque ! Je corrige en rentrant ce midi =)]

Qu'elle dispose d'à peine deux semaines pour se consacrer à l'apprentissage de la Maho était regrettable, elle-même aurait souhaité plus mais le fait était que Méléane avait des responsabilités à assumer. L'Astorg devrait s'arranger avec cela. Malgré tout, elle lui avait posé la question afin de savoir de façon concrète ce qu'il était possible de faire en une petite quinzaine de jours. Ocarenna se pencha par-dessus la table afin que les mots sortants de sa bouche ne tombent que dans l'oreille de la Soldate, il aurait été dommage que quelqu'un entende ce qui allait se dire...
Méléane écouta alors attentivement ce que son interlocutrice avait à lui dire, hochant la tête de temps à autre afin de marquer son assentiment. Elle fut globalement satisfaite des réponses de la jeune femme. Ainsi, elle pourraient survoler la partie théorique assez rapidement pour se concentrer sur la pratique. Tant mieux, pensa la lancière, car elle préférait de loin apprendre directement sur le terrain plutôt que d'être ensevelie sous une montagne d'explications. Apprendre les bases lui suffisait, à vrai dire : si elle pouvait acquérir des bases relativement solides au cours des deux prochaines semaines, la Louve pourrait par la suite s'exercer et se perfectionner seule dans son coin, à Muria.Certes, cacher les marques laissées sur sa peau par la Maho serait difficile mais elle avait dejà sa petite idée pour remédier au problèmes. En effet, elle était prête à abîmer autant qu'il le faudrait son corps parfait, comme l'avait qualifié l'Astorg.
La question du cobaye la dérangeait un peu plus cependant, Ocarenna venant de lui dire qu'il leur serait nécessaire de s'entraîner sur de petits animaux et non sur des humains. Non pas qu'elle aurait préféré se servir d'hommes et de femmes comme sujets d'expérience, mais elle désirait ne pas tuer la faune présente dans ces bois dans le but de maîtriser cette magie interdite. Diane, déesse de la forêt et de la nuit, ne le lui pardonnerait pas. Méléane ne souhaitait pas décevoir la divinité Amazone – la seule qu'elle priait. Aussi préférait-elle ne pas tuer les animaux peuplant la forêt, quitte à devoir s'en tenir aux sorts de sang rudimentaires et à n'étudier les plus dangereux que sous leurs aspects théoriques. Elle se savait capable d'apprendre à les maîtriser seule par la suite.

La Vice-Capitaine n'eut toutefois pas le temps de faire part de son point de vue à celle qui serait désormais son professeur : prête à parler, elle sursauta au moment où un verre vint frapper Ocarenna en plein visage. Surprise, elle fit immédiatement volte-face, cherchant celui qui avait osé lancer ça dans la direction d'où provenait l'objet. Son regard se posa sur un homme quelques mètres plus loin. La trentaine, vraisemblablement Cydien, il dévisageait l'Astorg, une lueur de colère dans ses yeux rendus vitreux par l'alcool. Avait-il entendu quelque chose ? Impossible, il était trop loin de leur table pour cela... Alors quoi ?

Sans qu'elle ne s'en soit rendu compte, Méléane était déjà debout, prête à bondir sur l'homme quand il commença à parler. Le pourquoi de son geste fut compris dès sa première phrase. Il fallait croire que des Cydiens étroits d'esprit existaient partout, même à Tamawa, où toutes les ethnies se mélangeaient. La Chargée des Soumis se sentant davantage Amazone que Cydienne, elle ne se gênait pas pour dire ce qu'elle pensait de sa cité natale. Cette haine raciale que l'on inculquait aux enfants dès leur plus jeune âge avait tendance à l'énerver, d'autant plus quand ce comportement raciste s'exprimait de la sorte. Elle se fichait à la limite que Cydiens et Astorgs ne s'aiment pas mais là, l'homme avait dépassé les bornes.

« Laisse-la et viens plutôt avec moi, ma belle, je vais te montrer ce qu'est une agréable compagnie » poursuivit-il enfin.

Il n'était guère compliqué de deviner ce à quoi l'homme pensait en lui promettant une agréable compagnie. Tous les mêmes, pensa-t-elle, à croire qu'ils pensaient avec leur entrejambe. Déjà qu'il les avait interrompues de manière plutôt violente, voilà qu'à présent il se permettait de faire des allusions vaseuses... Il était temps que quelqu'un le remette à sa place.
La Louve commença alors à avancer dans sa direction tandis que l'homme paradait devant les gens qui l'avaient accompagné ce soir, fier comme un paon d'avoir pu attirer une donzelle. Malgré qu'elle était remplie de colère à l'égard de ce porc et de son comportement, Méléane demeura impassible, mis à part un sourire en coin qui vint se dessiner sur son visage quand elle passa à l'acte : laissant traîner sa main sur une table, elle put se saisir d'un lourd cendrier avec lequel elle le frappa à la tempe. Il s'écroula instantanément, sonné mais encore conscient.

« Si elle mérite de coups pour son accoutrement, tu en mérites juste parce que ta tête ne me revient pas »

Elle finit sa phrase en lui écrasant ses attributs masculins d'un coup de botte bien senti. Le corps du Cydien se contracta de douleur, un gémissement s'échappant même de ses lèvres. Peut-être que cela lui apprendrait à se tenir à l'avenir, même si elle en doutait fortement elle-même. Enfin, il y réfléchirait sans doute à deux fois avant d'agir comme il venait de le faire.
Le problème était que de nombreuses paires d'yeux étaient tournés vers eux depuis tout à l'heure, quand il avait lancé son verre à la tête de l'Astorg, et voir cette escalade de violence en avait échauffé plus d'un. Il suffisait parfois d'un peu d'alcool pour rendre agressif ou, comme dans le cas de Méléane, à rendre si peu diplomate qu'elle allait rendre coup pour coup ce soir. Certes, ça ne changeait pas beaucoup de d'habitude mais bon... Heureusement, la plupart restèrent spectateurs, seuls les deux amis accompagnant le Cydiens s'étaient à leur tout levé, visiblement mécontents. Tous savaient comment allait finir la scène mais tous les autres clients se contentèrent de regarder, sauf l'aubergiste qui appelait au calme et à la raison, sans grand succès...
La Soldate lança un regard à sa partenaire, l'invitant d'un signe de tête à se joindre aux festivités. Une fois le compte de ceux-là réglé, il faudrait penser à quitter l'endroit car il ne faisait aucun doute que le propriétaire de l'établissement les mettrait dehors. Enfin, pour l'instant, ce n'était guère plus qu'un détail aux yeux de la Louve.

Méléane venait d'inviter l'Astorg à participer elle à la rejoindre afin d'infliger une correction aux deux hommes restants mais elle ne semblait pas l'entendre de cette oreille. À la place, elle voulut jouer la carte de la diplomatie en tentant de calmer le jeu, ce qui soulagea l'aubergiste un court instant. La Louve n'avait pour sa part pas une seule seconde envisagé la négociation, comme si quelque chose pouvait être réglé sans violence avec des hommes pareils. Ocarenna était pourtant la victime dans cette histoire, c'est elle qui devrait pourtant leur en vouloir le plus ! Qu'elle en profite pour leur mettre une rouste plutôt que d'essayer de les calmer.
De toute façon, la tentative de la jeune femme fut vouée à l'échec. Le premier homme se jeta sur elle dans l'intention de la frapper. Rapidement maîtrisé par son adversaire, il se retrouva bien vite allongé par terre à tenir son bras cassé, pleurant comme un enfant. Une dernière remarque de sa part et l'Astorg lui envoya un coup de pied en plein visage, suffisamment fort pour l’assommer. Elle venait de se débarrasser du plus costaud des deux, le dernier, celui qui actuellement fonçait vers Méléane, était de carrure moins conséquente. Elle me mit hors d'état de nuire assez vite : il était tellement ivre qu'un coup de poing d'abord dans la mâchoire puis dans le ventre et un croche-pied suffirent à l'étaler . Il était toujours conscient, mais vraisemblablement trop saoul pour se relever ou même tout simplement réagir. Une épave, pensa la brune, il n'était plus qu'un déchet.

Les deux femmes se regardèrent, convenant silencieusement qu'il valait mieux quitter l'auberge. Étant donné l'agitation qu'il y avait parmi les autres clients, il n'était pas impossible que l'un deux, ayant bu plus que de raison, se décide à jouer les gros bras. La Louve ne doutait pas que le propriétaire lui interdirait tout simplement l'accès à son établissement si elle venait encore à mettre l'auberge sens dessus dessous. Vu l'air mécontent qu'il affichait maintenant, il était envisageable qu'il les mette dehors dès les secondes qui suivraient.
Le temps qu'Ocarenna s'excuse auprès de l'aubergiste, la Soldate avec récupéré sa lance et son sac avant de se diriger vers la sortie. C'était amusant combien le fait de croiser le regard des gens avec une arme si imposante en min effaçait le sourire de leur visage. Au moins seraient-elles sûres qu'aucun n'essayerait de se prendre à nouveau à elles, même si dans l'absolu elle se savait capable de se défendre.

