Le Bienheureux avait perdu de ses couleurs! La peur l'avait rendu livide, et on eût dit qu'il eût vu un fantôme.
Quelle folie que de s'être ramené dans cette forêt: il avait bien failli mourir de trouille.

Quand une voix vint bruyamment le sommer de se taire, Damatit ne se sentit pas mieux, bien qu'il fut rassuré de la nature humaine de celui ou de celle qui l'avait terrifié.
Tout en restant immobile et recroquevillé, l'Almer réussit à articuler, la voix chevrotante: Ne me tuez pas! Les bandits étaient partout, eh! même dans une forêt malfamée!

Mais déjà Le Bienheureux entendit l'inconnu quitter le sentier et s'engouffrer dans les fourrés. Les jolis petits cailloux crissaient sous ses chausses en faisant une charmante symphonie.
Prudemment Le Bienheureux se défroisse et jette un oeil apeuré à droite et à gauche. Toute la superstition dont il était empli l'habitait en ce moment; et c'est avec une vitesse inouïe de fuyard habitué qu'il alla rejoindre l'inconnu dissimulé dans les halliers.

Une fois qu'il l'eut rejoindre, il put s'apercevoir que c'était un homme, d'une trentaine d'années peut-être. *Dommage! Une jeune femme aurait pu être d'un grand réconfort*, pensa le coquin d'Almer. Et quelle étrange chevelure! Je suis plus vieux mais je n'ai pas un cheveu blanc moi, héhé!
Sans conteste, la coloration blanche de la chevelure de son interlocuteur pouvait étonner aux premiers abords, mais Damatit ne s'en formalisa pas plus que cela, et déjà, il n'y pensait plus. Il regardait la tenue du bonhomme, une chemise blanche -même pas boutonnée jusqu'en haut- et un pantalon de toile marron, de plus commun usage.

Vous auriez pu finir capturé par les amazones en trainant comme ça sans faire attention !
Amazone... Rien que d'en évoquer le nom emmenait Damatit au pays des merveilles. Déjà, il s'imaginait leur formes délicieuses et leurs talents divers; leur voix enchanteresse, le papillonnement de leur regard et le tonus de leur corps... Finalement, cela aurait peut être bien plu à Damatit que de finir capturé par les Amazones!
Mais le trentenaire avait raison... malheureusement! Se promener ainsi le long d'un sentier étrange faisait de lui un insensé, et un suicidaire! Aussi, tout plein de remords qu'il l'était, il ne sut que dire, les yeux baissés vers le sol herbu et la mine triste: Pardonnez-moi... Ce Bienheureux! Quelle figure! Il avait la quasi-cinquantaine, et le voilà qui formulait des excuses à un freluquet qui- ne l'oublions pas- se trouvait lui aussi dans la forêt, et qui de surcroît avait fait du boucan.[i]

Alors qu'il allait se présenter, un mot arriva à son oreille curieuse : ruines

Des ruines? Mais où ça? Je n'ai rien vu... Cherchons ensemble si vous le voulez bien. Et ni une ni deux, voilà Damatit debout, ses frayeurs oubliées, le sourire aux lèvres et les yeux farfouilleurs. L'esprit de découverte qui l'animait ne tarirait jamais.

Mais tout à coup, voilà qu'il s'arrête: N'auriez-vous pas faim? Nous sommes tout à côté d'un étang que j'ai vu tout à l'heure, et j'ai déjà quelques herbes toutes prêtes pour assaisonner! Quelques tubercules ou racines cuites à l'eau... Il n'en faudra pas plus pour un bon repas, et faire connaissance!
Vous verrez comme je cuisine bien.

Rien ne pouvait arrêter la soif d'inconnu du Bienheureux... Rien, sauf peut-être la faim!

