[D-A] The Expendables (PV Kyle et Thémis)

"Non, le véritable problème, c'est qu'on a plus d'couilles tu vois. Ils prennent la tangente en nous pissant dessus, mais jamais on ne va les ramener par la peau des fesses. "

Il contemplait son verre tout en parlant, puis vida son contenu d'un traite en reversant sa tête en arrière. Un peu d'alcool s'écoula dans sa barbe lorsqu'il toussa, la liqueur ayant raclé par le feu le fond de sa gorge. Après la bière, le vin des coteaux d'Avallon (une piquette de sa cité d'origine) Soren s'était mis au Amasec, un alcool fort distillé à base de vin.

"Verre vide, je te plains. Verre plein, je te vide".

Il se tourna alors vers son voisin de table, un colosse d'un mètre quatre vingt dix qui avait des biceps aussi gros qu'une cuisse de cheval.

"Bois."

Soren s'essuya la barbe pendant qu'il demandait au tavernier de le resservir, ne contrôlant même pas si son compagnon ingurgitait correctement sa boisson. Le zélote n'était pas du tout accoutumé du fait de boire pour calmer ses ardeurs et sa colère, mais cette désertion était celle de trop pour ses nerfs. Un nouveau zélote avait encore quitté le bercail, une fois tous les enseignements prodigués. Ce Booker avait profité pendant de nombreuses années du dévouement de ses proches et de l'esprit de camaraderie de ses collègues. Il avait mangé à leur table, affronté leurs épées, défendu leur cité. Mais à la première offre de mercenariat, il n'avait pas hésité à tourner le dos à toutes les convictions et à toutes les valeurs enseignées par le monastère et la XIIIe légion.
Soren était en colère, les défections de ses zélotes vers ce nouveau groupe de mercenaires était une hémorragie qu'il n'avait pas le pouvoir d'arrêter. Un groupe de bandits, formés par le Monastère et l'armée, vendant leurs services au plus offrant.
Inconcevable.

"Ce brevage est délicieux, Femme, mon verre est vide, un autre !"

Soren envoya son verre par dessus son épaule histoire de signifier son impatience. C'était un homme qui tenait très bien l'alcool, bien bâti, mais qui avait beaucoup bu déjà, persuadé que Kyle en descendait tout autant. L'ancien princeps, quoique sa réputation le précédait, n'avait pas un visage connu ici : le bon côté des quartiers éloignés du centre politique.
Le verre volant prit une trajectoire oblique et atterrie tranquillement sur la table de joueurs de dés qui avaient, eux, bien trop picolé. Comme tous les hommes virils bourrés, le moindre prétexte avait vocation à exploser les meubles et coller des marrons.

"Elle est assurée votre taverne ? Non ? Dommage. Kyle ?"

Le visage de son volubile compagnon passa rapidement devant lui lorsqu'un gars le saisit par le col pour l'entrainer à terre. Soren lui attrapa le bras et exerça une pression douloureuse vers le bas pour lui faire plier, puis il lui tordit en l'envoyant par un coup de pied dans le derrière rejoindre ses amis en s'affalant sur le sol, sans manquer de renverser moult tables et de trop nombreuses choppes. Du coup, ces tables ne servant plus à rien, Soren en saisit une pour la lancer au hasard dans la pièce, ce qui renversa deux personnes au passage.
Bon bin, plus que 37.

Non, pour Kyle, le vrai problème c’était leur motivation … l’argent, la gloire, ces petits voyou n’avaient aucun honneur ! Lui pouvait en parler des motivations qui poussaient à quitter un camp au profit de l’autre, une décision difficile, mais justifiée et il comprenait tout à fait le courroux de ses anciens alliés, mais … trahir pour de si piètres raisons ? C’était impardonnable !

Il venait à peine de remplir son verre lorsque Soren, lui ordonna d’un ton autoritaire de le vider. Peu disposer à contrarier son supérieur le templier s’exécuta, comme d’habitude, sans un mot.

Cela fait déjà quelques mois que le tribun n’en pouvait plus, mais cette dernière désertion était la goutte de bière qui avait fait déborder la pinte. En parlant de bière, Soren l’avait abandonné au profit d’un alcool plus … vigoureux : l’Amasec. Emporté par son humeur massacrante, il vidait verre sur verre comme s’il s’agissait de simples verres de lait.

