Décidément, il n’était pas facile de trouver chaussure à son pied en ce moment. Ça faisait déjà plusieurs jours que je tournais dans la ville, espérant capter quelques informations croustillantes qui pourraient m’orienter vers ce que je recherchais. Malheureusement je n’arrivais à rien et j’étais en même temps préoccupé par diverses choses. Je me demandais ce que devenait Minatsuki, par exemple, ou encore ce qu’Auween pouvait être en train de faire en ce moment. J’imagine qu’elle devait être en train de se coltiner la paperasse administrative ou je-ne-sais-quoi comme tâche rébarbative et enquiquinante, je la plaignais, sincèrement. Je savais néanmoins qu’elle était encore relativement libre de ses mouvements car il n’y avait toujours aucun apprenti pour l’empêcher de me retrouver dés qu’elle aurait un peu de temps pour elle. Je chérissais à l’avance cet instant en espérant qu’il survienne le plus vite possible. En attendant ce moment, je devais trouver à m’occuper, l’attente deviendrais rapidement pesante sinon.

Traversant la rue principale jusqu'à parvenir devant les premières échoppes, telles que la forge près de laquelle j’avais rencontré ma belle, je revoyais encore la scène, Auween figée contre la vitrine et moi manquant de lui rentrer dedans par inadvertance, elle qui m’entrainait jusqu'à la petite fontaine au milieu de la place…
Une première rencontre riche en émotion, à n’en point douter. Pour moi ce fut un véritable coup de foudre, dés que je l’avais vue j’avais compris ce que c’était que d’aimer quelqu’un et Auween me l’avait rendu, ce sentiment si fort était réciproque, que demander de plus à présent ? … La revoir, oui, je crois que si on m’accordait un souhait tout de suite là, maintenant, je demanderais à revoir ma chère et tendre tout de suite, pouvoir la serrer dans mes bras et l’embrasser.

J’avais bien vite perdu de vue mon occupation principale, en même temps rien à mes yeux n’était plus important qu’Auween, pas même ma propre vie. Je la savais en sécurité au Temple, c’est tout ce qu’il me fallait pour être rassuré actuellement. Fort heureusement que nous étions liés par la télépathie, nous permettant de parler régulièrement tout les deux, empêchant notre amour de s’effriter -bien que je doute sérieusement que cela soit possible- à cause du temps. Je trouvais toujours une bonne excuse pour lui parler, espérant à chaque fois ne pas la déranger pendant quelque chose d’important.

Je m’accotais contre le mur de la forge pour réfléchir un instant, scrutant les alentours furtivement, le visage masqué de ma capuche. Je voyais un petit groupe de templiers passer, quelques gardes, des marchands, des civils, des enfants…
Et un jinmen, oui, plutôt surprenant d’ailleurs, je ne l’avais même pas senti s’approcher de moi et pourtant je n’étais pas surpris outre mesure. Nos regards se croisèrent et il m’adressa une révérence en guise de salutation, j’étais peut être pas expert en coutumes jinmens, mais c’était la moindre des choses. Je lui rendais sa politesse avant d’écouter sa requête. Encore une fois, j’avais été confondu avec un guide, ce genre de situations m’amusait particulièrement. Néanmoins, en le regardant de près, je compris rapidement qu’il n’était pas qu’un simple jinmen. Par son simple accoutrement j’avais compris qu’il n’était pas qu’un simple voyageur touriste. Il avait mentionné un seigneur qu’il doit protéger, rien qu’avec ça j’avais compris qu’en face de moi ne se tenait un soldat mais un samouraï.

