[D -A] Un long chemin (libre) (terminé)

Les roues tournaient lentement sur la route de terre battue, soulevant la poussière et les gravillons. Le cheval -ou plutôt la vieille carne- peinait à trainer la charrette plein, et je voyais déjà arriver un arrêt obligatoire pour laisser souffler l'animal. je jetai un œil derrière lui pour inspecter la marchandise et vérifier que rien n'avait glissé du charriot. Rassuré, je tirai sur les rênes et mit pied à terre. Un geste me suffit ensuite à défaire la bride et libérer la monture.

"Allez, repose-toi un peu, Mithridate."

Je m'adossai un instant contre les planches polies de la carriole, les bras croisés, et réfléchi à la suite du trajet tout en surveillant mon cheval. Derrière moi, le vent agitait la toile cirée tendue par-dessus les caissettes que contenait l'engin. Une multitude de produits, des parfums, des médicaments et des poisons, dans autant de fioles fragiles. Pourvu que les cahots de la route ne les abiment pas. Les yeux dans le vague, j'imaginais d'avance les difficultés du voyage:

*Pour rejoindre Storgheim, un jour et demi devraient suffire, mais avec ce vieux steak sur patte, j'en aurai pour au moins deux jours. Et ce, si je ne tombe pas sur une bande de brigands écervelés. A quoi leur servirait ma cargaison, de toute manière? Bah, avec un peu de chance, tout se passera bien.*

Je restai encore un moment au bord du chemin, puis j'allai chercher Mithridate et l'accrochai à la charrette, avant d'y remonter. Les rennes en main, je les agitai vivement pour que la vieille carne se mette en route. A nouveau, les bandes de métal autour des roues de bois roulèrent dans la poussière en crissant, et le convoi repris sa morne avancée.

La mauvaise aventure qui venait de lui arriver était déjà passé et déjà Volesprit songeait à se balader vers une nouvelle cité. Que pouvait elle donc faire pour s'occuper en attendant. Elle n'avait pas l'intention de se presser. Pour une fois que l'argent ne lui faisait pas défaut elle comptait bien en profiter. Elle sortit enfin du couvert des arbres pour se retrouver sur une petite route sinueuse en lacet. Elle décida de la suivre en mettant son cheval au pas. Elle se mit à fredonner tout en consultant son carnet de voyage. Elle se remit à la lecture d'une histoire qu'elle avait couché sur le papier à ses débuts de guide. Le style était simple et la plume légère mais cela restait très correcte se rendit elle compte. Le raffinement dont elle faisait preuve dans l'écriture maintenant ne dépassait pas innocence de ses premiers essaies. L'histoire racontait la venue au monde d'une déesse païenne et les bouleversements qui avaient suivis son arrivé. Malgré quelques exagérations, le récit était tout ce qu'il y a de plus véridique. Cela lui refit penser aux mots doux dont elle avait inondé les dieux quelques instants auparavant. Bah, il lui pardonnerait s'ils étaient compréhensifs. Elle remarqua alors qu'une fois le couvert des arbres quitté, la température était beaucoup moins fraiche. Cependant la brume qui l'enveloppait la maintenait au frais. Elle frissonna de plaisir. Le bruit d'une carriole se fit alors entendre dans son dos. Elle se retourna pour apercevoir un elfe qui menait son attelage sur le chemin. Il était très beau, un peu efféminée, mais c'était courant chez les elfes, et surtout il dégageait une aura angélique qui le rendait paisible et doux. Le cœur de Volesprit ne fit qu'un bond. Elle se ressaisit et arrêta sa monture sur le bord de la route. Quand le chariot fut à sa hauteur, elle salua en rougissant son conducteur.

"Enchantée de vous rencontrer. Je m' appel Volesprit. Je suis guide. Permettez moi de vous tenir compagnie pendant un bout de chemin. Je déteste la solitude quand j'ai l'occasion de pouvoir échanger quelques paroles amicales avec le premier venu. Mais vous avez l'air de valoir plus que le premier venu. Puis je me permettre de vous demander votre nom ?"

Volesprit respira à fond. *Calme toi ! Calme toi ! Tout va bien se passer...* Pour dissiper sa gène elle lui offrit un sourire radieux. Celui dont elle avait le secret.