De son côté Kyle sirotait plus tranquillement un verre d’eau de vie à base de pomme, après avoir vidé presque deux pichets d’un délicieux vin cydien depuis leur arrivée dans ce bar. Plus silencieux, le templier n’était pas forcement beaucoup plus calme que son chef. Ces zélotes, non ces déserteurs, ils les avaient entrainé lui-même ! Rejoindre un groupe de mercenaires qui leur promettait monts et merveilles au lieu de rester ici à défendre les gens qu’ils avaient jurés de défendre ! Quelle bande de petits ingrats ! Soren avait raison, ça ne pouvait plus durer.

Kyle, qui n’avait jamais été très tendre avec les criminels, était fermement convaincu qu’une bonne petite expédition punitive pourrait faire office de résolution musclé au double problème : se débarrasser d’un groupe de déserteurs insolents et faire un bon exemple pour dissuader de nouveaux volontaires à la désertion.
La soirée aurait fort bien pu se terminer ainsi, chacun vidant quelques bouteilles de plus avant de rentrer chez soi pour se réveiller le lendemain avec une sacrée gueule de bois, mais un verre d’alcool supplémentaire en décida autrement.

Un verre que le tribun impatient envoya au milieu d’un groupe d’ivrognes qui n’apprécièrent pas vraiment l’attention. Kyle qui n’en n’était pas à sa première bagarre de taverne n’eut besoin que d’un seul mot pour comprendre la situation. Il n’eut pas non plus besoin de venir en aide à Soren qui botta littéralement les fesses de son assaillant.

Le templier fut de toute façon rapidement pris à parti par lorsque le bras d’un joueur de dé irrité se tendit vers lui. Son geste fut stoppé net lorsque Kyle en se levant brusquement en lui écrasa sur la tempe son gobelet plein, provoquant une splendide explosion d’alcool. Le malheureux joueur de dé sonné, s’écroula par terre. La timbale en métal déformé termina dans le nez d’un ivrogne, le désorientant juste quelques secondes, le temps que Kyle l’envoi au tapis d’un solide crochet du droit dans le menton.
Ravis de pouvoir donner libre cours à sa frustration, guerrier taciturne s’en donna à cœur joie. Il souleva l’un de ses adversaires par le col avant de lui casser le nez d’un violent coup de tête. L’agitation du bar était telle que malgré l’esprit Kyle ne senti pas venir l’homme qui lui brisa un tabouret sur le dos. La violence du coup le fit tituber jusqu’au bar où il se saisi d’une bouteille abandonnée avant de la fracasser sur la tête de son assaillant.

Exalté par l’ambiance, il empoigna deux cydiens ivres par la nuque et se dis que finalement cette journée ne se fini pas trop mal.
Et d’un geste vigoureux il heurta les têtes des deux hommes l’une contre l’autre.