Sans doute était-il préférable de se rendre directement dans les bois plutôt que de chercher des chambres dans d'autres auberges, même si la Vice-Capitaine n'aurait pas craché sur un lit pour cette nuit. Ainsi, leur cheval respectif récupéré aux écuries, Méléane suivit sa partenaire qui avait d'après ses dires déjà trouvé l'endroit idéal où passer les deux prochaines semaines. Le bosquet en question n'était pas aussi loin de la ville que ne l'aurait imaginé la lancière mais suffisamment à l'écart des route pour que personne n'y passe. Dans le pire des cas, ce n'était pas dramatique si elles venaient à croiser quelqu'un, il passerait son chemin et puis voilà.
Elles s'arrêtèrent dans une petite clairière où le tapis d'herbes sèches leur ferait un matelas à peu près confortable. Pas aussi bien qu'un lit mais cela vaudrait tout de même mieux que de dormir sur des galets. Tandis que l'Astorg s'affairait à allumer un feu, la Chargée des Soumis fit le tour du campement afin de repérer les lieux à la lueur des étoiles. L'endroit était parfait, en effet, outre un cours d'eau qui leur permettrait de s'abreuver et de se laver, il y avait aussi une pâture suffisante pour deux équidés.
Elle revint ensuite près du feu qui, entre temps, avait pris et s'y assit. Profitant de la chaleur des flammes, elle haussa les épaules quand Ocarenna lui dit que le lit de l'auberge allait lui manquer.

« Qu'on vienne ici aujourd'hui ou demain, c'est du pareil au même »

Elle s'allongea alors et les deux femmes demeurèrent muettes quelques minutes durant. Ni l'une ni l'autre n'était vraiment bavarde et des silences comme celui-ci, que certains trouveraient gênant, s'installaient souvent entre elles. Non pas que Méléane ne veuille pas lui parler, juste qu'elle ne trouvait pas cela utile de parler de la pluie et du beau temps ou de commérer.
Ce fut Ocarenna qui brisa le mutisme, tentant apparemment de détendre l'atmosphère. Si ce qu'elle dit surprit la Cydienne les premières secondes, elle retrouva bien vite son calme : elle ne l'avait jamais dit mais il était évident pour qui avait passé un minimum de temps en sa compagnie qu'elle ne venait pas de Cydonia. Elle était bien trop tolérante envers les Astorgs pour cela. Ceci dit, elle fut tout de même étonnée qu'Ocarenna mette le doigt sur la vérité du premier coup.

« Je ne l'ai jamais caché » répondit-elle, « Les hommes sont détestables à juste titre, ce qui s'est passé ce soir n'est qu'un exemple parmi tant d'autre de leur animalité »

Elle n'avait pas rejoint sa partenaire dans son euphorie, comme elle avait parlé le plus sérieusement du monde. Elle ne supportait pas les hommes, peut-être était-ce cela qui l'avait trahie auprès de l'Astorg au cours des plusieurs jours passés ensemble. Il fallait dire que quand bien même elle se forcerait, elle doutait pouvoir cacher son aversion envers les mâles.

« Pour ma part, je m'ennuierais à mourir dans ta cité. Muria est la ville dont j'ai toujours rêvé, je n'ai pas l'intention d'en changer un jour »

Quitter les Amazones n'était même pas une idée envisageable. Elle aimait Muria et mourrait en la servant elle, sa Reine et son peuple. Méléane était une patriote jusqu'à la moelle et rien ne la ferait jamais changer. La Cité Cachée avait été un abri pour elle et Sélène, un refuge où elle put panser les plaies laissées par des mois de violences en tout genre. Muria l'avait arraché à la vie détestable qu'elle menait auparavant et pour cela, elle lui en serait à jamais reconnaissante.

« Détestes-tu Storghein à ce point, pour vouloir une ville à toi seule ? »

Elle avait posé la question sur un ton parfaitement égal, comme si elle se fichait de la réponse. Pourtant, elle aurait simplement pu se taire et garder le silence, preuve qu'au fond, elle se souciait quand même de ce qu'Ocarenna allait lui dire. Du point de vue de la Louve, il n'était pas impossible qu'elle ait dû quitter la capitale Astorg et une des raison pouvait en être la Maho. Enfin, elle ne connaissait rien de sa vie et l'avis de la brune était davantage une supposition qu'une conviction. Puis, elle avait beau être Astog, elle ne venait pas forcément de Storghein pour autant.

« Bref, maintenant que nous sommes seules, et si tu me donnais tous les détails ? »

La Louve écouta patiemment les réponses apportées par Ocarenna. Elle lui parla brièvement de sa vie à Storghein et, selon toute vraisemblance, d'un être à qui elle était attaché là-bas et qu'elle avait fui. Puis, elle lui fit l'éloge de la gent masculine, malgré leurs nombreux défauts. Cela eut pour effet d'agacer un petit peu la brune, qui ne comprenait pas ce qu'on pouvait leur trouver, sinon des muscles pour travailler. C'était bien à ça qu'ils servaient à Muria, après tout. Cependant, Méléane ne répondit pas : à quoi bon ? Un enfant ne croira pas que le feu est chaud tant qu'il ne s'y sera pas brûlé, c'en était de même avec les hommes, encore que la Soldate était étonnée qu'elle n'ait pas encore compris le message : à coup sûr, des incidents comme celui de ce soir avaient dû arriver plusieurs fois et y avait-il plus prompt à la bagarre qu'un homme ivre ? C'étaient des nuisibles mais, ô douce ironie, un mâle était indispensable pour qui souhaitait avoir une descendance. Les autres femmes pouvaient faire ce qu'elles voulaient mais pour sa part, Méléane avait autre chose à faire que de s'encombrer d'un gosse et plus simplement, l'idée d'avoir de nouveau des relations intimes avec un homme la dégoûtait. Elle avait autrefois aimé un homme, un enfant naquit même de cette union et pourtant, quand elle voyait où cela l'avait mené, à quel point elle avait touché le fond, cela l'emplissait de rage. Gillain avait détruit le peu de stabilité qu'il y avait dans sa vie, en plus d'avoir trahi la confiance que lui portait la brune. De temps en temps, il lui arrivait de se demander ce qu'il était devenu depuis près de quinze ans mais peut-être qu'au fond, elle craignait d'avoir à le rencontrer de nouveau, tout comme son père, quand bien même elle ne l'avouerait jamais. Quelle sorte d'ivrogne était devenu Gillain Damodred ? S'en était-il seulement voulu pour avoir agi de la sorte ou bien avait-il recommencé avec une autre femme ? Et son propre père, que pensait-il d'avoir vu ses deux filles fuguer ? Regrettait-il ses actes ou seul le prestige de la famille de Cannelay avait de l'importance à ses yeux ? La seule personne de son « ancienne vie » qu'elle voulait bien revoir était Tazia, sa nourrice et seul soutien durant ces difficultés.

Méléane sortit de ses pensées au moment au moment où son interlocutrice mentionna un certain Jaered, sans doute la personne laissée derrière elle en question. Ainsi donc elle aimait les hommes, comme elle venait de le dire... Il était vrai que la lancière ne s'était jamais demandé si Ocarenna avait une attirance pour les hommes ou si, comme elle, elle préférait les plaisirs saphiques.
Bref, ne souhaitant pas discuter davantage des mâles, elle changea complètement de sujet pour en revenir sur la raison même de leur rencontre aujourd'hui, l'apprentissage de la Maho. Elle souhaitait entendre tous les détails, maintenant qu'une oreille indiscrète ne risquait plus de les surprendre. L'Astorg lui expliqua clairement la façon dont elle allait procéder et le programme lui plut. En effet, à l'instar d'Ocarenna, la brune préférait de loin la pratique à la théorie.

« Cela me va » répondit-elle enfin, « Au risque de me répéter, l'essentiel est que tu m'enseignes les bases afin que je puisse poursuivre seule quand nous nous quitterons »

Elle avait confiance en ses facultés d'apprentissage mais Méléane était bien consciente qu'elle ne pourrait jamais assimiler la Maho en deux petites semaines. Personne n'en était capable, pas même quelqu'un avec des affinités toutes particulières aux différentes formes de magie. Aussi, ce que lui avait exposé l'Astorg lui convenait parfaitement. Elle avait surtout besoin d'apprendre les bases, rien de plus. La malédiction, le rajeunissement et tout le reste ne lui serviraient que peu voire pas du tout, elle avait tout le temps pour expérimenter cela par ses propres moyens. Les sortilèges élémentaires lui paraissaient bien plus importants à apprendre dans un premier temps.

« Je me charcuterai autant qu'il le faudra, mes blessures guériront sans laisser de traces. Il serait d'ailleurs plus facile pour toi d'utiliser mon sang, cela éviterait que tu finisses dans le même état que la dernière fois, d'autant que cela permettrait de ne pas laisser plus de cicatrices explicites que tu n'en as déjà »

Le ton était neutre. Ce n'était pas un reproche ni une remarque déplacée, juste une proposition. La lancière était prête à donner autant de sang que nécessaire si cela permettait de faire avancer les choses plus vite – dans les limites du raisonnable, bien sûr. La Soldate n'avait pas besoin d'un professeur à moitié mort et hors-circuit pendant plus d'une journée. S'il le fallait, elle laisserait Ocarenna lui entailler la peau pour lui montrer l'exemple, elle avait en effet le petit avantage d'être dans les bonnes grâces de sa déesse et elle pouvait bénéficier de faveurs non négligeables, comme pouvoir soigner ses blessures sans laisser de cicatrices une fois la nuit tombée. Cela lui serait utile pour cacher sa nature de magicienne de sang à l'avenir et elle le savait, sans quoi elle n'aurait pas proposé cette alternative à la jeune femme.

Ocarenna s'approcha encore d'elle. Depuis tout à l'heure, elle ne cessait de réduire la distance entre elles deux et si la Louve ne l'avait pas remarqué de suite, elle s'aperçut que l'Astorg était à présent très proche d'elle. Intriguée par le question venant de lui être posée, Méléane se releva sur les coudes et planta son regard dans celui de son interlocutrice, curieuse de savoir pourquoi elle lui demandait ça seulement maintenant.