C’était bien la première fois que j’en voyais un, j’avais lu beaucoup de choses sur cette caste de guerriers nobles dont la conduite s’axe très fidèlement sur l’honneur. Il venait déjà de gagner dix points d’intérêt. De plus il était jeune, enfin, plus vieux que moi, il me semble, mais jeune quand même, moins de trente ans, à coup sur ! En plus de ça je devais reconnaître qu’il émanait de lui une certaine classe qui, à mon avis, devait faire tourner la tête des demoiselles sans aucun problème. Enfin, il me demandait de lui indiquer quelque chose, je lui répondis alors dans sa langue natale, pensant alors le mettre plus à l’aise :

« - Aucun problème, dites moi ce que vous cherchez en particulier. »

Il n’émanait de lui aucun sentiment particulier, enfin rien dont je ne devais m’inquiéter…

La situation était amusante mine de rien. Tandis que l’homme qui m’avait abordé semblait content que j’accède à sa requête, il s’empressa cependant de prendre place près du vieux tonneau et de la caisse non loin pour rédiger quelque chose. Qu’était-ce ? Une lettre ? Une note ? Aucune idée. Peut être écrivait il a ses proches, ou sa petite amie ? Ah non, visiblement à sa sœur, maintenant qu’il me le précisait. Un frère attentionné sans doute, ou peut être une sœur tyrannique, je ne sais pas, dans les deux cas il s’appliquait à la tâche, c’était admirable.

Quelques minutes après il venait de ranger son matériel et de ranger la lettre. J’imagine que sa première préoccupation était de livrer au plus vite cette lettre au messager le plus proche. Je trouve qu’il passait peut être un peu trop de temps à s’excuser pour tout et rien, mais je ne pouvais lui en vouloir, on n’avait pas tous les mêmes notions après tout. Me faire attendre pour satisfaire une demande de sa sœur était des plus normales, c’est également ce que je faisais à l’époque ou Ferris me communiquait encore par lettre.

« - Voilà, je m’excuse encore. J’aimerais en premier lieu, si vous voulez bien, trouver un messager pour que la lettre arrive le plus rapidement possible. Ensuite, j’aimerais passer à la forge, j’ai une lame à réparer et j’en aurai probablement besoin s’il arrive quelque chose. Ah et sauriez-vous si, au Temple d’Ankdor, j’aurai une place pour mon cheval ? Ça m’ennuie d’en être si éloigné. D’ailleurs, j’aimerais bien savoir à quoi il ressemble, cet endroit où je dois me rendre ! Et après... si nous avons encore suffisamment de temps, je vous laisserai me guider où bon vous semble pour me faire découvrir les alentours, même si je pense passer relativement peu de temps à me balader avec Doji-sama... »

Nous disions donc la poste, la forge, les écuries… Il semblait avoir un programme plutôt chargé donc autant ne pas trainer. Nous étions déjà justes à côté de la forge, autant commencer par cela. D’autant que s’il avait déjà une journée de retard sur son planning, le tourisme attendrait. J’allais répondre mais juste avant cela je le voyais me tendre la main en s’excusant une énième fois et se présentant enfin.

« - Oh, pardonnez-moi, j’en ai oublié les présentations ! Je m’appelle Soma Katsuya, Samouraï au service du Seigneur Doji et du Clan de la Salamandre à Arano. Une fois que vous m’aurez dit votre nom, peut-être pourrions-nous nous tutoyer ? J’ai tendance à dire que les formalités éloignent les gens les uns des autres... »

C’était bien ce que je pensais alors, un samouraï. Le clan de la Salamandre, me disait vaguement quelque chose, j’avais probablement lu quelque chose dessus dans un bouquin. Il insistait pour détruire ce mur de formalités et je dois dire que j’étais assez d’accord avec ses arguments. Lui rendant sa poignée de main je me présentais également à lui avec cette même sincérité que celle dont il avait fait preuve.

« - Ethiann Tylmar, Templier du crépuscule. Enchanté de faire ta connaissance Katsuya-san. »

D’un part j’imaginais déjà sa réaction s’il avait entendu parler du temple d’une manière générale, de l’autre du fait que j’avais distingué son prénom de son nom, les jinmens ne se présentant pas de la même manière que nous autres Azthiens. D’ailleurs j’aurais peut être du faire de même, m’enfin bon, je ne pense pas qu’il était idiot. Il allait surement me poser des questions, c’était prévisible et en même temps pas si étonnant, après tout il venait d’arriver et rencontrait déjà un genre de déserteur.
Je n’aimais pas ce mot, d’ailleurs.