La journée n'avait pas été des plus passionnantes et des plus douces pour la jeune femme. Elle avait veillé toute la nuit précédente une jeune fille d'à peine seize ans dont l'accouchement se passait mal et chaque heure durant, malgré les soins permanents que l'équipe lui prodiguait, elle avait senti la vie de la belle Cydienne s'évanouir et leur filer entre les doigts. Contre toute attente, Thémis s'était mis à louer Callista de sauver la vie de cette demoiselle là où elle ne croyait que peu aux miracles accordés par les dieux. Lorsque l'aube avait éclairé la scène, le visage en sueur de l'adolescente était marqué par la douleur mais aussi par la vie. Son petit garçon était né sans encombre et, avec l'aide de près de cinq médecins du dispensaire, sa propre existence avait pu être préservée. La jeune Clari n'avait pas pu s'empêcher de rester aux côtés de la belle Elise jusqu'à ce que cette dernière ferme les yeux pour trouver un repos bien mérité. Après avoir vérifié que tout allait bien, autant pour la mère que pour l'enfant, Thémis avait quitté les lieux pour se reposer peu avant l'heure du déjeuner qu'elle n'avait pas pu prendre en conséquence. Après avoir dormi près de quatre heures, elle s'était rendue, le cœur lourd, à l'école élémentaire du Joyau pour y dispenser son enseignement aux plus jeunes sur la maîtrise de l'eau. Nombreux étaient les élèves qui semblaient passionner par ce nouvel art encore hors de leur portée et la jeune femme ne put s'empêcher d'espérer que cela dure. Il était tellement plus facile d'apprendre quelque chose qu'on aimait plutôt que de s'échiner à apprendre quelque chose qui nous échappait et nous dépassait … L'heure du souper tant appréhendé était venue d'elle-même, tandis que la médecin n'avait pu s'accorder que quelques minutes de repos après son cours. Elle retourna donc à la maison pour se préparer, le cœur noué par l'appréhension. Elios attendait à la cuisine, dégustant un bol de lait chaud malgré les recommandations de sa mère, tandis que Flynn lui comptait, sous l’œil amusé de la nourrice, d'innombrables histoires et légendes Cydiennes peuplées de dragons et de licornes. L'enfant semblait déguster tout autant son lait que les paroles de ce dernier. Erys quant à elle devait être à l'étage car Thémis ne la voyait pas aux côtés de son frère. Dès que ce dernier entendit la porte se refermer, son attention fut aussitôt tournée vers sa mère et il abandonna la nourrice, le palefrenier et le bol de lait pour se précipiter vers elle et se blottir dans ses bras déjà tendus dans sa direction.

« Maman, tu m'as manqué ! » bafouilla le garçonnet tandis qu'elle déposait sur son front un baiser.

Le petit garçon lui semblait avoir encore grandi, comme si sa croissance ne se résolvait pas à se calmer mais la jeune femme se dit que c'était très certainement une vilaine impression. Quoi que lorsqu'elle regardait ses enfants endormis, blottis dans leurs couvertures, Thémis ne pouvait s'empêcher de s'estimer chanceuse certes mais également, d'éprouver une sorte de nostalgie du temps où ils n'étaient rien que de petits nourrissons requérant toute son attention. Aujourd'hui, l'un comme l'autre se débrouillait parfaitement sans elle la journée bien entourés par les nourrices.

« Es-tu prêt mon chéri ? » demanda la Cydienne à son fils, sous entendant par là qu'ils n'allaient pas tarder à partir. Devant la réponse négative du chérubin, elle s'empressa d'ajouter sur un ton taquin, « Alors file gredin, et va prévenir ta sœur de se dépêcher, nous partons dans dix minutes ! »

Le petit bonhomme grimpa avec le sourire les escaliers, suivi de près par la nourrice. Thémis entendit sa fille marmonner qu'elle serait bientôt prête et ne put s'empêcher de sourire. En silence, elle rejoignit Flynn sur la joue duquel elle déposa un baiser. Depuis que Soren lui avait offert le pur sang qui dormait dans leur écurie, son meilleur ami passait le plus clair de son temps libre chez eux à sa demande pour s'occuper de Requiem. L'Astorg craignait qu'il ne se blesse ou qu'il ne tombe malade et sa superstition ne manquait pas d'amuser son compagnon d'antan. Comme chaque soir depuis quatre jours, il la rassura sur l'état de l'animal et lui assura qu'il était en pleine forme et bien dressé. Rassurée, l'élémentaire lui demanda s'il avait vu Soren et ce dernier répondit que non. Agacée, Thémis monta à l'étage pour se préparer. Le repas était prévu depuis près de deux semaines et si cela l'angoissait, elle était néanmoins heureuse de pouvoir partager un peu de temps avec ses parents et sa sœur cadette. C'était la présence de cette dernière qui angoissait le plus la métisse car sa sœur se montrait par trop souvent virulente envers sa famille et la présence d'Erys ne manquerait pas d'aviver ses mauvaises intentions à l'égard des Astorgs. En conséquence, la jeune femme aurait aimé avoir le soutien de son époux pour cette soirée mais ce dernier avait prétexté du travail avant d'avouer qu'il n'était pas prêt à assister à de telles festivités. Il ne s'estimait pas assez patient pour cela et force était de constater pour Thémis qu'il ne mentait pas sur ce point. La jeune femme enfila, agacée par cette situation, une robe pourpre légèrement décolletée qui faisait ressortir la pâleur de sa peau. De longues manches fendues sur le haut des épaules lui offraient une liberté de mouvement appréciable. Elle coiffa ses longs cheveux blonds non sans un certain acharnement pour leur faire adopter la coiffure qu'elle estimait la plus pratique et la plus adaptée à sa tenue. Rien de bien extravagant en somme, simplement une tresse sur le haut de son crâne qui se reliait au niveau de la nuque pour retomber négligemment dans son dos avec le reste de sa chevelure. Lorsqu'elle s'estima prête, et après avoir soupiré à de nombreuses reprises, la jeune femme sortit de sa chambre. Sur le palier de leur demeure attendaient ses enfants, plus beaux que jamais.

