Cydonia.
C’est donc à cela que ressemblait la ville Cydienne ? J’étais un peu déçue au premier abord, pourquoi ? Je ne savais pas, après tout je ne pouvais pas juger une ville d’après les rumeurs lancées par les ivrognes et les voyous que j’avais pu croiser à Erathia. Plutôt que de me laisser influencer par les dires de quelques mécréants, j’avais donc opté pour une bonne promenade, après tout j’avais encore plusieurs jours avant de devoir impérativement retourner à Hoshizora. Je devais tout de même admettre que le beau temps et le fait que le soleil déclinait doucement donnaient un certain charme à la cité.
M’aventurant aléatoirement dans les rues, j’en déduisais que je n’étais pas loin du quartier commerçant, car je distinguais au loin quelques échoppes. J’avais entendu parler de cette ville comme du centre du monde lorsqu’on parlait de commerce, étant donné qu’elle était située en bord de mer, il me paraissait logique que le port devait être des plus animés. J’arpentais donc les rues avec l’idée d’arriver au port, il était fort possible que je puisse même voir un superbe coucher de soleil. J’aurais très bien pu demander mon chemin mais j’avais toujours trouvé plus sympathique de découvrir par soi-même. Je savais déjà plusieurs choses sur cette ville, bien que les écrits la concernant soient déjà âgés de cinq années et seules les divinités savent ce qui peut se produire en cinq ans et en bouleverser tout le fonctionnement. Leur système politique était différent du notre, j’avais du mal à concevoir que cette ville était gouvernée par plusieurs personnes. Moi qui n’avait connu que l’empire Jinmen et les différents clans qui le « divisent ». Son histoire en était tout aussi étrange, en froid avec une autre grande cité depuis des générations, trahis par l’élite de leurs troupes, la ville fut également désertée par les femmes, parties se réfugier dans une autre grande cité dont le nom m’échappait… Cette ville avait un passé sombre et triste, et pourtant elle était si vivante, d’apparence si joyeuse.
Les Cydiens en majeure partie des artistes, peut être avaient ils trouvé un moyen efficace d’oublier tout ces malheurs qui se sont abattus sur eux par la pratique des arts ? J’approchais du port tout en réfléchissant, les arts de la scène n’étaient pas mon point fort, pour ne pas dire que j’avais très peu d’intérêt pour ces derniers. La peinture et la calligraphie n'étaient pas non plus ma grande passion. Mon regard se posa sur l’horizon, le soleil baignait la mer de sa lumière déclinante, j’avais raison de venir ici, c’était un très beau coucher de soleil. J’entendis une voix, et pas n’importe quelle voix, car en zieutant vers l’origine du son, j’aperçu une jeune Jinmen en train de chanter. Et encore une fois, pas n’importe quelle Jinmen, une princesse. Que diable faisait l’un des héritiers de l’Empereur ici ? Depuis la disparition des deux princesses jumelles, la sécurité avait été renforcée et les personnalités importantes étaient bien protégées. Alors pourquoi était-elle ici, si loin de chez elle, et seule qui plus est ? En tout cas il m’était facile de savoir qui elle était, il n’y avait que trois princesses dans l’Empire Jinmen, le fait que deux d’entre elles soient jumelles rendait très facile l’identification de leur jeune sœur. La jeune princesse qui s’était tourné vers l’art noble de la magie, il devait donc s’agir de la princesse Ayane étant donné que les deux jumelles étaient encore portées disparues et que la jeune femme que je voyais n'utilisait pas de support pour sa magie, contrairement à l'une de ses demi-soeur. Je ne l’avais croisée que très peu de fois au sein du palais, il était d’ailleurs rare que je croise un membre de la famille impériale en dehors des rares fois ou j’avais escorté le prince. Je me souviens cependant avoir déjà croisé cette princesse, elle était alors bien plus jeune, et cela faisait déjà un moment, si bien que je ne pouvais le dater. Cependant je pouvais affirmer qu’elle était maintenant bien plus grande que dans mes souvenirs, elle avait tout ce qui ferai pâlir de jalousie d’autre femmes : élégance, beauté, bonne manières et bien entendu elle était une princesse. En restant ici, seule, elle risquait se s’attirer des ennuis, bien que je pouvais affirmer sans prendre de risque qu’elle serait plus en sécurité ici qu’elle ne l’aurait été à Erathia…
Enfin, je me demandais également quel genre de sot pourrait oser s’en prendre à une princesse, quelqu’un d’un minimum réfléchit supposerai immédiatement que son escorte devait l’observer du coin de la rue et était prête à bondir sur le moindre manant qui voudrait attenter à sa vie. Cependant, je venais de bien observer les alentours et personnellement, si j’avais été un assassin, je n’aurai eu aucun mal à m’en prendre à elle ici et maintenant. Il n’y avait que quelques civils, et une petite patrouille de gardes au loin, le port était assez silencieux et il n’y avait bien sur, aucun signe d’une escorte impériale. La princesse était elle ici incognito ? Non, il était peu avisé de venir incognito sans même prendre un garde du corps à ses côtés. Alors pourquoi était-elle ici ? S’était elle enfuie du palais ? J’avais peine à croire qu’elle prenne autant de risques si cela n’en valait pas la peine donc il était plus probable qu’elle soit en mission diplomatique. Quoi qu’il en soi, elle était là, et elle chantait. Elle avait une belle voix, bien que je fusse un peu éloignée pour distinguer précisément toutes ses paroles. Quelque chose était certain, cette chanson était mélancolique et la princesse en laissa même une larme couler, sanglot qu’elle manipula avec sa magie pour en faire un accompagnement avec la fin de son couplet. Une fois terminé, elle jeta un regard sur moi, elle savait que j’étais ici, je ne sais comment, puisque je n’avais pas été des plus bruyantes, loin de là. Elle m’interpella, elle me paraissait d’ailleurs hésitante, elle devait probablement chercher mon identité, ce qui ne devait pas être simple pour elle qui avait croisé énormément de personnes au sein du palais. Elle m’adressa finalement ces mots :

