C’était comme une révélation. Quelque chose que je n’avais jusqu'à présent même pas imaginé tant cela me passait au dessus de la tête. Ma vie n’était destinée qu’à la vengeance, venger la mort de ma meilleure amie. Une envie de justice qui tournerait sans doute mal si quelque chose devait survenir, je le savais, j’en étais persuadé. J’avais peur, non pas pour moi mais pour Auween, peur qu’elle en fasse les frais, qu’elle soit prise pour cible à son tour. Je e pourrais jamais me le pardonner si, encore une fois, l’une des femmes les plus importantes pour moi venait à faire les frais de ma faiblesse. Pour cela, j’avais décidé de changer de technique, d’allier ma propre hargne à mon désir de protéger ceux qui me sont cher.
J’errais dans les rues de Cydonia en quête de quelque chose, arrivé dans l’Agora, je marchais tranquillement avec la capuche rabattue sur mon visage tout en regardant les échoppes. C’était une décision primordiale, évidente et pourtant je n’avais jamais réellement pensé à l’appliquer. Et pour cause, j’avais tellement appris au temple que la paix était la clé de toutes choses, j’en avais occulté la terrible réalité de ce monde : La paix est instable et la guerre, la mort et la souffrance la rongent, peu à peu. Le rôle des templiers était de protéger cette paix fragile, bien que je sois devenu crépusculaire pour enquêter librement, je restais au fond de moi un templier de l’aube. Ma haine des zélotes n’allait pas au point de rentrer au monastère et de rentrer dans le tas, je n’avais d’ailleurs jamais vraiment croisé de zélotes. Depuis que j’avais rencontré la femme de ma vie, je me rendais compte que ma vie n’était qu’un choix aléatoire de mauvaises décisions que j’avais faites. Au final, la seule chose censée que j’avais faite dans ma vie était de tomber amoureux d’Auween. Son caractère si particulier était bénéfique sur moi, elle arrivait à me calmer si aisément que même Ferris aurait été déconcertée.

J’esquissais une pensée malsaine pour ma mère, cela faisait plusieurs mois depuis notre dernière rencontre et cette garce n’était pas décidée à rendre l’âme et libérer Cydonia de sa présence si incommodante. Il était rare que j’haïsse quelqu’un à ce point, mais elle restait ma mère, je ne pouvais me résoudre à lui faire du mal et en ce sens, die du mal d’elle était le seul moyen potable que j’avais pour libérer ma fureur contre elle. L’instigatrice de tout, celle qui m’avait privée de ma vie étant enfant, séparé de ma sœur et envoyée à la perdition. Au fond, je repensais à ce que Scarlett m’avait dit e même jour : « C’est la souffrance qui rythme notre quotidien ». C’était mon cas depuis longtemps, la cydienne avait marqué un point cette nuit là, il fallait lui accorder. Néanmoins, la souffrance n’était pas enviable, même pour quelqu’un qui ne me ferait pas verser la moindre larme à sa mort. Auween était tout pour moi, le simple fait de la savoir en danger me faisait mal, la savoir blessée me tuerait presque, je ne préférais même pas imaginer le pire. J’étais cependant rassuré d’être en contact constant avec elle, ne serait-ce que pour savoir comment elle va et ce qu’elle devient. Quoi que, depuis ces deux derniers jours, nous avions perdu le contact, probablement était-elle très occupée.

Je m’arrêtais brusquement, une enseigne attirait soudain mon attention : « L’arme enchantée ». Une forge, exactement ce que je recherchais. J’avais pourtant du en rater plusieurs depuis que j’étais perdu dans mes pensées, en même temps que j’avais manqué de bousculer deux ou trois passants. M’enfin, peu m’importais, j’étais de toute manière trop fatigué pour prendre le temps d’explorer toute la vile. J’entrais dans l’échoppe, la porte s’accompagnait d’un très léger grincement et d’un petit bruit de clochette. Ouvrant sur moi un magasin très garni d’armes en tous genres, je prenais le temps d’observer la facture d’une épée posée sur un râtelier. Chassant ma capuche d’un geste de la main, je posais les yeux sur l’arme, visiblement de très bonne qualité, ce qui ne manquait pas de me rassurer. Je ne savais pas encore ou j’étais réellement arrivé, mon esprit marchait au ralenti et pourtant j’avais très clairement détecté un autre esprit que je connaissais, mais je n’arrivais même pas à organiser mes pensées assez vite pour retrouver de qui il s’agissait.