La jeune Henrick était ressortie de ce dîner agacée et chagrinée. Si revoir au complet les siens lui avait du bien, elle avait déplore une fois encore le comportement de sa cadette envers Erys. La différence flagrante qu'elle opérait entre son fils et sa fille mettait cette dernière mal à l'aise. Fort heureusement, son père comme sa mère semblaient apprécier les deux rejetons de façon identique et ne faisaient en apparence aucune différence entre le petit héritier Clari et son aînée. Au sortir de la demeure, Thémis se sentait exténuée par la tension psychologique que lui avait imposée Héloïse. De temps à autre, la jeune femme se demandait si cette dernière ne faisait pas exprès de l'agacer autant. Depuis sa nomination au poste de directrice de l'école élémentaire, Héloïse s'était montrée plus sournoise que d'ordinaire, comme si elle était jalouse de sa sœur et pourtant, l'Astorg avait décliné poliment l'offre … Quoi qu'il en soit, cette rivalité agaçait l'élémentaire si bien qu'elle ne dit pas un mot sur le chemin du retour. Dans la calèche qui la ramena chez elle, son fils s'endormit sur ses genoux tandis qu'Erys regardait par la fenêtre d'un air absent. Dans l'ensemble, la soirée s'était bien déroulée, Thémis ayant évité à la petite fille d'entendre la plupart des horreurs qu'avait pu prononcer Héloïse mais le besoin permanent d'être au centre de l'attention de sa cadette avait certainement empêché les enfants de profiter pleinement de la soirée... Quoi qu'il en soit, Thémis était énervée lorsqu'elle pénétra dans la demeure familiale. Flynn était encore dans la cuisine, il discutait en riant avec l'une des deux nourrices tandis que l'autre, plus âgée et plus calme, écoutait les deux jeunes sans broncher, buvant une tasse de thé.

« Montez vous préparer les enfants, j'arrive tout de suite. Mélissa, voulez-vous bien les accompagner je vous prie ? »

La jeune femme s'exécuta dans un sourire, riant encore de la dernière plaisanterie du Cydien et la vieille nourrice la suivit de près. Anne était la mère de Mélissa et elles faisaient toutes deux un travail fabuleux auprès des deux petits garnements qu'étaient Elios et Erys. Ce soir, la petite fille semblait grognon, sans doutes à cause de la soirée, tandis que le garçonnet avait l'air heureux et paisible. Thémis entendit Erys se plaindre qu'elle n'avait pas envie de dormir et ne put lui en vouloir, étant elle-même particulièrement touchée par la situation. Elle en voulait à Soren de l'avoir délaissée avec les enfants pour travailler. Si d'ordinaire cela ne la choqua pas et si elle allait même jusqu'à respecter ce choix, aujourd'hui, elle avait envie qu'il soit là, près à veiller sur elle, dans ce genre de moments. Malgré plus de quatre ans de vie commune, l'homme demeurait de marbre face à ses suppliques et n'acceptait que rarement de l'accompagner aux repas ou autre réunions familiales. Elle le savait certes peu patient mais réprimait avec peine sa douleur face à ce comportement. Certes son mari était peu expressif mais elle estimait qu'il avait envers elle un minimum de devoirs et si jusque là, elle n'avait rien dit, son absence ce soir lui avait fait comprendre à quel point elle se sentait seule sans lui et totalement démunie. Anne haussa la voix et la petite fille en fit de même, obligeant la jeune mère à monter à l'étage calmer la demoiselle. Il fallut plus de trente minutes à la première née pour entendre raison et près d'un quart d'heure pour qu'ils acceptent enfin de se coucher. Lorsque ce fut fait, Thémis était d'autant plus énervée bien qu'elle soit restée impassible et calme face aux enfants.

