Une vague m'éclaboussa et j'éclatai de rire en écartant les bras comme un oiseau prêt à prendre son envol. Je soulevais le bas de ma robe pour ne pas la mouiller et courais dans l'eau et essayant de ne pas fléchir sous les vagues qui venaient s'écraser contre les rochers. Avec l'école, l'entraînement et le travail au bar Bu, je n'avais pas pu me baigner à Muria autant que je l'aurai souhaité. Mais ici à Cydonia, j'avais tout mon temps et je comptais bien en profiter!

Après avoir passé un bon bout de temps dans la mer, je regagnais la plage et lissais ma robe qui s'en était plutôt bien tirée comparée à mes autres habits. Je séchai mes pieds, puis cherchais du regard ma petite chatte adorée. Celle-ci se roulait dans le sable en regardant une boule d'algues avec l'air de celle qui se dit "J'vais t'bouffer." Lorsqu'elle m'entendit rire, elle se jeta sur moi pour me barbouiller soigneusement la figure.

"Héééé!!! protestai-je. Mélo arrête!!! Beurk, t'es pleine de sable!!"

Avoir avoir débarrassée ma chatte de compagnie de la poussière qui s'accrochait à ses poils, je ramassais mes affaires et repartis sur le quai, me mêlant à la foule qui filait dans les rues près du Port. J'ouvrais des yeux émerveillés au fur et à mesure que je découvrais une ville si semblable et à la fois si différente de Muria et Silmarie. Il me semblait que jamais je ne pourrais explorer la cité en entier, tant il y avait à en apprendre d'elle. Et puis je ne restais pas très longtemps d'ailleurs.
Plus loin, une foule attroupée autour d'un garçon m'attira l'oeil. Une mélodie à la harpe parvins à mes oreilles, mais elle était déjà terminée. A regret, je m'éloignai du groupe qui se séparait puis continuait ma route, gardant un oeil sur Mélo qui me suivait en trottinant. Je souris en la voyant fixer un petit moineau dans le ciel.

"Tu projettes pas de manger ce pauvre petit oiseau quand m..."

Je n'avais pas fini ma phrase qu'un choc me coupa le souffle et je fus projetée en arrière, manquant de peu d'écraser ma siamoise. Je mis quelque temps à me remettre de l'impact, et une douleur fusait dans mon bas du dos, sans compter mes paumes égratignées. Quand je me relevai, je vis un garçon -un elfe- qui me fixait en balbutiant. Je compris que c'était lui qui m'avait fait tomber; il avait l'air plus âgé que moi, et il tenait une harpe dans sa main. Etait-ce lui jouait tout à l'heure? Mais pourquoi avoir remonté la rue en sens inverse? Et en courant, en plus! Même moi je n'aurait pas eu d'idée aussi saugrenue, et c'est pas peu dire!!

"... D-D-Désolé... Je... Euh... Je cherchait... Je cherchait euh... M-Mon oiseau qui s'est envolé par ici...
-Aïe, heureusement que tu es désolé, tu m'as fait mal, tu sais! répliquai-je."

Je soufflai sur mes mains meurtries qui me brûlaient puis repris d'un ton moins cassant:

"Bon, c'est pas grave, mais quand même tu aurais pu faire attention... et si tu parles du moineau là-bas, tu ferais mieux de te dépêcher, tu sais. Je ne sais pas si tu l'as dressé, mais moi ma chatte ne l'est pas et je peux t'assurer qu'elle a faim."

Je savais que j'avais l'air un peu ridicule en parlant comme ça à un garçon plus âgé que moi en le toisant de mon petit mètre trente-cinq. Ou plus. Peu importe. Cet idiot m'avait fait mal, et il ferait mieux de se grouiller s'il ne voulait pas que son compagnon volant finisse en chair à plume pour félin.

''Je ne vous avais vraiment pas vu! Pardon! Je suis sur que mon rossignol l'a fait exprès!''