Et pourtant elle était là, déjà en train de poser son regard sur moi. Mon regard croisa celui de Lunielle et au fond de moi, j’étais en train de me dire que j’étais un parfait abruti. Comment n’avais-je pu reconnaitre la présence de l’elfe ? Nous ne nous connaissions peut être pas forcément très bien, d’autant que j’avais délibérément caché mon histoire et ma véritable appartenance. Depuis cette expédition, je ne l’avais pas revue, cela faisait pour ainsi dire deux bon mois, peut être même plus. Je restais bête un instant avant de finalement esquisser un sourire un peu gêné. J’étais content de la savoir en bonne santé mais si j’avais imaginé un seul instant tomber par hasard dans sa boutique, j’aurai au moins pris la peine de me réveiller correctement. Mais, au moins, je savais que Lunielle était l’une des meilleure forgeronnes que j’ai jamais connues.

« - Azthia est vraiment petit… »

Un léger rire amusé s’échappe de ma bouche, je m’approche alors du comptoir, ne manquant pas de passer ma main dans mes cheveux en signe d’embarras. J’aurais pu au moins prendre la peine de la prévenir que je passerais… Si j’avais su. Décidément, je faisais tout de travers ce matin. J’oubliais un instant ce pourquoi j’étais là, retrouver une amie était plus important que mes petites affaires.

« - Cela fait un petit moment déjà ! Comment vas-tu ? »

Comme à mon habitude, le manche de ma faux camouflée en bâton était appuyé sur mon épaule tandis que je posais mes questions. J’en oubliais également mes inquiétudes et mes doutes, à cet instant précis, j’étais concentré sur Lunielle, lui prêtant toute mon attention.

Lunielle avait le don pour mettre les gens dans l’embarras, ce simple sourire alors que j’étais déjà gêné n’arrangeait rien. Cependant je devais reconnaître qu’elle était bien plus causante que lors de ce voyage dans le désert. Le temps qu’il avait fallu pour nous faire mutuellement confiance aidait beaucoup nos relatons actuelles. Elle répondait si naturellement qu’elle semblait tout de même assez méconnaissable, je me souvenais encore de son caractère un peu renfermé qu’elle avait eu aussi longtemps qu’avait duré cette courte escale. En revanche, elle ne me laissait pas le temps de répondre, s’empressant de me proposer quelque chose à boire et de me faire sourire en racontant qu’elle devait prendre soin e ses amis. Décidément, en quelques mois elle avait changé du tout au tout. Ou peut être était-ce en lien avec le fait qu’on se connaissait un minimum maintenant. Je devais le reconnaître, l’automne était une saison passablement fatigante. Je me posais tranquillement en acceptant volontiers un chocolat chaud, c’était à mon sens le meilleur pour lutter contre le léger vent froid.

« - Plutôt bien également, peut être un peu fatigué par mes journées, ces derniers temps. Rien de bien méchant, c’est la routine quoi. »

J’avais pris l’habitude de fermer mon esprit en présence de Lunielle, pour plusieurs raisons, je ne voulais tout d’abord pas qu’elle puisse ressentir la même chose que moi mais surtout, qu’à l’époque ma simple présence avait le don de lui filer d’importants maux de crâne. Petits secrets mis à part, je n’étais pas du genre à cacher beaucoup de choses à mes amis, seuls certains points de mon passé devaient rester encore enfouies au moins pour le moment. Peut être qu’une fois que je serais soulagé du fardeau que je porte, je pourrais peut être enfin en parler librement. Actuellement il n’existait que peu de personnes au courant de mon histoire, Auween étant de manière évidente, la plus privilégiée. Lunielle et moi étions liés d’une manière peu commune, elle n’avait que très peu de souvenirs et cherchait à les retrouver, moi je les avais mais voulait les oublier. Assez paradoxal en soi, il n’en était pas moins amusant comme situation de voir deux personnalités animée d’un désir parfaitement opposé s’entendre à la perfection. Si on pouvait bien entendu parler d’une entente parfaite, le peu de fois ou nous avions débattu, nous étions tombés en accord.

« - Je passerai volontiers plus souvent si ma mission me le permettait, crois moi. Il est plus agréable d’être en compagnie de ses amis que de chasser des meurtriers un peu partout dans le pays. Mais bon, il faut bien que quelqu’un s’y colle, une fois que j’aurai terminé j’aurai bien plus de temps pour mes proches, je préfère pour le moment finir cette mission et les savoir en sécurité, c’est une priorité pour moi. »

Je fais une pause un instant, conscient que parler de meurtriers et tout le bazar n’était pas le sujet de conversation le plus sympathique au monde.