[HJ: Je cherche à acquérir la compétence Cuisine, j'espère que ça ne te dérangera pas]

Vraiment très étrange ce vieil homme. A peine Kurt avait-il posé sa question que l'almer lui annonça qu'il n'avait vu aucune ruine, mais il s'était proposé pour l'aider dans ses recherches avec un enthousiasme fou, ce qui ne manqua pas de faire arquer un sourcil au jeune Astorg. Le voyant chercher dans tous les sens de ses petits yeux, Kurt fut tenté de laisser échapper un rire nerveux mais son nouveau compagnon ne lui en laissa pas le temps, proposant un petit repas champêtre au bord d'un étang.
La encore on pouvait lire sa surprise sur le visage de l'historien qui ne savait vraiment que répondre. Ce n'est pas comme s'il avait vraiment le temps de trainer dans cette expédition en quasi-solitaire, mais d'un autre côté il n'avait pas pris le temps de manger à cause de l'excitation provoquée par sa découverte qui risquait d'intéresser de nombreux confrères, surtout que pour une fois, cette vieille sorcière d'antiquaire cydienne ne l'avait pas devancé. Il ne l'avait jamais rencontrée, mais la réputation de Sora avait fait d'elle quelqu'un que Kurt jalousait, même s'il ressentait un grand respect pour elle.
Finalement, ce fut son estomac qui prit la décision pour lui, grondant sa colère de ne rien avoir eu à porté de suc digestif depuis déjà un petit moment et c'est arborant un sourire gêné que le jeune homme accepta la proposition de l'inconnu, même en connaissant les risques que cela comportait, priant pour que les sentinelles soient pas trop actives ces temps-ci, car il était rare que des personnes les ayant croisées en ces lieux soient encore en vie pour en parler tant elles n'hésitaient pas à flécher à vue.

Il invita le guide à ouvrir la marche, le suivant les sens aux aguets, et celui-ci les menèrent sans encombres aucun près de la place sus-citée, et pendant que l'almer fit ce qu'il avait à faire, Kurt ramassa quelque brindilles et fagots de bois pour le feu, puis une fois fini cette tâche nécessaire pour avoir un bon diner, il s'assit à l'ombre d'un saule-pleureur dont les branches trempaient négligemment dans l'étendue d'eau. Il sortit alors de son sac sa petite boite de bois, l'ouvrant délicatement avant de sentir l'odeur du tabac qui lui faisait tant envie en ce moment. Il prit alors entre ses doigts une fine feuille et commença à rouler tranquillement sa cigarette en sifflotant un air dont il ne se souvenait plus l'origine. L'avait-il surement entendue dans une taverne un soir d'ivresse mais ça, l'histoire ne le dit pas.
Une fois finie son oeuvre, il la porta à sa bouche, cherchant sa boite d'allumette dont l'une craqua bientôt, allumant la cigarette avant de s'éteindre dans un mouvement de l'historien qui la posa ensuite sur un petit caillou. Il aurait été idiot de provoquer un incendie en la lançant n'importe-où hein ? L'astorg tira une petite bouffé qu'il recracha une petite dizaine de seconde plus tard, s'amusant à former de petits cercles avec la fumée. C'était quelque chose qui l'avait toujours beaucoup amusé pour une raison qu'il ignorait lui-même.

Il laissa le soin de la tambouille à l'almer qui était sans doute bien plus doué que lui dans ce domaine, mais il n'oublia quand même pas ses bonnes manières :

- Et bien Monsieur... euh....

Le jeune Astorg venait de se rendre compte que son compagnon ne s'était toujours pas présenté et lui laissa le temps de le faire avant de reprendre :

- Et bien monsieur Damatit, je vous offre de fumer quelques cigarettes en ma compagnie pour vous remerciez de ce repas en la votre... enfin si vous fumez naturellement.

[HRP: pas de soucis, fais-toi plaisir ^^]

Quel délicieux fumet! Damatit en avait l'eau à la bouche. Le poisson frais cuisait déjà sur un petit feu de bois et répandait partout une odeur forte mais affriolante. Ce n'était pas prudent, mais Le Bienheureux ne l'était pas; et, si d'aventure il rencontrait une ou deux amazones, il les aurait convié à partagé avec eux le repas, sans même s'inquiéter outre mesure pour son avenir. C'était Damatit, et il ne changerait sans doute jamais.

Quel idiot je fais! Je ne me suis pas présenté? Eh bien je m'appelle Damatit, dit Le Bienheureux, je ne sais pas pourquoi, Haha! Le large sourire qui fendait le visage du quadragénaire ne faisait aucun mystère sur l'origine de ce surnom en réalité. Je suis guide pour gagner de quoi, mais suis géographe de mon état voyez-vous! Oh, et quoique je sois un véritable cordon-bleu, cela reste un plaisir pour moi et mes amis. Vous verrez! Mon poisson est presque magique! Il redonne espoir et force!