Le trajet durait, encore et encore, et l'air semblait s'être lui-même solidifié pour ralentir l'avancée de mon chariot. Après plusieurs heures de route entrecoupés d'une multitude de pauses aussi peu enrichissantes que la première, j'avais l'impression que je dépasserais mon centenaire avant d'arriver à Storghein. Et soudain, comme pour déchirer la grise monotonie de mon trajet, une silhouette, visiblement féminine, jaillit des fourrés en tenant sa monture par la bride. Un bref instant s'écoula avant que le crissement du gravier sous les roues ne l'alerte de ma présence. Et puis elle pivota lentement et me dévisagea. Enfin, je suppose, puisqu'elle me fixa durant toute la distance qui me séparait d'elle. Lorsque je fus tout proche, la demoiselle sembla réaliser son impolitesse, et me salua, les joues écarlates.

Pour ma part, je tirai sur les rênes de Mithridate et me dressai sur le marchepied de la carriole. Je la détaillait d'un bref et discret coup d'oeil: un joli brin de femme, visiblement plus habitué à battre la campagne qu'à fréquenter les salons. Vêtue à la dure, mais avec une sobriété élégante, les traits enjôleurs, l'air un peu plus jeune que moi. Plantant mon regard d'azur dans ses pupilles noisettes, je lui adressais un sourire charmeur. Et elle prit la parole, d'une voix douce mais troublée, les mots sortant en un flot rapide et continu d'entre ses lèvres. J'attendis un instant qu'elle reprenne son calme avant de tendre mon index gauche entre ses deux yeux. Plein d'emphase, j'entamai à mon tour une tirade:

"Premièrement, je suis... d'accord pour que vous m'accompagnez (je retirai à cet instant mon doigt pour poser mes mains sur mes hanches). Mais à une condition, calmez-vous un peu, je ne mord pas. Pas trop.
Ceci étant dit, l'enchantement est plutôt de mon côté, demoiselle. On me nomme Saturne, et bien que j'apprécie la solitude, votre sympathique présence m'offrira une judicieuse alternative à la possibilité de m'endormir en pleine route. Je vais jusqu'à Stroghein, mais accompagnez-moi tant qu'il vous plaira."

Sur ces mots, je l'invitai soit à harnacher sa monture et à me rejoindre sur la charrette, soit à me suivre à cheval.

Ce jeune homme avait l'art et la manière de s'adresser à une jeune femme afin de la mettre à l'aise. C'était un bon point en sa faveur. Tout comme sa proposition de lui permettre de l'accompagner autant qu'elle le souhaitait. Elle ne réfléchit pas deux secondes pour juger que Stoghein pourrait être un bon endroit où se poser. Elle décida de monter sur le chariot et de s'asseoir à côté de lui. Ainsi la distance entre eux ne serait pas un obstacle à la conversation. Son propre cheval suivie l'autre sans se soucier le moins du monde du changement. Assis à côté de Saturne, elle se sentait bien. Son aura de paix les englobait semblait-il. En le détaillant de près, elle remarqua que celui ci avait des mains aux doigts longs fins et délicats. Sa coiffure, qu'elle avait cru simple révélait enfaite une touche d'originalité le mettant parfaitement en valeur. Mais le plus saisissant restait ses yeux vert profond ensorceleur. Elle hésita d'ailleurs avant de reprendre la parole...

"... Alors ? Que faites vous sur les routes en cette saison ? Je ne puis que me demander ce que ces coffres derrière nous renferme. Pour ma part en tant que guide, je viens de finir ma saison d'été assez fructueuse. Je profite toujours du printemps et de l'automne pour récolter de nouvelles informations. Après cela, je me préparerais à l'hiver et aux charretiers qui auront besoin de moi. Mais pour le moment, je n'ai encore rien de bien concret de prévu. Et vous ?"

Elle ne pensait pas être indiscrète aussi ne s'inquiéta-t-elle pas. De plus la compagnie qu'il lui fournissait avait ravivé sa joie matinale passé un peu plutôt. Cela lui rappela certains bons souvenirs de voyages avec des marchands. Les histoires de leurs péripéties durant les longues heures de trajets étaient à présent ancrées dans la mémoire de Volesprit. Son instinct lui disait que Saturne pourrait bien avoir lui aussi des anecdotes intéressantes à raconter. Bien qu'il n'est pas une tête qui face de lui un grand voyageur... à vrai dire Volesprit préférait nettement son apparence à celle de la plupart des balafrés mal coiffés et d'une hygiène douteuse. Au moins, avec lui, elle semblait se trouver en compagnie d'un prince... *Et s'il en était un ?* Volesprit ne put réprimer un sourire.