« - La forge est juste ici, autant déposer ton arme tout de suite, je pense que si elle n’est pas prête dans la journée, elle le sera demain. Pour envoyer des lettres, il y a un poste juste à côté du temple pour déposer ta lettre. Pour ce qui est des écuries du temple, il me semble que seuls les templiers sont autorisés à y laisser leurs compagnons de voyage, je ne sais pas si ça a changé depuis. »

Remarque, peut être qu’il pouvait si il était là pour une mission quelqu’un avait du être prévenu, non ? Lorsqu’il eut déposé son arme je le guidais au travers des rues de Tamawa, m’attendant à d’éventuelles questions sur les templiers, surtout crépusculaires. Nous avions de multiples réputations, celle d’être des gens violents, des renégats, certains étaient devenus des criminels, d’autres étaient sans attache…

Je sentais bien que ce que j’avais dit semblait troubler Katsuya. Quelque chose qui semblait le perturber mais impossible de savoir quoi, il restait mystérieux et maintenant, il semblait pensif. A quoi il pensait ? A son voyage ? A ce qu’il devait faire ?
Il ne tardait pas à m’exploser ce qui semblait le perturber tant.

« - J’ignore les raisons qui t’ont poussé à quitter Ankdor et je ne veux pas forcément les connaître. Chez moi, déserter est pire que perdre la vie. Cet acte engage une honte sans limite et une fuite éternelle vers d’autres terres... le déshonneur est lourd à porter. On pourrait me châtier pour ce que je vais dire mais je ne pense pas que tu sois un homme mauvais pour autant. Chaque être a ses raisons d’agir, ses craintes et ses faiblesses mais aussi ses forces et ses raisons. Peut-être détestes-tu des gens, probablement en tueras-tu un jour, je t’en sens capable car tu n’es pas un simple Guide. Mais tuer n’est pas forcément le chemin de la rédemption... il s’agit d’enlever la vie d’un autre être. On m’a appris qu’à chaque fois que ta lame fauche une âme, cet être habite ton arme et ton esprit pour le restant de tes jours. Ethiann-san, j’ai déjà tué et je me rappelle de chacun de leur visage. Certains de mes compagnons ont perdu la vie lors de missions périlleuse également. Et seul, nous ne sommes rien. Le jour où tu enlèveras une vie pour servir tes intérêts ou ceux des gens que tu aimes, saches que tu t’en rappelleras... peu importe le nombre de bonnes actions que tu effectueras ensuite au nom de la rédemption. Je me sais incapable de faire ce que tu as accompli jusqu’ici. J’aime profondément mes parents, Akemi et les amis que j’ai pu me faire au cours de mon existence. Mais je ne pourrai pas déserter parce que mes principes sont ébranlés. Cela peut paraitre étrange pour les gens n’ayant pas été élevés à Oyashima mais servir Doji-sama est le plus grand honneur qui m’a été accordé. Et si, un jour, pour servir mon Seigneur je dois porter atteinte aux gens que j’aime... je serai probablement un homme brisé mais l’honneur me permettra de supporter la douleur. Le Bushido m’a appris cela et j’y crois dur comme fer... du moins jusqu’à présent. »

D’ordinaire j’aurai pu prendre ça pour une offense et pourtant ce n’était pas le cas ici. Katsuya était visiblement quelqu’un de franc et, au même tire qu’Auween, il n’hésitait pas à exprimer ce qu’il avait sur le cœur. C’était une qualité que j’appréciais. Je lui adressais un sourire avant d’ôter ma capuche et de le fixer dans les yeux, maintenant qu’il avait décroché sa main de mon épaule.

« - La population se fait toujours des histoires sur les templiers du crépuscule et pourtant nous n’agissons pas tous par simple envie de violence. A une époque j’y ai cru moi aussi, j’ai cru que le crépuscule était le refuge de criminels violents, déserteurs lâches ou je-ne-sais-quoi encore. Mais j’ai vite compris ce que cela signifiait en réalité. Il se trouve que j’ai perdu ma meilleure amie il y a quelques années, elle a été tuée lors d’une mission et je n’ai jamais cessé que de traquer son meurtrier pour que justice soit rendue. Seulement rester au temple ne me permettais pas d’enquêter à ma guise j’ai donc choisi de partir pour accomplir ma mission. Tout comme tes compagnons morts au combat, mon amie ne méritait pas de mourir, elle qui a toujours combattu dans le plus pur esprit des Templiers de l’Aube. J’ai d’ailleurs toujours pensé qu’elle aurait pu avoir un destin encore plus beau que celui de templier, elle qui incarnait la grâce des elfes à la perfection.
Je n’ai pas non plus abandonné mes principes, je ne tue pas à tour de bras pour le plaisir, loin de là. Je compte bien achever ma mission avant de retourner à une vie plus paisible, en compagnie de celle que j’aime. Je n’ai plus d’honneur Katsuya-san, il m’a été retiré le jour ou mon amie est morte dans mes bras. »