VOUS? Je levai un sourcil étonné, tout en penchant légèrement ma tête sur le côté, un tic dont je ne me passerai sûrement jamais. C'est moi ou il m'avait vouvoyée? Alors là, chapeau. J'en restais le bec cloué, si je puis m'exprimer ainsi vu l'oiseau qui voletait au-dessus de nous. Je n'aimais pas spécialement qu'on me vouvoie, d'accord c'était une marque de politesse, mais quand même venant d'un adolescent à peine plus âgé que moi (4 ans, c'est pas tellement plus âgé, si?), ça faisait un peu bizarre. Je levai le nez vers le ciel, et me rendis avec stupeur que ce que j'avais pris pour un moineau était en fait... eh ben un rossignol. Sacrée boule de plumes!

''J'ai... J'ai de la crème... P-Pour vos mains.''

De la... crème? Encore plus bizarre. D'accord il m'avait fait mal, d'accord je l'avais plus ou moins engueulé, mais quand même de là à me proposer de la crème pour mes mains! Je m'apprêtais à protester, mais le garçon fouillait déjà dans son sac pour en sortir une petit boîte en évitant soigneusement mon regard. Je reculai d'un pas en le voyant plonger deux doigts dans le peu de mixture qui restait. Heu... j'avais mon mot à dire, quand même, non?

''C'est une amie qui me l'a donnée. Ca marche vraiment, juré!''

Si c'était le cas, il faudrait absolument qu'il me dise où trouver cette amie, parce qu'entre la couture, l'entraînement, le travail et ma maladresse, mes mains en prenaient souvent un coup!

''Votre main. C-Ca vous va si... je vous l'applique?''

Il se risquait enfin à me regarder dans les yeux. Je fus tellement bluffée que j'ne oubliait ma panique à l'idée qu'un inconnu me mette de la crème. Il avait des yeux étonnants. Violets. Remarque, moi avec mes yeux roses, je n'avais pas spécialement de conseils à donner, question couleur. En hésitant, je lui tendis ma main sous le regard mi-moqueur mi-inquiété de Mélo. *Tu oses penser un seul commentaire, ma belle, songeai-je en lui jetant un regard noir, je te jette dans la mer. Vu?*

"Heu... d'accord. Mais tu sais, c'est pas la peine de me vouvoyer, on n'a que quelques années d'écart. Appelle-moi Livena."

'' M-Moi c'est Cimber.''

Cimber? Drôle de nom. Remarque je n'avais pas beaucoup l'impression qu'il y ai des gens aux noms normaux dans ce monde de fous. Un nom du genre "Jade", "Lena", "Pauline", "Chloé"... Quoi, des noms de garçons? Heu, Martin, par exemple?

Le garçon prit ma main est étala doucement la crème blanchâtre sur ma peau. Ce contact me rappelait quand ma Maman me soignait après une chute ou un défi bizarre avec Mayleen qui avait (encore) mal tourné. Ou même des fois quand elle voyait que je ne m'en sortait pas très bien avec mon aiguille et qu'elle me prenait les doigts pour me montrer comment faire. Ma mère avait des doigts pâles et très fins, des doigts d'artisane, dont malgré leurs rondeurs dues à l'enfance je semblait avec hérité. Elle avait des doigts légers, qui volaient sur le tissu, caressaient la soie, comme des ailes de fée. Tout ça ne voulait pas dire que le dénommé Cimber avait des doigts de fée, mais ça faisait longtemps que j'avais laissé quelqu'un me toucher les mains comme ça. Surtout un garçon!! Rien que d'y penser, je faillis retirer brusquement ma main, mais je ne voulais pas paraître impolie et en plus ça risquait de me faire encore plus mal.

''Voilà.... E-Eum.... Ca... Ca fais du bien?''