« Ma décision n'était pas prise à la légère, sans quoi je n'aurais pas pris la peine de te rejoindre à Tamawa. J'avais déjà fait mon choix quand je t'ai demandé de m'enseigner tout cela. J'ai mesuré les risques et je sais comment je vais cacher cela » lui répondit-elle tout simplement.

Elle n'avait pas besoin de s'inquiéter à propos de toutes ces choses là. La Cydienne n'était pas du genre à prendre des décisions selon ses caprices, même si elle se montrait quelquefois particulièrement butée. Cacher la Maho ne serait pas difficile à ses yeux : il lui suffirait juste de ne pas en faire usage en pleine ville ou en tout cas, comme l'avait souligné Ocarenna, à ne pas utiliser de sortilèges trop puissants. De toute façon, elle ne comptait l'utiliser ni sur les Amazones – loin d'elle cette idée – ni sur les Soumis, quand bien même certains le mériteraient.

Méléane s'étira longuement, envisageant l'idée d'aller dormir. Il valait mieux ne pas trop tarder si elle tenait à commencer tôt et à être en pleine forme le lendemain. Les deux prochaines semaines seraient sans aucun doute épuisantes, il fallait qu'elle garde ses forces. Ainsi, elle se redressa complètement et se déplaça jusqu'à être assise en tailleurà côté de sa partenaire. Elle avait une dernière chose à lui dire avant de s'enrouler dans ses couvertures.

« Au fait, j'ignore qui est ce Jaered et quelle est ta relation avec lui mais il se trouve que nous allons passer pas mal de temps ensemble » commença-t-elle, sa main remontant sans beaucoup de retenue le long du côté puis la poitrine de la demoiselle jusqu'à s'arrêter à la base du cou qu'elle touchait du bout des doigts, « Il ne tient qu'à toi de rendre ces deux prochaines semaines plus agréables, histoire d'égayer nos soirées tout en prenant du bon temps »

La proposition fut faite avec peu de tact mais cela avait-il quelque chose d'étonnant quand on connaissait la Louve ? Certes, on avait vu mieux mais c'était toujours préférable à d'autres façon dont elle aurait pu procéder... Lui offrant un sourire entendu, ses doigts recommencèrent à bouger jusqu'à se se placer sous la minerve de l'Astorg. De là, elle amena Ocarenna à se pencher vers elle d'un simple mouvement du bras pour ensuite s'emparer de ses lèvres. C'est qu'elle ne se gênait pas, l'Amazone...

Elle passa ses doigts entre ceux de Méléane et la guida vers sa ceinture. L'accord tacite était passé. Ce soir, elles iraient jusqu'au bout, même si la Louve en avait décidé ainsi dès le moment où sa partenaire avait prolongé le baiser. Par ce geste, Ocarenna marquait son accord pour découvrir un nouvel aspect de sa sexualité et la brune lui servirait de guide afin de la diriger dans l'inconnu – et elle adorait ça. Si elle aimait à retrouver une vieille amante qui pourrait la satisfaire pleinement, elle appréciait aussi initier les plus jeunes aux plaisirs saphiques ; découvrir un nouveau corps était agréable aussi...
La ceinture fut desserrée et, après lui avoir ôté ses bottes au préalable, la lancière la délesta de son pantalon. Ses mains effleurèrent d'abord les mollets de la jeune femme, puis ses cuisses musclées auxquelles elle accorda des caresses bien plus pleines. Elle ne prit même pas la peine d'éveiller le désir de l'Astorg en frôlant sa fleur à travers le sous-vêtement. À la place, elle passa deux doigts dans l'élastique de celui-ci et le fit glisser le long des jambes de sa partenaire pour afin de l'en débarrasser. Elle était nue à présent, plus rien ne la préservait du toucher de Méléane. Son corps entier était à disposition et elle voulait en profiter au plus vite. Seulement, elle n'eut même pas le temps d'aller explorer son intimité qu'Ocarenna s'empara de nouveau de ses lèvres et la renversa sur le côté. Elle qui était restée plutôt passive ces dernières minutes, la voilà qui se réveillait et voulait mener la danse. La Vice-Capitaine appréciait l'initiative puisqu'elle s'était plutôt attendue à dominer les ébats de ce soir pour que l'Astorg apprenne comment s'y prendre avec une autre femme pour que plus tard, elle puisse elle aussi reproduire ces gestes. Néanmoins, si elle souhaitait découvrir le corps d'une de ses semblable par elle-même, Méléane n'allait pas l'en empêcher, au contraire. Qui sait, peut-être cela réservait-il d'agréables surprises.

La demoiselle entreprit à son tour le déshabillage de sa partenaire qui n'avait même pas délacé une seule botte depuis tout à l'heure. Ne portant qu'une tunique et un sous-vêtement bien moins complexe à enlever qu'un corset, elle ne tarda pas à se retrouver aussi peu vêtue que l'Astorg. Malgré la présence du feu, l'air demeurait frais et cela incitait la Chargée des Soumis à maintenir le contact entre leur corps, à coller sa peau à la sienne pour bénéficier de sa chaleur, bien que les baisers ardents échangés de multiples fois ainsi que le désir brûlant en elle suffisaient à la réchauffer.
Elle sentit les mains et la langue d'Ocarenna parcourir son corps, comme elle l'explorait avec une curiosité toute particulière. Méléane ne s'opposait pas à ses baisers, elle y répondait même avec entrain, tantôt l'embrassant dans le cou, tantôt lui mordillant le lobe de l'oreille. Puis, l'Astorg entama la descente le long de sa poitrine et ensuite de son ventre jusqu'à se loger entre ses cuisses où elle frôla sa féminité du bout des lèvres. Sa réaction ne fit pas attendre : elle passa ses doigts dans l'épaisse chevelure de la demoiselle afin de l'inviter à aller plus loin, veillant toutefois à ne pas lui faire mal en accrochant l'une des breloque inutile qu'elle aimait à y attacher. Les doigts de la Louve se resserrèrent quand sa partenaire aventura sa langue, faisant monter progressivement le plaisir en elle, comme en témoignait sa respiration qui peu à peu se faisait plus forte.
Méléane retint un gémissement quand elle sentit un doigt se faire plus aventureux tandis que, grisée par la situation, elle enfonça ses ongles dans les épaules de l'Astorg sans même s'en rendre compte, laissant une empreinte sur sa peau blanche. Plus les minutes passaient et mieux elle se sentait, elle aurait d'ailleurs laissé Ocarenna découvrir et explorer son corps un peu plus longtemps si elle n'avait pas ressenti le désir de sa partenaire d'échanger leur place. Elle aussi voulait profiter de ce moment et c'était là un souhait tout à fait légitime, la Louve serait aussi frustrée si elle donnait sans rien recevoir en retour.

Elle l'attrapa par le poignet et l'amena à remonter sur elle, liant une nouvelle fois leur langue quand ses lèvres furent à portée, avant de la faire basculer sur le dos. Dans une position dominante, la Soldate recommença là où elle avait été interrompue auparavant. Elle prit place entre ses cuisses et alla cueillir sa fleur avec sa langue, faisant preuve de plus de vigueur que ne l'avait fait sa partenaire. Le bouton rosé semblait prêt à accueillir chaque caresses, chaque baisers de sa part et la lancière ne s'en privait pas le moins du monde. Au contraire, elle aimait à voir les réactions d'Ocarenna à mesure qu'elle la satisfaisait, c'était terriblement plaisant à voir.
Elle remonta néanmoins, embrassant son ventre avant de remonter jusqu'à son buste et son visage. Tandis que sa bouche embrassait de multiples fois la peau de sa partenaire, une main alla se poser sur sa jambe, dessinant de petits ronds tout en s'approchant de la fleur convoitée. Si elle avait eu droit à son majeur, Méléane y ajouta l'index. Les réponses du corps de l'Astorg l'incitaient à continuer davantage.
Pour finir, les deux amantes d'un soir se déplacèrent, même si la Soldate guidait l'autre demoiselle, encore inexpérimentée aux relations saphiques, jusqu'à ce que la Vice-Capitaine prenne son bassin en ciseaux. Elle se colla ainsi à Ocarenna et recommença à la caresser un peu partout, privilégiant le dos afin de pouvoir rester aussi physiquement proche que possible. Leur langue se remirent à danser une valse endiablée alors qu'elle provoquait le contact entre leur intimité respective par de voluptueux mouvements du bassin.

Un dernier souffle, une ultime exaltation vint conclure cet échange passionné avant qu'elles ne retrouvent une positon plus conventionnelle. Allongées l'une contre l'autre, Méléane effleura de nouveau sa peau et lui offrit même un dernier baiser langoureux, avec bien plus de tendresse maintenant que ses désirs avaient été comblés. À la lueur des flammes, la Louve finit par se rendre compte des griffures qu'elle avait laissé sur les bras et les épaules de sa partenaire. Le plaisir l'avait alors envahi et elle s'était laissée aller, peut-être cela avait-il déplut à Ocarenna mais n'était-ce pas une preuve qu'elle s'était plutôt bien débrouillée ?