Je marquais une pause, je pense qu’il comprenait ce que je voulais dire. Nous n’étions en somme pas si différents, nous avions tout les deux un code à suivre, la différence était que pour les jinmens, perdre son honneur était quelque chose d’horrible, même si ce n’était que temporaire, moi, je n’en avais que faire. De plus, je ne pouvais laisser des assassins sévir en Azthia, d’un sens c’était comme refuser de maintenir la paix, ce qui était contraire à l’éthique des templiers.
Je n’avais de plus pas tout perdu en ce monde, il y avait quelqu’un qui, maintenant, comptais encore plus que toute forme d’honneur à mes yeux. Non, en fait, Auween m’honorais de son amour et je n’hésiterais pas à affronter toute sorte de dangers ou de brimades pour la protéger. Je reprenais d’un air plus serein à l’attention de mon camarade jinmen :

« - Le fait est qu’a défaut de prêter allégeance à un seigneur comme tu l’as fait dans la plus pure tradition Jinmen, j’ai juré fidélité à celle que j’aime et il n’y a, à mon sens, rien de plus honorable que cette promesse. Tout comme tu donnerais ta vie pour ton seigneur, je donnerai sans hésiter ma vie pour Auween. »

Nous avions tout les deux un sens de l’honneur particulier, la différence entre nos deux cultures nous poussaient à la différence, mais je pense que si j’avais été jinmen et élevé dans la plus pure tradition de son clan, j’aurais probablement pensé comme lui. Katsuya semblait d’ailleurs bien plus compréhensif que les jinmens tels qu’ils nous sont présentés, peut être étais-ce à cause de son jeune âge encore. Ce n’était à mon sens pas plus mal d’ailleurs. Qu’il me comprenne ou non, Auween était celle qui avait illuminé mon existence et il m’était inconcevable de devoir la négliger à cause d’une mission ou d’un devoir quelconque. Il avait beau dire, j’étais persuadé que Katsuya réagirait comme moi si sa sœur était en danger. Après avoir vu Elenwë mourir, je m’étais juré de ne plus jamais voir souffrir quelqu’un qui m’était cher, pour moi c’était quelque chose de logique et facilement compréhensible, mais tout le monde n’avait pas connu la douleur que j’avais ressentie.

Parler ouvertement des deux elfettes qui comptaient le plus à mes yeux avec un jinmen était quelque chose d’assez amusant en soi, quand on connait le respect qu’ils leur portent mais, sur le coup, ce détail m’avait complètement échappé également. Aussi maintenant, j’espérais que mon monologue ne l’ait pas troublé plus.

Katsuya semblait comprendre mon point de vue, il était assez ouvert d’esprit et c’est un point qui me plaisait chez lui. Il semblait convaincu de mes propos et accepter ce que j’étais. Je dois dire que je ne m’attendais pas forcément à ça, mais ce n’était pas plus mal, cet homme était quelqu’un d’intéressant et qui méritait qu’on s’intéresse à lui.

« - J’admire les gens amoureux... Père m’a souvent parlé de ce sentiment qui, pour lui, dure encore à l’heure d’aujourd’hui. Et quand tu me parles de celle que tu aimes comme la chose la plus précieuse de ta vie, je ne peux m’empêcher d’être jaloux. Pas jaloux de toi ni jaloux de Père... peut-être suis-je simplement frustré d’être incapable d’aimer. Je me suis souvent demandé si, sans m’en rendre compte, j’ai pu un jour m’attacher ne serait-ce qu’à l’une des nombreuses femmes que j’ai séduites... mais je ne trouve pas la réponse. Je les ai énormément désirées, choyées mais cela ne m’a jamais empêché d’accomplir mon devoir. Mais tu as sûrement raison... Père aussi... probablement, une fois tombé amoureux, voudrai-je tout abandonner. Pour l’instant c’est juste que... c’est inconcevable pour moi. Mais... tu es quelqu’un d’admirable, ne doute pas de cela. »