Je passai du beige elfe bronzé au rouge tomate trop mûre et marmonnai un petit "Hmm hmm", comme quand on me posait une question et que je faisait semblant de répondre alors qu'en fait je n'avait même pas écouté. Cependant là j'avais très bien entendu et j'aurais préféré mourir que de devoir répondre. Vite, trouver un sujet de conversation où nous ne risquions pas de rougir toutes les cinq minutes.
Le rossignol qui nous avait conduit dans cette situation ridicule et gênante entama un chant cacophonique qui fit se retourner quelques passants. Remerciant Diane pour avoir doté ces oiseaux d'un semblant d'intelligence, je fis un petit rire étranglé qui se transforma vite en un éclat de gamine.

"Dis donc, ton rossignol, il est habitué à monopoliser l'attention, on dirait! C'est toi qui jouait, tout à l'heure?"

*Merci mon p'tit ami à plumes, merci! Finalement, peut-être que je ne vais pas demander à mon chat de te croquer pour avoir conduit ton maître ici.*

''L-La harpe? O-Oui, ca devait être moi. Je suis un saltimbanque.''

La possibilité qu'il s'agisse de la même personne n'était pas si probable dans un endroit aussi fréquenté que le Port, pourtant il me semblait presque impossible que ce ne soit pas lui. Il me semblait bien avoir aperçut de loin le rossignol sur son épaule, et en plus il transportait une harpe. Au moins ma tentative de changement de sujet avait marché, il avait enfin oser de me regarder dans les yeux, et il ne ressemblait plus aux tomates du potager de Maman à Silmarie, même s'il bégayait toujours un peu.

"Un saltimbanque? T'es vraiment douée... enfin, j'y connaît pas grand chose en musique, mais c'était vraiment joli ce que tu jouais."

Cimber ouvrit la bouche pour poser ce qui ressemblait à une avalanche de questions, puis la referma. Je faillis éclater de rire, mais je me retins pour ne pas le mettre encore plus mal à l'aise. Je réagissais souvent comme ça quand je voulais poser mille interrogations à la fois, et que sous l'effet de ma conscience bien cachée (ou d'un coup de coude dans les côtes...) je me retenais à grand-peine pour en poser une à la fois.

'' Et toi? D'où viens-tu? De Silmarie?''

Je pouffais en renouant un nœud de ma robe pour me donner contenance. Même si ce n'était pas trois phrases indépendantes, Cimber n'avait pas pu s'empêcher de poser trois questions... à une cadence pas très très lente, pour tout dire! Mon rire sous cape finit étouffé dans un petit couinement inaudible lorsque le garçon tendit sa main couverte d'onguent.

''T-Ton autre main...''

Il redevint écarlate et je sentis le rouge me monter aux joues. Bon, d'accord, un peu de couleurs ne me feraient pas de mal en plein été, mais de là devenir une tomate ambulante, non merci!! Cimber était sans doute timide, mais que-ce qu'il me prenait, tout d'un coup? Je n'étais pas du genre à succomber à un quelconque charme, j'avais grandi avec celui de ma soeur et apprit à y rester indifférente. D'habitude, je jouais de ma bouille toute mignonne pour me tirer de situations délicates et voilà que je me retrouvais les pieds dans le pl...

Une seconde... QUEL charme??!!! Non mais ça va pas?! Je m'assénai une claque mentale. Ce Cimber était un inconnu qui jouait de la harpe comme un demi-dieu *claque mentale* qui m'était rentré dedans en cherchant son rossignol, et qui soignait mes mains pour se faire pardonner. Que-ce qu'il y avait de charmant là-dedans pour que nous rougissions toutes les deux phrases?
Bon, d'accord, tous les inconnus ne s'arrêtent pas pour vous enduire la main avec une crème bizarre qui fait vraiment du bien... (la crème, pas l'inconnu!! *claque mentale, claque mentale, claque mentale*). Vite, répondre à ses mille et une questions avant de finir et punching-ball mental.