« Excuse-moi de t'avoir fait attendre Flynn »
« Ce n'est rien ma belle » répondit-il pour la taquiner tout en reprenant plus sérieusement, « Si tu n'as plus besoin de moi, je vais devoir rentrer. »
« Un jour, Soren te coupera la langue s'il t'entend dire cela dans sa demeure ! » le rabroua-t-elle avec un sourire complice.
« Encore faudrait-il qu'il soit là »
« Il n'est pas rentré ? »
« Je pense que tu devrais faire un tour à l'auberge … d'après ce que j'ai entendu ... »

Il n'en fallut pas plus à la jeune femme. Excédée, fâchée, elle se dirigea vers la porte jusqu'à ce que son meilleur ami ne la rattrape par le poignet en lui demandant ce qu'elle comptait faire. Avec autant de calme que possible, elle lui expliqua qu'elle devait se rendre à l'auberge et il insista sur la dangerosité de la chose. Lasse d'être traitée comme une enfant ou une femme fragile, la demoiselle rétorqua qu'elle était suffisamment grande pour savoir quoi faire en pareilles circonstances ce qui ne manqua pas d'amuser l'écuyer. Elle se détendit en entendant son rire léger et lui expliqua la situation en quelques mots, lui demandant par là même s'il acceptait de rester garder la maison. Certes les deux nourrices resteraient jusqu'à son retour, profitant de l'hospitalité des lieux à leur guise, mais Thémis avait peur pour ses enfants depuis l'enlèvement du petit Elios et préférait qu'une présence masculine les accompagne. Après un moment de réflexion, Flynn accepta non sans l'obliger à prendre son épée et à enfiler un manteau sombre dont la capuche était doublée de fourrure blanche mouchetée de tâches noires.

Il ne fallut que peu de temps à la jeune Clari pour retrouver l'auberge du Pont divin. Par le passé, elle avait eu tendance à la fréquenter en compagnie de Flynn et l'ambiance n'avait guère changée vu de dehors. Des bruits d'hommes et de bagarres se faisaient entendre mais ce fut sans hésiter qu'elle pénétra dans la pièce. Il y avait la une quarantaine d'hommes, certains à terre, d'autres titubant, d'autres encore buvant un verre sans chercher à comprendre ce qu'il se passait et d'autres enfin, en train de se battre. Dans tous les coins, les coups pleuvaient si bien qu'elle resta sur le seuil, se demandant s'il était bien sage d'entrer. Son regard parcourut, atterré, l'ensemble de la pièce avant de se poser sur la carrure tellement familière du Zélote. Avec un hoquet de surprise, la jeune femme resta pantoise sur le pas de la porte avant que la colère ne la réanime. Il l'avait délaissée pour venir se battre comme un chiffonnier, voilà qui en était de trop ! La fille du Consul fit un pas, puis deux, en direction de son époux avant de tomber nez-à-nez avec Kyle.

« Kyle, pas toi ! » s'exclama-t-elle, indignée, tandis qu'il repartait dans la bataille.

Agacée, elle ne manqua pas de jeter une gerbe d'eau en pleine figure d'un potentiel assaillant qui avait jugé bon de s'en prendre à elle et qui désormais, trempé comme une souche, regardait la jeune femme qui l'avait agressait, incrédule. D'un pas décidé, elle se dirigea vers le Capitaine et, d'une voix qu'elle voulut dure, elle l'interpella d'un « Soren » virulent. Voyant qu'il ne réagissait pas et évitant de peu un coup tandis qu'il se bagarrait comme un malpropre, elle posa sa main tant bien que mal sur son épaule pour attirer son attention.

« Soren ! »

Le treizième type, Soren lui accorda une attention toute particulière.
Il l'avait entendu parler un peu avant de son dur labeur à la ferme, se plaindre de sa difficulté et de sa répétitivité éreintent. Pour toutes ces choses, il eut droit à un traitement particulier.

"T'es un fermier ? Tiens, voilà des oeufs."