Je pouvais comprendre ce qu’il ressentait, non pas grâce à l’Esprit mais parce que je m’étais déjà posé les mêmes questions dans des circonstances différentes. Je me sentais également frustré de ne pouvoir aimer jusqu'à ce que je rencontre Auween. Dans mon cas c’était par peur que le destin me joue encore des tours et me l’enlève aussi cruellement que ma sœur et Elenwë. D’autre part je m’étais demandé si j’aurais été capable de quitter les templiers pour consacrer ma vie à la femme que j’aime. Mais maintenant je n’avais plus à me poser cette question puisqu’Auween était également templière. Ma seule crainte restait cependant la même : Celle qu’elle me soit enlevée par le destin et c’est quelque chose qui me terrifiais à m’en empêcher parfois de dormir. Katsuya était lui, tiraillé entre son devoir envers son seigneur, le bushido et l’amour Et pourtant, moi qui avait déjà lu les sept vertus du bushido dans un livre à Erathia, je me disais que son devoir et son statut de samouraï n’étaient en rien un obstacle à l’amour. Et si c’était justement le bushido qui lui ferait rencontrer la femme de sa vie ?

« - Aimer quelqu’un est un acte des plus honorable, c’est peut être même l’un des actes les plus honorables de la vie d’un homme. Je n’ai pas été élevé dans les traditions jinmens cependant, je pense sincèrement que le jour ou tu trouveras cette femme qui illuminera ton cœur, tu comprendras ce que je veux dire. Et qui sait, peut être l’as-tu déjà rencontrée mais que tu ne t’en rendras compte qu’en la revoyant. L’amour n’est pas une chose évidente et bien que parfois, un simple regard suffise, parfois il faut du temps pour découvrir les sentiments que l’on porte aux autres.
De plus je ne pense pas que l’amour est à dissocier du bushido, parmi les sept vertus qui le composent, il y a la sincérité. La sincérité envers ton seigneur, envers toi-même mais aussi envers celle que tu aimes. Le respect également, car la sincérité est une forme de respect envers l’autre donc je pense qu’aussi longtemps que tu suivras à la lettre le bushido, tu seras à même de remplir tes devoirs envers ton seigneur mais aussi envers la femme de ta vie. Après tout n’avez-vous pas de longues lignées de samouraïs à Oyashima ? »

J’avais interprété un code ancestral jinmen avec une telle simplicité, j’espérais qu’il ne tiendrait pas rigueur des mes éventuelles erreurs d’interprétation, après tout je n’étais pas spécialiste mais ces sept vertus : Gi, Yû, Jin, Rei, Makoto, Meiyô et Chûgi respectivement Droiture, Courage, Bienveillance, Politesse, Sincérité, Honneur et Loyauté étaient des valeurs assez abstraites en soi. Je ne pouvais pas l’aider mieux que ça, n’ayant pas connu de samouraïs avant lui. Je trouvais cependant dommage de le laisser sous entendre qu’il laisserait tomber le bushido et son rire nerveux n’avait fait qu’attiser ma curiosité. Nous venions de reprendre le chemin en direction des écuries, Katsuya m’ayant gratifié d’un geste amical, il me semblait du moins, je le conduisais à destination en prenant le soin de lui fournir quelques infos supplémentaires sur les mets locaux, les bonnes adresses de Tamawa et c’est au moment ou je m’apprêtais à lui dire quelque chose qu’il reprit subitement la conversation alors éteinte depuis une poignée de minutes.