En parlant Le Bienheureux ne regardait pas Kurt. Il était tout entier à la préparation de son plat: il arrosait de bouillon les tubercules, ciselait les herbes aromatisées, et humait à plein nez le parfum délicieux du poisson.

Quand Kurt lui proposa une cigarette, Damatit porta son regard sur le papier fin roulé quelques secondes. D'habitude il ne touchait jamais à ces choses-là... mais aujourd'hui, avec ce soleil, cette forêt magnifique et ce plat qui promettait d'être fort agréable, il ne refusa pas. Il saisit la cigarettes de ses mains fébriles, la cala entre ses lèvres fines et l'alluma. Aussitôt l'odeur âcre lui monta au nez, et l'image de Volesprit lui revint à l'esprit.
Que faisait-elle en ce moment, sa bien-aimée ministre? Il repensait à la manière qu'elle avait de recracher la fumée, et ce maintien si particulier qu'elle avait au Carrousel d'or. Pendant une ou deux secondes le regard du Bienheureux s'était égaré bien loin de la forêt chenue. Et puis, tout de suite après :

Oh! je sens que le poisson est parfait! Ces choses-là je les ressens voyez-vous! Nous allons faire bonne chaire Kurt, et vous m'en direz des nouvelles! Il farfouilla dans une besace et en sortit deux assiettes plates en métal grossier, cabossée de partout. Tout en en tendant une à Kurt, il dit l'air gêné et amusé : Ce sont de vieilles amies, comme vous pouvez le constater, héhé! Et elles ont fait plaisir à de nombreuses personnes de par le monde.

Il servit à Kurt un poisson tout entier, arrosé de petites tubercules, de racines et d'herbes aromatisées. La sauce avait une consistance crémeuse et parfumée, qui s'alliait à merveille avec la chair blanche du poisson. On se demandait même comment réaliser un plat pareil était possible, en pleine forêt.

Vous m'en direz des nouvelles... Je suis sûr qu'il vous donnera du courage!

Et Damatit ne mentait pas: à chaque bouchée on se sentait plus fort, plein de vigueur et de bonne humeur. L'on avait envie de parler à son voisin, à se lier d'amitié. La forêt semblait plus verte, plus accueillante et il paraissait que les oiseaux chantaient rien que pour soi, et que le temps s'écoulait doucement. C'était divin..

Bientôt les assiettes se vidèrent tandis que les panses se remplissaient! Et déjà Damatit et Kurt étaient assis dans l'herbe, une autre cigarette au bec et commençaient à bavasser:

Alors vous êtes historien.... racontez-moi... Même au coeur des forêts, Damatit savait de quoi engager les discussions...

[Compétence obtenue: Cuisine]

Cette rencontre était intéressante. Surement l'une des plus intéressante de toute sa courte vie d'Astorg. Ce drôle de bonhomme qu'était Damatit avait réussit à ramener Kurt dans ses jeunes années, lui ramenant avec nostalgie son l'enthousiasme qu'il avait à l'époque, et cette curiosité qui le faisait vivre chaque jour de sa triste existence. Ce type était tout bonnement extraordinaire. A croire qu'il avait le don de faire ressortir par sa joyeuse naïveté presque innocente la meilleure partie enfouie en chaque homme.
L'historien ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait été bavard comme cela, surtout avec un étranger. Ce n'est pas réellement qu'il était asocial, mais il était rare qu'il établisse un tel contrat humain laissant de côté sa solitude d'homme de savoir. Aujourd'hui, il avait surement trouvé un ami qui partageait cette passion pour le savoir. Il se délectait de la curiosité du vieux bonhomme comme un chat l'aurait fait d'une coupelle de lait. Qu'il le veuille ou non, ils se ressemblaient terriblement et Kurt savait que cet homme pouvait lui apporter surement autant que lui pourrait le faire. Un échange de bons procédés en somme. Non le vieil homme ne s'emballait pas en les imaginant parcourir Azthia car la même idée commençait à germer dans la tête de l'Astorg.

- Allons-y! Nous avons tellement de choses à faire encore !

- Oui vous avez raison cher confrère. Hâtons-nous que je puisse vous raconter ce pan de l'histoire que nous découvriront ensemble ! répondit-il en empoignant sa main tandis qu'il l'aidait à se relever, arborant un sourire éclatant, un sourire qu'il n'avait jamais encore eu.