La jeune elfe fut immédiatement à l'aise après ma tirade. Elle ne mit qu'un instant à se décider de l'accompagner. La main sur le côté du chariot, elle escalada le marche-pied et me rejoint à l'avant. Bien évidemment, je m'étais écarté pour lui laisser la place de s'assoir. Je saisi la bride et la fit claquer pour ordonner à la vieille carne qui me servait de cheval de trait de reprendre la route. Le silence régna durant les premières minutes, alors que ma passagère me détaillai de plus près. Je lui adressai à nouveau l'un de ces joli sourires dont j'ai le secret, ceux-là même qui faisaient rire ma mère, à l'époque. Alors, mise en confiance, elle délia sa langue et s'adressa à moi. Elle me parla de son métier, de ses projets, puis me demanda ce que je transportais dans ma carriole et où je comptais amener tout ce capharnaüm.

"Je fais de la livraison. Une grande commande de parfums, de médicaments et de quelques autres articles; de la part de plusieurs riches clients de Storghein et de Cydonia. Normalement, au retour, j'aurai le même volume en talents, à l'arrière. J'imagine qu'il me faudra engager quelque mercenaires pour le voyage..."

Je laissais le silence retomber quelque instants, observant le paysage. Les collines brumeuses, en cette saison, dans l'après-midi, prenaient des airs féériques. Une multitude de rayons lumineux tranchaient à travers la brume comme autant de couteaux d'or, avant d'aller s'écraser sur l'herbe grasse des clairières ou de se perdre entre les troncs austères des immenses arbres. Généralement, ces contrées étaient plutôt sûres, mais nul n'échappe aux mains avides des brigands, sur les routes; et ce n'est pas le décors mystérieux ni le brouillard qui les décourageraient. Pivotant la tête vers mon agréable camarade de voyage, je reprenais:

"Au fait, Volesprit, tu -je peux te tutoyer, n'est-ce pas?- as quelque chose à faire, à Storghein? Des affaires? Ou peut-être (je ne pouvais étouffer tout à fait mon rire) comptes-tu me faire payer le voyage, en bonne guide que tu es?"

A cette dernière remarque, Volesprit rougit et baissa la tête pour masquer son embarras. Elle se mit à rire pour dissiper sa gène.

"Non, bien évidemment que non... cela ne m'était même pas venue à l'esprit... je cherchais juste...

Respirant à fond, elle essaya de trouver ses mots. Bafouiller en tant que guide n'avait rien de très glorieux. Même sa timidité qui lui faisait tant défaut. A vrai dire, elle ne possédait pas les qualités qu'on attendait dans ce job... Seul son intelligence et sa capacité à se tirer des pires situations lui avait fait tirer son épingle du jeu. *Allez, je ne vais tout de même pas perdre tous mes moyens devant cet homme alors que j'ai réussi à faire bien mieux auparavant.* Elle prit son courage à deux mains une seconde fois et reprit sa tirade sur un ton dégagé... enfin presque...

_Ah vrai dire, je n'avais pas de destination précise où me rendre. Mais Storghein en votr... en ta compagnie me semble être une bonne destination. Bien que je voyage rarement seul, il m'est difficile de choisir mes compagnons de route. Il faut se résigner à accompagner le premier venu pour pouvoir vivre de ce métier. Remarque, je ne t'envie pas plus que ça. J'imagine que tu dois faire attention à ta cargaison en permanence. Au moins, c'est un soucis que je n'ai pas. Quand j'y repense, je n'ai pas vraiment choisi d'être guide. Avec le recul, je dirais que ça s'est imposé comme une évidence avec les connaissances que j'avais acquis à la bibliothèque de Silmarie. Mais toi même, qu'est ce qui a put te pousser à faire ce que tu fais aujourd'hui ? Le plaisir de l'alchimie je suppose ?

Elle lui fit son plus beau sourire. Celui ci s'affichait sur son visage de façon naturel lorsqu'elle demandait quelque chose à quelqu'un et qu'elle souhaitait réellement savoir la réponse.