« - Tu parles des elfes très naturellement. Cela m’amuse car, chez nous, ils sont totalement reclus et ne se mêlent pas à la population... pourtant, nous les considérons comme des êtres sacrés. J’ai pu en croiser quelques elfes sur mon chemin en Azthia mais ils sont différents de ceux d’Isil. Du moins, je pense... je n’en ai jamais vu. Tu m’as parlé de leur grâce… il serait amusant que je puisse rencontrer ta compagne, un jour. Elle doit être exceptionnelle pour que tu l’aimes autant !
- Je vis dans un monde et une culture ou les elfes sont des êtres merveilleux mais nous ne les considérons pas comme des êtres sacrés, du moins pas a Cydonia. Cependant nous leur portons un grand respect tout comme nous portons ce même respect à chaque être vivant. Tout les cydiens ne te diront pas la même chose que moi car pour beaucoup, les Astorgs sont des créatures indignes de toute forme de respect, pour ma part je ne leur reproche rien, mais ce sentiment n’est pas réciproque et cette éternelle tension entre nos deux villes est parfois problématique. J’ai vécu entouré d’elfes, ma sœur était une demi-elfe/cydienne, ma meilleure amie était une elfe aussi, Auween est également une elfe et elle est probablement la plus exceptionnelle qui soit. Mon jugement est surement moins objectif puisqu’elle est celle qui occupe la plus importante place dans mon cœur, mais dés que je l’ai rencontré, j’étais déjà sous son charme. Peut être la croiseras-tu pendant ton séjour au temple, elle à récemment été nommée templière et pour le moment elle n’a pas encore de missions l’éloignant de ce dernier. Tu la reconnaîtras facilement, j’en suis certain. »

J’étouffais un petit rire amusé, il est vrai qu’Auween était facilement reconnaissable, non pas par sa taille un peu plus petite que la moyenne, mais surtout par sa joie de vivre et cette façon qu’elle avait de s’exprimer. Nuls doutes que si Katsuya la croisait, il comprendrait vite pourquoi je n’ai pas pris la peine de la décrire. Auween était quelqu’un d’adorable et de vivant, extraverti et énergique. En somme, elle était un peu mon inverse complet, moi qui était assez mollasson ces derniers temps. C’était elle qui m’avait communiqué l’énergie dont je faisais preuve, la simple envie de revoir son sourire m’enchantais au plus haut point et c’était pour cela que j’étais déterminé à me débarrasser de mes problèmes le plus vite possible, pour pouvoir la revoir, passer du temps avec elle, la chérir…

Accordant un nouveau sourire à Katsuya, nous reprenions le chemin en direction du temple d’Ankdor sur un pas léger, plus lent. Je savais que je devrais le laisser à l’entrée de ce dernier mais d’un autre côté, je voulais encore discuter avec mon nouvel ami, oui, c’est bien comme ça que je le considérais.

Katsuya observait le moindre de mes mouvements et de mes réactions, ce type était visiblement quelqu’un d’observateur. Il ne jugeait pas les gens trop vite et faisait preuve d’un certain discernement, c’était quelque chose d’appréciable. Son statut de samouraï et ses coutumes devaient lui être parfois difficiles à porter, notamment si il devait parler avec moi. Au final j’étais classé dans la catégorie des déserteurs bien malgré moi et les Jinmens n’appréciaient pas cette caste de gens. Pourtant il restait avec moi, me parlant comme deux amis le feraient. Il m’écoutait avec la plus grande attention, probablement mesurait-il la portée de mes mots. Peut être tout simplement que je m’en faisais de trop, finalement. Il n’avait pas l’air d’avoir mal pris mes interprétations du Bushido, n’étant pas Jinmen je savais cependant l’importance que ce code avait pour les samouraïs.
La route continuait et le silence allait s’installer après quelques minutes, jusqu'à ce que la conversation reprenne de plus belle :