« C'est quand tu veux pour remettre ça » lui dit-elle enfin, lorsque leur bouches se séparèrent, « Demain à la première heure, nous commençons. Sois prête »

C'était après tout la raison de leurs retrouvailles. Apprendre la Maho était important aux yeux de la Cydienne et elle ne perdait pas cet objectif de vue, même si elle n'avait rien contre d'autres écarts similaires à celui-ci, tant que cela ne perturbait pas son apprentissage.
Elle se leva ensuite, quittant l'étreinte chaleureuse de la demoiselle et se rhabilla, peu désireuse de souffrir de la fraîcheur de la nuit. Puis, elle sortit une couverture de son sac et s'y enroula à distance respectable du feu. Pas la moindre marque de politesse à l'égard d'Ocarenna ; quoiqu'il se soit passé, elle n'avait pas changé, au final. Il ne lui fallut pas longtemps pour s'endormir, apaisée des tensions du jour. Plus tard, lorsque la nuit fut bien avancée, les deux femmes reçurent la visite d'un autre visiteur : arrêtant son vol silencieux, la bête se posa sans faire beaucoup plus de bruit qu'un chat. Un prédateur carnassier faisait irruption sur la scène, un magnifique griffon qui d'un coup de bec pouvait déchirer la chair de n'importe quel animal. La créature mi-oiseau mi-lion trottina jusqu'à Méléane et s'allongea non loin d'elle, posant sa tête massive sur ses pattes avant en attendant que sa maîtresse daigne bien se lever au petit matin. Si la Louve ne craignait pas cet animal qu'elle avait elle même dressé, la réaction d'Ocarenna au matin promettait d'être intéressante.
Demain, les choses sérieuses commenceraient et la lancière avait hâte d'y être.

Le matin se levait et le soleil inondait de sa lumière froide le visage de Méléane tandis qu'elle ouvrit les yeux sur ce jour nouveau. Elle avait bien dormi malgré le peu de confort qu'apportait un tapis d'herbe. Un lit offrait certes de meilleures nuit que le sol mais la Louve avait depuis longtemps pris l'habitude de se passer de l'opulence dans laquelle elle avait grandit. Très tôt, elle avait su s'habituer à une vie plus rude et travailleuse, passer deux semaines dans une forêt humide ne la dérangeait plus à présent.
Son regard se porta sur Ocarenna et elle la regarda ranger ses affaires et enfiler son chemisier par-dessus son corset, ce même chemisier qu'avait sauvagement déchiré la Cydienne la veille et qui, visiblement, avait vu ses boutons être recousus. Les souvenirs de la nuit passée étaient encore présents dans l'esprit de la Vice-Capitaine, difficile de croire que deux femmes aussi froides et distantes aient pu autant se rapprocher l'espace de quelques instants. Pourtant, cela s'était bien produit et la brune n'était pas contre le faire que cela vienne à arriver de nouveau, bien au contraire. Après tout, elles allaient passer quinze jours ensemble, autant rendre les soirées divertissantes, le coin d'un feu n'étant de base pas très intéressant. Qui sait ce qui allait se passer au cours des deux prochaines semaines ?

Un hochement de tête pour toute salutation et elle se leva pour plier et ranger ses affaires, suivie de près par Ceana qui, après quelques caresses distraites, prit son envol et disparut pour une partie de la journée. Elle se prépara alors, se désaltérant à la rivière et grignotant un petit quelque chose qui traînait dans une sacoche de selle. Il faudrait penser à se procurer quelque chose pour les repas, pensa-t-elle, sans quoi elles allaient crever de faim. Malheureusement, le temps leur était compté et les deux femmes avaient autre chose à faire que de gaspiller plusieurs heures par jour à chasser – sachant qu'elle était incapable de suivre la piste d'un animal. Cueillir des fruits et s'en nourrir pouvait être une bonne alternative mais la Louve ne se voyait pas manger la même chose chaque jour durant deux semaines... Tant pis, Diane lui pardonnerait pour ce qu'elle allait faire : si la lancière se refusait à abuser de la faveur que lui offrait sa Déesse pour se trouver des cibles faciles afin de s'entraîner à la Maho, il en était autrement lorsqu'il s'agissait de trouver de la nourriture. Ceux-là ne mourraient pas pour le « plaisir » de la Louve mais bien par nécessité, c'était très différent. Aussi envisageait-elle d'user des pouvoir que lui avait accordé Diane pour attirer à elle quelques animaux, cela leur éviterait d'avoir à chasser. De plus, comme Tamawa n'était pas très éloignée, rien ne les empêchait d'y retourner de temps à autre pour y acheter pain, fromage,...

Elle s'installa finalement face à l'Astorg et prêta une oreille attentive à ce qu'elle lui disait. Ocarenna n'avait pas tort en soulevant le fait qu'elle soit une femme d'action, il était vrai qu'elle n'aimait guère se perdre en explication. Si la théorie était un passage indispensable dans l’apprentissage de toute chose nouvelle, il était inutile de s'y attarder plus que de raison et la pratique n'en était pas moins essentielle, aussi appréciait-elle la façon dont la demoiselle allait procéder.
Méléane ponctuait le discours de brefs mouvement de tête, indiquant qu'elle avait saisi le principal. Les explications étaient claires et bien formulées, de sorte qu'il ne fut guère difficile de saisir ce qu'elle avait dit grâce à ses analogies et toutes les autres images qu'elle employait pour illustrer ses instructions.

« Ça n'as pas l'air bien compliqué » dit-elle, déjà sûre de son succès.

Puis, elle se positionna en tailleur et, comme le lui avait demandé l'Astorg, ferma les yeux et se concentra pour débuter l'entraînement. Le campement était silencieux. Seul le bruissement des feuilles perturbait le silence mais cela n'empêcha pas Méléane de faire le vide dans sa tête et de se pencher sur les battements de son cœur. Il était vrai que personne n'y prêtait attention au quotidien, mis à part quand il battait à tout rompre, sans doute fut-ce pour cela qu'elle mis du temps avant d'y arriver.
Calme et détendu, c'est ce qu'elle en conclut. Les battements réguliers traduisaient bien la sérénité de la Louve. Elle sentait chacune des palpitations de son cœur dans sa poitrine, tant et si bien qu'il lui semblait l'entendre battre dans ses oreilles. En se concentrant davantage, elle avait l'impression de ne plus ressentir que lui, au point qu'elle en vint à se demander comment elle avait pu en faire abstraction jusqu'à présent. C'était cependant la partie la plus facile de l'exercice, rien d'étonnant à ce qu'elle y parvienne. La suite se révéla par contre bien plus compliquée.
Si elle avait pu très tôt sentir le sang passer dans ses doigts et dans ses cuisses – les artères de celles-ci étant compressée par sa position – généraliser cette sensation lui parut très vite impossible. Rien ne venait et quand elle avait l'impression de sentir quelque chose, il ne s'agissait que d'une erreur. Elle n'y parvenait pas et cela l'énervait beaucoup ; elle qui avait fait sa grande gueule il y a peu, quelle figure ferait-elle si elle avouait son échec. Non, elle ne l'admettrait pas... Elle était déterminer à maîtriser la Maho et si la théorie était ennuyeuse à mourir, elle n'allait pas se décourager pour si peu. À la place, elle redouble d'effort et d'attention.

Des dizaines de minutes passèrent sans qu'elle n'en ait vraiment conscience, trop concentrée sur sa propre progression. Les choses allaient mieux que tout à l'heure, tout était plus distinct, plus net. Elle avait l'impression que son cœur pesait lourd dans sa poitrine, que ses battements acheminait des litres de sang dans son corps, ce même sang qu'elle suivait avec beaucoup plus d'aisance dans ses veines. Elle affina encore ses sensations un moment avant de parler. Elle n'ouvrit toutefois pas les yeux, de peur de perdre ce qu'elle avait mis tant de temps à attraper.

« Je perçois plus ou moins clairement le trajet du sang dans chaque partie de mon corps, il afflue à chaque pulsation de mon cœur et je ressens à quel point il est important. Si personne ne me l'avait dit, je pourrais deviner qu'il me maintient en vie »

Elle se tut un instant, sentant sa perception se faire plus floue. La Soldate n'avait pas grande difficulté à se concentrer mais le faire à ce point était une première pour elle. La moindre perturbation ferait tout s'écrouler et elle le savait, aussi préféra-t-elle se retrouver à nouveau toute sa concentration avant d'ajouter un mot.

« Voilà, je pense y être » dit-elle enfin avec une pointe d'hésitation.

Elle se dirigeait vers l'inconnu et n'avait pas vraiment idée de ce vers quoi elle allait ni même de comment s'y prendre. C'était d'ailleurs étonnant de la voir moins sûre d'elle que d'habitude, le manque d'assurance n'étant pas quelque chose d'habituel chez elle.

« Alors, qu'est-ce que c'est, cette « énergie » ? Je ne vois pas à quoi c'est censé ressembler »


[Je ne te laisse pas beaucoup d'ouverture, je sais, mais je ne pouvais pas aller plus loin... n'hésite pas à me le dire si ça ne te va pas où si ça te bloque. Je corrige en rentrant ce midi ! ]

L'exercice était complexe, elle devait bien l'admettre. Ce n'était que la base de la base, un élément indispensable qui pourtant à lui seul ne lui servirait à rien, mais elle éprouvait déjà des difficultés à exécuter ce qu'il lui était demandé. Qui pouvait cependant se vanter être arrivé à un certain niveau dans quelque domaine que ce soit sans difficulté ? Personne. L'artiste, le soldat ou l’Élémentaire, tous avaient dû verser sang et larmes pour apprendre leur art, leur métier. Il en était de même avec les Mahoïstes, leur magie était aussi complexe qu'une autre et Méléane savait qu'elle ne parviendrait à rien sans volonté ni persévérance. Il s'agissait heureusement d'une femme déterminée pour qui abandonner n'était même pas une idée envisageable, elle avait après tout demandé elle-même à ce qu'on lui enseigne cette magie, il serait mal avisé de finir par baisser les bras, d'autant qu'elle voulait parvenir à la maîtriser, à la contrôler. Non, elle ne reculerait pas et ferait tout le nécessaire pour y arriver.