"C'est que je... oui, je viens de Silmarie, mais...*Non, tais-toi, tais-toi, ferme ta boîte à camembert Livena!!!!*... Je suis partie il y a un an... à cause de... enfin... je vis à Muria maintenant."

Raaah quelle gourde! Même pas capable de se la fermer une seconde! J'avais presque l'impression que je ne contrôlais plus ce que je disais. Rien qu'à cette pensée, je pris une jolie couleur pivoine.

J'essayai de retenir un sursaut lorsque Cimber me prit doucement la main, mais autant demander à un taureau en train de charger de s'arrêter à 2 cm de sa cible. Impossible. J'ouvrit la bouche pour protester sans réfléchir, lorsque le garçon me tira dans la foule. Apeurée par l'idée qu'il me lâche et que je me perdre dans cette foule, j'affirmai ma prise sur ses doigts. Je plaindrai mon honneur de timide plus tard! Je déglutis avec peine, et j'ai l'impression qu'une grosse boule était coincée dans ma gorge. Mélo, qui avait aussitôt bondi sur mon épaule lorsque Cimber m'avait entraînée dans la rue, plantait ses griffes dans ma peau. Alors que Cimber marmonnait quelque chose comme quoi il était sûr qu'ils vendaient des pains quelque part, je poussai un petit cri aigu et lançai un regard noir à ma chatte.

"Glandasse!! Rentre tout de suite tes griffes, tu m'entends?!"

Si Mélo n'avait pas eu de mal à m'obéir lors de mon dernier jour au Bar Bu avant de partir, quand j'avais réussi à la dresser sous l'ultimatum imminent de Flowène, elle semblait avoir plus de mal à m'obéir dans une rue bondée. Malheureusement pour moi, elle était très proche de moi et sentait que je ne me sentais pas à mon aise, croyant que le jeune garçon me voulait du mal. Elle ne me lâcherait que lorsque je serais détendue.
Sauf qu'avec ma main dans celle de Cimber, c'était mal barré.
Je le sentis à peine me tirer vers une commerce, tellement je tentais par tous les moyens de déloger Mélo de mon épaule. Je trébuchais un peu, ce qui la fis tomber, et à ce moment-là je vis rouge.

"Stupide boule de poils!!!!!
-Stupide boule de plumes!!"

Je lançai un regard étonné à Cimber, puis remarquai que son oiseau nous avait amenés à un étal de... poisson. Cimber me lâcha alors brusquement la main, et je lui en fus reconnaissante car j'en avait besoin pour envoyer cette traîtresse de Mélo dans l'Océan. Sentant son regard de prédatrice sur les spécimens maritimes assez alléchants (pour un chat, j'entends...), je la pris dans mes bras pour l'empêcher de faire une bêtise. Tout bouffer, par exemple.
J'ouvris ma sacoche et en extirpai un mouchoir, et le pressai en grimaçant sur mon épaule, d'où gouttait un peu de sang. Ça faisait encore plus mal que les égratignures aux mains. Et pour couronner le tout, on n'avait rien à manger.

''R-Reste ici... J-Je...''

Et il me planta ici, me laissant moi, mes plaies et ma démone de chatte en plein milieu de la rue (enfin, moins en plein milieu que toute à l'heure, quand même). La surprise me paralysa un instant, puis je repris mes esprits en secouant la tête les yeux fermement clos puis amorçai un geste pour le rattraper, une jambe en avant, le bras légèrement tendu. Trop tard, évidemment.

"Mais..."

Evidemment il ne m'entendit pas, car non seulement il était déjà près de l'étal de poisson, mais en plus j'avais parlé tout bas, sachant que je ne pourrais pas finir ma protestation. Je fus tentée de le rejoindre, car je détestais être laissée sur la touche, mais il m'avait demandé de rester là et bien qu'obéir ne fut pas mon fort, j'attendis qu'il revienne en évitant les passants pressés et indifférents aux autres qui bousculaient sans ménagement ceux qui avaient le malheur de se trouver sur leur chemin... un peu comme l'avait fait Cimber toute à l'heure. Je relevai la tête lorsque je le vis revenir, les mains dans le dos, un énorme sourire collé sur le visage comme s'il préparait une blague monstre.