« - Enfin bon, comme je te le disais, c’est la routine. Et toi de ton côté ? Comment vont les affaires ? Et au niveau d l’Esprit, j’imagine que tu as moins de soucis non ? »

Je l’espérais du moins, avoir mal au crâne à cause d’un don le transformait rapidement en malédiction. Mais théoriquement, si elle avait suivit mes quelques conseils, elle devait avoir un peu moins de mal à gérer les flux émotionnels qu’elle captait. Même s’il était peu probable qu’elle apprenne à le maîtriser au même degré que les templiers, elle pourrait en apprendre assez pour gérer tout ce qu’elle était apte à capter et protéger son propre esprit de celui des autres. Je me souviens encore de ce qu’elle m’avait dit à l’époque, la réaction typique de chaque sensible, chose que les templiers apprenaient justement à ne pas faire. Je la fixais avec un sourire inscrit sur le visage, quelque part, c’était comme un accomplissement pour moi d’avoir pu lui rendre ce service. Appuyant toujours ma canne contre mon épaule, je me demandais aussi pourquoi elle n’avait pas insisté à l’époque pour savoir à quoi elle me servait, pour la simple et bonne raison qu’elle avait l’œil, c’était une forgeronne d profession après tout, il semblait évident qu’elle avait ne serait-ce qu’une vague idée de ce que ce bâton pouvait être. Maintenant, je pense que si elle me le demandait, peut être que je le lui dirais, maintenant que nous avions brisé la glace. Cela me rappelait d’ailleurs que je n’étais techniquement pas venu pour la voir en particulier, le hasard avait seulement joué en notre faveur, il fallait l’avouer mais je ne devais pas perdre le véritable motif de ma visite pour autant.

Le temps filait à une vitesse incroyable, tant de choses s'étaient passées pour Lunielle en seulement quelques mois. De bonnes et de mauvaises choses visiblement, c'était notre lot à tous. Cette mystérieuse quête dans le désert n'était au final ni une mauvaise ni une bonne fin, plutôt une cruelle et perpétuelle attente criblée par la mystère qui entourait la disparition d'Ahina. De mon côté hélas pas grand chose, pourtant j'étais toujours aussi décidé à retrouver l'assassin de ma meilleure amie. M'enfin, c'était après tout un autre tour du destin, cela ne pouvait être que ça, je croyait peut être aux coïncidences mais pas assez pour avoir simultanément de moins en moins de nouvelles d'Auween et tomber purement par hasard dans la forge d'une amie. Un coup du destin, oui, il ne pouvait y avoir que cela. C'était ce que nous vivions qui forgeait notre avenir, notre caractère. S'il y avait bien quelque chose qui m'avait marqué c'était cette phrase.

« - Désolé de ne pas avoir pris la peine de te raccompagner jusqu'à Cydonia, les choses se seraient probablement déroulée autrement... Avec cette meurtrière. »

C'est tout ce que je trouvais à dire sur le moment, ce qui n'était pas faux en soi, peut être aurais-je pu éviter cette fin funeste. Mais bon, il était trop tard pour me morfondre là dessus, je devais me rendre à l'évidence, j'avais encore abandonné une personne ce jour ou j'étais parti dans ma propre direction. L'Esprit de Lunielle était devenu fort, c'était inévitable, elle qui avait tant envie de se débarrasser de ses maux de tête. C'était aussi à cause de ça que je cachait aussi mon esprit, elle devait être apte à ressentir des sentiments bien différents maintenant qu'elle était capable de discerner le flux qu'elle recevait. Tout naturellement et sans grande surprise, son attention se posait à nouveau sur mon bâton, qui l'avait toujours plus ou moins intrigué depuis notre rencontre. Ce sourire qu'elle m'arrache alors me décide finalement à lui expliquer la totalité de l'histoire.

« - Il m'est d'habitude assez simple de cacher le véritable rôle de ma canne, en réalité il s'agit bel et bien d'une arme, je dirais même plus qu'il s'agit de mon arme. La vraie. »

Une légère impulsion d'énergie me suffit pour activer l'arme runique vert pâle qu'était ma faux. Lunielle était l'une des rares personnes à voir ma véritable arme, même Auween n'avait jusqu'à présent jamais entendu parler de mon arme runique. Amusant d'un sens que la personne qui m'était la plus chère n'était pas celle qui en savait le plus sur moi dans un domaine particulier.
Quelques instants puis la lame disparaît, je pense que Lunielle avait bien cerné le pourquoi du comment à présent.

« - Atypique comme arme, non ? Tu étais bien la seule que je connaisse à qui il était compliqué de cacher cette arme, l'expertise y est pour beaucoup... Je n'ai pas pour habitude de m'en servir, pour ne pas dire jamais et il n'est pas dans mon intérêt que cela se sache. »

Un léger silence se pose, peut être que Lunielle ne réalisait pas qu'elle avait levé le voile sur l'un de mes secrets les plus mystérieux. Quelque part, il était plus facile de découvrir des informations personnelles que moi qu'un détail aussi subtil qu'une arme. En parlant d’arme d'ailleurs, elle touchait l'objectif même de ma venue.