La Louve gardait les yeux clos afin de ne pas perdre sa concentration. Elle sentait que si jamais elle avait le malheur d'ouvrir les yeux et de croiser le regard d'Ocarenna, elle perdrait le contrôle qu'elle avait pour le moment. C'était comme se concentrer sur sa respiration, il suffisait de peu pour qu'on n'y pense plus et elle se doutait qu'il en était de même pour elle, tentant de se focaliser sur les battements de son cœur et sur le trajet du sang dans ses veines. Elle fit d'ailleurs de son mieux pour ne pas réagir au rire de son professeur ; quand elle avait tant de difficulté, elle n'était pas spécialement d'humeur à rire.
Cette concentration, elle manqua de la perdre lorsque que le contact de la main froide de l'Astorg sur la sienne se fit ressentir. Elle ne s'y attendait pas et cela ne manqua pas de la faire légèrement sursauter, elle parvint tout de même à maintenir sa concentration avant de serrer la main d'Ocarenna – comme elle venait de le demander – et d'écouter ses consignes. Il lui fallait cette fois-ci, en plus de ressentir l'énergie de son sang, la « contrôler » ou en tout cas, l'amener là où elle le voulait. Déjà que la tâche n'avait pas été aisée pour la première étape... Si Méléane appréciait que la jeune femme ne gaspille pas le peu de temps qu'elles avaient devant elles, elle n'aurait pas craché sur le fait de pouvoir s'exercer un peu plus avant de passer au niveau supérieur. Soit, elle s'exécuterait sans broncher.

Ne gardant en tête que les instructions lui ayant été données, la Vice-Capitaine s'affaira à diriger l'énergie – ou du moins elle espérait que ça le soit – de son fluide vitale vers l'une de ses main. Elle qui était habituée à utiliser des armes de bois et de métal, il lui était difficile de devoir manipuler un flux d'énergie, quelque chose qui n'était pas concret du tout en comparaison à ce dont elle avait l'habitude. À son avis, la tâche devait être plus aisée pour un Ritualiste, un Élémentaire ou elle ne savait quoi d'autre qui serait accoutumé à maîtriser quelque chose d'impalpable et d'abstrait. Étrangement, l'exercice ce révéla plus aisé que prévu, pas facile, mais ce fut moins compliqué que de repérer le passage de son sang dans ses veines. Il faut dire qu'elle percevait tout cela de façon beaucoup plus nette, maintenant que sa frustration était retombée et son attention, redoublée.
Une douce chaleur envahit tout d'abord sa main, comme lorsque l'on glissait une main gelée par le froid dans un manchon. C'était insignifiant, oui, mais cela s'affirma de plus en plus par la suite ; la chaleur qu'elle transmettait par sa main était à présent similaire à celle d'un front fiévreux et cela s'accentuait de plus en plus à mesure que le temps passait.
Ce fut à ce moment-là que quelque chose lui échappa. Méléane ouvrit les yeux quand elle se rendit compte qu'elle ne parvenait plus à réguler le débit d'énergie sanguine – ce qui plus tard alimenterait sa Maho. Il lui échappait, devenait incontrôlable et quand elle essaya de réagir, il était déjà trop tard : en quelques secondes à peine, elle se sentit extrêmement faible, sa vue se brouilla et puis plus rien...

Elle ne se rappelait pas s'être allongée et pourtant, lorsqu'elle revint à elle, sa tête était posée sur les genoux de l'Astorg. Cette dernière la complimenta car, vraisemblablement, elle était parvenue au résultat attendu, même si la chute avait été moins glorieuse. La soldate se redressa et s'assit de nouveau en face de son instructrice, préférant ne pas se lever tout de suite. Elle était loin de se sentir en pleine forme et cela se voyait : le bas du dos trempé de sueur à cause de son malaise, elle se savait aussi pâle comme un linge. Enfin, ce n'était qu'une question de minutes avant qu'elle ne retrouve des forces. Une faiblesse passagère, et autant dire qu'elle détestait montrer ce côté « défaillant » aux autres.

« Préviens-moi, la prochaine fois que des choses pareilles peuvent arriver » lâcha-t-elle durement.

Elle était censé le deviner ? Comment la jeune femme voulait-elle que Méléane puisse réagir si elle ne lui donnait pas les outils nécessaires ? Elle ne pouvait pas se douter que cela pouvait déraper ainsi, encore moins quand ce n'était que le tout début de l'apprentissage des bases... Ceci dit, il valait mieux que cela arrive maintenant plutôt que quand elle se serait ouvert les veines. Elle saurait se montrer plus prudente à l'avenir.
La lancière hocha ensuite la tête en guise de réponse à la suggestion qui lui avait été faite. Elle n'avait pas spécialement faim mais il lui fallait alimenter son corps, comme elle avait l'impression que son récent malaise avait consumé toutes ses forces. Les deux femmes partagèrent ainsi quelques fruits secs, s'accordant ainsi une pause de quelques minutes. Malgré qu'elle ait mangé il y a peu, la Chargée des Soumis avait déjà l'impression que son estomac criait famine. Elle reprit la parole après plusieurs minutes :

« Quant à la chasse, pas besoin de s'embêter pour rien. J'ai autre chose à faire que de perdre plusieurs heures par jour pour ramener de quoi dîner. Ne t'inquiètes pas, j'ai déjà tout prévu »

Et elle n'en dit pas plus. Il n'était pas dans les habitudes de la Cydienne de se perdre dans les détails et pourtant, il y avait fort à parier que la demoiselle n'aurait rien eu contre quelques explications. La vérité, c'était que Méléane se trouvait être l'une des favorites de Diane et de ce fait, elle bénéficiait de certaines faveurs. La régénération était entre autres l'une d'elle, d'où le fait que se mutiler pour la Maho n'était pas dérangeant, ainsi que le contrôle des animaux peuplant la forêt. Ainsi, elle pouvait sans peine attirer le gibier jusque dans ses mains, pourquoi se donneraient-elles la peine d'aller chasser dans ce cas ? Consacrer quelques minutes par jour à cela suffirait amplement, et cela leur ferait gagner un temps déjà bien précieux.
Finissant le repas en silence, la Louve s'essaya une fois encore à ressentir le trajet du sang dans ses veines, de même que son énergie latente. Cela était la base du tout, il était donc indispensable qu'elle soit aussi à l'aise que possible avec cet exercice. Elle n'essaya pas de contrôler cette force qu'il y avait en elle, elle voulait juste la ressentir, s'essayer à cela tout en étant occupée à autre chose. Des résultats satisfaisant n'en furent que plus difficile à obtenir et la Soldate constata avec une pointe de regret qu'avoir réussi une fois ne lui garantissait pas le succès à chaque essai. Elle était encore trop dépendante de sa concentration et elle avait besoin d'entraînement pour y parvenir sans trop de difficulté.

« Alors, que fait-on ensuite ? » lui demanda-t-elle, une fois la dernière noix avalée.

Elle avait recouvré des forces. Il lui avait juste fallu une petite pause pour se remettre d'aplomb et à présent, elle était prête à poursuivre l'entraînement.

[Je sais que je ne te laisse pas beaucoup d'ouvertures mais je ne savais pas où m'arrêter. Si ça ne te va pas, dis-moi !
Ps : Tu peux bien entendu faire une ellipse de quelques jours dans ta réponse, qu'on avance un peu ]

Méléane prêta une oreille attentive à son interlocutrice, désireuse de ne pas passer à côté d'une mise en garde de sa part. Il serait dommage de la voir faire un malaise une deuxième fois parce qu'Ocarenna aurait oublié de lui souligner deux-trois détails. Cela ne lui avait pas plus, qu'elle la lance ainsi vers l'inconnu pour découvrir par elle-même les risques inhérents à la pratique de la Maho, et elle n'avait pas hésité à le faire comprendre à l'Astorg. Or, en prenant un peu de recul, elle s'apercevait agir exactement de la même façon lorsqu'elle se trouvait à la place du professeur. Loin d'elle l'idée de répéter inlassablement les bases théoriques ; elle les énonçait une fois et l'apprentie sentinelle avait tout intérêt à assimiler du premier coup, car la Louve se faisait un malin plaisir de frapper là où la garde était imparfaite. L'apprentissage par la douleur, en quelque sorte. Par la pratique, préférait-elle dire. Le fait était que de telles méthodes fonctionnaient plutôt bien. Si elles reproduisaient parfois la même erreur, les jeunes filles comprenaient vite qu'il serait avisé de tenir compte des remarques que leur faisait la Cydienne à chaque fois qu'elle leur donnait un coup. De toute façon, un bleu ou quelques côtes cassées n'avaient jamais tué personne.
Ainsi, la Vice-Capitaine ne râla pas de trop car force était d'avouer qu'elle et Ocarenna n'était au fond pas très différente dans leur méthode d'enseignement. Elle avait expérimenté elle-même le mal que pouvait lui causer la Maho si elle en faisait trop et à présent, elle ferait bien plus attention que si la jeune femme s'était contentée de la mettre en garde.