Le coup de pied dans les noix l'envoya voler plusieurs mètres plus loin dans un tas de gougnafier déjà KO. Mais avant même son atterrissage, un grand sec ivre avait pris sa place, brisant un morceau de chaise sur le dos du zélote. La force et la surprise du coup lui fit coupa la respiration et le força à s'arc-bouter contre le comptoir dans un râle de douleur.

"Monumentale erreur."

Soren se retourna alors que le second coup arrivait. De son bras gauche il contra le morceau de bois qui s'envola derrière son agresseur qui, surpris et un peu dans le pâté, décolla à son tour suite à un crochet du droit sous le menton. Il fut réceptionné par la dernière table valide de la taverne qui, par chance, se retourna sous l'impact mais ne se brisa pas. Le sol était parsemé de morceaux de bois, de verre, de dents, de pommes et d'hommes virils dans les pommes. Le parquet maltraité se gorgeait de bières renversées dans un gâchis de marchandises déchirant. Le sol devenait glissant et poisseux: bien que passablement ivre, Soren était encore lucide quant à la stratégie à suivre sur un terrain accidenté. Il renforça sa position avec le comptoir derrière lui pour le stabiliser alors que ses assaillants se contentaient de charger en glissant sur les liquides. Son adversaire suivant commit cette erreur, lui permettant de le saisir et de le projeter purement et simplement sur deux autres types en train de se battre, dans un grand cri de victoire.

"Yeepi kaï pauv' con !"

Il tournait alors le dos à la porte. Mais entre tous ces gros bras, ces violents et ces soulards, c'est une femme deux fois moins grande que lui qui le surprit. Un vieux réflexe mêlant "toucher, taper" lui demanda de mettre un grand coup de bras en se retournant... Qui passa au-dessus de la tête de sa femme.

"Ah heu hmm heu.. Ah... Heu... Où sont les enfants chérie ?"

Alors qu'il finissait sa phrase, un balourd lui sauta dessus par derrière en hurlant comme un castrat... Peut-être le fermier de tout à l'heure ?

Spoiler:

Au milieu du chaos qui régnait à présent dans la pièce, Kyle offrait un spectacle des plus absurdes, occupé à repousser une demi-douzaine d’assaillants armé d’un tabouret de bar. Tenant fermement son arme improvisée d’une main, il la faisait tournoyer au-dessus de sa tête en rugissant, assommant sans pitié tous ceux qui oserait s’approcher de trop prêt. Trois hommes gisaient déjà inconscient au bord du cercle qui s’était formé autour du templier.

Malheureusement cerné comme il l’était Kyle ne pourrait tenir longtemps ses adversaires en respect, même avec le meilleur tabouret du monde. Changeant de tactique il lança son arme à la tête d’un des soulards l’envoyant immédiatement au tapis. Profitant de la faille ainsi crée Kyle s‘élança en bondissant dans l’ouverture, percutant au passage un autre combattant qui se tenait sur son chemin. Profitant de son élan Kyle le repoussa jusqu’au bar où il le neutralisa en lui heurtant l’arrière du crâne contre le comptoir.
D’un bond le nua enjamba le bar pour échapper à ses adversaire furieux. En guise d’arme, il se saisi de la première chose qui lui tomba sous la main, un tonnelet de vin.

Armé de ce redoutable instrument il se redressa en brandissant l’objet à bout de bras et l’abattit sans hésiter sur l’homme le plus proche, un pécheur probablement, mais Kyle ne prêtait plus attention à ce genre de détail depuis un moment. Le choc fut terrible, mais la petite barrique ne céda pas, contrairement au marin qui s’évanouit sur le coup. Mais la sinistre besogne du tonnelet n’était pas finie et Kyle le brandit à nouveau pour neutraliser un second adversaire, puis un troisième.

Finalement, emporté par sa frénésie, il projeta l’invincible conteneur au hasard dans la pièce, assommant probablement quelqu’un d’autre. Puis tel un fauve enragé, il bondit sur le comptoir avant de sauter au cœur de la mêlée, renversant plusieurs personnes dans le plus grand désordre.
C’est alors qu’il se relevait qu’il crut entendre une voix féminine l’appeler, une voix familière. Thémis ? Ici ?

« Impossible » se dit-il en se retournant pour la chercher du regard.