''Ta-da!''

J'écarquillai les yeux en lâchant un cri stupéfait. C'était pas une blague monstre... mais un REPAS monstre!!

"Mais... mais que... que-ce qui t'es passé par la tête? réussis-je à balbutier."

Evidemment, c'était gentil à lui de m'offrir le déjeuner, mais quand même, un homard... je ne pourrais jamais ce truc à moi toute seule! A Silmarie, je mangeais beaucoup de poisson que je pêchais parfois moi-même, mais FRANCHEMENT, un HOMARD!! Pourquoi pas une rascasse tant qu'on y est?!

J'inclinai la tête et pris mon "repas" des mains de Cimber (non sans frôler ses doigts au passage, merci le homard, heureusement pour toi t'es déjà mort), et poussai un petit cri lorsque sa carapace bouillante fuma entre mes doigts. Instinctivement, j'utilisai mon pouvoir et une fine plaque de glace vint recouvrir mes mains rougies, manquant de me faire lâcher le crustacé géant. J'en cassai un petit bout et le donnai à Mélo, qui se remit d'nu bond sur ses pattes en se pourléchant les babines. Elle était bien capable de me lacérer l'épaule, elle ne devrait pas avoir de mal avec un homard!

"Heu... merci pour le repas, fis-je Cimber, un peu embarrassée. J'en ai jamais mangé, mais... euh... ça à l'air très bon!"

Je remarquai alors que mon épaule saignait toujours. Je ne pouvais pas me soigner pour l'instant, mais histoire de nettoyer la plaie, je créai un glaçon plat difforme dans ma main et l'appliquai sur les balafres. puis je fouillai dans ma sacoche en sortis une bande de tissu et tentai de la nouer autour de mon bras, me tordant le coude pour faire un noeud parfait. Les noeux, c'était vraiment une obsession, chez moi. Mes mains glissaient, et je fis disparaître la glace qui les enveloppait pour être plus habile avec mes doigts, habitués aux manœuvres complexes dues à la couture. Je me faisais mal pour rien, car je pouvais demander à Cimber de m'aider, mais j'estimais avoir assez rougie pour la semaine. Ou même le mois.
Je reportais mon attention sur le homard, en décortiquai un petit morceau et le glissai dans ma bouche. Ça avait le goût de la mer.

"Mmm... c'est bon! m'exclamai-je."

 ''Pour ton épaule... Si tu veux je peux t'aider!''

Je m'immobilisai dans une position pas très distinguée, en train de décortiquer le homard du mieux que je pouvais. Mes doigts fins de petites filles étaient certes habitués aux travaux manuels et au tir à l'arc, mais c'étaient avant tout des doigts faits pour les travaux minutieux. Alors démembrer un mollusque (crustacé, c'est pareil!) en un temps record pour ne pas perdre la face quand on passait ses journées à coudre et broder sur une surface d'un millième de millimètre carré, cherchez l'erreur!
Bref, j'étais en train de me battre avec un crustacé un peu mort et pas enterré lorsque Cimber m'avait rappelé avec sa... gentillesse habituelle que mon épaule venait d'être lacérée par ma chatte. Je lui lançai un regard un peu étonné, pour la forme, (genre: Mais de quoi est-ce que tu parles? Ah! Ça, je l'avais presque oublié, cette vilaine coupure! Franchement, vous me voyez débiter une idiotie pareille?), posai mon homard qui se retrouva aux prises avec une chatte de 20 cm possédant un estomac qui faisait bien trois fois sa taille, puis je dénouai le bandage improvisé. Le glaçon avait totalement fondu et le sang mêlé à l'eau coulait le long de mon bras.