Elle avait l'air embarrassée que je lui parle de manière si familière. Ce n'était qu'un petit acte, une pensée infime, mais elle perdait une partie de l'intérêt qu'elle m'avait suscitée. Pourtant, je devais faire bonne figure, rester bienséant. Un peu. Les gens m'ennuient. Du moins, les gens normaux m'ennuient. Ils sont prévisibles, leurs actes se répètent encore et encore, et ce que l'on trouve chez l'un se retrouve chez l'autre. Le même rire gêné, le même froncement de sourcil, les doigts qui se crispent sous la surprise... J'avais cru qu'elle serait différente des autres Silmariens, des autres en général; mauvaise donne. Peu importe, elle m'accompagnait maintenant, alors je devais rester coi et la laisser bafouiller. Elles bafouillent toutes, dans ces moments là. Les mâles ont plutôt tendance à se décontracter ou à prendre la mouche. Ah, voilà, elle commence. Et puis vient l'instant où elle se reprend, sauver les apparences, se montrer droite et agiter sa langue, me répondre.
Elle ne savait guère où aller avant de me rencontrer. Je devenais le sauveur (une seconde, cette pensée même me fait rire), je devenais SON guide. Je devrais peut-être moi-même la faire payer? Non, elle refuserait. Et voilà, elle m'explique qu'elle est heureuse d'aller à Storghein "en ma compagnie". Mais...

...

Elle a l'air sincère. Voilà qui est plus original, un genre de compliment détourné. Oh, et allons qu'elle m'explique ses journées, son travail, sa vie. Et elle... Oh, elle me demande pourquoi ma vie se résume à mélanger le liquide A avec la poudre B, dans le récipient C qui me permettra de créer le produit D. J'adore expliquer mes choix. Vraiment. C'est un réel plaisir que d'étaler ma vie au regard critique de parfait étrangers. Choisissons la réponse simpliste, celle qui économise temps et salive, et m'épargnera un mièvre apitoiement au sujet du pauvre garçon qui cherche sa mère. Bien entendu, lui adresser un large sourire en répondant. Les gens croient mieux lorsque le sourire suit.

"Exactement, j'adore ça! N'as-tu jamais été stupéfiée par l'aspect du vif argent, ou par les propriétés de la magnétite?"

Voilà, une belle phrase qui lui semblera sans queue ni tête. Elle me demandera probablement ce que sont ces substances, je lui raconterai. Oh, je devrais tout de même lui demander.

"En fait, peut-être que dans ta vie d'aventure et de voyages, peut-être que tu as croisé quelqu'un que je cherche. Une elfe, âgée maintenant, nommée Nyema?"

Il était vrai que ces matériaux avaient de quoi attirer l'œil. Mais c'était de simples cailloux comparé au saphir et à l'améthyste selon elle... Bien que leurs propriétés soient nettement plus intéressante, il lui fallait en convenir. Elle allait lui répondre que ce n'était pas ce qui l'émerveillait le plus quand il lui posa une nouvelle question qui la fit tressaillir :

"En fait, peut-être que dans ta vie
d'aventure et de voyages, peut-être que tu as croisé quelqu'un que je
cherche. Une elfe, âgée maintenant, nommée Nyema?"

Ce nom lui disait quelque chose... Elle voulait en avoir le cœur net. Saisissant son carnet de voyage, elle se mit en quête de la personne... Il lui semblait bien avoir rencontré une elfe assez âgée portant un nom un peu comme celui ci. Tournant les pages, elle finit par trouver ce qu'elle cherchait. Un séjour qu'elle avait fait à Muria, chez les amazones. Dans son compte rendu, elle notait le nom de ceux dont elle avait fait la connaissance... Il y avait bien une Nyema, une elfe d'après ses propres notes. La satisfaction que son carnet lui serve vraiment à quelque chose la fit sourire intérieurement.

_J'ai effectivement croisé une Nyema sur le territoire amazone. Une elfe... mais je ne pourrais jurer que c'est elle. Et cela fait près de un an à présent... Pourquoi la cherches tu ?

Son changement brutal de ton, un peu plus froid, provenait de sa méfiance naturel sur les recherches d'individus. Elle ne tenait pas particulièrement à être mêlé à ce genre d'histoire. Certes, elle apporterait à contrario toute l'aide possible si la cause était juste... en échange d'une rétribution bien entendu. Elle regardait maintenant de façon plus objective Saturne, le fixant dans les yeux afin de s'assurer qu'il n'essayerait pas de lui mentir. Si elle avait le moindre doute, elle ne lui en dirait pas plus sur ce qu'elle savait de cette Nyema dont elle se remémorait vaguement l'apparence. Son sourire avait disparut mais elle ne montrait pas les dents pour autant... non... simplement un visage neutre.