« - En effet, c'était à la base ce pourquoi je suis venu... Je cherche à obtenir un gantelet en plaque, mais un peu spécial. En gros il me faudrait une pièce d'armure qui couvre le bras et la main mais qui soit bien plus épais que la moyenne. Pas aussi efficace qu'un bouclier mais plus pratique pour le combat rapproché. Assez imposant pour pouvoir dévier une lame mais pas au point de m'empêcher de mouvoir mon bras normalement, et c'est là la subtilité. Mais je sais que c'est réalisable, et puisque je sais que c'est toi qui t'en chargera, j'en suis plus que persuadé maintenant ! »

Un rire léger et sincère s'échappe alors. Ce n'était pas qu'une flatterie lâchée pour faire joli, je le pensais sincèrement après tout. Pas très simple de décrire un tel objet et pourtant j'avais la sensation que Lunielle avait saisit ce que je lui racontait, pourtant j'avais moi même du mal à me représenter l'objet en question maintenant que je reprenais mes mots. Une formulation plus simple aurait été de mise, sans m'embrouiller dans les détails...

« - C’est justement parce que je ne veux pas m’affirmer comme sortant du lot que cette arme m’embarrasse plus qu’autre chose. La différence, le fait de sortir d’un lot ne m’a apporté que des ennuis par le passé. »

Je me tais, Il n’était pas nécessaire d’en dire plus pour que Lunielle s’imagine quel genre de choses j’avais pu connaitre. C’est en effet le fait de posséder l’Esprit qui était la source de toute mon histoire, la séparation avec ma sœur, le fait de ne pas avoir pu la protéger de ma mère. Bien qu’il y ait sa part de bons souvenirs tels que la rencontre avec Elenwë et les passages douloureux que ces rencontres ont engendré. Mais maintenant j’avais un avenir qui se présentait et que je devais en parti à tous les malheurs que j’avais supporté, maintenant, j’avais rencontré Auween. S’il y a bien une chose que je ne voulais pas, c’était réitérer les mêmes erreurs que dans le passé et pour ça, j’avais besoin de m’équiper en vue des pires choses imaginables.
Ce que je demandais a Lunielle n’était pas anodin, je doutais que beaucoup de gens vienne dans sa forge avec une demande si particulière, la logique même d’une armure souple et assez efficace était ni plus ni moins qu’une armure en maille ou en cuir, mais là je parlais bien de plaques d’armure. Un ouvrage compliqué sur le principe mais qui ne semblait pas désorienter ma forgeronne préférée. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, elle avait déjà un croquis dessiné à la va-vite qu’elle me montrait pour tenter de m’expliquer toute la démarche. Des petites pièces séparées, assemblées de manière à être à la fois souples et serrées de manière à couvrir parfaitement la zone protégée. L’utilisation d’un alliage permettant de lui fournir une certaine résistance était envisageable en plus de tout cela. Je n’étais pas expert en forge mais j’avais le minimum requis pour comprendre la majeure partie de ce qu’elle me racontait. Le tout me semblait vraiment intéressant, ce que je voulais savoir était ce que cela pourrait donner une fois réalisé, la théorie était toujours plus sympathique que la pratique, c’était bien connu. Lorsque Lunielle me parlait d’un logo, j’étais prêt à répondre que je n’étais pas du genre à m’occuper de ce type de décorations à mon sens superficielles et inutiles.

Cependant, j’avais cette fois une bonne raison de ne pas faire comme à l’accoutumée. D’un côté je sortais la moitié de collier que ma sœur m’avait légué peu avant que nous ne soyons à jamais séparés, la partie gauche du pendentif, symétrique à celle que j’avais offerte à Auween ressemblait fortement à un soleil brisé couleur turquoise. De l’autre, je sortais la rapière d’Elenwë et l’activais, avant de me lancer dans une explication.

« - D’ordinaire je t’aurai répondu que les logos et les décorations d’une manière générale m’importe peu mais cette fois, c’est différent. Je ne sais pas si c’est réalisable mais si ça l’est, j’aimerai que tu fasses figurer une petite gravure de la forme de cette rapière avec ce pendentif accroché à son extrémité, ce sont deux symboles importants pour moi. »

Aussi étrange cela pouvait il paraître, moi qui n’avait pas l’habitude d’afficher aussi visiblement des sigles en lien direct avec mon passé, j’avais pour cette fois décidé de faire une entorse à mon code de conduite. La symbolique de la pièce d’armure serait double de cette façon.
Probablement que Lunielle se demanderait pourquoi, alors que j’avais clairement annoncé que c’était une exception cette fois ci. Peut être allait-elle s’interroger sur la symbolique en question, après tout je lui avais dévoilé que mon arme était une faux, ce qui revenait à dire que la rapière que j’avais avait son propre rôle. De même que le demi-collier, elle qui était elfe devait probablement connaitre la signification qui y était accroché ou, du moins, elle saurait reconnaître l’ouvrage accompli par le joaillier. Après tout, elle était forgeronne, bien que cela diffère du joaillier, elle savait cependant évaluer le travail d’un artisan, et ce peu importe le domaine. C’était probablement ce que l’on appelait l’expertise.

