Koubaï avait été un peu trop morose à mon gout. Trop peu d’action, trop peu de cibles intéressantes, si ce n’est le roquet qui m’avait royalement emmerdé à l’entrée de la ville et que j’avais finalement laissé dans un coin en repartant, baignant dans son sang. J’étais alors repartie au petit matin, silencieusement et sournoisement, avant que quelqu’un ne découvre le corps et que l’on vienne me poser des questions. Bien que j’aie été discrète, il était toujours plus facile d’enquiquiner les étrangers qui venaient d’arriver et qui ne demandaient rien à personne. Maintenant je traînais dans la forêt, en route vers la ville désertique d’Arano. Peut être qu’au sud ils me divertiraient plus efficacement que les jinmens du clan de la licorne. Les plus intéressants étaient planqués dans leurs maisons de riches ou alors étaient entourés de laquais, pas très facile de les approcher pour jouer un peu avec eux. Les marchands croisés sur la route n’étaient pas plus amusants, depuis mon rapide passage a Tamawa, j’étais passablement sur les nerfs. Contrariée pour je ne sais quelle raison et le fait qu’Ocarenna ne soit plus avec moi m’empêchait de prendre plaisir à tuer ces derniers temps. D’ailleurs le dernier que j’avais tué ne m’avait procuré aucun plaisir quelconque, pas même une once de sadisme. Je n’aimais pas ça, c’était emmerdant à souhait.

La nuit tombait petit à petit et il aurait vite été indispensable de faire un petit campement si je n’avais pas vu au loin quelques rayons de lumière filtrer au travers du feuillage. Quelle chance, ma prochaine victime m’avait déjà préparé un campement ! Je prenais soin de m’approcher silencieusement, espérant prendre par surprise la ou les personnes qui étaient là. Je me demandais sur qui j’allais tomber, des soldats qui rentraient d’un voyage ? Des marchands ? Des bandits ? Un druide ? Un chasseur ? Aucune idée mais l’idée d’être un prédateur me plaisait bien sur le moment, même si je n’avais pas spécialement envie de massacrer quelqu’un. A peine arrivais-je à hauteur que je voyais alors la personne en question, son arc à la main et la flèche encochée dans ma direction. Une femme… Non, une gamine. Une très jeune fille, même pas la vingtaine à mon avis, une elfe, elle n’avait peut être pas conscience d’où elle était ici ? Elle aurait pu exiger se faire loger au palais impérial si elle le souhaitait.

Elle me lançait quelques mots approximatifs en Cydien, si misérable que je me retenais de rire, elle avait la flèche prête à me transpercer, autant ne pas la froisser tout de suite, mais comme j’étais d’une humeur assez fragile, je ne pus m’empêcher de la provoquer.

« - Dit donc ma chérie, tu veux pas pointer ce truc dans une autre direction ? »

Prononcé assez méchamment pour lui faire comprendre que je n’aimais pas son comportement, je décelais une certaine hésitation dans son regard, une fraction de seconde pendant laquelle j’aurai pu la faire bruler méchamment. Mais elle semblait un peu comme perdue, solitaire, abandonnée peut être ? Bien que je n’aimais pas la compagnie des gens en général, cette gosse me semblait assez étrange sur le coup, je m’approchais en levant les mains, lui faisant signe que je ne lui voulais aucun mal, ce qui pour le moment était vrai.

« - Allez, baisse moi ce truc avant de lâcher la corde par inadvertance, je ne suis pas venue jusqu’ici pour me prendre un flèche. »

Quelques minutes de silence puis elle finissait par baisser son arme, visiblement convaincue ou du moins consciente que sa menace futile n’avait pas eu prise sur moi. Je m’approchais alors d’elle doucement, la fixant dans les yeux, son regard fut fuyant, comme mal à l’aise en ma présence. Fait étrange qu’elle ne me fuyait pas ou même qu’elle ne semblait pas avoir peur de moi, elle évitait simplement de me regarder dans les yeux, comme si je la mettais mal à l’aise. Surprenant il fallait l’avouer, généralement les gens ne baissaient pas leurs arme devant mes provocations, je les incitais plutôt à m’attaquer mais elle agissait différemment et je ne savais pas pourquoi. Cette gamine était là, au milieu de nulle part, probablement loin de chez elle -si elle en avait un- et en plus de ça n’avait pas répondu comme le ferait n’importe qui d’autre à ma provocation. Finalement elle me faisait signe de prendre place auprès du feu, elle semblait assez sympathique comme ça, d’autant que maintenant que je me tenais tout près d’elle je me rendais compte à quel point elle était jeune.