Ramassant son sac, il rangea sa boite à tabac, puis il sortit son carnet de notes et l'ouvrit délicatement comme s'il s'agissait du plus beau trésor de l'humanité. Même si l'expression était un peu exagéré, il fallait dire que ce carnet valait de l'or et certaines personnes seraient capable de tuer pour se le procurer... enfin heureusement pour Kurt, personne n'était au courant de sa trouvaille. Le seul au courant était son nouveau partenaire à qui il montra l'intérieur de son carnet. On pouvait y voir des glyphes étranges ainsi que la traduction que Kurt en avait fait.

- Regardez ! Ces formes font étrangement pensé à de l'almer ancien. Je suppose que vous y voyez aussi une ressemblance avec l'almer vu que ces deux écritures se ressemblent beaucoup malgré les modifications qu'elles ont subies. Enfin bref. Mémorisez-les bien. Il se peut qu'on tombe sur un pan de mur avec ces symboles. Aussi, ce peuple aimait écrire dans l'obsidienne, vous savez, cette pierre noir. Il y en avait partout là où j'ai trouvé les ruines. Si vous trouvez une de ces deux choses, cela signifie que l'entrée du sanctuaire ne doit pas être loin.

Damatit semblait acquiescer et je revoyais encore une fois dans ses petits yeux cet enthousiasme qui ne l’avait sans doute jamais quitté. Ils étaient fin prêts. Du moins c’est ce que pensait Kurt en tout cas.
Ils commencèrent alors à chercher dans les bois, là où Kurt avait commencé trois bonnes heures auparavant. Le temps passa et passa, sans que rien ne vienne alerter nos deux compères si ce n’est le piaillement des oiseaux. Combien de temps allaient-ils encore chercher sans rien trouver d’intéressant. Kurt allait finir par devenir dingue, à retourner chaque pierre, chaque morceau de bois. Mais heureusement, la voix de Damatit l’en prévint.

Le Bienheureux s'amusait comme un petit fou. C'était comme une chasse aux trésors et cela lui plaisait beaucoup. C'était bien la première fois qu'il faisait pareille chose.
Habituellement, son travail consistait à avancer tout doucement et noter au fur et à mesure les éléments géographiques utiles. Là, c'était différent et beaucoup plus actif! Il fallait allait à droite à gauche, regarder en haut, en bas, à gauche et à droite; soulever les pierres et les fourrés, analyser le sol et les arbres. Rien de mieux pour le vieux bonhomme actif qu'était Damatit.
Seul bémol: le travail de l'historien pouvait parfois paraître vain. On pouvait tourner pendant des heures sans trouver le moindre petit indice, alors que le géographe, lui, avait toujours une note à prendre, un détail à examiner, une échelle à déterminer. Et d'ailleurs, cela faisait vraiment longtemps maintenant que Kurt et Damatit jouent à ce cousin du cache-cache.

Au début, Le Bienheureux y allait gaiement, sourire aux lèvres et mélodies en tête, il chantonnait pour passer le temps et pour faire rire Kurt qui, apparemment, avait l'air d'apprécier sa compagnie. Et puis, les minutes passants, les ritournelles enchantées firent place aux légers fredonnements de refrains à peine reconnaissables.
C'est qu'il n'était plus si jeune Damatit, et qu'il avait oublié son bâton à l'auberge où il avait laissé Osana. Quelle tête en l'air! Maintenant le voilà qui souffre du dos. S'il n'en laissait rien paraître au jeune historien qui l'accompagnait, Le Bienheureux, progressivement, s'éloigna un peu pour "inspecter d'autres endroits". En réalité, il cherchait un petit coin où il pourrait, ne serait-ce qu'une ou deux minutes, s'asseoir et masser ses lombaires douloureux.

Damatit ne voulait pas que Kurt s'aperçoive de sa faiblesse, eh! Il était jeune et le traiterait de vieux! Ce n'était pas envisageable... Lui aussi avait connu les joies de la jeunesse, de la santé sans cesse renouvelée et de la forme olympique; pas question d'admettre que cette jeunesse était passée!
Tandis qu'il lorgnait alentours, à la recherche d'une place qui lui servirait de refuge invisible au regard, il aperçut un ensemble de fourrés qui feraient l'affaire. Immédiatement donc, il se retourne et continue d'avancer doucement, à reculons, cherchant à voir où se trouvait Kurt et savoir si le jeune érudit le regardait.