Prise d’un élan d’inspiration, Lunielle avait déjà commencé à dessiner ce que je lui avais demandé. J’aurai été bien stupide si je n’avais pas remarqué ce petit côté interrogateur qu’elle avait en examinant le collier de près, forcément, elle avait du naturellement déduire qu’il n’était à l’origine pas à moi. Elle n’osa cependant pas me questionner à ce sujet, pensant probablement que je le prendrais mal ou que peut être je refuserais de répondre. Pourtant je prenais les devants, cette fois ci.

« - Ce pendentif appartenait à ma petite sœur, elle me l’a confié peu de temps avant sa mort. »

Avec le temps je parlais plus facilement de mon passé, surtout à mes amis. Auween m’avait appris à accepter le passé, à ne pas l’enfouir et me laisser souffrir. Parce que la souffrance nous indique que nous sommes vivants et qu’aussi longtemps que je vivrais, j’avancerai. Lunielle me tendais l’esquisse réalisée qui collait impeccablement à ce que j’imaginais tout en m’invitant à rester si jamais je n’avais ou aller. Malheureusement j’avais des affaires à régler en ville, des choses qui attendaient depuis bien trop longtemps.

« - C’est gentil mais je dois m’occuper de certaines choses en ville, cette cité m’a vu naître et ma famille -ou du moins ce qu’il en reste- vit non loin de là. J’ai esquivé ma mère trop longtemps parce qu’elle m’a privé de ma sœur, j’ai décidé d’arrêter de vivre dans le passé. »

Ce n’est pas mon air sombre mais plutôt mes sentiments de haine qui avaient trahi mes paroles. Bien que je n’aie pas dans l’esprit de tuer ma mère, j’étais probablement la dernière personne qui pleurerait sa mort. D’un petit geste cordial à la forgeronne, je lui souhaite bon courage et lui promet de revenir dans trois jours, je préférais la laisser à son œuvre tranquillement, bien que j’étais curieux de savoir comment elle s’y prendrait, la déconcentrer ne servirait à rien.
Je marchais à présent en direction du manoir familial, redoutant d’un côté l’idée de faire face à cette sorcière une fois encore. J’aurai probablement du mal à ne pas la baffer cette fois ci. A ma grande surprise, les grilles étaient ouvertes très légèrement, l’allée de fleur semblait légèrement délaissée et une sinistre impression planait au dessus de la demeure. Par chance, je recroisais Darich, notre jardinier qui semblait dépité, accablé par quelque chose qui me dépassait. Je vins à lui et il me salua formellement, lui qui avait toujours été un chic type et m’avait connu depuis tout petit.

« - M’sieur Ethiann, ça fait plaisir de vous revoir !
- Cela ne fait pourtant pas si longtemps depuis ma dernière visite, Quelles sont les nouvelles dans l’antre du dragon ? »

D’ordinaire il aurait esquissé un sourire ou même osé rigoler en m’entendant comparer ma mère à un dragon, mais cette fois rien, il semblait franchement triste, chose qui n’était arrivé qu’au moment ou il était devenu veuf.

« - M’sieur Ethiann, votre mère nous a quitté, il y a deux semaines de cela… J’suis désolé pour vous.
- Il n’y a pas de raisons à l’être Darich, c’est plutôt une bonne chose que cette garce soit partie.
- C’était tout de même votre mère…
- Peut être, mais une mère digne de ce nom prend soin de ses enfants, chose qu’elle n’a jamais fait, elle n’a donc été jamais considérable en tant que telle.
- Vous lui en voulez toujours à cause du mal qu’elle à fait à la petite Ferris ? Je peux comprendre que vous ne la portiez pas dans son cœur à cause de ça mais de là à se réjouir de sa mort...
- Ne te méprend pas, je ne m’en réjouis pas mais je ne la pleurerai pas, elle a trop fait de mal de son vivant pour que quiconque puisse la pleurer. »

Il savait très bien de quoi je parlais, Darich avait été un genre de nounou pour nous, Ferris et moi l’avions connu toute notre enfance et il savait très bien ce qui se tramait dans la demeure, mais comme les autres domestiques, il n’avait jamais rien dit, parce que comme tous les gens dans le besoin perpétuel, il devait gagner de quoi manger le soir. Je ne pouvais le blâmer pour ça, d’autant qu’il était aussi brisé que moi, sa vie n’avait été que tristesse et malmenage par mes parents qui de leur air hautain prenaient plaisir à le traiter comme de la merde. Chose que je n’avais jamais faite et que je n’aurai jamais fait, peut être parce que contrairement à mes parents, je savais reconnaître les gens à leur juste valeur. Si ma mère était décédée, j’étais légalement l’héritier de la demeure et de leur fortune… ça me faisait une belle jambe.
Entre cette maison qui avait été le théâtre de l’injustice et de haine et une fortune qui ne me servirait jamais, je n’avais que faire de tout cela. Ma vie au temple m’avait suffi, les richesses et la noblesse m’importaient peu, je ne demandais qu’a vivre avec celle que j’aime, fonder une famille profiter de ma vie ainsi. J’entrais dans la maison, le personnel était toujours ici, patientant le temps de mon retour, tous vinrent me présenter leurs condoléances que je fis mine d’accepter par respect envers tout ceux qui avaient supporté la pire des patronne pendant de longues années. Le manoir semblait bien peu animé avec tout ça, je ne me plaisais vraiment pas ici mais je devais patienter trois jours avant de repartir.