Malheureusement un violent coup de poing dans le visage l’empêcha de procéder à une fouille correcte de la pièce. Hurlant de rage il se retourna aussitôt vers son assaillant, pour lui rendre la monnaie de sa pièce, oubliant totalement la jeune femme.

Thémis Clari avait toujours été une enfant de caractère, vociférant quand elle n'était pas d'accord avec son père, elle ne faisait que peu de cas des bonnes manières. Par dessus tout, elle n'appréciait pas que souligne sa mauvaise foi et comme toute jeune enfant qui se respecte, elle estimait avoir toujours raison. Sa jeune sœur avait tendance à suivre son mauvais exemple si bien que le Consul dut très tôt s'imposer auprès de ses filles pour éviter les dérives. En grandissant, l'adolescente s'était montrée d'autant plus rebelle qu'elle se sentait exclus d'un cercle familial dans lequel elle ne parvenait pas à trouver sa place. Héloïse était une Cydienne quand elle n'était que le sang d'une traîtresse coulait dans ses veines. Chagrinée, malheureuse, la jeune apprentie s'était révélée parfois violente dans ses paroles, notamment envers toute forme d'autorité. Petit à petit pourtant, Maître Lymion était parvenu à briser la glace qui emprisonnait son cœur et s'y était insinué, tel un serpent près à fondre sur sa proie. Il était un homme bon, doux et calme, qui lui apprit tant la patience que la clairvoyance. Il était des situations où mieux valait se taire pour s'imposer par la suite. La force des femmes résidait selon lui dans leur caractère docile d'apparat. Il pensait à juste titre que les femmes gouvernaient beaucoup mieux dans l'ombre que sur les devants d'une scène. La jeune héritière n'avait pas mis plus de quelques mois à le comprendre et ainsi été née sa véritable nature. Fragile, timide et peu sure d'elle, elle n'en restait pas moins quelqu'un de charismatique que tous écoutaient lorsqu'elle prenait la parole. Adulte, elle avait continué d'être cette femme que tout le monde aimait et respectait non par crainte mais par amitié ou par envie. Anatoli Clari en personne lui avait un jour murmuré à quel point il était fier d'être son père.

Ils n'avaient jamais été d'accord. Sur beaucoup de points, le père et la fille étaient trop antagonistes pour s'entendre et trop différents pour se comprendre cependant, un lien universel les unissaient, celui de l'amour filial. Jamais la jeune femme n'aurait pu s'imaginer briser ce lien et toujours espérait-elle voir dans les yeux de son géniteur le même amour, la même fierté qui se lisaient parfois dans ceux de Soren quand sa fille venait lui montrer ses progrès. Cette chipie serait certainement aussi douée à l'épée que son père, elle terrorisait déjà son cadet avec les jouets de bois que leur avait offert le Capitaine, contre son avis. Elle apprenait à lire et à écrire et si c'était encore laborieux, l'enfant ne désespérait pas et s'entêtait, ne manquant pas de faire sourire ses nourrices. Quoi qu'il en soit, Henrick était par trop souvent absent pour se rendre compte à quel point leurs deux chérubins étaient des anges à fort caractère. Ils grandissaient si vite que Thémis avait l'impression d'être encore, quatre ans auparavant, dans cette chambre, le ventre rond, prise de contractions. Elle regrettait sincèrement que son époux ne puisse pas profiter d'eux mais savait également que ce dernier n'était pas suffisamment expressif pour s'intéresser aux enfants et vice versa. Il arrivait même à Elios de prendre peur lorsque son père rentrait tard, le visage assombri par quelques mauvaises nouvelles.