"Ah! je l'avais presque oublié, cette vilaine coupure!"

Comment ça, espèce d'hypocrite? Moi je me voyais bien débiter un truc dans ce genre!
Bon, d'accord, dit comme ça, ça paraît un peu idiot. Et moi aussi j'ai l'air idiote, d'ailleurs. Ce qu'on peut être bête quand il y a un garçon dans les parages. Si ça se trouve, dans cinq minutes j'allais me mettre à rejeter mes cheveux en arrière et glousser comme une pintade.
Ah! non, pitié, je ne voudrai pas ressembler à ma soeur!!

"Non, c'est pas vraiment la peine, dis-je à Cimber en souriant. Regarde!"

Je savais que je ne devais pas trop étaler mes pouvoirs, mais de toute manière c'était loin d'être rare à Azthia, et puis Cimber était une personne de confiance. Après tout, lui pouvait bien envoûter la foule avec sa harpe et le chant de son oiseau (et même sans, d'ailleurs...), mais la stupide boule de plumes ainsi nommée ne lui obéissait pas encore super bien... d'accord, Mélo me lacérait l'épaule, mais cela arrivait souvent ce genre de chose, c'est pour montrer qu'on s'aime! Et puis surtout, Cimber possédait une immense qualité qui me faisait totalement défaut: il savait décortiquer un homard!! Moi, ce que je savais faire, c'était coudre, tirer à l'arc et servir des thés glacés. Et aussi dresser mon chat tant bien que mal.
Je souris de nouveau à mon ami, puis ouvris la paume devant moi et fis appel au peu de concentration qui me restait en sa présence pour créer un nouveau glaçon qui fondrait moins vite. A peine eus-je formulé cette pensée qu'un morceau de glace s'échappa de ma main en laissant des traces mouillées, puis s'écrasa par terre en petit splash! pour finir en une flaque à nos pieds. Poussant un soupir déçu, je recommençai mais à peine formé dans ma main, le glaçon fondit comme... eh! bien comme neige au soleil.

"Ooooh, zut!! C'est pas du jeu, il fait trop chaud!! m'énervai-je toute seule."

Je sais ce que vous allez me demander: à quoi ça sert de savoir manipuler la glace si on ne peut pas s'en servir quand il fait chaud? Réponse: bien sûr qu'on peut, seulement les pas-doués comme moi qui ne s'exercent pas quotidiennement, ça relève plus de la manipulation de l'eau que de glace. J'étais loin d'être aussi forte qu'Eléa qui savait sans aucun doute conserver un glaçon sous un soleil comme ça. Même dans le désert, s'il le fallait!
Maintenant, je n'avais plus aucun moyen de me soigner toute seule. Pire: je n'avais plus aucun moyen de crâner devant Cimber, à moins qu'il s'intéresse à des habits confectionnés par une gamine qui se trouvaient... à Muria, à des lieues et des lieues de là. Raaah mais quelle douée!!

"Heu ben en fait... grimaçai-je à Cimber en détachant mon regard de la flaque entre mes mains, je crois qu'il ne me reste pas 36 solutions. Tu... tu as encore... de la crème?"

Non, non, un homard vert turquoise volant lui avais volé sa crème pour essayer de se soigner avant de passer à la casserole, mais comme ça ne marchait pas sur les animaux mutant, il l'avait jetée dans la mer. La question du siècle!
Gênée, je baissai le regard en tentant de ne surtout pas rougir, puis percutai d'un coup que pour me mettre la crème, Cimber devrait... devrait... ce serait pire que les mains!!!!
Je plongeai le nez dans ce qui restait de mon homard pour tentait d'abriter mon visage derrière mes mèches brunes, mais même un aveugle aurait remarqué sa couleur rouge tomate trop mûre. En cet instant de pure honte, une seule pensée me vint à l'esprit:
*Merde de merde de mercredi!!!*
C'est fin, c'est frais, c'est raffiné, c'est moi, quoi!