Je possédais tout ce que je ne pouvais pas apprécier après toutes ces années : le pouvoir. Le pouvoir sur au moins tous les convives de la maison et sur une fortune dont je ne ferais rien, ou presque rien. Tout le monde se remettait au travail très rapidement, visiblement sous l’habitude d’avoir ma défunte mère pour leur crier dessus.

« - Calmez vous tous, prenez votre temps, profitez en pour souffler, je ne blâmerai personne comme ma mère avait l’habitude de le faire… »

L’ambiance se détendait avec difficultés mais tout de même, Darich était toujours à mes côtés et se permit d’en rigoler, il avait bien raison. J’explorais les pièces de la maison une par une, profitant même de tout ça pour aller jusqu’au bureau de mon père, impeccablement rangé, comme à son habitude. Je me posais à la place qu’il occupait jadis, j’imagine qu’a ce moment j’aurai du ressentir un vague sentiment de nostalgie mais non, rien y faisait. Je parlais de justice plus tôt mais je me rendais compte que ce n’était pas vrai, il y avait des personnes lésées par toute l’histoire de mon enfance. Je saisissais le livre de comptes que ma mère avait visiblement continué de tenir pendant des années, récapitulant les possessions de la famille dans les moindres détails. Il y avait largement de quoi faire avec tout cela.
Je prenais le temps de réfléchir à comment gérer tout ce beau merdier, une idée germait déjà dans ma tête mais j’attendais encore, cherchant les possibilités qui m’étaient offertes. Le temps de calculer tout ce que voulais faire me prendrait facilement… deux ou trois jours. J’imagine que pendant cette durée, je devrais jouer le sale petit noble bouffi d’orgueil que je n’avais jamais voulu être et ne serait probablement jamais. Le repas et la chambre étaient prêts, tous travaillaient d’arrache-pied afin de me mettre à l’aise.

Une première nuit passait, j’avais la sensation de mal être la plus horripilante du monde. A tel point que j’en dormais assez mal, me relevant la nuit pour feuilleter des vieux carnets de mon père. Il avait toujours eu cette manie de tout noter, tout ce qu’il faisait, tout ce qu’il voyait et tout ce qu’il projetait. C’est ainsi que j’apprenais peu à peu qu’il n’avait jamais cessé d’aimer la mère de Ferris, mais les obligations maritales envers ma mère en décidaient autrement. J’avais également appris que ma mère l’avait incité plusieurs fois à se débarrasser définitivement de ma sœur à l’époque, de manière toutes aussi ignobles les unes que les autres et fort heureusement, ce dernier n’avait jamais cédé. Mon père avait toujours été un bon commerçant, parfois un salopard qui manipulait tellement bien son affaire qu’il s’en était attiré des soucis mais jamais au grand jamais il n’aurait fait de mal à quelqu’un, ce qui était une bonne chose. Plus je lisais et plus je retrouvais au fond de moi un peu d’estime pour lui. Je savais aussi qu’il n’aimait pas l’un de ses beau-frère, Puisque j’avais trois oncles et que je n’arrivais jamais à me souvenir de leurs noms tirés par les cheveux, je savais simplement qu’il n’avait jamais aimé celui qui manipulait l’eau, ce qui incluait mes deux cousins. En revanche il s’entendait bien avec le frère ainé de ma mère, ainsi que ma tante mais ces derniers avaient péri dans un incendie, avec leurs deux filles, le manipulateur d’eau et mes deux cousins. Je n’avais jamais connu vraiment cette partie de la famille, à peine avais-je aperçu l’une de mes cousines une fois mais je ne m’en souvenais pas vraiment. Tout ce dont je me souvienne était qu’elles étaient des jumelles et élevée dans la complaisance type d’une famille de riches. Je pense que je ne me serais jamais entendu avec elles si elles étaient encore vivantes.