« -Excusez mon indiscrétion, mais êtes vous samouraï ? »

Je m’approchai d’elle, avant de m’incliner très respectueusement comme il convenait pour une personne de son rang.

« - Je me nomme Karaleth Shuzen, Samouraï du clan de la Licorne et au service du Prince Consort, c'est un honneur de vous rencontrer, Hime-sama. »

J’hésitais à lui demander ce qu’elle faisait ici et surtout ce qu’elle faisait ici sans escorte. Il aurait été malvenu d’harceler une princesse avec de telles questions. Mais il me semblait tout aussi important de devoir m’assurer qu’elle avait pris toute les précautions avant de s’aventurer à l’autre bout du monde…
Enfin il serait abrupt de poser une question aussi sérieuse d’une manière si triviale. Aussi préférais-je attendre sa réaction avant d’oser quoi que ce soit.

Curiosité.
Cette soif de savoir inextinguible qui s’empare de nous, nous poussant parfois à faire des folies. La princesse semblait vraiment curieuse, désireuse de savoir ce qui pouvais m’amener si loin de l’Empire et je dois dire que ce sentiment était réciproque, je la comprenais parfaitement. Ce que je faisais en Cydonia… Et bien sur le coup il m’était difficile de répondre car en voyant ce manque flagrant de sécurité autour de la jeune femme, j’avais complètement perdu mon objectif de vue. Un instant de silence s’imposa entre nous, avant que je ne m’empresse de répondre.

« - Je suis ici pour des raisons personnelles, je recherche quelqu'un. Puis-je vous demander pourquoi une personne de votre importance se trouve ici sans aucune protection ? Pardonnez mon impolitesse mais je ne peux que m’inquiéter de ce qu’il pourrait vous arriver ici, en territoire inconnu. »

Qu’elle me réponde ou pas ne m’importait pas vraiment en réalité, puisque si quelqu’un devait arriver maintenant pour attenter à ses jours, cette personne devrait déjà croiser le fer avec moi, à défaut d’être l’un des gardes de la princesse, j’étais tout de même la mieux placée en l’instant présent pour lui sauver la vie. D’ailleurs, il me semblait avoir eu vent d’une garde qui protégeait la princesse… Où était-elle ? La princesse était-elle venue seule ? Peut être avait-elle envoyé sa garde accomplir une tâche non loin, la manœuvre n’en était pas moins dangereux.
Je venais de me rendre compte que je n'avais pas été très précise en répondant à une de ses interrogations.