« - C’est surprenant de croiser quelqu’un d’aussi jeune dans un milieu aussi… peu commun, dirais-je. Quel est ton nom ? »

Cyriel, plutôt mignon comme nom. Typiquement elfique et à l’image de la naïveté de la gamine en face de moi. Mais elle semblait plutôt sympa, enfin, si j’excluais le fait qu’elle aurait pu me coller une flèche en pleine tête. Elle était probablement surprise, imaginant autre chose qu’une cydienne, peut être un bandit, un violeur ou je ne sais quoi d’autre comme raclure. Le fait que je sois plutôt passive avec elle ne semblait pas la déranger, bien que je fusse clairement persuadée qu’elle avait probablement perdu sa mère lors d’une randonné. Même pas vingt ans, peut être vingt et un grand grand maximum et en trichant un peu. Son sourire était… Sincère et à la fois idiot, sincèrement idiot, peut être oui. Mais bon, elle tentait probablement d’être polie, alors pourquoi pas. Très vite elle devenait timide, après m’avoir répondue, esquivant le regard et prenant tout son temps pour me demander ce que moi, je pouvais bien foutre dans les parages. Sur le coup j’aurai bien répondu que je cherchais des gens à tuer et a torturer mais en réalité, c’était pas tout à fait vrai, enfin pas encore.

« - Je voyage pour en apprendre plus sur les jinmens, peuple assez unique en son genre il faut le reconnaître. Ils ont vécu pendant des années à l’abri des malheurs qui se sont abattus sur Azthia, je me demande bien comment ils ont vécu tout ce temps, probablement un lot de malheur historiques qui leurs sont propres, un tyran au pouvoir, des guerres civiles ou je ne sais quelles atrocités similaires. Il est important de connaitre ses voisins, ne serait-ce que pour savoir s’il faut s’en méfier ou non. »

Un bien piètre mensonge mais bon, c’était assez convaincant en soi, je trouve. La gosse quant à elle devait être aventurière, mercenaire était trop peu probable, peut être chasseur dans l’âme ? En tout cas, une elfe au milieu des jinmens, sa présence en ville serait un bordel monumental, presque hilarant à mon sens. Sa façon de parler aurait pu laisser supposer qu’elle était d’Isil, pour dire qu’elle n’avait jamais croisé de cydien en Oyashima, comme si elle y avait vécu toute sa vie. Pourtant son outillage était très clairement Silmarien. Machinalement je lui rétorque alors assez calmement.

« - C’est bien la première fois que je rencontre une jeune elfe de Silmarie si loin de chez elle, comme quoi, le monde doit être assez petit, non ? »

Je souris naturellement, ce n’était ni méchant ni gentil, juste un rictus comme un réflexe accompagnant ma phrase. Elle avait une dégaine assez hors du commun, son armure lui donnait un air d’assassin, mais venant d’un elfe c’était aussi probable que de me voir un jour manipuler de l’eau. Je voulais savoir, ne serait-ce que pour calmer ma curiosité débile du moment. Elle semblait assez parlante pour me révéler l’information, est-ce qu’elle me mentirait en revanche je l’ignorais.

« - Etant donné ton jeune âge, j’imagine que tu dois être en apprentissage ou alors en voyage pour retrouver quelqu’un ou quelque chose, je me trompe ? »

En la regardant de plus près, j’arrive à distinguer une très légère cicatrice sur son cou, soignée avec une grande précision et application hors norme et pourtant il restait des toutes petites marques qui se révélaient à la lumière du feu de camp. Ça ressemblait à une griffure, ou quelque chose du genre. Je partais alors sur l’hypothèse de la chasse mais j’hésitais encore avec le fait qu’elle ait pu être agressée par une saloperie qui traînait en forêt, il y avait de tout en terres jinmens, des salopards, des bestioles peu recommandables, des gens qui se voulaient gentils alors qu’ils ne pensaient qu’a nous voler de l’argent. C’était la dur loi du tourisme en Oyashima, le moindre talent volé était un talent que les commerçants se faisaient une joie de balancer pour s’envoyer joyeusement une geisha au bordel du coin. Non, j’exagérais ce point, encore heureux.