« - Merci de partager tout cela avec moi, Ethiann-san. Tu ne me juges pas et je t’en remercie également... car finalement, c’est embarrassant d’apprendre d’un plus jeune. Mais ce genre d’attitudes me fait penser à ma petite sœur : elle a été patiente avec moi, m’a appris des milliers de choses (que je n’ai pas beaucoup retenu mais je me suis donné de la peine tout de même). J’ai de la peine à me dire qu’en tant que grand frère, je ne peux pas lui apprendre plus... mais nous sommes tellement différents. Le savoir s’enseigne à tous alors que l’art du combat, pour lequel je suis doué, n’est pas du tout ce qu’elle veut faire de sa vie. Mais bon... je lui ai promis le récit de mon voyage ici, elle sera contente de recevoir cette lettre.
- Je ne juge jamais personne trop hâtivement, Katsuya-san, j’ai appris avec le temps que c’est justement avec le temps que l’ont apprenait des personnes que nous connaissons. Il n’y a rien d’embarrassant à apprendre de plus jeune que soi, j’ai moi-même appris bien des choses de ma sœur et ma meilleure amie, des vertus telles que la patience et la maitrise de soi. Ta petite sœur est, comme l’était la mienne, quelqu’un de très attentionné et je pense que c’est important pour elle d’avoir son grand frère près d’elle. Même si tu n’as pas su saisir ce qu’elle t’enseignait, je pense que le simple fait d’avoir passé du temps avec elle lui faisait déjà plaisir. Vos chemins ont pris des tournures différentes et pourtant vous semblez si proches, à vrai dire, je suis un peu jaloux, maintenant. »

Un petit rire nerveux venait de conclure ma phrase, me rappelant avec douleur que je ne pourrais plus jamais serrer ma petite sœur dans mes bras. Le temps, c’était bien lui qui m’avait appris toute la noirceur qui habitait le cœur de ma garce de mère. Katsuya ne semblait pas avoir un passé sombre et parsemé de sentiments tristes, si ce n’est que je sentais que sa petite sœur devait lui manquer et qu’il souffrait de ne pas avoir trouvé la femme qui le comblerait. Mais il n’était pas si vieux, il avait encore largement le temps de trouver. En y repensant, j’avais eu de la chance de rencontrer Auween, ce n’était ma foi que pur hasard que de la rencontrer. Le chemin reprenait et d’un coup Katsuya me posai une énième question, légitime car j’avais moi-même formulé de manière suspecte.

« - Je suis sûrement indiscret et impoli de te demander cela mais... pourquoi parles-tu au passé lorsque tu énonces ta sœur et ta meilleure amie ? As-tu perdu contact ? »

Je me stoppais net, surpris par cette question mais aussi cherchant mes mots qui venaient de tous disparaître aussi sec. Katsuya était surprenant, il avait été jusqu'à faire attention à mes formulations et cette utilisation excessive du passé l’avait visiblement troublé…

« - Il se trouve que ma petite sœur est décédée à l’âge de 15 ans, ma meilleure amie à été tuée trois ans plus tard, à l’âge de 18 ans lors d’une mission qui à mal tournée. Jamais son meurtrier n’a été retrouvé, jamais il n’a été traduit en justice. J’ai juré de traîner cette ordure devant la justice et pour cela, j’ai été répertorié comme un déserteur. La vérité est, qu’après avoir résolu cette affaire qui traîne depuis des années déjà, je compte bien reprendre ma place au Temple d’Ankdor. Bien que je ne sais pas du tout si les Maîtres seront d’accord pour me réintégrer à l’ordre de l’Aube… »

Il est vrai que le doute subsistait, je comptais vraiment retourner au Temple après mon périple mais que ferais-je si on me refusait un retour ? Je n’avais jamais vraiment songé à cela et du coup, il m’était difficile d’imaginer que je ne pourrais jamais rester auprès d’Auween comme je l’escomptais. Mais je pense aussi que Maître Jiven et Maître Jacen seraient à l’écoute de ma demande et l’étudieraient avec intérêt. Si on mettait de côté le fait que j’étais parti du temple, je n’avais cependant enfreint aucune autre règle des Templiers et avais toujours veillé à ne pas recourir à la violence lorsqu’elle n’était pas nécessaire. En même temps, me battre n’était pas ma tasse de thé, je n’aimais pas vraiment cette idée.

La même réaction qu’a l’accoutumée. Mon but n’était pourtant pas de voir les gens s’excuser à chaque fois qu’ils apprenaient ce détail de ma vie. Cela faisait déjà longtemps que mon deuil était -presque- fait. Katsuya parlait, après s’être excusé pour tout ça, il parlait avec sagesse, comme Auween l’avait fait. La vengeance n’était pas la solution, je le savais, je ne voulais que justice, qu’elle soit rendue. Je ne sais toujours pas ce que je ferai si un jour je trouvais l’assassin d’Elenwë et pourtant, j’ai le pressentiment que la moindre raillerie de sa part et le fauve serait lâché. Peut être le tuerais-je sans même réfléchir, peut être le torturerais-je… Peut être me contenterais-je de l’assommer et de le ramener au Temple pour qu’il avoue devant tout le monde ses crimes. L’Esprit permettait de capter les sentiments et d’en envoyer, mais aucunement de prédire l’avenir. Je ne savais comment je réagirai et ne le saurai que le moment venu.