Elle l'avait rencontrée. Croisée, vers Muria. Je restais coi, un moment, la fixant d'un air probablement plus ébahi que je n'aurais souhaité le paraître. Et puis un sentiment de joie intense m'envahit, accompagné par un profond soulagement. Une fois l'information réellement digérée et la surprise passée, j'offrais à ma compagne mon plus agréable sourire et lui expliquais:

Nyema... Est le nom de ma mère, disparue depuis à peu près dix années, maintenant. Et durant tout ce temps, je l'ai cherchée, sans la trouver. Tu viens de m'apporter la première piste sérieuse que j'ai pu trouver depuis que j'ai cessé de la chercher moi-même il y a quatre ans, ainsi que la preuve qu'elle vit encore. Merci, vraiment, merci.

Je gardais mon sourire tout en fixant la route. La nouvelle était importante, et probablement véridique. Je n'espérais pas la trouver là-bas, chez les amazones, et de toute manière je ne m'y rendrais pas moi-même. La route était longue, dangereuse, et les chances que Nyema se trouve encore dans cette région étaient minces, trop pour perdre du temps, d'ailleurs. J'engagerais un mercenaire et l'enverrais vérifier, suivre la piste, se renseigner, et peut-être même la retrouver. L'initiative coûterait cher et prendrait sûrement des mois, mais le jeu en valait la chandelle.

Je réalisais alors que Volesprit avait changé de ton, tout à l'heure, et avait perdu cet air gêné et candide pour prendre l'expression fermée de la méfiance. Une modification de son comportement qui était dûe, sans doute, à la question quelque peu étrange que je venais de poser. Après ma réponse, elle troquerait à nouveau ses manières froides contre l'ouverture et la chaleur qui l'avaient caractérisées jusqu'alors. Du moins je le souhaitais, sinon ce voyage deviendrait encore plus monotone encore que le rythme qui m'attendait à mon départ de Silmarie.

Volesprit le regarda dans les yeux pendant qu'il expliquait qu'elle était sa mère et qu'il la cherchait depuis près de dix ans. Sa joie n'était pas feinte, elle en était quasiment sûr. Avant de relâcher son attention, la jeune femme s'assura une dernière fois que son regard ne masquait aucun mensonge. Bon... il avait l'air sincère. *Les gens ont toujours des histoires compliquées... Je ne fais pas exception. Y a t-il des personnes qui mènent une vie normal sur Azthia... Je commence à en douter. Je ferais peut être bien de me trouvé un mari et de me poser enfin une bonne fois pour toute... Quand je trouverais le courage.* Passant une main dans ses cheveux elle soupira.

"De rien. Si ça te rend vraiment service, dis toi que cela ne me coûte rien et que c'est de bon grès."

Les cahots de la route la firent sursauter. Les elfes n'avaient jamais été de très habile en matière d'arrangement de voies routières. La conversation en était au point mort à présent. Mieux valait trouvé un sujet intéressant avant que l'ennui ne la fasse bayer et se montrer par la même impolie... bien que selon les conventions, il aurait été souhaitable que ce soit le jeune homme qui le trouve plutôt qu'elle mais elle se moquait pas mal de celles ci. Le beau temps était exclus d'office... toujours aussi brumeux, rien de palpitant. Parler du travail n'aurait fait que prouver son manque d'imagination et en ce qui concernait le paysage... ma foi, en tant qu'elfe il devait probablement connaître cette forêt aussi bien qu'elle...

_Votre mère... n'était pas très bavarde. Le peu que nous ayons parlé me semble t-il, relevait de la simple courtoisie. La seule chose qui vous intéressera sans doute, c'était la présence avec elle d'un demi-elfe. Un gosse de sept, huit ans à vue d'œil. Il lui collait aux basques, pas vraiment étonnant chez les amazones. Son sang mêlé ainsi que son jeune âge avaient permis qu'on le tolère à Muria. Je ne crois pas me souvenir d'autre chose...

Volesprit se mit à siffler... se rendant soudain compte qu'elle s'était remis à le vouvoyez. *Bah, il ne se formalisera pas pour si peu. Allez mon gars à toi de me convaincre que tu es un bon petit prince poli et de m'intéresser assez pour ne pas que je m'endorme.* Elle lui fit un sourire encourageant.

"Un demi-elfe? Un bat... Je veux dire, un sang-mêlé? Avec elle?"