« - Malheureusement, en matière de détails, Hime-sama, Je… »

Des bruits de pas se firent entendre, la main gauche placée sur mon fourreau et la droite ayant déjà tiré deux bons centimètres de la lame de ce dernier; Je fis face à la personne qui approchait. Son accoutrement me laissai perplexe, elle n’avait pas l’air d’un assassin. Armée d’un arc et possédant une lame courte accrochée à la jambe, elle avait l’air d’être un chasseur. Mais je l’avais déjà entrevue quelque part, du moins il me semblait, de plus elle semblait être la garde d’Ayane, elle me fixait comme si j'étais une menace et elle n'avait pas tout à fait tort, enfin elle devait probablement mal interpréter mes actes.

« - Luné, garde personnelle de sa majesté, Ayane. Qui êtes vous donc ? Et qu'elles sont vos intentions... jeune samouraï ? Faites vous partie de l'armée impériale ? »

Bingo, c’était donc elle, l’incompétente qui venait de mettre en péril la vie de sa maîtresse. En prime voilà qu’elle me prenait de haut. Elle changea rapidement de ton en prenant en compte le fait que j’étais samouraï, peut être venait-elle de comprendre que je n’avais aucune intension hostile envers Ayane. Elle ne pouvait cependant pas me lâcher du regard, un regard que je jugeais assez agressif pour ne pas dire insolent. C’était vraisemblablement une guerrière du clan de l’hydre, ils étaient réputés pour cela après tout. Sa façon de se poser face aux gens, la façon dont elle avait attaché sa lame à sa jambe et son arc me laissaient très amplement comprendre qu’elle ne devait pas avoir l’habitude de se battre au corps à corps. En outre elle devait être une excellente tireuse. Elle n’en était pas moins imprudente et particulièrement irritante. Le timbre de sa voix en lui-même m’agaçait, elle me rappelait la femme qui vivait non loin de la demeure des Shuzen, qui passe son temps à prendre tout le monde de haut ou à les traiter comme des moins que rien.
Mais son attitude était excusable, elle m’avait pris pour un danger envers la princesse, il est vrai que de loin une personne armée face à une princesse, n’importe qui réagirait sans réfléchir. Enfin il était ridicule de me poser toutes ces questions, je n’avais d’ailleurs aucune envie ni aucune obligation d’y répondre.

« - Qui je suis ne vous regarde pas, vous avez d’ailleurs constaté que j’étais samouraï, cela devrait vous suffire pour vous convaincre que mes intentions ne sont pas mauvaises. Je laisse le soin à son altesse de vous communiquer tout renseignement à mon sujet qu’elle jugera nécessaire, je n’ai pour ma part aucun compte à vous rendre. »

Et qu’elle s’estime heureuse que je n’ai pas cherché à foncer, j’aurai aisément pu l’attaquer lorsqu’elle s’est approchée.
D’ailleurs, avant de me demander mon identité, elle aurait mieux fait de s’excuser auprès de la princesse pour ne pas être fichue de la protéger convenablement, après tout j’aurai très bien pu lui faire du mal, si j’avais été une criminelle, 3 secondes m’auraient suffit pour tuer la princesse et une dizaine d’autres pour m’enfuir du secteur.
Enfin, j’étais rassurée de savoir la princesse en sécurité, même si cette entrée fracassante m’avait vite laissé présager le pire. Je me retournai vers la princesse pour finir de répondre à la question, tout en appuyant avec le pouce sur la garde de mon katana pour le ranger complètement.

« - Plus précisément, j’ai suivi une piste qui m’a menée jusqu’ici. J’ai bien peur de ne rien pouvoir vous dire plus je n’ai pas beaucoup d’informations sur la situation ni sur l'actuelle apparence de la personne que je recherche, Hime-sama. »

Bien sur je ne pouvais lui dire que je cherchais mon frère. Je ne voulais absolument pas que cette affaire s’ébruite même au sein d’Azthia, il était recherché pour meurtre et avait fuit il y a longtemps. Aussi je pensais qu’il me serait possible de le retrouver, le Prince m’ayant gracieusement accordé du temps pour que je puisse vaquer à cette occupation.
J’avais peu de temps et je voulais absolument en apprendre un maximum, le moindre indice m’était précieux…