Elles reprirent leur affaire sitôt qu'elle eurent cassé la croûte. Les explications furent données et bien que Méléane eût l'impression que tout allait trop vite, elle hocha la tête en signe d'assentiment. Si elle avait bon souvenir des paroles de la demoiselle, pister quelqu'un lui avait demandé des jours et des jours... Et elle lui demandait de faire cela après quelques heures ? Était-ce sérieux ou n'y avait-il là que son désir de voir Méléane échouer par manque de pratique ? Peu importait, viser haut était important et sans doute apprendrait-elle bien plus vite en s'attaquant tout de suite à ce genre d'exercice, aussi la laissa-t-elle lui étaler son sang sur le bras après s'être légèrement entaillé la peau. Suite à quoi l'Astorg lui tendit le couteau pour qu'à son tour, elle reproduise le geste. Sans la moindre hésitation, elle lui lui ôta des mains et laissa la lame faire son office, tout en s'assurant de ne pas s'infliger une plaie profonde ; la prudence restait de mise, puisqu'elle ne pourrait se soigner avant la tombée de la nuit. Elle eût à presser la blessure pour en faire sortir davantage de sang, puis elle enduit l'avant-bras de son instructrice. S'étaler du sang l'une sur l'autre avait assurément quelque chose de malsain, digne d'un de ces rituels païens, mais cela n'avait guère d'importance. Aux yeux du monde, elle mettait les pieds dans un monde interdit et se rendait coupable d'apostasie pour avoir simplement énoncé son souhait d'apprendre la Maho. Les mages de sang était mal vus, pire, ils étaient arrêtés et mis aux fers quand leur hérésie était rendue publique alors qu'au fond, c'était une magie comme tant d'autres.
Ensuite, La Chargée des Soumis se concentra comme il le lui avait été demandé. Elle ressentait bien son propre sang, oui, mais il lui fallut plusieurs minutes pour détecter l'énergie émise par celui avec lequel elle avait enduit le bras de l'Astorg. C'était si faible, était-il seulement possible de pister quelqu'un à ne serait-ce que quelques mètres. Elle avait du mal à le croire, déjà qu'elle perdait la trace de ce sang si sa concentration n'était pas irréprochable, alors qu'Ocarenna était en face d'elle. L'entraînement allait être dur, mais Méléane appréciait ne pas être ménagée.

« C'est bon » dit-elle une fois que son ressenti était plus ou moins stable.

La dernière pique lancée par Ocarenna ne la fit pas rire du tout, en témoigne l'air contrarié s'étant affiché l'espace d'un instant sur son visage. Si cela n'avait pas été dit à mal, le fait qu'elle ait spécifiquement précisé de ne pas la suivre grâce aux traces qu'elle laisserait sur le sol avait quelque chose de désagréable. La jeune femme ne le savait sans doute pas mais la Louve était juste incapable de suivre une piste, et elle trouvait cela tout sauf amusant de le lui faire remarquer. Elle retint l'une de ces remarques acerbes trottant par dizaine dans sa tête et fit son maximum pour rester calme ; se laisser atteindre par ce genre de remarque lui servirait surtout à perdre sa concentration.
Elle quitta le campement, laissant Méléane seule. Celle-ci attendit comme convenu une dizaine de minutes avant de se lever et de se mettre en route.
Il lui fut difficile de s'orienter, premièrement parce qu'elle jouait le jeu et n'utilisait que la Maho afin de la retrouver – même si l'envie de faire appel à Ceana la titillait, puisqu'elle avait beaucoup de difficulté – mais aussi car elle peinait à sentir l'énergie de son sang. Parfois elle la détectait, parfois non et quand bien même elle y parvenait, elle n'était jamais bien sûre d'avancer dans la bonne direction tant la sensation était faible. Peut-être était-ce une affabulation de son esprit, qui sait...

Se déplaçant presque pas par pas, obligée de faire le point tout les deux ou trois mètres pour finalement se rendre compte après plus d'une heure qu'elle progressait dans la mauvaise direction, la Louve continua à avancer. Elle pesta certes pendant un long moment mais elle n'en démordit pas pour autant. La lancière ne savait si Ocarenna changeait de cachette de temps en temps mais dans tous les cas, elle en avait bien l'impression : elle parvenait si peu à pister son sang qu'il lui semblait une fois proche, une fois au loin, tantôt devant, tantôt derrière. C'était trop tôt, la réussite de ce genre d'exercice était tout bonnement impossible à son niveau. Il lui fallait plus de temps mais elle ne l'avait pas ; plus les minutes passaient et moins elle parvenait à discerner la présence de l'Astorg. Elle tâtonna ainsi pendant un peu plus d'une heure, jusqu'à ce que toute sensation cesse. Deux heures, c'était là le maximum qu'elle avait dû pouvoir tenir... Deux toutes petites heures alors qu'Ocarenna avait avancé être capable de suivre une piste durant plusieurs jours. Une soupir excédé s'échappa de ses lèvres. Elle était agacée et son air renfrogné le montrait bien. Elle était encore bie loin d'être prête, et elle n'aimait guère se le faire rappeler par son échec.

« T'as gagné » cria-t-elle, une fois qu'elle fut certaine de ne plus pouvoir la retrouver, « Sors de ton trou »

Rageuse devant son incapacité, elle donna un coup de pied dans une branche morte qui alla se casser sur le tronc d'un arbre non loin. Soit, elle n'avait pas réussi cette fois-ci mais l'issue de l'exercice serait différente la prochaine fois, qu'Ocarenna se le tienne pour dit !
Elle revint jusqu'au campement où elle s'assit et attendit le retour de la demoiselle. Elle reviendrait en cas de « mouvements inhabituels ou inexistants » avait-elle dit, elle ne tarderait donc pas à sortir de son fourré pour rentrer au bivouac. Après tout, si Méléane était partie dans la mauvaise direction, elle aurait très bien pu ne pas l'entendre annoncer son abandon.

Elle ignorait la raison pour laquelle elle avait rallumé ce feu mais quand Ocarenna revint au bivouac, elle se trouvait bien là, tisonnant avec rage afin de raviver le feu. Rallumer n'était pas le terme exact, à vrai dire, elle s'était contentée d'utiliser les quelques braises restantes du feu de la nuit passée. Certes, il n'y avait pas grande utilité à faire cela, il faisait jour après tout, mais il fallait bien que la lancière évacue son amertume sur quelque chose, n'importe quoi.
Ainsi ne jeta-t-elle pas le moindre regard à l'Astorg quand elle fit son retour. Le silence s'installa pour un petit moment, jusqu'à ce que l'une des deux se décide à briser ce mutisme. Méléane n'apprécia pas beaucoup la façon dont elle semblait essayer de la réconforter. Même si c'était la première fois qu'elle s'essayait à ce genre de magie, la Louve n'aimait pas perdre, quelque soit le domaine. Elle ne restait jamais sur un échec et si certains appelaient cela un entêtement digne d'une mule, tous s'accordaient à dire que cela l'avait toujours amenée à progresser davantage et à exiger le meilleur d'elle-même. Son poste, sa vie d'aujourd'hui, elle ne la devait à personne sinon à elle-même. Elle avait forgé son avenir à la propre force de ses mains et avait été reconnue pour ses capacités, non par sa naissance. Elle avait beau avoir autrefois appartenu à leur caste, la brune n'éprouvait plus que de l'antipathie à l'égard de ces nobles nés avec toutes les cuillères d'argent possibles dans la bouches, ces nobles qui se complaisaient dans leur vie de faste et d'apparence. Elle n'était plus de ceux-là, ce monde n'était pas le sien et ne le serait jamais.

Ocarenna continuait de parler, comme si elle cherchait à meubler la conversation. Pour sa part, Méléane ruminait encore son échec, aussi amère qu'une marâtre. Elle ne daigna pas même tourner la tête pour regarder son instructrice et, à vrai dire, elle ne l'écoutait que d'une oreille. Elle n'était pas d'humeur à discuter pour le moment. Elle daigna tout de même lui répondre quand il fut fut demandé ce qu'elle comptait faire plus tard.

« Je n'ai pas une idée précise de ce que je vais faire de la Maho mais je ne doute pas qu'elle me sera utile pour certains problèmes que je ne pourrais pas régler d'un coup de lance entre les côtes » lâcha-t-elle sur un ton égal, « L'utiliser au quotidien, je ne crois pas, non, je me ferais repérer en quelques jours. J'ai cru comprendre que le Ritualisme permettait de déceler la magie du sang, c'est exact ? » Elle ne lui laissa pas même le temps de répondre, « Muria à beau être isolée, il n'y en a pas pour autant moins de ritualistes qu'ailleurs. Y a-t-il d'autres précaution à prendre ? »

Elle devrait être prudente, c'était certain. La Maho était une magie venue de par-delà les montagnes à l'est, encore méconnue d'Azthia et ce n'était pas plus mal. Ainsi, elle aurait moins de chance de se faire démasquer si les gens ne savaient pas à quoi il avaient affaire. Cela dit, ce n'était pas une raison pour agir n'importe comment ; chaque utilisation de cette magie proscrite demanderait au préalable des précautions et une mûre réflexion. Méléane savait que sa position serait dangereuse, à manipuler l'interdit depuis un poste relativement important, mais cela avait un côté terriblement excitant à ses yeux.