« - Je n’ai, personnellement, jamais eu le courage de vouloir venger mes compagnons : c’était d’ailleurs leur choix que de s’engager sur une voie de guerrier et en tant que tel on doit accepter la mort à tout moment, se préparer à dire adieu à ceux qu’on aime au cas où... Dans le cas de ces deux jeunes femmes, c’est bien différent. Peut-être étaient-elles préparées, je ne connais pas leur histoire dans leur totalité, mais je ne crois pas qu’elles s’attendaient à mourir comme cela. Je suis navré qu’elles se soient retrouvées sur un chemin qu’elles n’ont pas forcément choisi et je comprends ton envie de vengeance. Mais s’il te plaît, mon ami... Fait attention avec ce sentiment. Il peut terrasser toutes les convictions des hommes.
Tes intentions sont nobles... chez moi, un déserteur le reste à vie mais probablement le Temple est-il plus indulgent ? En tout cas, je pense qu’ils perdraient un très bon élément à ne pas te donner une seconde chance. Vouloir défendre ceux qu’on aime, après tout, c’est la base de l’honneur.
- Malheureusement, les Templiers de l’Aube sont censés renoncer à tout désir égoïste et d’un certain point de vue, ce que j’entreprends s’en approche, c’est aussi pour cela qu’un doute subsiste. Mais je garde la foi, au final mes actes sont dans un but de paix, mettre de malfaiteur hors d’état de nuire n’est qu’un moyen comme un autre de propager la paix dans le continent. »

Un mal pour un bien, je ne savais pas ce que pourraient en penser les autres Templiers et actuellement, leur avis m’importait peu…
Nous arrivions au temple et Katsuya avait bien compris que c’est ici que nos chemins se séparaient, une nouvelle poignée de main accompagnée d’une accolade amicale, inattendue mais acceptée avec grand plaisir. Il était mon aîné de quelques années et malgré nos différences, c’est bien une amitié qui venait de voir le jour. Je lui rendais bien volontiers cette accolade et finalement il reprit la parole :

« - J’imagine que t’envoyer des lettres va être compliqué, j’ai cru comprendre que tu bougeais beaucoup... mais je me souviendrai de toi, de ton parcours et de tes conseils encore longtemps. Merci pour la visite, jeune homme. Ah, j’oubliais !
Les bons comptes font les bons amis ! C’est ce qu’on dit, n’est-ce pas ? Je dois bien ça au meilleur Guide de la ville. »

Il était clair que si Katsuya avait été n’importe qui d’autre, j’aurai probablement accepté, cependant je le considérais maintenant comme un ami et il m’était inconcevable de dépouiller ainsi quelqu’un qui m’avait offert son amitié, déclinant son offre d’un geste de la main je lui répondis avec un sourire.

« - L’argent ne fais pas le bonheur, l’amitié est la plus grande des richesses qu’un homme puisse avoir. J’espère que nous nous reverrons Katsuya-kun, j’espère pouvoir faire la connaissance de ta petite sœur et lorsque tu l’auras trouvée, de la femme de ta vie. Peut être même qu’un jour mon destin me conduira non loin d’Arano, qui sait ? »

A vrai dire je pensais qu’aller visiter les terres Jinmens était une idée plutôt enrichissante, découvrir cette fameuse civilisation qui depuis des siècles se trouvait de l’autre conté des montagnes sans que nous ne le sachions… Peut être devrais-je y emmener Auween pendant des vacances ? Rien que tout les deux…
Katsuya avait noté mon utilisation du suffixe qui désignait habituellement les amis de sexe masculin en langue jinmen, ces déclarations scellaient notre amitié, après s’être échangés quelques mots, quelques leçons…