« C'est vraiment impressionnant, je trouve ! »

Je lui adressais un petite sourire gêné. J'avais plus l'impression qu'il cherchait à être gentil et à me remonter le moral que de tomber en extase devant un morceau de glace fondu. Cimber dégaina sa crème miracle, et pendant qu'il en raclait les bords, je reportai mon attention sur mon homard en évitant de trop penser à ses doigts qui me chatouillaient l'épaule. Nous tentions tous les deux de faire comme si des garçons qui soignent les épaules des fillettes il y en avaient plein les rues, mais nous étions tellement rouges qu'on aurait deux énormes homards passés à la casseroles...
*Oui, c'est ça, on est des homards ! Pense comme un crustacé, ressent comme un crustacé, ta vie se résume à parcourir les fonds marins avant de te faire pêcher par un cydien. Ta mort est simple, tu cuis vif dans l'eau, tu prends la couleur des coquelicots et hop ! Bouffé par un amateur de crevettes. Tiens, d'ailleurs c'est paisible une vie de crevette, aussi, tu vogue tranquillement sous la surface, tes antennes flottent au gré des courants marins, et... aaaah un homard harpiste !*
Bon, pour la concentration, on repassera. Je retins un immense soupir de soulagement lorsque Cimber eut fini et lui adressait mon plus beau sourire pour masquer ma gêne.

« Super, merci beaucoup je sens presque plus rien ! *Enlève ta main, enlève ta main...* C'est vraiment efficace ce truc, j'y penserais la prochaine fois que je me ferais envoyer au tapis par un passant ! *Même si je doute qu'il soit aussi charmant... argh mais que-ce que je raconte, moi ?!* Enfin... je ferais appel à toi si jamais Mélo me prend encore pour son coussin... et on aura pas besoin d'amputer ! * Tu peux toujours courir, je te laisserais plus jamais toucher à mes mains ou à mon épaule !!*

Je baissais les yeux sur mon déjeuner inachevé. J'avais conscience que j'étais restée beaucoup trop longtemps, et les amazones que j'avais accompagnée risquaient de s'inquiéter... même si je rougissais toutes les trois secondes, je n'avais pas très envie de partir, mais bon, il fallait bien...

« Je... commençai-je en butant les mots. Je suis vraiment contente d'être tombée sur toi... enfin, pas dans le vrai sens du terme, hein, parce que ça faisait mal quand même, mais... j'ai eu de la chance de te rencontrer, mais je dois partir, on m'attends pour retourner chez moi et... je... enfin... le homard était très bon... même s'il m'a donné du fil à retordre... argh, je m'embrouille... »

*Allez Livena, fais un effort, quoi !! Depuis quand tu deviens muette devant un garçon ?? T'as donné ta langue à Mélo ou quoi?! Fini ta phrase, t'as vraiment l'air gourde !!!*

« Euh il faut que j'y aille, répétai-je en me levant brusquement. J'espère qu'on se reverra... vraiment. Mais là je dois rentrer, j'ai lâché ma patronne en pleine période d'été et... enfin, au revoir. »

Après avoir mit fin un peu brusquement à la conversation, je pris Mélo dans mes bras puis m'enfonçai dans la foule sans me retourner. J'avais vraiment l'impression de me comporter comme une gourdasse impolie, mais c'était ça ou céder à la tentation et rester encore avec lui jusqu'à pas d'heure, et vu l'atmosphère étrange qu'il y avait entre nous (non mais pas entre nous, que-ce qu'il me prend aujourd'hui?!), partir était la meilleure solution. Mais ce qui était sûr, c'est que je ne pourrais jamais oublier ce garçon et sa crème bizarre qu'on doit pas trouver dans toutes boutiques apothicaires du coin. Cimber... lui c'est sûr, je m'en souviendrais!