Encore quelques pas, et le voilà qui sent son pied droit pénétrer dans le hallier heureusement non-épineux. Et alors qu'il pense sentir sous sa chaussure un sol plat et herbu, le voilà qui chute, en arrière, en poussant un cri: OoOoOohhH! Mais que s'était-il passé? Le Bienheureux avait eu le réflexe de placer ses coudes et avant-bras en amortisseurs, aussi le choc lui avait fait plus de peur que de mal. En revanche... désormais Kurt allait se douter de la manigance qu'il avait monté, et lui reprocherait de ne pas s'investir suffisamment. Quelle tristesse... Damatit était plein de bonne foi pourtant! Si seulement il n'avait pas chu... Mais chu sur quoi d'ailleurs?

L'Almer regarda autour de lui, pour analyser son environnement. Il était toujours dans le bosquet, tout son corps sur l'humus de la forêt... hormis son pied gauche qui était encore dans le trou, d'une trentaine de centimètres de diamètre.

*Mais qui a caché ce trou ici voyons! j'aurais pu me faire très mal!*

Pendant que Le Bienheureux se relevait difficilement et s'époussetait du mieux qu'il pouvait, Kurt était arrivé sur les lieux de l'incident, l'air un peu affolé c'est vrai.
En levant les yeux vers lui, Damatit éprouvait déjà l'angoisse de lui avouer qu'il avait voulu s'asseoir quelques instants, et qu'il était tombé avant d'avoir pu le faire. En réalité, avant même que l'Almer eût pu ouvrir la bouche, il vit toute la personne de Kurt se tourner vers le pied de Damatit, encore enfoui dans le trou, dissimulé sous une épaisse couche d'humus et de terre, accumulée au fil des années.
Immédiatement, Damatit releva son peton, faisant voler du même coup la terre et le compost, découvrant ainsi tout au fond, une pierre noire et luisante ou du moins un frangment car il semblait qu'une partie encore était enfouie.

Le Bienheureux avait tout à coup oublié son mal de dos et, après s'être penché vers le trou et touché la pierre d'un index inquisiteur il dit simplement:

Ca, c'est de l'obsidienne mon cher... Creusons un peu!

Géographe de formation, voilà que Damatit, après avoir essayé d'être historien, devenait archéologue.

Damatit était éberlué, vraiment.
Lorsqu'il avait décidé de partir en escapade dans la forêt, il était bien loin de se douter des découvertes qu'il y ferait, ni celle de cet homme si passionné, Kurt, ni non plus celle -impressionnante- de cet endroit souterrain et millénaire qu'était le sanctuaire.

C'était vrai, Le Bienheureux avait eu très peur lorsque, quasi hystérique, le jeune historien lui avait tendu une corde et qu'il lui avait fallu descendre cinq mètres (Damatit assurera plus tard qu'il avait affronté un dénivelé dix fois plus grand). Mais finalement, l'émerveillement l'avait emporté sur la trouille lorsque l'Almer s'aperçut du lieu magique et préservé qu'ils avaient découvert.
Et tout cela grâce à Damatit! Qui avait, dira-t-il ensuite, "pressenti" que ce fourré dans lequel il avait "délibérément" mit le pied, cachait un trésor.
Et quel trésor!

Les érudits étaient arrivés dans une espèce de corridor taillé dans la pierre brute, haut, voûté et large d'au moins un mètre cinquante. Grâce aux torches que Kurt avait eu la présence d'esprit d'emmener, Damatit pu admirer bouche bée les gravures qui ornaient les parois. De somptueuses fresques, étonnamment bien conservées, qui mêlaient faune et flore dans une même arabesque longue de plusieurs centaines de mètres.
Ni l'Almer ni l'Astorg ne se parlaient, peut-être parce que ce lieu, de par son ancienneté et le caractère sacré qu'il revêtait, imposait un silence religieux qu'on ne pouvait troubler.
Mais ce ne fut qu'au terme d'une dizaine de minutes de marche que les deux hommes furent totalement conquis. Le couloir, déjà, prenait fin et s'ouvrait sur une vaste pièce encore plongée dans l'obscurité la plus complète. Avant d'y pénétrer une tension s'était installée entre les chercheurs, déchirés de curiosité et d'appréhension. La question qu'on pouvait lire dans leur regard était la même: Où donc débouchait ce merveilleux corridor?