« Je n'ai pas peur que quelqu'un le découvre. Je connais les risques et j'ai pris ma décision en connaissance de cause. Je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même si je venais à me faire avoir. » Elle marqua une pause, semblant réfléchir à la dernière question d'Ocarenna, « Je ne sais pas. Je serai sans doute arrêtée et mise au frais pour un moment. Après, je ne pense pas qu'elles – les Amazones – laissent sortir une mage de sang. Le billot est une issue probable, l'emprisonnement à vie dans le meilleur des cas. Tout dépend de l'humeur de Philéa »

La Louve avait parlé calmement. Elle énonçait la vérité, nul besoin de la craindre, même si elle n'était pas jolie à entendre. À vrai dire, la lancière penchait davantage pour l'expiation de ses fautes par le fer. L'ironie du sort, en quelque sorte, puisqu'elle irait tester le tranchant de sa propre hache, celle qui servait à appliquer la peine capitale parmi les Soumis.
Elle ne comptait pas non plus que cela sur la clémence de Philéa. Si elle était une souveraine éclairée, qui faisait passer son peuple et sa Cité avant elle, la Reine Amazone portait à la Chargée des Soumis une rancune de longue date. Tenue responsable du vent de révolte ayant soufflé dans les Baraquements et, de ce fait, de l'empoisonnement d'un de ses rejetons, elle avait déjà pu s'estimer heureuse de ne pas avoir été destituée de ses fonctions. Une deuxième erreur, pire encore que la première, lui promettait d'être exécutée, inutile de se voiler la face sur ce fait. Enfin, il était inutile de se prendre la tête là-dessus pour le moment et puis, tant qu'elle agissait avec prudence, elle n'avait rien à craindre.

« Je vais réessayer de te pister, si tu es prête à aller de nouveau te cacher »

Elle n'y parvint pas cette fois-là non plus, pas plus que la suivante et encore celle d'après. Des échecs qu'elle accueillit avec chaque fois plus d'amertume... Elle mit trois jours supplémentaires avant de pouvoir retrouver Ocarenna, après d'innombrables essais. Elle l'avait pistée, certes, mais l'effet du sort ne durait jamais plus de deux ou trois heures avant de disparaître, ce qui l'obligeait à se dépêcher. Elle était encore loin de la semaine que devait durer le sort mais bon, cela viendrait sans doute avec la pratique. L'important était l'effet obtenu, le reste était une question de temps.
Chaque soir, elle priait Diane en silence et elle fut heureuse de voir ses espérances fondées : sa peau, où elle avait par plusieurs fois plongé un couteau, demeurait saine. Les blessures guéries au fur et à mesure, les cicatrices n'avaient pas le temps de se former et cela lui assurait une certaine marge de manœuvre à l'avenir. De même, la déesse sylvestre lui permettait d'attirer à elle de petits lièvres qui leur servaient de repas.
Les deux femmes discutaient assez souvent, Méléane se montrant même sensiblement plus bavarde. Oh, elles étaient encore loin de ces conversations animées et ponctuées de grands gestes mais la discussion se faisait dans les deux sens ; il y avait un échange. Quelquefois, Ocarenna la questionnait sur sa vie, ses activités, sur elle en général, questions qu'elle éludait ou auxquelles elle ne répondait pas vraiment. Elle n'aimait pas parler d'elle, c'était ainsi depuis déjà longtemps.

- Je me demande quelle enfance a pu avoir mon apprentie mahoiste.

S'il y avait une chose qu'elle aurait préféré ne pas entendre, c'était bien celle-là. Non pas qu'elle voulait oublier ce qu'il lui était arrivé, ces événements faisaient partie intégrante de sa vie après tout, mais cette période ne regardait qu'elle. Lasse, elle soupira avant de parler.

« Mon enfance n'a rien de bien intéressant mais si tu y tiens tant, soit. J'appartenais à la noblesse de Cydonia »

Sentant la prochaine question arriver, elle anticipa avant même qu'Ocarenna n'ouvre la bouche :

« J'ai fini par rejoindre Muria suite à certains événements. Voilà tout. »

Elle espérait s'être montrée suffisamment claire quant à ses intentions : elle ne souhaitait pas parler de ses jeunes années et mieux valait pour son interlocutrice de ne pas insister. Il n'y avait de toute façon aucune utilité à palabrer ainsi sur des choses aussi vieilles. Bref, il était plus que temps de passer à la suite, non ? Le temps leur était précieux, autant ne pas traîner.

Méléane progressait. Lentement mais sûrement, quoique les difficultés rencontrées la frustrèrent un peu. Il était certes indispensable d'apprendre correctement en commençant par les bases mais étant donné le peu de temps disponible, elle avait espéré progresser un peu plus. Les jours étaient passés et les résultats n'était pas à la hauteur de ceux espérés, de quoi décevoir la Louve qui, toutefois, ne baissa pas les bras. Plus elle pouvait en apprendre au cours de ces deux semaines, moins elle aurait à mettre au point par elle-même ! Ainsi, après bien des efforts et pas mal de sang versé, elle était parvenue à pister Ocarenna correctement, même si le sort n'avait duré que deux petites heures... Enfin, elle avait la technique, la pratique remédierait aux quelques soucis restants. Un pas de fait, c'était toujours ça.

Plusieurs jours s'étaient donc écoulés, durant lesquels les deux femmes avaient fait un brin de causette, en mettant leurs courts échanges bout à bout. L'Astorg avait déjà pu s'en rendre compter mais son élève n'était guère bavarde. Si elle posait une question, l'autre répondait mais ça n'allait jamais plus loin ou presque. Enfin, elle n'essayait plus de couper court à la conversation comme elle le faisait au début à l'aide d'une réplique cassante dont elle avait le secret. Elle se méfiait moins d'Ocarenna, suffisamment pour ne plus la voir comme une menace directe. Toujours était-il que la brune se fermait comme une huître dès que la conversation se mettait à tourner autour de sa personne, plus encore quand cela concernait son passé. Déjà qu'elle n'appréciait pas vraiment parler d'elle alors s'il fallait en plus se lancer dans la narration ennuyeuse des épisodes de sa vie... D'autant qu'elle devait en révéler le moins possible au sujet de Muria. Répondre évasivement voire pas du tout était une bonne solution.

« Des titres et une fortune, très peu pour moi. La noblesse est pourrie jusqu'à la moelle » répondit-elle en haussant les épaules, « J'ai tout laissé derrière moi en quittant Cydonia, y compris le caractère superficiel des aristocrates »

Seul l'orgueil avait été conservé, sinon accentué ; Méléane était quelqu'un de fier et qui n'acceptait pas l'échec. Frivolité, possessions et préciosité, tout avait été jeté. Elle avait appris à ses dépends que dans ce monde, l'argent dominait et pour lui, on était prêt à faire n'importe quoi. Méléane avait quitté cette vie depuis plus d'une dizaine d'années et pourtant elle y repensait encore de temps à autre. Elle ne comptait pas oublier cette épisode-là de son existence, elle entendait au contraire garder à l'esprit que même des proches peuvent vous mettre un coup de couteau dans le dos.

Hochant la tête quand Ocarenna annonça la suite, elle était prête à passer à l'étape suivante. Pister c'est bien, faire saigner c'est mieux ! Ainsi écouta-t-elle avec attention les consignes et les explications de l'Astorg au sujet des hémorragies dues à la Maho. On arrivait enfin à la partie intéressante... La brune lui tendit son bras pour que l'exemple puisse lui être montré. Se voir étaler du sang sur la peau ne la dérangeait pas, pas plus que s'entailler ne semblait indisposer son instructrice. Dire que certains n'en supportaient même pas la vue... Elle, elle s'en badigeonnait presque.
Les premiers picotement ne tardèrent pas à se faire sentir. Une sensation un peu désagréable, il fallait l'avouer ; Méléane dût se retenir d'éternuer. Pour se faire, elle retroussa les narines en une grimace qu'Ocarenna ne manquerait pas de trouver comique et se frotta le nez avec une main. C'est à ce moment là qu'elle se rendit compte du liquide rouge qui avait coulé sur ses doigts. Quelques gouttes tout au plus mais il s'agissait d'un exemple, d'autant que l'Astorg n'avait pas utilisé beaucoup de sang pour faire appel à la magie du sang. Son nez ne saignerait plus d'ici une ou deux minutes.
Vint ensuite le moment où ce fut à elle de s'y essayer. Depuis le début, cela se passait ainsi : Ocarenna lui montrait comment s'y prendre, puis c'était à elle de se démener pour y parvenir. Autant dire que ce n'était pas toujours facile pour elle, même si elle n'en montrait jamais rien, hormis sa frustration.

Sans beaucoup de douceur, la lancière exerça une pression sur les côtés de l'entaille pour la faire saigner un peu plus, suite à quoi elle l'étala sur quelque centimètres d'avant-bras. Elle se surprit à découvrir la facilité qu'elle éprouvait à ressentir le fluide vital de l'Astorg – après plusieurs jours à pister son propre sang, repérer celui de quelqu'un d'autre à une distance aussi réduite était presque un jeu d'enfant. Toute la difficulté était de parvenir à le faire réagir, d'une façon ou d'une autre, pour pouvoir en faire quelque chose. Là, ce ne fut pas chose facile, comme elle enchaînait échec sur échec. Plus ses essais rataient, plus elle se sentait frustrée. Il était si pénible de patauger sans se voir progresser... Comme quand Ocarenna lui avait enseigné le pistage, il lui fallut plusieurs jours avant d'obtenir des résultats concluants. Les choses avaient avancé lentement mais la Vice-Capitaine était tout de même parvenue à faire couler le sang grâce à la Maho.