Vexée.
C’est l’impression que je ressentais en fixant Luné qui me regardais d’un air mauvais, juste avant que sa maitresse ne la réprimande. La scène était assez comique, une enfant si jeune et d’apparence si frêle qui sermonnait une guerrière armée au milieu d’un port dans une cité à l’autre bout du monde. Il était nécessaire de se montrer ferme après tout, l’affaire aurait pu être grave, très grave. Fort heureusement le port était désert, du moins quasiment et il semblait très peu probable que la princesse ait risqué quoi que ce soit. Quoi qu’en y réfléchissant, le lieu était suffisamment ouvert pour un tireur, donc un meurtre discret, certainement pas, mais possible sans aucun doutes. Les gardes de la ville n’auraient probablement pas le temps d’agir que le mal serait fait. Tandis que la jeune Shugenja et la militaire discutaient, je jetai un œil furtif dans différents recoins du lieu, c’était étrangement calme pour une fin de journée, un port était toujours tellement vivant, même en soirée. Enfin peut être était-ce mon imagination, je n’avais connu que les ports d’Oyashima, la culture d’ici était différente et leurs coutumes imposaient peut être un genre de couvre-feu. Ou peut être était-ce la saison qui influait sur le trafic au sein du port, aucune idée. La douce voix de la princesse m’interpella de nouveau, elle m’adressa quelques mots avec un sourire emplit de candeur.

« Vénérable Samouraï, que diriez vous de nous accompagner dîner en cette soirée d'Automne ? J'aimerai m'excuser du manque de pudeur dont ma garde a pu faire preuve à votre égard. Nous pourrions ainsi faire de plus ample connaissance, mais également profiter d'une soirée en votre compagnie. En effet, il est assez rare de croiser notre peuple dans ces contrées éloignées. »

Elle ne pouvait blâmer Luné d’avoir été méfiante à mon égard, n’importe quel garde du corps aurait réagit ainsi, après tout c’est son honneur qui était en jeu à chaque instant, si la princesse venait à subir quelques sévices, elle n’aurait pas beaucoup d’alternatives. La princesse venait de me demander de l’accompagner, je dois dire que j’en étais surprise, très surprise. J’avais imaginé toute sorte de situations, mais jamais je n’aurai imaginé qu’un membre de la famille impériale me demande un jour de l’accompagner dîner, j’avais toujours pensé qu’ils ne prêtaient que peu d’attention aux castes inférieures, surtout quand il s’agissait d’un membre d’une petite famille d’un clan qui n’est, qui plus est, pas le sien. Enfin je pense que son jeune âge et son innocente étaient pour beaucoup dans ce choix, elle était une jeune fille qui n’avait pas connu la liberté telle que les gens de plus basse noblesse comme moi avaient pu connaitre. La vie d’une princesse devait être difficile, je crois que je n’aurais jamais apprécié cela, même si cela s’avérait être un grand honneur. J’aimais ma liberté, bien qu’elle soit tout de même plus limitée que celle d’un paysan, car je devais obéissance à mon seigneur et je ne jouissais que de peu de temps libre si je prenais en compte les entrainements pour rester au summum et mes différents devoirs de samouraï.
Ayane me fixai avec son sourire enjôleur, je dois admettre qu’il serait difficile de lui refuser quoi que ce soit, elle était attendrissante et j’admettais bien facilement que je n’étais pas du genre à céder quoi que ce soit à une jeune fille si adorable, malgré mon dur entrainement de samouraï ou j’avais appris à effacer tout sentiment. Après tout j’avais compris avec le temps que cet entrainement n’était pas la clé mais juste un plan, comme un chemin à suivre qui nous permettait ensuite de nous orienter vers notre destin et le mien, de destin, ce n’était surement pas d’être une combattante froide. J’avais certes un self-control qui dépassait la moyenne, mais je n’avais jamais pu rester impassible totalement et en toute circonstances, ce qui me valait beaucoup de punitions à l’époque. Un point sur lequel mon père avait été très strict, je n’avais jamais compris comment mes frères parvenaient à conserver une attitude parfaitement neutre face à certaines choses. Mes frères… Où étaient-ils ? J’avais tant de choses à leur dire, et tant de choses à leur reprocher et eux, avaient un honneur à regagner, ils s’étaient enfuis du jour au lendemain, je n’avais aucune nouvelle d’eux et tout le monde au sein du clan les pensaient morts, mais je me souviens de l’ardeur dont ils avaient fait preuve pendant leurs apprentissages, il me semblait impossible qu’ils soient juste morts. Que mon frère ainé se soit volatilisé après cette sombre affaire de meurtre n’est pas si louche que ça en apparence, il était facilement imaginable qu’il ait été profondément dégoûté de la manière dont l’enquête fut menée. Quand à mon frère cadet, en réalité » c’est pour lui que je me faisais du souci. Il avait toujours été plus frêle que notre ainé, et sa faible constitution lui portait préjudice depuis des années, je ne savais pas si il avait été emmené par mon ainé ou si il l’avait suivi, ou pire si il avait prit la grave décision de quitter le clan sans crier gare. Dans tout les cas j’étais ici pour l’un d’entre eux, tout au plus, j’avais pu glaner quelques informations lors de mon périple et une rumeur disait que des Jinmen avaient été aperçus à Cydonia. Si il s’agissait en réalité de la princesse et de Luné, mon investigation tombait à l’eau et le temps précieux que le consort m’avait accordé était gâché. Enfin, il n’était pas le moment de me décourager ni même d’afficher mon désarroi à la princesse, j’espérais qu’elle ne remarque pas mon tracas et encore moins qu’elle ne me pose des questions embarrassantes. Je repris mes esprits afin de pouvoir tout de même formuler une réponse correcte à son invitation :