Mais même dans leurs rêves les plus fous, Damatit et Kurt n'auraient pu imaginer telle splendeur...
Leur regard fut immédiatement porté en l'air car tout n'était que lumière. L'étincelle de leur torche emplissait la salle en se répercutant sur des milliers de cristaux incrustés dans les murs. La hauteur de plafond était d'au-moins 10 mètres ce qui laissait sous-entendre que le couloir qu'ils venaient de passer étaient en pente douce et que le géographe et l'historien avaient pénétrés, sans même s'en apercevoir, de plus en plus loin dans les entrailles de la terre. C'était terrifiant de se sentir isolé, sous la surface terrestre... C'était également exaltant, et l'adrénaline, à ce moment-là, balayait toutes les craintes.

Damatit était pantois. Les membres ballants, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, on eût dit un détraqué, avec ses vêtements crottés et sa figure salie. Mais à côté de Kurt cela ne se voyait pas.
Le jeune homme était ailleurs, totalement transporté. Les cheveux en bataille, tout débraillé et couvert de tache et de suie, il avait vaguement l'air d'un savant-fou. En revanche, et Damatit ne s'en aperçut pas sur-le-champ, il avait les yeux rivés au sol, et ne semblait pas s'apercevoir de la merveille architecturale, l'ovni archéologique et géologique qu'il avait au-dessus du crâne.

Le Bienheureux reprit ses esprits quelques instants, et fit quelques pas vers son nouvel ami qui tenait entre ses deux mains fébriles un lourd ouvrage, fort poussiéreux. Mais d'où provenait ce recueil? Il ne fallut pas bien longtemps pour que Damatit ait la réponse: juste derrière l'historien des os jonchaient le sol, avec de-ci de-là, des boîtes crâniennes qui le narguaient avec leurs orbites vides... Cela faisait froid dans le dos et d'habitude le Bienheureux aurait fui bien loin de ces squelettes.
Mais ce jour n'était pas ordinaire, et le quadragénaire n'était pas inquiété par ces débris centenaires: il y avait mieux à faire.

Et puis Kurt rompit enfin le silence du sanctuaire. Sa voix grave emplit toute la salle, rebondissant sur les parois d'obsidienne en un écho lugubre: Ca risque de m'occuper une petite heure... La fin de la phrase de perdit dans la résonance.
Je vais inspecter les lieux, chuchota Damatit quand l'écho se fut calmé. Mais déjà Kurt ne l'entendait plus. Absorbé par la traduction de son trésor, il abandonna Le Bienheureux à son inspection.

Jamais une heure ne parut si brève à Damatit.
Pendant que Kurt se démenait à sa tâche, lui était retourné dans le couloir, soucieux de reproduire des fragments de la frise qu'il y avait aperçue. Il avait ensuite fait le tour de la grande salle, prélevé des fragments d'obsidienne et de cristaux. Il avait aussi ratissé le sol, à la recherche d'objets oubliés par le temps.
D'après les observations du Bienheureux, cette salle devait être un temple, ou quelque chose qui s'en approchât. En effet, quelques indices l'orientèrent. Il y avait ces corniches taillées dans la pierre qui, encore aujourd'hui, servaient à accueillir des icônes, statues et autres artéfacts de vénération. Il y en avait plusieurs qui longeaient la pièce sur la longueur et au bout se trouvait le point focal, où le regard se dirigeait quasi instinctivement. Le sol avait été surélevé de telle sorte qu'on eût dit un autel, ou une estrade. On montait quelques marches et là, par terre, on s'apercevait que la pierre était érodée, moins lisse et brillante qu'ailleurs. Jadis devait de trouver là quelque chose de très lourd, peut-être une statue gigantesque, qui recevait la lumière des milles cristaux qui ornaient les parois. C'était fantastique... un trésor d'ingéniosité.