« C'est pas trop tôt » finit-elle par dire après s'être allongée sur le dos, épuisée, « À ce rythme, nous n'allons jamais arriver au bout... »

Si elle avait réussi ce que lui avait demandé l'Astorg, seules quelques gouttes de liquide poisseux perlèrent de son nez, preuve que l'affaire était encore très loin d'être au point. Deux semaines, cela paraissait tout à coup si insuffisant... Enfin, puisqu'elle ne disposait pas de beaucoup de temps, autant l'utiliser au maximum !

« Je m'attendais à mieux mais j'ai saisi le procédé. On passe à la suite ? Au point où nous en sommes, il vaut sans doute mieux se concentrer sur la théorie, ma pratique se perfectionnera avec le temps »

Méléane arrivait tout doucement au bout de ces deux semaines d'entraînement. Elle aurait apprécié avoir davantage de temps mais cette quinzaine de jours était le maximum qu'elle puisse se permettre avec ses fonctions au sein de Muria. Elle-même avait été étonnée qu'une permission aussi longue lui soit accordée mais son efficacité au travail avait dû jouer en sa faveur. De plus, elle s'accordait très peu de jours de repos, il n'y avait donc aucune raison de lui refuser sa permission. Plus de temps n'aurait néanmoins pas été de refus... La décision ne lui revenant pas, elle s'était contentée de cela.
L'initiation à la Maho, condensée, n'avait été facile pour aucune des deux femmes. Pour Ocarenna, la difficulté était d'expliquer clairement et rapidement. Pour Méléane, c'était de tout assimiler en un temps record. Fort heureusement, la Louve était une battante et malgré cette tâche aux airs insurmontables, elle ne baissa pas les bras et travailla avec ardeur à reproduire ce que lui montrait l'Astorg. Les premiers essais furent des échecs retentissants : elle s'entaillait la peau, perdait du sang mais n'obtenait pas de résultat. Dormant peu, s'exerçant la majeure partie de la journée et s'octroyant à peine quelques « distractions », la Vice-Capitaine parvint enfin à lancer son premier sort de Maho après moult essaies infructueux. Oh, rien de bien compliqué, à peine avait-elle été capable de pister son sang ! Et encore, elle en perdait la trace après quelques heures, alors que l'effet pouvait durer jusqu'à une semaine... Cela était toutefois suffisant ; seule l'expérience lui manquait maintenant qu'elle savait comment s'y prendre, la pratique remédierait à ce problème. Elle aurait assurément besoin de s'exercer par elle-même plus tard, Ocarenna ne faisait que lui apprendre les bases et lui donner une vue d'ensemble sur les possibilités de la magie du sang pour que son élève puisse les approfondir par après. Aussi douée puisse-t-elle être, personne n'était capable de maîtriser une forme de magie, élémentaire ou non, en si peu de temps.

Pistage, hémorragie, malédiction, ... les possibilités étaient nombreuses, sinon infinies. Seulement, il lui faudrait se montrer prudente car il y avait un revers à la médaille : la prohibition. La Maho était une magie puissante, trop puissante pour certains et cela avait conduit les gens à la craindre et à l'interdire. Toutes personnes supposées Mahoïste était passible de condamnation et au vu du caractère sombre et lugubre que l'on associait à cette magie, inutile de préciser la peine... Sans mauvais jeu de mot, Méléane devrait garder la tête sur les épaules quant à son utilisation.
Avec toute la bonne volonté et la persévérance dont fit preuve la Cydienne, elles avancèrent vite et bien, de sorte que la lancière progressa de manière satisfaisante en l'espace de deux semaines. Le reste, ce qu'elle n'aurait pas le temps d'apprendre, fut couché sur papier. Là encore, elle devrait faire attention car ces quelques feuilles constituaient une preuve parfaite contre elle. De retour chez elle, elle trouverait bien le moyen de les cacher sous une lame de parquet ou derrière un meuble jusqu'à les détruire une fois qu'elle aurait appris leur contenu. La chargée des Soumis écouta l'Astorg à mesure qu'elle écrivait. Sur ces feuilles se trouvait un bref résumé de ces quinze derniers jours plus quelques nouveautés.

Certaines utilisations de la Maho ne lui serviraient probablement jamais à rien ou du moins, pas dans un futur proche. Le rajeunissement par exemple. Elle était encore jeune et son corps n'accusait pas les ravages du temps, de sorte que ses capacités physiques soient encore optimales. Quand cela viendrait à changer, d'ici une quinzaine d'année sans doute, alors elle reconsidérerait l'idée d'égorger un homme pour aller barboter dans son sang. Un peu glauque... même si l'idée d'une jeunesse éternelle au prix d'une vie par-ci par-là n'était pas déplaisante. Quoiqu'il en soit, la brune n'en avait aucune utilité pour le moment, il n'était donc pas nécessaire de s'en préoccuper. D'autres par contre, tels la malédiction et le mauvais esprit, se révélaient être bien plus intéressants.

Quand Ocarenna eut terminé d'écrire ses instructions, elle s'approcha de son élève pour poser sa tête sur son épaule. Un geste d'affection assez inhabituel pour elle qui n'était même pas sûre d'aimer ça. Faire cela sans raison lui donnait l'impression qu'on pénétrait dans son espace vital, si bien qu'elle se sentirait presque agressée. Sans doute aurait-elle vivement réagi s'il ne s'était pas agi de l'Astorg. À la place, la lancière réfléchit au temps qu'il leur restait à passer ensemble. D'ici quelques jours, les deux femmes repartiraient chacune de leur côté et poursuivraient leur vie d'avant en veillant à garder secret ce qu'elles avaient fait ici. En s'apercevant du peu de temps restant, Méléane eut soudain très envie de son instructrice mais elle se contint, repoussant ses désirs jusqu'au soir. Son attention fut quand même distraite par la feuille qu'Ocarenna agita sous son nez, la note explicative où se trouvaient quelques autres sorts de Maho. Presque comme si elle se faisait attaquer, la Vice-Capitaine sursauta et recula imperceptiblement. Ce n'était pas de l'autre femme dont elle avait eu peur, mais bien de ce morceau de papier ! Et à en juger par l'air satisfait de l'autre femme, elle ne devait pas y être étrangère.

« Qu'as-tu fait !? »

Un sentiment de terreur comme elle ne se rappelait pas en avoir jamais connu. Son cœur se mit à battre à toute vitesse tandis que l'adrénaline montait en flèche. Sans s'en être rendue compte, elle s'était déjà relevée et avait mis une distance de plusieurs pieds entre elle et cette singulière menace.

« Arrête ça tout de suite, bordel ! » rugit-elle avec tant de colère qu'elle semblait prête à massacrer Ocarenna sur place.

Méléane ne savait comment mais elle la présumait responsable de cela. Ce sourire sur ses lèvres n'en était-il pas une preuve évidente ? Sous l'effet de telles émotions, elle devenait violente. Plus prompte à l'être, en tout cas. Déjà, elle avait envisagé de coller son pied dans la gueule de la responsable mais peut-être aurait-ce été une réaction exagérée... Quoique lui mettre la mâchoire en vrac pour effacer ce sourire narquois avait un elle ne savait quoi d'attirant. Rapidement lassée de sa plaisanterie, la jeune femme interrompit son maléfice peu après, laissant une Méléane si soulagée d'avoir échappé à la feuille qu'elle en resta muette. Sans doute s'agissait-il là d'une dernière pique avant leur séparation...

Les derniers jours passèrent en un éclair, à tel point qu'il était déjà temps de se dire au revoir. Ou plutôt adieu. Leur chemin s'étaient croisés un peu par hasard, prises malgré elles dans une lutte contre de lugubres fanatiques de Nereid, et les événements de ces dernières semaines n'auraient jamais eu lieu sans cela. Elles s'étaient rapprochées mais il était maintenant temps que chacune reparte de son côté et poursuive sa vie ; toute deux venaient d'un monde radicalement différent, après tout. La chargée des Soumis prenait cela sereinement, ce n'était pas ses premiers adieux et sûrement pas les derniers. Elle n'en demeurait pas moins reconnaissante envers l'Astorg pour ses enseignements, même si elle n'en dit ni n'en montra rien . Sans elle, la Maho serait encore un mystère total pour la Soldate. De son côté, Ocarenna semblait vivre cette séparation avec plus de difficulté, en témoignent ses yeux humides et son humeur morose.

- Peut-être nos routes se recroiseront-elles. Dans le sang ou dans les larmes... c'est peut-être à nous d'en décider.

« Nous verrons bien. D'ici là, veille à ne pas te faire prendre et ne t'inquiète pas, j'emporterai ton secret dans la tombe » répondit-elle aussitôt.

Aucune des deux ne s'exprimait ouvertement, là où elles étaient d'habitude si franches. Au fond, Méléane aurait éventuellement préféré que ces adieux n'aient jamais lieu, mais les choses étaient ainsi. Retourner à son poste était nécessaire et ce, le plus tôt possible. Ces deux semaines avaient été riches à tous les niveaux, c'était donc le cœur léger et satisfaire que la Louve quittait son amie. Aucune ne se laissa aller à un discours, elles n'avaient pas besoin de mot pour se comprendre. Ce ne furent pas des larmes qui accompagnèrent la scène – et puis quoi encore ? – mais un silence lourd de sens... Une fois mise en marche, Méléane ne se retourna pas. À présent, elle regardait droit devant elle, en direction de Muria, son foyer. Sa vie avait pris un nouveau tournant et un jeu de mensonge allait être joué entre les Amazones et elle, comme elle aurait à veiller à ce que personne n'apprenne jamais sa familiarité avec la magie du sang. Cela promettait d'être intéressant.

[Ocarenna & Méléane désengagées]
[Un grand merci pour ce RP ! ]