« - Je ne peux en vouloir à Luné pour son comportement, j’aurais été toute aussi surprise à sa place Hime-sama. Cependant c’est un honneur pour moi que de vous accompagner ce soir. »

Après tout je ne savais quoi faire, car il me semblait bien que les jinmens dont j’avais entendu parler étaient bel et bien Ayane et Luné, je pouvais au moins arrêter mon enquête pour la journée, ou plutôt la soirée, il faisait presque nuit à présent, le soleil avait décliné un peu plus et la lune n’allait pas tarder à le remplacer. J’étais heureuse de pouvoir profiter de la soirée avec des gens de mon peuple, il était si rare de croiser des visages amicaux à l’autre bout du monde.

Déception.
Un sentiment minant le moral et passablement désagréable. J’avais perdu l’espoir de mettre enfin le grappin sur mon frère, après tout ces années. Le prince m’avait pourtant gracieusement permise d’aller vérifier mes sources, au final, rien n’était vrai, j’avais clairement perdu mon temps. Tout mon temps ? Non enfaite, pas entièrement. Je venais de croiser deux Jinmen, et pas n’importe qui, bien que je ne m’attende qu’à trouver le renégat qui fait encore tâche dans les registres du clan.
Enfin j’étais en compagnie de la princesse et de Luné, et je dois dire que cela était un certain réconfort pour mon esprit troublé, en plus d’un grand honneur que d’être invitée par une princesse. Je la suivais en direction de l’agora des arts, suivie de près par Luné qui semblait assez vexée par les récents évènements. En y regardant de plus près, Ayane paraissait elle aussi préoccupée, ses obligations en tant que membre de la famille impériale devaient être parfois très lourdes à porter. La jeune Shugenja s’arrêta soudain devant un bâtiment qui portait le nom de « Auberge du pont divin ». Je riais intérieurement de mon inculture linguistique, ne pouvant pas lire le nom tandis que la princesse l’observa avant de déclarer :

« - L'auberge du Pont divin, ce lieu m'a l'air convenable. De toute façon, mon estomac crie tellement famine que je n'aurai sûrement pas eu la force de chercher une autre taverne ! »

Effectivement, l’heure tardive faisait que moi aussi, je commençais à avoir un peu faim, le voyage avait été assez long et pas franchement agréable entre Erathia et Cydonia et le cadeau qu’Heifara m’avait donné avant que nous nous séparions n’avait plus aucun effet notable, à mon grand regret. Tandis que nous rentrions dans l’auberge, la princesse interpella le server le plus proche afin de passer commande.