La deuxième journée se voulait plus détendue, je prenais le temps de mettre tout en place pour le lendemain ou je devais retrouver Lunielle. Auween de son côté ne me donnait aucune nouvelle très probante, j’avais l’impression que notre lien s’effritait avec le temps. Contraire à toute logique, j’avais insisté auprès de tout le monde pour que nous dinions ensembles, ils avaient vécu si longtemps dans cette maison sans jamais apprécier un repas plus convivial, tous avaient compris que je ressemblais en rien à mes parents, caractériellement parlant. Bien plus diplomate et agréable, c’est ainsi qu’ils m’avaient qualifié, en plus d’être aimable et simple, il est vrai que la tendance d’un homme propulsé subitement à la tête d’une fortune considérable pourrait faire tourner la tête mais il n’en était rien, d’autant que je ne comptais pas la garder.

Troisième jour, le matin, j’avais fini d’empaqueter tout mon attirail auquel j’avais ajouté quelques bouquins que mon père avait écrit et brulé le reste. Je conservais simplement un parchemin cacheté du sceau que mon père utilisait à l’époque et j’embarquais une petite quantité d’argent, suffisante pour le voyage que j’allais entreprendre. Le reste n’était que fioriture, un amas de souvenirs dont je ne ferais rien, autant qu’il serve à quelqu’un d’autre. Sur le pas de la porte et devant l’incompréhension globale de tout le monde, je répétais pour la troisième fois ce que j’avais écrit sur le parchemin scellé que j’avais confié à Darich.

« - Je vous confie à tous cette maison, elle est à vous, sur cette lettre j’ai indiqué précisément les modalités de la cession, elle est à vous, parce qu’après tout ce temps que vous avez passé à l’entretenir et toute l’énergie que vous avez déployé pour la rendre si animée et joyeuse, vous y avez investi bien plus que n’importe quelle fortune ne pourra jamais acheter. La fortune de la famille Tylmar, je vous la confie également, c’est quelque chose qui vous revient de droit également, ma famille n’aurait jamais rien été sans vous tous. »

Médusés par ma déclaration, les larmes que je voyais étaient des larmes de joie et de la tristesse en même temps, l’Esprit me permettait de lire distinctement que tous auraient voulu me garder ici et me servir comme ils avaient servi mes parents avant moi. Ce travail avait été leur quotidien pendant de longues années, des années passées à subir les brimades de ma mère et les excentricités de mon père. Aujourd’hui je leur rendais une liberté à laquelle beaucoup n’inspirait plus ainsi que suffisamment de fond pour que chacun puisse vivre de sa rente allègrement sans se soucier de l’avenir, ils avaient à présent le temps de vivre leur vie, de profiter de celle-ci et pour certains de remonter la pente. Darich fut le premier à venir me serrer dans ses bras, il m’avait toujours apprécié et de mon côté je l’avais toujours considéré comme un frère, même si par son âge il aurait pu être mon père. Tous suivirent, exprimant leur gratitude pour ce que j’avais fait alors que je trouvais moi-même que c’était une bien maigre compensation vis-à-vis de tout ce qu’ils avaient fait. Je n’aimais pas vraiment les adieux, plus courts ils étaient plus cela me convenait. Je prenais le chemin du portail sous une exclamation ultime de Darich.

« - Vous serez toujours le bienvenue ici m’sieur Ethiann ! »

Je ne me détournais pas, j’avais pourtant envie de le faire, mais je ne voulais pas que ce brave Darich voie qu’il avait réussi à m’arracher une larme. Ils avaient tous, par leur gentillesse et leur dévotion touché mon cœur à leur manière, je ne les oublieraient jamais et me promettais un jour de revenir prendre de leurs nouvelles.

Revenu dans l’Agora, j’étais à présent au pied de « l’arme enchantée », me demandant ce que Lunielle avait bien pu me confectionner.

Lunielle me sortait de mes songes, elle m'avait vu ou entendu arriver, ou peut être avait elle surveillée, je n'en savais rien. Je la suivais à l'intérieur et me retrouvais en face de la création qu'elle avait passé trois journées. Je posais les yeux dessus, bluffé par le résultat qu'elle me présentait. Il ressemblait à s'y tromper à un gantelet léger, alors qu'en réalité il était bien plus épais qu'il ne semblait l'être, possédait la même marge de manœuvre qu'un gant basique, le travail était impressionnant et d'une précision sans failles. Je l'essayais donc, passant la main dans l'objet. Il était parfait, j'avais l'impression d'être à main nues ou presque et mes mouvements étaient presque à l'identique. Lunielle m'invite à l'essayer, j'observe un instant pour chercher un moyen efficace de procéder aux tests lorsque je remarque une épée non loin, je me retourne alors vers la forgeronne.