Je n'en revenais pas. La nouvelle me choquait, et l'information peinait à rejoindre mon cerveau. Je jetai une œillade à ma compagne, celle-ci n'avait même pas réalisé l'effet dévastateur de sa tirade. Les seules enfants que Nyema avait jamais supporté restaient les siens (ou du moins, le sien). Donc ce gosse, ce SALE GOSSE, était à coup sûr son nouveau rejeton. J'avais l'impression que l'air, le paysage, la vie qui avaient semblé plus beaux durant quelques instants se flétrissaient au fur et à mesure que la nouvelle s'incrustait dans mon esprit. Ma mère n'était pas seulement partie, elle m'avait abandonné. Oublié. Moi! Son fils! Le seul et unique! Remplacé par un bâtard! Mes mains tremblaient sous la rage que je tentais tant bien que mal d'étouffer et de camoufler.

"C'est assez étrange, même si elle a disparu il y a déjà longtemps. Tu... Tu penses qu'il aurait pu s'agir de son fils?"

Je tentais un sourire pour faire bonne figure, mais je devais être si pâle que j'en devenais à peine visible, dans le brouillard. Ou alors, la rage me rendait peut-être si rouge que je paraissait émettre de la lumière. Peut-être même l'un après l'autre. A vrai dire, j'attendais impatiemment la réponse de Volesprit avant de me mettre réellement en colère. Il y avait une petite crainte en moi, celle de devenir violent ou de commettre quelque acte qui ne me ressemblerait pas. Alors même que le doute m'assaillais, j'envisageais mille actes. Le suicide tout d'abord, avec la multitude de poisons violents qui s'entrechoquaient dans ma carriole. Et puis, engager non pas des mercenaires pour retrouver Nyema, mais des assassins. Ou alors, peut-être que la guide mentait, et que sa mère pensait toujours à lui? Dans ce cas, il étranglerait cette jeune sotte diffamatoire à mains nues...

Je me mordais la langue, presque jusqu'au sang, pour cesser de divaguer pareillement, et, inquiet, j'attendais la réponse de Volesprit.

L'effet de ses propos ne se fit pas attendre. Bien entendu, elle s'attendait à une réaction de sa part, mais celle ci fut pour le moins brutal bien qu'il fit en sorte de la dissimulé derrière un sourire sans joie. Son visage qui s'était aux premiers abords empourpré était à présent livide. Il réussit néanmoins à lui demander si elle pensait que le môme était le rejeton de sa mère. Évidemment, comprit elle alors, il devait se sentir trahit ou quelque chose dans le genre.

"Non, pas du tout. Je lui ai demander qui était le père si je me rappel bien et elle m'a répondu qu'elle l'avait trouvé et emmené avec elle alors qu'il crevait de faim. Je ne peux pas t'affirmer que c'est la stricte vérité mais je n'ai pas trouver qu'il y avait une ressemblance entre eux si ça peut te rassurer. De plus, je reste persuadé qu'elle n'avait pas de compagnon à Muria. Il est même trop probable qu'ils n'y furent que de passage. A moins qu'entre temps elle est rejoins les amazones mais j'en doute la encore. Durant mes séjours là bas, j'ai put constater que les habitantes de Muria étaient très soudé entre elles, et votre mère, si c'est bien elle, faisait partie des gens qui s'isolaient la plupart du temps.

Son ton s'était quelque peu radoucie devant la détresse apparente de Saturne. Elle songea alors à un détail qui lui avait échappé.

_Mais au faite, peut être souhaiteriez vous allez directement à Muria pour vous en informez vous même. Je vais vous donnez un message pour une de mes connaissances qui vous renseignera mieux moi. Avec ma signature, vous pourrez entrer à Muria sous ma responsabilité, bien que vous serez surement surveillé de près.

Elle sortie, un morceau de papier sur lequel elle griffonna un nom et sa signature ainsi qu'une garantit de responsabilité. Elle le lui tendit. Une sorte de séparation s'était créé entre eux à présent, invisible mais palpable. Le vouvoiement s'était réinstauré naturellement. Volesprit sentait qu'il n'y aurait sans doute rien de plus qu'une relation guide - voyageur entre eux. C'était son lot quotidien, mais elle soupira.

En quittant le beau jeune homme, elle eut un pincement au cœur en pensant qu'elle ne le reverrait sans doute jamais plus. Aussi ce permit elle de l'étreindre brièvement avant de lui dire adieu. Il n'est pas d'au revoir convenable en ce monde mais certains valent tout de même mieux que d'autre. Celui ci en faisait partit.

[désengagée]

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