« - Garçon, nous voudrions passer commande s'il vous plait. Je prendrai la spécialité du jour et la même chose pour cette femme. Et vous Karaleth, qu’aimeriez-vous ?
- Je prendrais la même chose. »

Je n’étais pas particulièrement difficile en matière de nourriture, ce qui était un avantage en plus d’être assez curieuse vis-à-vis de la cuisine locale. Nous prenions toutes place et discutions de tout et de rien, en patientant, il m’aurait été impossible de deviner qu’elle était une princesse si je n’avais pas été moi-même jinmen. Après tout elle était une adolescente accompagnée d’une femme ayant un peu plus de la vingtaine, le cliché typique des deux sœurs voyageant ensemble à travers le monde, bien qu’elles fussent vêtues de manière ‘’légèrement’’ plus distinguée que le peuple. Enfin, les plats arrivaient et le silence reprit le pas sur la conversation installée entre nous. Silence qui fut bien vite brisé par la jeune princesse qui m’adressa alors ces mots :

« - Karaleth, j'aurai une question à vous poser si vous me le permettez. J'ai remarqué depuis notre rencontre que vous étiez pensive et plutôt triste, avez vous un problème qui vous tracasse ? »

Je redoutais la question, après tout il m’était difficile d’admettre ce qui était arrivé il y’a quelques années. Mais je ne pouvais mentir à la princesse, d’une part, j’étais une bien mauvaise menteuse et de l’autre il est contre le bushido que de mentir. En effet, j’aurais enfreint l’une des sept vertus du Bushido en osant mentir et cela aurait attiré le déshonneur sur mon nom et celui du clan, chose que je n’avais su pardonner à mon frère et que je ne tolérerai pas au sein de la famille. En réalité, je me devais de découvrir ce qu’il était devenu et rendre justice envers mon père qui à sacrifié tant de temps pour parfaire son éducation. Il l’avait trahi et je ne pourrais lui pardonner cela. Enfin je me devais de répondre à Ayane, mais je ne savais trop comment m’y prendre. J’avais un air assez triste qui se mêlait à l’hésitation. Je prenais bien entendu le soin de parler en Jinmen, afin que personne d’autre ne puisse comprendre facilement ce que je racontais.

« - Hime-sama, je dois vous avouer en toute franchise que je redoutais une telle question, je ne souhaite pas vous tourmenter avec mes problèmes personnels. Pour tout vous dire, il se trouve que c’est en lien avec la raison de ma présence ici, en réalité, cette personne que je cherche, n’est autre que mon frère aîné. Il a été accusé… »

Un bruit sourd retentit et nous portâmes immédiatement nos regards sur sa source, comme tous les clients de l’auberge l’avaient fait. La porte avait été brutalement ouverte, je pensais alors d’un coup de pied, par le premier homme, une silhouette musclée et athlétique, cheveux bruns et un air mauvais sur le visage. Il était accompagné par un petit brun, bien plus chétif d’apparence qui portait une épée courte à la ceinture et un air encore plus malsain que son acolyte. Les deux intrus jaugèrent la salle du regard, le brouhaha s’était dissipé lors de leur entrée fracassante. La majeure partie de la clientèle n’avait pas l’air d’appartenir à la garde de la ville et ces derniers étaient probablement assez loin si ces deux lascars s’étaient permit de rentrer de la sorte. J’avais un mauvais pressentiment, et je me doutais que Luné avait très surement le même que moi. Le premier gaillard commença à beugler quelque chose dans une langue que je ne connaissais pas, mais j’aurai facilement pu deviner qu’il venait de crier une ineptie ou quelque chose de stupide vu la tête de son partenaire. Le serveur que la princesse avait interpellé plus tôt se plaça aussitôt devant lui et lui intima de parler moins fort, j’avais vaguement distingué les mots « moins » et « bruit » en Cydien, bien que je n’en sois pas sure. M’enfin, quoi qu’il ait dit très exactement, il n’avait pas apprécié les paroles du jeune homme et son camarade avait maintenant un rictus horriblement sadique. Le grand gaillard écrasa son poing dans le visage du serveur, le pauvre Cydien recula de quelques centimètres avant de s’écrouler par terre, le nez en sang. Mon pressentiment était vérifié, je jetais un regard à Luné qui me jeta ce même regard, celui qui signifiait « La petite soirée tranquille viens de s’achever » En effet, je venais d’apercevoir le maigrichon lorgner en direction de notre table, il s’approcha de notre position, le voilà qui était déjà à côté de moi, sa main droite fût prête à dégainer dés qu’il aperçu notre arsenal Il adressa un regard pervers à Ayane avant d’appeler son collègue qui accouru directement dans notre direction. Les deux hommes communiquaient en Cydien, et maintenant qu’il était plus près, je pus remarquer que l’homme armé était un elfe. Ce dernier lâcha avec une intonation terriblement dégoutante :