La jeune élémentaire n'en avait jamais voulu au Zélote de travailler jusque tard dans la nuit. Si elle déplorait ce fait de part son absence, elle appréciait néanmoins le sentir près d'elle lorsqu'il déposait un baiser sur son front en allant se coucher, sans doutes de peur de la réveiller. Cependant, elle regrettait qu'il s'échappe toujours et qu'il refuse les dîners familiaux, comme si quelque chose dans sa famille le gênait cruellement. Son père et lui n'avaient certes pas les mêmes idéaux mais il lui semblait que le Consul appréciait le métisse ou tout du moins, qu'il avait appris à s'en contenter. Peut-être était-ce sa propre sœur qui l'outrageait ? Il était vrai que Héloïse ne mâchait pas ses mots, peu friande des Astorgs, elle avait tendance à prendre un malin plaisir à blesser Thémis, Soren ou Erys qui ressemblaient par trop aux nordiques des régions montagneuses. Cependant, elle estimait que l'ancien Princeps était suffisamment intelligent pour se défendre et ne voyait pas ce qui avait pu changer dans le comportement de sa cadette au point qu'il en évitât tous les repas. De le voir s'amuser dans cette auberge la vexa tant et si bien qu'elle avait envie de lui donner une bonne leçon.

La petite taille de la métisse avait souvent été un handicap. De nature plus fragile, elle amplifiait l'impression de maigreur sur sa personne ce qui lui avait valu quelques moqueries enfant ou adolescente. Néanmoins, si cette faiblesse corporelle avait manqué de lui coûter la vie à la naissance de sa fille aînée, elle venait ce soir-là de lui sauver l'existence. Soren était un homme d'action, mieux valait un coup d'épée à mille mots selon ses dires et elle constata que l'alcool ne changeait en rien cette position chez son époux. Bien au contraire, il semblait attiser ce trait de caractère comme la braise attise les flammes. Quant à Kyle, il était déjà repartir sous le coup de ses adversaires songea-t-elle avec humeur. La réaction de Soren ne manqua pas de l'énerver au plus haut point mais tandis que sa colère bouillait, quelqu'un se jeta sur lui tant et si bien qu'il l'en oublia totalement. De son côté, le Crépusculaire avait également totalement oublié sa présence, se battant à son tour comme une chiffonnière. Au comble de l'humeur, la jeune femme tenta bien d'entrer en communication avec l'un comme avec l'autre.

« Kyle ! Ca suffit » tenta-t-elle à l'attention de ce dernier mais le bruit de la bagarre couvrit sa voix.

« Soren ! » hurla-t-elle un peu plus fort.

A nouveau, le bruit des mâchoires brisées et des poings échauffés couvrit le son de sa voix. Agacée, passablement sur le point de vouloir frapper à son tour quelqu'un, la jeune femme hésita sur la tournure qu'allaient prendre les événements. Elle escomptait se changer en tigre pour mordre le premier venu mais comprit bien vite que cette idée était toute aussi stupide que dangereuse. Peut-être qu'un bon bol d'eau froide suffirait à calmer ces messieurs ? A voir la façon dont ils se comportaient, car elle venait d'éviter de peu un coup qui ne lui était pas destiné, Thémis comprit que c'était inutile. Ce fut quand son regard croisa un objet fort peu insolite dans ce genre d'endroit qu'elle comprit qu'elle tenait la solution à son problème.

D'un pas décidé, la jeune médecin se dirigea vers le tonneau en question et, sans même hésiter après avoir esquivé le corps d'un malheureux assommé et le poing d'un homme trop aviné pour différencier une femme d'un adversaire, elle se posta à côté. Un soûlard l'approcha à son tour et, trop agacée pour chercher à comprendre ce qu'il lui voulait, elle le repoussa d'une violente vague d'eau gelée. Le choc thermique sembla faire son effet si bien que l'homme se retrouva sur les fesses, la regardant d'un air ahuri, peu sur d'avoir compris ce qu'il venait de lui arriver. Sans même s'attarder avec cet idiot, la jeune femme déboucha le tonneau et entreprit de commencer son affaire. Sans un mot, motivée uniquement par une colère froide, Thémis se concentra sur son précieux don. Manipuler l'eau était devenu quelque chose de naturel, manipuler en revanche de la bière était beaucoup plus délicat, elle ne pouvait pas promettre de ne pas en renverser. Le tavernier paru outré mais n'esquissa pas un seul mouvement, de peur peut-être de la concentrer et qu'elle ne renverse son précieux liquide sur le plancher. Elle focalisa son attention sur l'élément pour entrer en phase avec lui et lorsqu'elle fut certaine que ce soit fait, elle accepta de décrocher un regard à l'homme.

« Il serait tellement dommage que j'en déverse le contenu par inadvertance » se contenta-t-elle de répondre au regard effaré du tavernier.

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