En bon géographe qu'il était, Damatit ne se départait jamais de ses parchemins et de ses encres.
Une fois qu'il eût fait le tour de la pièce, il saisit la première plume qu'il trouva dans son bardas, et rapidement, méthodiquement, les yeux plissés et la respiration contrôlée, il entreprit de tracer le maximum de croquis qu'il pouvait. Il ne savait pas combien de temps il resterait ici, ni s'il y retournerait, aussi voulait-il faire le maximum d'esquisses en un minimum de temps. C'était ardu, stressant, mais terriblement important. Il n'en avait que faire, pour l'instant, que ce fût beau et réaliste: l'essentiel était de se souvenir à peu près de l'échelle, de percevoir la forme générale de la cavité souterraine, et de retenir le maximum d'éléments.
Kurt et Damatit, en bons érudits qu'ils étaient, accomplissaient leur devoir respectif avec zèle. Et quand le Bienheureux plia le dernier parchemin, à peu près content de son travail, il perçut la voix de Kurt derrière lui, plus posée qu'une heure auparavant, qui lui faisait le compte rendu de son travail.
Sans oser respirer presque, Le Bienheureux attendit que la voix de Kurt meure sur l'obsidienne brute avant de reprendre la parole:
Une bien triste histoire, oui... répéta-t-il pour lui-même. Tout un passé révolu et oublié dont seuls persistent quelques fragments, comme ce livre centenaire.
Et maintenant, que faire?
Cet endroit avait été le siège de l'histoire, et servait de cimetière à une race disparue. Ce sanctuaire, si bien caché, ne semblait avoir été découvert que par hasard, comme s'il était destiné à rester un témoignage réelle mais enseveli d'une époque triste et lointaine. Dans cette pièce si vide, Damatit et Kurt se sentaient gênés désormais, comme si nulle âme n'était vouée à fouler ce sol jadis sacré.

Ils ne pouvaient pas rester là, cela se ressentait. Et pourtant Damatit aurait aimé ne plus jamais quitter cet endroit magique.
Sans un mot de plus, Le Bienheureux ajusta sa besace. Toujours coi, et les yeux clos, il fit plusieurs fois le tour de la salle, en touchant de sa main gauche les parois rugueuses. Cette pièce paraissait presque vivante, une onde l'habitait et l'on entendait presque les liturgies qui avaient eu lieu antan.

Enfin, sa ronde achevée, face au couloir qui les ramènerait à la surface, Damatit s'adressa à Kurt qu'il avait occulté ces dernières minutes: Prenez donc ce livre, il a encore beaucoup à nous apprendre... Laissons-leur leur temple, c'est la seule chose qui leur reste à présent.

Et sans attendre de réponse, Damatit s'enfonça dans le corridor sombre. Contre son gré il retournait à la surface, sûr d'emporter dans son coeur un petit bout de ce mirage.

[désengagé]

Cette histoire avait lui laissait un goût de cendres dans la bouche. Savoir que ce peuple fut anéanti à cause de la folie religieuse d'un homme qui suivait l'enseignement de ses ainés sans en chercher la véritable signification, ni même la véritable existence... en embrassant la voie d'historien, Kurt imaginait bien que ce genre de situations feraient partie de son quotidien, mais à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe de pitié méprisante pour ces hommes du passé, mort pour une raison aussi stupide que le mensonge, car il n'en faisait aucun doute, c'est l'ignorance de leur guide qui les a mené à leur perte, car il avait confiance en son dogme et il en acceptait chaque chose, même si la vérité ne les éclairaient pas de sa vertu.

- Prenez donc ce livre, il a encore beaucoup à nous apprendre... Laissons-leur leur temple, c'est la seule chose qui leur reste à présent.

Le vieil almer, quant à lui, avait raison. Il ne pouvait s'éterniser dans un tel endroit. Kurt enroula sa découverte dans un chiffon de tissu comme pour le protéger, l'enfonçant délicatement dans son sec, se redressant sur ses deux jambes. Il laissa l'almer prendre les devants, s'enfonçant à sa suite dans cette obscurité qui le rendait mal à l'aise. Il imaginait les cris des enfants qui voyaient leurs mères se faire massacrer sous leurs yeux impuissants. Il pouvait voir les lâches s'agenouiller devant les Erathiens, leur demandant pitié avant de mourir sous leurs coups, car Kurt savait bien que les Erathiens n'avaient aucune pitié pour ceux qui s'opposent à eux.
Cette ambiance malsaine le rendait presque claustrophobe et il n'avait qu'une envie : celle de sortir de ce tombeau et retrouver l'air libre, s'allonger près d'un arbre et discuter avec son nouvel ami.

[désengagé]