« - Regarde mon pote, on a trouvé notre dessert pour ce soir, j’me réserve la jeunette, elle me tente bien héhéhé ! »

Luné me donnait l’impression de bouillonner, j’ignorais si elle comprenait cette langue mais je me doutais que sa réaction était très liée à celle d’Ayane, qui arborait une expression déjà moins joyeuse que plus tôt.
Le colosse lui, lorgnait tantôt sur moi, tantôt sur Luné, comme si il peinait à choisir laquelle d'entre nous il voulait comme divertissement, il lui aurait manqué qu'un peu de bave coulant de la bouche pour qu'il ait l'air d'un parfait abruti...

La tension.
Elle devait être montée de deux ou trois crans depuis les deux dernières minutes. Le petit résumé de la princesse confirma ce que Luné et moi semblions penser rien qu’en regardant le gringalet qui se tenait près de nous. Je n’aurai jamais imaginé la voir avec un tel regard, bien qu’il me semblait évident qu’elle ne se laisserait pas faire, d’ailleurs personne ne se laisserai faire. Elle osa leur envoyer un jet d’eau au visage, manœuvre qui les déstabilisa au point ou aucun d’entre eux ne comprit le mouvement de Luné. Il était pourtant simple, elle venait juste d’ôter le couvre-chef du grand balourd d’un tir précis. Une manœuvre intimidante mais sans doute aurait-elle pu avoir plus d’effet si le type concerné avait eu l’intelligence de le comprendre.
L’elfe était énervé, il dégaina sa lame, un genre d’épée mais légèrement plus courte qu’une lame normale. Il tenta de s’en prendre à la personne la plus simple à atteindre pour lui, la princesse. Il était hors de question que je laisse passer cela. Oser s’en prendre à une princesse tandis que deux militaires sont autour d’elle, était à la fois stupide et suicidaire. Je tirai mon wakisashi, plus court et donc plus simple à dégainer, très rapidement et lui trancha le haut de chaque doigt de la main, il lâche son arme qui tomba sur la table d’un bruit sourd de métal entrechoqué avec les divers objets de cette dernière. Il jura en elfique, chose que nous étions à coup sur trois à comprendre. La rage déformait son visage, la blessure n’était pas profonde, sa main pouvait encore bouger bien que cela pouvait être douloureux et contraignant. Je plaçais la lame de mon arme près de sa gorge en lui lançant ses quelques mots d'un ton vindicatif :

« - Ce geste était de trop, estimez vous heureux que votre tête ne roule pas par terre en ce moment même. »

Je ne pouvais le tuer comme cela aurai pu arriver à Hoshizora, mais je ne voulais pas faire empirer la situation, nous n’étions pas à Hoshizora et il est fort probable qu’un tel acte ne soit pas vraiment « apprécié » par ici.
Il me jeta un regard haineux, avant de l’adresser ensuite à Ayane et, pris de panique, il sortit en tout hâte de l’auberge, l’ouverture brutale de la porte fit un bruit tel qu’il était absolument impensable que la garde de la ville n’ai pu entendre tout ce remue-ménage. Luné était en prise avec le grand costaud, ce dernier venait d’essayer de la frapper mais elle le tenait de nouveau en joue avec son arc. Il s’était arrêté net, même si il l’avait frappée, la flèche aurait été décochée et il l’aurait prise de plein fouet, il ne bougea pas d’un poil et mit même ses mains sur la table. Deux miliciens arrivèrent en courant dans un fracas d’acier forgé s’entrechoquant qui caractérisait si bien une armure de plaques. Bien qu’il me fût impossible de communiquer avec l’un des gardes, ils comprirent aussitôt la cause de ce bazar. L’homme en question était visiblement recherché pour une quelconque raison dont je me fichais éperdument après tout. Je regrettais que cela se soit passé ainsi, une soirée si tranquille gâchée par deux voyous, c’était regrettable, et j’avais bien peur que nos chemin ne doivent se séparer d’ici demain, j’avais encore un peu de temps devant moi et je me doutais que la princesse avait ses propres problèmes à régler.
L’agitation qui régnait était dissipée, le calme reprit la place qui lui revenait de droit dans l’établissement. Décidément, Cydonia était une ville haute en couleur.