« - Tu veux bien essayer de frapper sur mon bras avec cette arme-ci ? »

Elle me regarde alors, sans que je ne puisse interpréter ce qu'elle semblait penser de ma demande à l'instant. Peut être me croyait-elle un peu fou, mais je savais ce que je lui demandais et elle l'avait bien compris. Elle saisit la lame avec force, résolue à mettre à l'épreuve son ouvrage. La lame se lève et s'abat, j’entreprends alors de dévier le coup comme je l'imaginais, l'impact est brutal mais la position dans laquelle j'avais placé mon bras fait que la lame avait ripé sur les plaques, me permettant de glisser la lame sur le côté sans problèmes, si bien que ma main vient bloquer le poignet de Lunielle. J'avais ressenti l'impact sur mon bras, bien qu'il me semblait terriblement léger, le choc avait été absorbé mieux que je ne l’imaginais. Quant à sa résistance, la technique employée était impressionnante.
Je voulais pousser le test jusqu'au bout, je trouvais étrangement agréable de ne ressentir que très peu les chocs que je recevais. Je cherchais à nouveau du regard puis finalement je lui demandais :

« - Est-ce que tu aurais une salle particulière avec des poteaux ou mannequins d’entraînement ? J'aimerai m'essayer à un autre test, même s'il me semble déjà plus que parfait. »

Elle réfléchit un moment, puis me conduit dans une arrière-salle, probablement celle ou elle testait ses créations avant de les mettre en vitrine ? En tout cas il y avait tout ce qu'il fallait pour m'adonner à ce test. Je regardais ce qui allait me servir de punching-ball, je pense qu'il y avait de quoi mettre à l'épreuve le pouvoir d’absorption du rembourrage. Cela me permettrait aussi de déverser ma rage que j'avais contenue longtemps à l'égard de ma mère. Je reste silencieux et posé un instant, me remémorant tout ce qu'elle avait fait au cours de ma vie, m’énervant facilement, à tel point que je ne me souciais plus de filtrer ce sentiment avec mon esprit. Je prenais tout de même garde à ne pas la laisser se déverser brutalement, sachant pertinemment que Lunielle y serait sensible, c'est néanmoins avec la plus grande brutalité que j'assène un fulgurant coup de poing dans le poteau, un coup violent, haineux, brutal.
A tel point que je bois se déforme légèrement, comme s’il avait pris un coup de marteau. Je ressens les effets de mon coup dans le bois cette fois, mais j’imagine que le ressenti devait être bien atténué vis-à-vis de la brutalité. J’ai légèrement mal à la main, mais rien de dramatique, j’avais connu pire comme douleur. Préférant examiner le gantelet qui n’avait pas le moindre impact et qui semblait presque en redemander, je me tourne vers la forgeronne en souriant.

« - Il est définitivement parfait, je reconnais bien la ta précision et le caractère minutieux qui l’a forgé. »

Je ris de bon cœur malgré la douleur qui sillonne ma main, j’allais surement l’avoir engourdie pour les jours à venir, quel idiot je pouvais faire parfois. Je savais que Lunielle était la meilleure pour faire des choses exceptionnelles, j’étais simplement loin d’imaginer qu’elle arriverait à transcender la perfection.
Je sortais de ma poche une petite bourse contenant l’argent que j’avais gardé de ma récente fortune repartagée plus justement et je la donnais à mon amie, sachant pertinemment en la regardant ce qu’elle allait me dire.

« - Pour y avoir passé trois jours entier, j’imagine que c’est le moins que je puisse faire. »

Je saisis sa main pour y déposer la bourse avant d’ajouter.

« - Merci pour tout Lunielle, je ne pouvais espérer meilleur matériel pour le voyage que je vais entreprendre… »

Je suis interrompu par une voix que je connais, qui résonne dans ma tête car c’était bien la voix de celle que j’aime qui m’appelais. Son air tracassé pour ne pas dire inquiète m’avait interpellé dés le début. Je ne retenais que des parcelles de ce qu’elle m’expliquait.

** Le temple… attaqué… réfugiés à Silmarie…**

J’avais perdu le fil lorsqu’Auween m’avait annoncé l’attaque du temple, j’étais pris d’une peur sans nom, la peur de l’imaginer en danger. Lunielle avait remarqué mon changement soudain de comportement, c’était peut être même la première fois qu’elle me voyait avec un air si effaré.

« - Tamawa est tombée… Je dois me rendre à Silmarie au plus vite, je… Je dois la retrouver. »

Hagard, j’articule brièvement à Lunielle quelques excuses pour devoir partir si rapidement, tout en lui promettant de repasser très bientôt, je sortais de la boutique, de l’agora et très vite de Cydonia, au pas de course, en direction de Silmarie. Je n’osais imaginer l’horreur qui a du surgir parmi les templiers au moment de l’attaque, je n’ose imaginer l’adversaire qui se dresse maintenant fièrement à Tamawa, comme un conquérant. Car je l’avais entendue de ce qu’Auween m’avait dit, j’avais distinctement discerné le prénom de Scarlett.

**Auween, attend moi…**